Asia Times Online
L'art de la
guerre, avec un verre de vin
Pepe
Escobar
Bernard-Henri Lévy et deux combattants
syriens - REUTERS/JEAN-PAUL PELISSIER
Mercredi 13 juin
2012
article original :
"The art of war, with a glass of wine"
PARIS - Elle se trouvait là,
dans un coin discret, jamais repérée par
les hordes de touristes : ma petite
table favorite depuis les années 80 au
Café de Flore à Saint-Germain. J'en ai
pris possession, j'ai commandé un
croque-monsieur et un verre de Chablis,
et j'ai repris mes activités, en lisant
et en regardant le monde passer devant
moi pour la première fois depuis la
chute du Roi Sarko.
Première impression : où diable mon
bouquiniste peut-il bien se trouver ? La
vénérable librairie La Hune, juste au
milieu de mon angle de vision, semblait
avoir été frappée par le feu de l'enfer.
Zeus merci, elle avait déménagé pas
loin. Deuxième impression plus
prometteuse : BHL ne se trouvait pas au
Flore. En fait, le philosophe français
Bernard-Henri Lévy, alias BHL, était
occupé ailleurs à assurer la promotion
de sa prochaine guerre.
BHL n'est pas simplement un
philosophe/écrivain/cinéaste, il est
avant tout le patron exécutif d'une
gigantesque opération de relations
publiques montée à la gloire perpétuelle
de lui-même. Il dirige pratiquement
l'arène culturelle française, de la même
manière que Christopher Hitchens pensait
faire la pluie et le beau temps aux
Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Pouvons-nous vivre dans la médiocrité ?
Si seulement Sartre était encore vivant
pour renvoyer BHL d'un coup de pied dans
le derrière vers son jardin d'enfants
intellectuel ! BHL s'est rendu
dernièrement au Festival du film de
Cannes en emportant dans ses bagages
quelques rebelles otanesques libyens en
guise d'animaux de compagnie - des
compagnons de son aventure de «
libération », comme Moustafa El-Zagizli,
de Bengazi, fièrement présenté comme le
« prince des chabab », et le général
Ramadan Zarmouth, de Misurata.
Le colonel Kadhafi avait l'habitude de
planter ses tentes à Rome et de faire
embrasser ses magnifiques robes par les
potentats occidentaux. Les rebelles
otanesques libyens, pour leur part,
étaient abasourdis et troublés par leur
expérience explosive des tapis rouges de
Cannes.
Fait décisif, en compagnie de ses
Libyens favoris, qui maugréaient contre
« l'unité de la révolution », BHL avait
également emmené avec lui - qui d'autre
? - ses Syriens favoris, deux Kurdes,
des personnages louches en lunettes
noires, dont les têtes étaient
enveloppées dans des drapeaux syriens.
Ils étaient décrits comme « des
combattants qui avaient fui la Syrie en
cachette, il y a seulement quelques
heures, pour découvrir Le Serment de
Tobrouk ».
Nous avons donc là le sioniste
certifié BHL, emmenant avec lui ses
Arabes de service pour visionner la
première mondiale de son nouveau film.
Oui, toute cette affaire devait faire
partie d'un autre exercice de
glorification de BHL. Après avoir gagné
pratiquement à lui tout seul la guerre
de Libye - selon son propre « récit » -
BHL a maintenant insisté sur le fait que
« ce qui a été fait à Bengazi ne fut pas
plus facile que ce qui devrait être fait
à Homs ». Garçon ! Apportez-moi un
changement de régime avec mon Chablis !
La guerre, c'est moi
Quant au film, diffusé sur les écrans
en France et déjà vendu au marché
nord-américain, il pourrait aspirer à se
qualifier comme pièce surréaliste digne
d'Alfred Jarry. Mais en tant que paon
hyperactif, BHL n'a pas la moindre
faculté d'autocritique, et ce qui reste
est un BHL cinéaste se filmant lui-même
en tant que réalisateur de l'Histoire en
marche. Voilà comment une tradition
littéraire et philosophique française
vieille de plusieurs siècles se termine
: L'Intellectuel est devenu un va-t-en
guerre.
En voix off - quelle autre ? - celle de
BHL non-stop : un monologue
néo-proustien débité qui flirte avec Sun
Tzu. BHL parcourt les rues de Bengazi à
la recherche d'un héro rebelle
postmoderne, et il le trouve en la
personne d'Abdul OTAN Jalil.
La scène est à présent installée pour
que BHL d'Arabie joue son épopée
libératoire, constamment vêtu d'une
veste noire, d'une chemise blanche
Charvet méticuleusement ouverte pour
montrer sa peau blanche, et un téléphone
satellitaire collé sur son oreille,
depuis les déserts et les montagnes
jusqu'aux salons du Palais de l'Elysée
et - bien sûr - le Café de Flore qui se
révèle à une délégation libyenne
éblouie.
Tous, du Roi Sarko à la Reine Hillary «
Nous sommes venus, nous avons vu, et il
mourut » Clinton et à David Cameron
d'Arabie, sont manipulés pour servir
d'extras dans une guerre de libération
concoctée par BHL. Qui a réellement
envie de savoir ce qu'il s'est
réellement passé en Libye, comme l'Asia
Times Online l'a rapporté pendant
des mois ?
BHL rejoue inévitablement le coup de fil
tristement célèbre qui aurait converti
le Roi Sarko au changement de régime.
Sarko lui-même a nourri ce mythe, en
déclarant à la télé française en mars
2011 comment cet appel téléphonique
l'avait conduit à rencontrer les
rebelles de l'OTAN et à démarrer
l'offensive franco-britannique. Foutaise
! Le changement de régime avait déjà été
décidé à Paris depuis octobre 2010,
lorsque le chef du protocole de Kadhafi
s'était enfui de Libye pour se réfugier
en France.
Maintenant, BHL est très occupé à
rappeler au nouveau président français
François Hollande « la France
fera-t-elle pour Houla et Homs ce
qu'elle a fait pour Bengazi et Misurata
? ». Eh bien, la coalition des
volontaires est déjà en place : la
France, la Grande-Bretagne, les
Etats-Unis, la Turquie et la Ligue Arabe
contrôlée par le Conseil de Coopération
du Golfe ! Ils se nomment eux-mêmes «
les Amis de la Syrie » et décideront des
prochaines étapes du changement de
régime, à Paris début juillet.
BHL concède que « sauver l'euro est une
obligation impérieuse », mais le drame
grec pourrait ne pas empêcher Hollande
de passer un coup de fil, exactement
comme BHL l'a fait averc son
prédécesseur le Roi Sarko, pour
convaincre la Russie et la Chine que
l'Etat terroriste syrien relève du
passé. Evidemment, BHL ne reconnaîtra
jamais la nature terroriste de l'Etat
israélien envers les Palestiniens, même
s'il était sur le point de se faire
écraser par un char de Tsahal. De toute
façon, si Hollande cale, BHL se tournera
vers David Cameron d'Arabie.
BHL insiste pour dire qu'il a réalisé
Le Serment de Tobrouk pour la Syrie.
En Libye, dit-il, il y avait « une
réelle coalition avec les pays arabes,
qui impliquait les forces émiraties et
qataries ».
Pour l'Emir du Qatar, le Serment de
Tobrouk devrait être perçu comme une
comédie musicale façon « The Sound of
Music ». Après tout, le Qatar a déjà
acheté la moitié de la Place Vendôme,
une bonne partie des Champs-Élysées et
presque tout entre Madeleine et Opéra.
BHL pourrait faire pire que passer
lui-même un coup de fil à l'Emir
francophile pour lui demander de
financer sa prochaine guerre. Mais dites
donc, le Qatar arme déjà les rebelles
syriens ! Prochaine étape pour BHL?
L'Iran.
Copyright 2012 - Asia
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Publié le 19 juin 2012 avec l'aimable
autorisation de Questions Critiques
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