Syrie
La destruction de
la Syrie
Patrick Seale
Jeudi 6 septembre
2012
(revue de presse : extraits de « The
destruction of Syria » - Middle East
online.com – 25/7/12).
La Syrie qui était
encore, il y a quelques années, un des
plus solides Etats du Moyen Orient, un
pivot du pouvoir dans la région, doit
faire face aujourd’hui à une entreprise
de destruction totale. Les conséquences
de ce drame seront très probablement
désastreuses pour l’intégrité
territoriale du pays, le bien-être de sa
population, pour la paix dans la région
et pour les intérêts des puissances
extérieures directement concernées par
cette crise.
Le danger immédiat
est que les combats, combinés aux
pressions de plus en plus draconiennes
imposées à son allié, l’Iran, fourniront
l’étincelle pour une conflagration plus
vaste, de laquelle nul ne pourra être
protégé.
Comment en est-on
arrivé là ? Tous les acteurs de la crise
ont leur part de responsabilité. La
Syrie est victime des peurs et des
appétits de ses ennemis, mais aussi des
erreurs de ses propres dirigeants.
Avec le recul, on
s’aperçoit que le président Bachar al-Assad
n’a pas saisi les chances d’entreprendre
des réformes pour transformer l’Etat
sécuritaire dont il avait hérité de son
père. Au lieu de reconnaître la soif de
liberté politique, de dignité
personnelle et d’initiatives économiques
du message du
«
Printemps de Damas » de sa première
année au pouvoir, et de s’y atteler, il
a, au contraire, donné un autre tour de
vis.
(…)
L’incompétence du gouvernement a contribué au désastre
Par-dessous tout,
au cours de dix dernières années, Bachar
al-Assad et ses conseillers les plus
proches n’ont pas compris le potentiel
révolutionnaire de deux développements
fondamentaux : l’explosion de la
population syrienne et la sécheresse qui
a frappé la Syrie de 2006 à 2010, la
pire depuis plusieurs centaines
d’années. Le premier a fourni un
contingent de jeunes à demi éduqués,
incapables de trouver un emploi. Le
deuxième a eu pour résultat l’exode
forcé de centaines de milliers de
paysans de leurs champs brûlés vers des
bidonvilles, aux alentours des grandes
villes. Les éleveurs du nord-est
perdirent 80% de leur cheptel. On estime
que, vers 2011, deux à trois millions de
Syriens ont été réduits à une extrême
pauvreté. Il ne fait aucun doute que le
changement climatique y soit pour
beaucoup, mais l’abandon et
l’incompétence du gouvernement ont
contribué au désastre. Ces deux facteurs
ont été les moteurs principaux de la
révolte qui s’est propagée comme un feu
de paille à la suite de ce qui s’est
passé à Dera’a, en mars 2011. Les
fantassins de la révolte ont été la
jeunesse urbaine et les paysans
appauvris.
(…)
L’attention du
régime a été détournée vers les menaces
extérieures : par la crise libanaise en
2005, après l’assassinat de Rafik
Hariri, par la tentative d’Israël de
détruire le Hezbollah en envahissant le
Liban en 2006 ; par l’attaque
israélienne contre la centrale nucléaire
en Syrie en 2007 et par son désir de
détruire le Hamas avec ses attaques
meurtrières sur Gaza en 2008-2009…
Un petit Etat alaouite autour du port de Lattaquié
La Syrie et son
allié iranien sont de nouveau sous le
feu des Etats-Unis et d’Israël dont
l’objectif est de détruire ses deux
régimes. Il est vrai que des stratèges
israéliens croient qu’il serait
bénéfique à Israël que la Syrie soit
démembrée et affaiblie de manière
permanente par la création d’un petit
Etat alaouite autour du port de
Lattaquié dans le nord-est de la même
manière que l’Irak a été démembré avec
la création du Gouvernement régional du
Kurdistan. Il n’est pas facile d’être le
voisin d’un Etat expansionniste et
agressif comme l’Etat juif qui pense que
sa sécurité est mieux assurée, non par
la paix avec ses voisins, mais en les
déstabilisant, les reversant et les
détruisant avec l’aide de la puissance
américaine.
Les Etats-Unis et
Israël ne sont pas les seuls ennemis de
la Syrie. Les
Frères Musulmans syriens ne rêvent
que de vengeance depuis leur dernière
tentative de chasser du pouvoir le parti
Baas par une campagne de terreur qui a
été écrasée dans le sang. Aujourd’hui,
ils refont la même erreur : recourir à
la violence avec l’aide de salafistes
étrangers dont des combattants
d’Al-Qaïda venus du Liban, de Jordanie,
de Turquie, d’Irak ou d’autres pays plus
éloignés. Les éléments libéraux de
l’opposition syrienne en exil incluant
des personnalités de renom et des
opposants de longue date, fournissent à
ces éléments violents la couverture
politique dont ils ont besoin.
Les Etats-Unis font revivre la guerre froide
Certains Etats du
Golfe continuent de considérer la région
dans un contexte confessionnel. (…)
L’émergence selon les dires d’un
«
croissant chiite » semble menacer la
domination sunnite. C’est la raison pour
laquelle ils financent et arment les
rebelles syriens dans l’espoir de mettre
à bas le régime syrien et de rompre
ainsi les liens entre l’Iran et les
Arabes.
Les Etats-Unis ont
commis des erreurs monumentales. Au
cours des dernières décennies, ils ont
échoué à convaincre leur allié israélien
à faire la paix avec les Palestiniens ce
qui aurait conduit à la paix avec le
monde arabe. Ils se sont embarqués dans
une guerre catastrophique en Afghanistan
et en Irak ; ils n’ont pas réussi à
conclure avec l’Iran ce qui aurait
éloigné le spectre de la guerre dans le
Golfe et stabilisé une région très
volatile. Ils se disputent avec Moscou
et font revivre la guerre froide en
sabotant les efforts de Kofi Annan.
Il ne peut y avoir
de solution militaire en Syrie. La seule
solution pour sortir de ce cauchemar est
un cessez-le imposé aux deux parties,
puis une négociation et la formation
d’un gouvernement national pour
contrôler la transition. Seulement ainsi
la Syrie pourra éviter sa destruction
dont le redressement demanderait une ou
deux générations.
Traduction :
Xavière Jardez – Intertitres : AFI-Flash
Le journaliste
britannique Patrick Seale, ancien
correspondant de
The Observer à Beyrouth, est un des
grands spécialistes de la Syrie et du
Liban. Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages, notamment de Asad of Syria:
The Struggle for the Middle East
(1988), de
La
lutte pour l'indépendance arabe : Riad
el-Solh et la naissance du Proche-Orient
moderne (Fayard, 2010), et d’une
biographie du chef palestinien Abou
Nidal. Ses articles sont diffusés par l’Agence
Global (AG).
Article original :
The destruction of Syria, par Patrick
Seale
http://www.middle-east-online.com/english/?id=53563
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 6 septembre avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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