|
Sarkozy, Israël et les juifs
Article d'Alain Gresh : commentaires de
Paul-Éric Blanrue
Paul-Eric Blanrue
Samedi 29 août 2009
Voici, comme annoncé
avant-hier, mes commentaires (en rouge) à l'article
d'Alain Gresh. J'en profite pour le remercier d'avoir
brisé l'omerta dont mon livre est victime.
Sarkozy, Israël et les Juifs
jeudi 27 août 2009, par Alain Gresh
Le livre que publient les éditions belges « Oser Dire », sous la
signature de Paul-Eric Blanrue,
Sarkozy, Israël et les Juifs, est intéressant à plus d’un
titre. Il pose en effet à la fois le problème de la liberté
d’expression, du rôle des communautés ou des lobbies en France,
de la politique étrangère de Paris, etc.
Premièrement, la liberté d’expression. Ce livre, sorti en
Belgique, n’a pas trouvé d’éditeur en France, et les principaux
distributeurs ont refusé de le distribuer. Or, quoi qu’on pense
de l’ouvrage, il n’a rien d’antisémite. Ce refus est d’autant
plus stupide qu’il accréditerait l’idée que l’on ne peut
critiquer Israël en France, ce qui est évidemment faux. De
nombreux ouvrages très durs sur la politique israélienne,
notamment sur l’expulsion des Palestiniens, ont été publiés en
France par de grandes maisons d’édition ou de moins grandes, du
livre d’Ilan Pappe, Le
nettoyage ethnique en Palestine (Fayard) à celui de
Dominique Vidal, Comment Israël
expulsa les Palestiniens (1947-1949) (L’Atelier). La
question du rôle des lobbies est plus « sensible » ; j’y
reviendrai.
Il existe chez des éditeurs, chez des journalistes, une peur de
certains sujets, une crainte dès que l’on aborde Israël et
encore plus le « rôle des juifs ». On peut se demander si le
livre de l’universitaire Israel Shahak,
Le racisme de l’Etat d’Israël,
publié en 1973 par les éditions Guy Authier, trouverait encore
un éditeur. D’autant que l’ignorance et l’inculture, la mauvaise
foi et le parti pris, se mêlent pour confondre antisémitisme et
antisionisme. On occulte toute l’histoire complexe des rapports
entre sionisme, judaïsme et antisémitisme et le rejet, pendant
de longues décennies, par une majorité des juifs allemands ou
britanniques, français ou des pays arabes, du projet sioniste («
Judaïsme, sionisme et fantasmes »). Et on identifie toute
critique d’Israël à de l’antisémitisme plus ou moins voilé.
Les procès faits à Daniel Mermet ou à Edgar Morin, les campagnes
médiatiques menées contre le dessinateur Siné, ont créé une
atmosphère malsaine, une forme d’interdit (ce qui ne veut pas
dire que ceux qui combattent cet interdit aient forcément raison
: le cas de Dieudonné est exemplaire de ce point de vue...).
Mais les médias ne sont pas unanimes et on ne peut les analyser
abstraitement. Durant la guerre de juin 1967, la presse
française fut, massivement, favorable à Israël (en opposition à
la position prise par le général de Gaulle). Sans revenir sur
toutes les phases, on peut dire que les médias ont connu une
évolution importante dans les décennies suivantes : ainsi,
durant la première Intifada (1986-1993) (et même au début de la
seconde), le point de vue des Palestiniens était largement
repris et même entendu. Depuis quelques années, on assiste à un
glissement en faveur d’Israël, moins à mon sens à cause du rôle
supposé d’un lobby, mais parce que la position du gouvernement a
évolué et que de nombreux journalistes (et intellectuels) lisent
ce conflit à travers le prisme de « la guerre contre le
terrorisme » et de la diabolisation de l’islam.
La thèse de Blanrue est exprimée dès les premières pages : «
Israël est devenu hors de portée du débat démocratique. » Et il
s’interroge : « La France est-elle devenue un pays sioniste ? »
Mais il n’explique pas bien ce que signifie le terme étrange de«
pays sioniste » :
- est-ce l’acceptation de la légitimité de l’Etat d’Israël ?
Mais, à ma connaissance, aucun gouvernement français depuis
1948, pas même celui du général de Gaulle, ne l’a remise en
cause, pas plus qu’aucun grand parti (à l’exception, à certains
moments, du Parti communiste) n’a contesté le sionisme comme
mouvement de retour à la Terre promise. Qu’est-ce qui est donc
nouveau aujourd’hui ?
- est-ce le refus de la critique de la politique de ce
gouvernement israélien (ou des gouvernements successifs) ?
Le propos de l’auteur n’est pas très clair.
Commentaire Blanrue :
Après avoir évoqué les débats tournant autour d’une question de
vocabulaire (pp. 46-47 de ma deuxième édition, à savoir :
peut-on encore parler de sionisme ou doit-on se contenter
d’évoquer le post-sionisme comme le voudraient certains
intellectuels ?, etc.), je donne (page 48) la meilleure
définition, à mes yeux, du sionisme tel que je le perçois dans
la société contemporaine : « Le sionisme d’aujourd’hui réside
dans le fait de lier intimement son identité au destin de l’État
juif. » J’ajoute (page 49) : « Ce lien particulier à Israël
comme État juif, intrinsèque au sionisme, peut ou non se
traduire par une action politique ou associative. En tout cas,
il n’est pas rare qu’il donne lieu à un engagement public. Dans
la situation actuelle, le sionisme a même tendance à chercher à
s’exprimer par tous les moyens. »
Ainsi, lorsque je déplore que
la France de Sarkozy soit en train devenir un « pays sioniste »,
j’affirme qu’en liant notre destin à celui de l’État juif,
Sarkozy nous soumet à des intérêts qui sont différents de ceux
de la France ; en outre, j’estime qu’il tend à sacrifier la
morale, la justice, le droit international et l’équilibre du
monde à la « défense inconditionnelle de la sécurité » d’une
chimère en déclin. Dans ma « note au lecteur », en guise de
préambule, je déclarais : « Prônant désormais une défense
inconditionnelle d’Israël (avec des réserves de circonstances),
[Sarkozy] met en œuvre une politique qui est l’image inversée de
celle du fondateur de la Ve République. » Il me semble que
j’exprimais là le fond de ma pensée d’une façon qui ne saurait
être plus claire. En se rangeant derrière Israël (et les
États-Unis), la France sarkozienne a abandonné sa diplomatie
équilibrée ; notre indépendance nationale est en péril ; la
nouvelle doctrine de l’État est celle du « choc des
civilisations », avec cette variante, non évoquée par
Huntington, qu’on y considère désormais, à l’instar de Theodor
Herzl, qu’Israël est un « avant-poste de la civilisation contre
la barbarie ».
Blanrue, à juste titre, se refuse à utiliser le terme de « lobby
juif » et lui préfère celui de « réseaux pro-israéliens », comme
il l’explique longuement dans le premier chapitre. La communauté
juive (même si cette terminologie elle-même est contestable) est
divisée, partagée, malgré les tentatives de certains (notamment
le Conseil représentatif des organisations juives de France,
CRIF) de l’organiser en machine de soutien à l’Etat d’Israël.
L’auteur affirme que le terme de « réseaux pro-israéliens » «
[lui] paraît mieux refléter la réalité dans toute sa complexité,
telle [qu’il va] la décrire ».
On trouvera dans ce livre des éléments intéressants sur l’appui
de Nicolas Sarkozy au « communautarisme » (qu’il soit juif ou
musulman d’ailleurs), sur sa sympathie à l’égard d’Israël, sa
tendance à identifier tous les juifs et Israël : « Dois-je
rappeler, écrivait le futur président de la République en 2004,
l’attachement viscéral de tout juif de France à Israël, comme
seconde mère patrie ? ». Et aussi, des confirmations sur les
liens entre Sarkozy et les Etats-Unis. De ce point de vue, la
nomination hier de la conseillère municipale de Paris Valérie
Hoffenberg comme représentante spéciale de la France pour la
dimension économique, culturelle, commerciale, éducative et
environnementale du processus de paix au Proche-Orient est
révélatrice : cette femme est directrice pour la France de
l’American Jewish Committee (AJC), une des organisations juives
américaines connues pour leur soutien inconditionnel à Israël.
L’AJC joue un rôle actif pour transformer le CRIF en lobby sur
le modèle américain.
Commentaire Blanrue : Une
preuve de plus, soit dit en passant, que la France est en train
de devenir un « pays sioniste ».
En revanche, l’auteur se trompe quand il attribue à Sarkozy le
tournant de la politique étrangère française, notamment au
Proche-Orient. Ainsi, la politique d’hostilité à l’égard de
l’Iran et à son programme nucléaire fut inaugurée par Jacques
Chirac et n’a connu aucun infléchissement avec l’arrivée à la
présidence de Sarkozy. De même, le tournant en faveur d’Israël a
été perceptible dès 2005, avec la visite d’Ariel Sharon à Paris.
Certes, Sarkozy a renforcé ce soutien, mais pas de manière
spectaculaire (lire « La voix brouillée de la France »,
Le Monde diplomatique,
juin 2006).
Commentaire Blanrue :
1° Vis-à-vis d’Israël : le formidable virage pris par
Sarkozy est à ce point évident qu’il a été salué comme tel à la
fois par les plus éminents représentants du lobby pro-israélien
et par Israël : en outre, il est sans équivoque revendiqué par
le principal protagoniste de cette affaire ainsi que par ses
affidés.
En août 2004, l’hebdomadaire
juif américain Forward
publiait un article mesurant l’influence croissante du lobby
sioniste sur le territoire français ; parmi les noms cités
figurait en bonne place celui de Nicolas Sarkozy.
En décembre de la même année,
en visite en Israël, Sarkozy, ayant le président Chirac dans le
viseur, déclarait à ses hôtes : « « Je sais que vous avez eu le
sentiment qu’en France on restait trop insensible à votre
souffrance et qu’à tout le moins vous n’aviez pas ressenti notre
compassion ». Libération
du 4 décembre 2006 commentait ainsi sa sortie : « Le message de
Nicolas Sarkozy était simple : s’il est élu à l’Elysée, ce sera
la fin du dogme gaulliste de ‘la politique arabe de la France’
».
En 2006, à Washington, dans un
autre discours public, Sarkozy s’en prenait de nouveau la
politique étrangère de Jacques Chirac. Dans mon livre, citant un
article… d’Alain Gresh (« Nicolas Sarkozy, Al-Qaida, Israël et
le Proche-Orient », 25 mars 2007), j’ai rapporté la phrase
d’Israel Singer, du Congrès juif mondial, qui soulignait que «
les déclarations de Nicolas Sarkozy sur l’antisémitisme, la
lutte contre l’islamisme et les positions en faveur d’Israël
qu’il a rappelées au président George W. Bush, le terrorisme
palestinien et du Hezbollah, ou sur l’Iran, sont telles qu’elles
pourraient avoir été faites par un leader d’une d’organisation
juive ». Ces paroles et ces jugements semblent, à tout le moins,
corroborer ma thèse.
Une fois arrivé aux commandes,
Sarkozy fut salué par Olmert en ces termes : « L’arrivée au
pouvoir “ d’un ami évident ” est considérée comme “ un bienfait
” en Israël ». pour ma part, j’ajoute que, dans ces milieux, le
prédécesseur de Sarkozy avait été appelé avec mépris « Chirac
l’Arabe ».
Puis, Sarkozy ne fit que
confirmer les espoirs que les pro-israéliens avaient placés en
sa personne. Dans mon livre, je montre que la composition du
gouvernement français ne s’explique réellement que si l’on
saisit que, pour entrer dans ce gouvernement, il importe de
partager les vues intimes du président sur Israël ; la condition
est assurément nécessaire mais non suffisante, comme en témoigne
le cas de Rachida Dati. Si Bernard Kouchner a été débauché du
Parti socialiste, c’est, en outre, parce qu’il a été jugé plus «
israélo-compatible » qu’Hubert Védrine
(http://www.dailymotion.com/video/x1za0t_sarko-israel-kouchner-vs-vedrine_news)
; quant aux autres cas qui seraient à signaler dans la
composition du gouvernement ou du Parlement, on en trouvera la
liste exhaustive dans mon ouvrage.
La mise en chantier de l’Union
méditerranéenne témoigne également de la volonté de Sarkozy de
faire entrer Israël, considéré par lui comme un pays
démocratique « comme les autres », dans l’Union européenne ; il
s’agit là d’un processus dont les Français ne sont pas tenus
informés.
Sarkozy est bel et bien
reconnu, en particulier par ses alliés pro-israéliens, comme le
président de la « rupture ». En novembre 2007, le nouveau
président, à peine élu, s’est ainsi rendu aux États-Unis, en
compagnie du président du CRIF, Richard Prasquier et de son
ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner pour recevoir
de l’American Jewish Committee
(AJC) le Light Unto the Nations
Award (Lumière Parmi les Nations), récompense
prestigieuse réservée aux partenaires les plus méritants. Le
trophée portait l’inscription suivante : « En admiration de
votre inlassable promotion des valeurs démocratiques, des droits
de l’homme, et de la paix, et en reconnaissance de votre amitié
dévouée avec les États-Unis, Israël et le peuple juif ». À cette
occasion, Richard J. Sideman, président national de l’AJC, a
salué l’« incomparable vigueur et les principes rares » du
président Sarkozy, non sans évoquer les défis communs et les
menaces qui pèsent sur les « démocraties-soeurs » que sont les
États-Unis, la France et Israël. La preuve était là, éclatante :
la France, sous la conduite de son nouveau président, s’était
engagée dans une toute nouvelle voie.
Faut-il ajouter encore qu’en
2008, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République,
un président de la République acceptait d’être le président
d’honneur du dîner annuel du CRIF ?
Avec ses propres mots, qui
reflétaient sa qualité de représentante du lobby pro-israélien
en France, la susnommée Valérie Hoffenberg nous confie très
tranquillement la radicalité des changements intervenus sous la
présidence Sarkozy : « Sarkozy s’est aperçu que la politique
déséquilibrée pro-arabe de ses prédécesseurs et du Quai d’Orsay
avait fait perdre toute influence de la France dans cette région
». (http://ajc.france.over-blog.com/article-24890251.html).
C’est exactement là ce qu’on pense en Israël.
En janvier 2009, l’envoi de la
frégate Germinal au large de Gaza, en coopération avec l’Égypte
et Israël, pour briser la résistance palestinienne (qui, pendant
ce temps, se faisait massacrer au phosphore, ainsi que des
centaines d’enfants innocents), a illustré par l’horreur la
rupture qui s’était ainsi produite au sein de la diplomatie
française depuis 2007. Il est utile, à cet effet, de rappeler
qu’en 2003 Ariel Sharon avait refusé de rencontrer Dominique de
Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, parce que
celui-ci avait émis le désir de rencontrer Yasser Arafat à
Ramallah. On mesure le chemin parcouru depuis lors.
2° Vis-à-vis de l’Iran :
lorsque Bernard Kouchner, en septembre 2007, déclare qu’il faut
se préparer « au pire » contre l’Iran, et que « le pire c’est la
guerre », il nous fournit la preuve aveuglante qu’un dangereux
virage vient d’être pris - un virage inspiré des principes de
Sarkozy, qui, lors de son voyage aux États-Unis en septembre
2006, avait déclaré que, vis-à-vis de l’Iran, « toutes les
options sont ouvertes ». A contrario, Dominique de Villepin,
qui, comme je le rapporte, n’avait pas été spécialement tendre
avec l’Iran dans son discours au dîner du CRIF (page 141 de ma
seconde édition), a déclaré au sujet de la phrase lourde de
conséquences de Kouchner : « Il ne s’agit pas aujourd’hui de
préparer la guerre. Il faut au contraire se battre pour la paix.
La guerre, ce n’est pas une option parmi d’autres, c’est un
ultime recours et nous avons vu en Irak à quel point cela
s’accompagne d’injustices, de souffrances et de grands malheurs.
» Entre les deux hommes (et les deux politiques), il y a donc
une réelle différence d’appréciation. L’un puise son inspiration
dans des principes gaulliens, l’autre dans l’idéologie sioniste,
qui tend à défendre Israël avant (ou en-dehors de) toute autre
considération.
L’ouverture en mai 2009, par
Sarkozy, de la base interarmes à Abou-Dhabi, dans les Émirats
arabes unis, n’est pas non plus le fruit du hasard. Il s’agit la
première base militaire française dans le Golfe. « La France
montre ainsi qu'elle est prête à prendre toutes ses
responsabilités pour garantir la stabilité dans cette région
essentielle pour l'équilibre du monde », a déclaré le président.
Il se trouve aussi que, géographiquement, les Émirats arabes
unis font face à l’Iran.
Dois-je enfin rappeler la
façon dont s’est comporté Nicolas Sarkozy lors de l’élection du
président iranien ?
Si on ne peut échapper à un certain malaise en lisant ce livre,
c’est qu’il semble parfois superficiel, multipliant les
références tirées d’Internet (ce qui ne constitue pas plus une
preuve qu’un simple article de journal) et qui ne sont pas
toutes, loin s’en faut, pertinentes. Même s’il prend ses
distances avec le bobard selon lequel Sarkozy aurait été recruté
par le Mossad, faut-il consacrer deux pages au sujet ? Ou
évoquer le dégraissage qui serait survenu dans les réseaux de
renseignement français (les agents ciblés seraient les
socialistes, les pro-arabes et ceux qui auraient découvert les
relations de Sarkozy avec les néoconservateurs américains et
certaines organisations sionistes !) à la suite de l’élection de
Sarkozy, en s’appuyant sur une seule source ?
Commentaire Blanrue : Mon
livre comporte environ 600 notes de bas de page pour 207 pages
de texte. J’en ai conscience : par les temps qui courent, il
s’agit là d’une rareté éditoriale ; l’appareil critique n’est
plus en vogue car il passe pour ralentir la lecture. La tendance
actuelle veut donc que l’auteur ne fournisse qu’un strict
minimum de notes ; de leur empyrée, les éditeurs décident de ce
que sera cette portion congrue, qu’ils définiront par rapport à
la capacité intellectuelle qu’ils attribuent à leur lectorat ;
on voit par là l’idée qu’ils ont d’un public qui les fait vivre.
Peut-être voudra-t-on bien à ce compte me savoir gré à la fois
de mon effort de pédagogie et de l’opinion que j’ai de mes
lecteurs. Et puis, sait-on jamais, c’est peut-être au grand
nombre et à l’exactitude de mes références que je dois d’être
apparemment si peu attaquable. Serait-ce à cause d’elles que,
jusqu’à présent, la grande presse n’a pipé mot ? Il faut dire
qu’à chaque étape de mon développement, j’ai étayé de preuves
toutes mes affirmations, toutes mes conclusions. Certes, il ne
m’échappe pas que certaines organisations auraient préféré me
voir publier une œuvre de caractère pamphlétaire, faiblement
documentée, peu convaincante et par conséquent aisément
blâmable, mais on comprendra que je n’ai pas voulu leur
faciliter la tâche.
Quant à la qualité de mes
notes, c’est à dessein que j’ai tenu à ce que la plupart d’entre
elles renvoient à des articles provenant de la grande presse
nationale et internationale, y compris, bien entendu la presse
pro-israélienne. J’ai évité les sites internet marginaux ou
inconnus du grand public. Si certains des journaux que je cite
possèdent un site internet ouvert au public, c’est évidemment
vers ce lien virtuel que j’ai préféré renvoyer le lecteur afin
qu’il puisse ainsi vérifier par lui-même l’information que je
lui fournissais ; mais, dans ce cas, il ne s’agit pas de ce
qu’on peut appeler une « référence internet » : c’est une
référence journalistique reproduite sur le net ; la nuance me
paraît de taille. Maintes fois, également, je renvoie à des
discours ou à des articles archivés sur des sites que tiennent
des organisations sionistes ; l’accès en est facile et nul ne
m’en récusera le contenu. Je renvoie enfin à des vidéos postées
sur youtube et dailymotion, ce qui permet au lecteur de
visualiser certains discours, peu connus, prononcés par nos
dirigeants. Je m’étonne que le directeur-adjoint du
Monde diplomatique, qui
tient lui-même un blog, s’en offusque et en vienne à écrire que
mes références « semblent parfois superficielles ». Gresh, en
particulier, regrette que je ne fournisse qu’une seule référence
en ce qui concerne les changements intervenus dans le monde du
Renseignement depuis l’élection de Sarkozy. C’est pourtant le
seul cas où il devrait le tolérer, car il se trouve que cet
univers est peu porté à la publicité. Je m’étonne de son
étonnement : en bon journaliste qu’il est, Gresh devrait savoir
qu’il y a des sources que l’on ne cite pas, et encore moins dans
ce domaine ; ainsi le veut l’un des principes du métier. Mon
enquête, en tout cas, n’a fait que confirmer la référence que je
mets sur la table : nous vivons une épuration de l’ombre. Je
suis rejoint sur ce point par Aymeric Chauprade, professeur de
géopolitique au Collège interarmées de Défense (on connaît le
sort qui lui a été réservé par son ministre de tutelle, Hervé
Morin), qui a dernièrement déclaré, lui aussi, que « la France
est en train de vivre une épuration douce et sourde de tous ceux
dont la pensée va à l'encontre des intérêts d'Israël et des
États-Unis. Cela peut paraître difficile à croire, mais c'est
pourtant la vérité. Qu'il s'agisse de gens de gauche ou de la
droite conservatrice, tous ceux qui « tombent » ont un point
commun : leurs analyses ne vont pas dans le sens des intérêts
américains et israéliens. »
(http://www.silviacattori.net/article883.html) J’espère que,
dans l’estimation de mon livre, Gresh prendra cette déclaration
de Chauprade en considération.
Le livre fourmille toutefois de citations et de déclarations
intéressantes et est accablant pour la politique menée par le
CRIF et son actuel président, Richard Prasquier, qui, après
avoir identifié « la communauté juive » et toutes les actions du
gouvernement israélien s’étonne que, dans l’esprit de certains,
se créent des amalgames « juifs = Israël ».
Quand Richard Prasquier affirme que 95% des juifs français sont
derrière l’armée israélienne dans son offensive contre Gaza, il
importe le conflit en France et le réduit à un conflit
communautaire. Jean-François Kahn peut, à juste titre, dénoncer
cette affirmation comme antisémite.
J’ai pu constater les mêmes dérives en Afrique du Sud :
« Quant à la direction des organisations juives
(sud-africaines), elle a, dans un communiqué, proclamé son
“ferme soutien à la décision du gouvernement israélien de lancer
une opération militaire contre le Hamas à Gaza”. Elle
s’indignera, quelques jours plus tard, que son propre amalgame
entre juifs et Israël ait provoqué des appels antisémites sur
Internet pour le boycott des magasins juifs – appels fermement
condamné par le gouvernement, l’ANC, des intellectuels musulmans
et les organisations de soutien au peuple palestinien. » («
Regards sud-africains sur la Palestine »,
Le Monde diplomatique,
août 2009, en kiosques.)
Cette ambiguïté entre juifs, sionistes, Israël, est ainsi
entretenue à la fois par les vrais antisémites et par les
partisans inconditionnels d’Israël. L’auteur cite ici Jean
Bricmont : « Il ne faut pas oublier que la politique israélienne
se fait au nom d’un Etat qui se dit juif, et qu’elle est
fortement soutenue par des organisations qui disent représenter
les juifs (à tort ou à raison). Comment espérer éviter, dans ce
climat, que beaucoup de gens ne deviennent antijuifs ? C’est en
demander un peu trop à la psychologie humaine. » Mais ce n’est
pas trop en demander aux intellectuels et aux responsables
politiques : parce que l’antisémitisme, comme toute forme de
racisme, est inacceptable ; parce que les dérapages antisémites
sont les meilleurs alliés du gouvernement israélien qui cherche
à créer un signe d’égalité entre critique de la politique
israélienne, refus du sionisme et antisémitisme.
Dans le débat sur le rôle du lobby pro-israélien aux Etats-Unis,
Blanrue fait un faux procès à Noam Chomsky, l’accusant d’être
intimidé quand il s’agit de critiquer Israël. Non seulement il
semble ignorer la production de Chomsky sur la question, mais il
ne comprend pas le sens du débat qui divise la gauche radicale
américaine. L’argument de Chomsky, et d’autres intellectuels
radicaux comme Joseph Massad, est que la politique américaine
répond, avant tout, aux intérêts des Etats-Unis (ou plutôt de sa
classe dirigeante) et qu’il serait absurde de croire que le
lobby serait capable d’imposer une stratégie contraire à ces
intérêts (lire « Débat sur le rôle du lobby juif aux Etats-Unis
»).
Commentaire Blanrue : Je
suis d’assez près la production politique de Chomsky. Je
maintiens que sa réaction au livre de Mearsheimer et Walt sur le
lobby pro-israélien aux États-Unis n’est guère rationnelle, même
si on analyse la situation en termes de classes. Ma réaction à
ses déclarations est identique à celle du sociologue américain
James Petras, que je cite dans mon livre : « En dépit de sa
réputation respectable, que lui doivent son instruction, sa
dissection par le menu et sa dénonciation de l’hypocrisie des
régimes américain et européens, ainsi que la finesse de son
analyse des tromperies intellectuelles des apologues de
l’impérialisme, ces vertus analytiques disparaissent totalement
lorsqu’il s’agit de discuter de la genèse de la politique
étrangère américaine au Moyen-Orient, etc. »
Affirmer, comme le fait
Chomsky, que le lobby pro-israélien aux États-Unis est une «
étiquette vide », et cela sous prétexte que les États-Unis ne
feraient que suivre les intérêts de leur classe dirigeante, me
paraît tout simplement contraire à la vérité. Peu m’importe la
part de théorie qui lui inspire ses déclarations : la théorie
doit se plier aux faits ; l’inverse est inacceptable. Il n’est
pas question pour moi de dire ici que le lobby pro-israélien
décide « de tout » aux États-Unis, pas davantage qu’en France.
Nul ne prétendra non plus que les États-Unis n’ont pas
d’intérêts stratégiques à défendre au Moyen-Orient, au
contraire. Mais quel rôle réel joue Israël dans la défense des
intérêts américains ? Dans
Après l’Empire (Gallimard, 2002), Emmanuel Todd écrit : «
Peut-on sérieusement envisager une armée israélienne contrôlant
les puits de pétrole d’Arabie saoudite, du Koweït et des
Émirats, elle qui n’a pas été capable de tenir sans pertes
importantes le Sud Liban autrefois et la Cisjordanie aujourd’hui
? » Songeons-y.
Mais je ne vais pas récrire
ici le livre des deux chercheurs américains ; selon moi, sa
lecture doit suffire à emporter l’adhésion du lecteur non
endoctriné.
Dans son chapitre de conclusion, Blanrue revient sur la
polémique qui a suivi la publication par Time Magazine (21
novembre 2007) d’un dossier sur la mort de la culture française.
Il met en avant la citation de Christophe Boïcos, conférencier
d’art, expliquant : « Beaucoup d’artistes français se sont créés
en opposition au système d’éducation. Romantiques,
impressionnistes, modernistes – tous étaient des rebelles contre
les valeurs académiques de leur temps. » Ces voix dissidentes
n’ont pas disparu, mais elles sont absentes des grands médias et
remplacées par les élucubrations de Bernard-Henri Lévy, Alain
Finkielkraut ou André Glucksmann... Mais la dissidence,
contrairement à ce que dit Blanrue, n’est pas non plus dans
l’appel de l’association Liberté pour l’histoire, qui se serait
constituée contre « le climat de terreur » qui régnerait en
France et contre les lois mémorielles. Là aussi, l’auteur ignore
le débat qui se déroule en France, et que le livre remarquable
que vient de publier la grande historienne de l’Afrique
Catherine Coquery-Vidorvitch, Enjeux politiques de l’histoire
coloniale (Agone, 2009), permet de comprendre.
Commentaire Blanrue : Les
lois mémorielles sont un révélateur. Je ne prétends pas que la
dissidence se situe dans le camp de l’association Liberté pour
l’Histoire. Je maintiens en revanche qu’un pays qui légifère en
histoire est gravement malade. Il est fort beau de vouloir
libérer, de par le monde, les peuples opprimés, à commencer par
le peuple palestinien. Mais quelle chance avons-nous d’y
parvenir si, pour commencer, nous sommes incapables de nous
libérer nous-mêmes de nos prisons mentales ? Le combat pour la
liberté et contre l’oppression commence chez nous.
En conclusion, un livre qui mérite le débat, et non un interdit
de fait.
Commentaire Blanrue : Je
souscris entièrement à cette formule. Il serait intéressant de
se demander pourquoi mon livre est « interdit de fait » dans mon
propre pays, alors que je suis porteur d’une contribution
susceptible de faire prendre conscience aux Français que nous
empruntons, depuis l’élection de Sarkozy, un chemin contraire à
notre tradition la plus haute.
|