Opinion
L'alerte
américaine
Patrick Martin
L'ambassade US au Yémen
Vendredi 9 août 2013
L’alerte terroriste
qui a été émise aux États-Unis le
week-end dernier est la plus récente de
toute une série d’événements similaires
qui ont pris place depuis les attaques
du 11-Septembre et qui suivent un modèle
bien connu.
De hauts
responsables de l’exécutif ont émis des
alertes vagues et menaçantes à la fois.
Des dirigeants du Congrès, après avoir
été informés en privé par les services
de renseignement, ont répété ces
alertes. Les médias amplifient ces
avertissements sans poser de questions,
tentant de provoquer l’inquiétude dans
la population. Et personne ne remet en
question le bien-fondé des assertions
qui motivent toute cette campagne de
peur.
Plusieurs questions
sont soulevées par l’alerte mondiale sur
les déplacements et la fermeture des
ambassades américaines à travers le
Moyen-Orient annoncées vendredi dernier.
D’abord, ces
mesures surviennent à un moment bien
particulier. Elles sont adoptées après
presque deux mois de révélations quasi
ininterrompues sur le programme
d’espionnage massif de la population des
États-Unis par son gouvernement, y
compris la collecte des métadonnées et
du contenu des conversations
téléphoniques et des courriels de
pratiquement chaque personne au pays.
L’administration
Obama a été forcée de se mettre sur la
défensive après que l’ancien contractuel
de la National Security Agency (NSA),
Edward Snowden, aidé du chroniqueur
Glenn Greenwald du Guardian, a
rendu public le programme d’espionnage.
Deux jours
seulement avant que l’alerte ne soit
lancée par le département d’État, la
Maison-Blanche essuyait un revers auprès
de la Russie qui avait accordé un asile
temporaire d’un an à Snowden. Cela a
permis à ce dernier de quitter la zone
de transit de l’aéroport Sheremetyevo de
Moscou et de se trouver une résidence en
Russie, évitant ainsi la menace de se
voir déporter immédiatement dans une
cellule ou une salle de torture aux
États-Unis.
Au même moment, les
sondages continuent de montrer que,
malgré la campagne de diffamation menée
par l’administration Obama et les
dirigeants des partis démocrate et
républicain, la majorité de la
population américaine voit Snowden, non
pas comme un espion ou un traître, mais
bien comme un dénonciateur qui a révélé
par principe les crimes du gouvernement
des États-Unis. Une même majorité de la
population conçoit le programme massif
de surveillance de la NSA comme une
menace aux droits démocratiques.
Les dirigeants du
Congrès ont pris d’assaut les talkshows
télévisés dimanche matin pour affirmer
que la dernière alerte terroriste
démontrait la valeur du programme de
surveillance de la NSA. Le sénateur
républicain Lyndsey Graham a dit sur les
ondes de CNN que «Le programme de la NSA
prouve une fois de plus qu’il est utile…
ceux qui veulent l’attaquer vont
compromettre notre sécurité et placer
notre nation en danger.»
Saxby Chambliss, le
chef républicain siégeant sur le Senate
Intelligence Committee, a tenté
d’exploiter les attaques du 11-Septembre
en affirmant à l’émission Meet the Press
qu’«il y a beaucoup de communications…
sur des plans en cours, et ça rappelle
vraiment ce que l’on a vu avant le
11-Septembre.» Il a ajouté, faisant
référence à la surveillance de la NSA,
«Si nous n’avions pas ces programmes,
nous ne pourrions tout simplement pas
savoir ce que se disent les méchants.»
Les médias
américains ont joué le même rôle
répréhensible en rapportant comme des
faits les affirmations du gouvernement
et en créant un climat d’anxiété.
Personne n’a même soulevé le fait que
les alertes de ce genre s’étaient
finalement avérées sans fondement par le
passé et que le gouvernement avait menti
à plusieurs reprises à la population –
qu’il s’agisse des mensonges pour
justifier l’invasion de l’Irak ou ceux
des responsables de l’administration
Obama sur l’espionnage effectué par la
NSA.
Dans sa couverture,
le New York Times a fait
référence aux véritables motifs
politiques derrière les avertissements
alarmistes du gouvernement. «Certains
analystes et responsables du Congrès,
est-il écrit, ont suggéré vendredi que
décréter l’alerte terroriste maintenant
était une bonne façon de faire oublier
le tollé entourant les programmes de
collecte de données de la NSA, et que ce
serait encore mieux si l’on montrait que
l’interception de communications aurait
permis de déjouer un complot potentiel.»
Les responsables de
l’administration Obama n’ont offert
aucun élément concret pour démontrer
l’existence d’une nouvelle menace
terroriste imminente et ils ont admis
qu’aucune cible d’attaque précise
n’avait été établie. Le communiqué
publié vendredi par le département
d’État ne faisait qu’affirmer que des
terroristes «pourraient» attaquer des
zones touristiques et des métros, des
trains, des avions et des bateaux: une
description, bien que volontairement
effrayante, qui est tellement vague
qu’elle est dénuée de sens.
Cela ne veut pas
dire que des attaques terroristes contre
des bâtiments du gouvernement américain
ou même contre des citoyens américains à
l’étranger soient inconcevables. La
politique étrangère des États-Unis, qui
a constamment recours aux menaces ou à
l’usage de violence militaire contre
ceux qu’elle qualifie d’ennemis – sans
mentionner les assassinats fréquents par
drones dans une demi-douzaine de pays –
et qui soutient les despotes du pétrole
au Moyen-Orient et la répression des
Palestiniens par Israël, incite
continuellement des représailles, qui
peuvent prendre la forme d’actes
terroristes.
De plus, des
sections de l’appareil d’État et de
renseignement des États-Unis verraient
de telles attaques comme une opportunité
pour étendre leurs opérations au pays et
à l’étranger et accumuler des ressources
encore plus importantes. Et le
gouvernement américain dispose de moyens
amplement suffisants pour orchestrer une
telle provocation.
C’est un fait
reconnu, mais qui est peu discuté dans
les médias, que pratiquement toutes les
attaques ou tentatives d’attaques
terroristes aux États-Unis, depuis le 11
septembre 2001 à l’attentat du marathon
de Boston en avril dernier, ont été
perpétrées par des individus qui
agissaient de concert avec des agents du
gouvernement américain ou qui étaient
sous la surveillance des policiers et
des services du renseignement.
Tandis que la
Maison-Blanche et les médias pointent
Al-Qaïda du doigt au Yémen, aucune
référence n’a été faite durant la
tempête médiatique à l’alliance tacite
entre les États-Unis et Al-Qaïda dans la
guerre civile syrienne ou aux liens
développés entre les États-Unis et des
groupes radicaux islamiques lors du
renversement et du meurtre de Mouammar
Kadhafi en Libye.
Au cours des
derniers mois, il y a eu fréquemment
dans les médias américains, et surtout
dans la foulée des révélations entourant
la NSA, des commentaires affirmant
qu’une nouvelle attaque terroriste
d’envergure pourrait provoquer un
changement soudain dans l’opinion
publique sur le pouvoir grandissant de
l’armée et du service de renseignement.
Ainsi, les États-Unis seraient à «une
attaque terroriste de la loi martiale».
Le modèle de ces
développements, et du renforcement des
forces militaires et policières aux
États-Unis, est l’Allemagne hitlérienne.
Ce fut l’incendie du Reichstag de 1933 –
une supposée attaque terroriste
perpétrée par un travailleur communiste
sur le parlement – qui fournit le
prétexte à Hitler pour une prise
dictatoriale du pouvoir. Il fut plus
tard démontré que l’attaque avait été
organisée et dirigée par la Gestapo
nazie.
Il y a, évidemment,
d’importantes différences entre les
États-Unis de 2013 et l’Allemagne de
1933. Mais les antagonismes sociaux
extrêmes qui ont mené le capitalisme
allemand à avoir recours aux nazis pour
réprimer la classe ouvrière se
développent aux États-Unis aujourd’hui.
Nulle part le gouffre social séparant
l’élite dirigeante et la vaste majorité
des travailleurs n’est-il aussi prononcé
qu’aux États-Unis.
De plus, l’appareil
de sécurité nationale joue un rôle de
plus en plus indépendant et marqué dans
la vie américaine. Les opérations de
l’armée, de la police et du
renseignement comptent en effet pour
près de 90 pour cent de la main-d’oeuvre
du gouvernement fédéral, soit près de 3
millions de personnes. Ce nombre grimpe
à 5,5 millions si les réservistes de
l’armée et les contractuels du
militaire, du renseignement et de la
sécurité sont pris en compte.
C’est cette
combinaison de croissance des inégalités
sociales et d’intensification du
militarisme et de la répression qui pose
un si grave danger aux droits
démocratiques de la population
américaine. L’administration Obama, loin
de représenter une rupture avec son
prédécesseur, a développé les pouvoirs
de répression de l’administration Bush à
des niveaux sans précédent.
Durant plus d’une
décennie, la fameuse guerre contre le
terrorisme a été utilisée comme prétexte
universel pour ériger l’infrastructure
d’un État policier : le Patriot Act, le
département de la Sécurité intérieure,
le Northern Command du Pentagone, le
camp de détention de Guantanamo Bay, les
commissions militaires, la détention
illimitée, les assassinats extralégaux
par drone et l’espionnage systématique
de la population.
Ces préparatifs se
butent maintenant à une résistance de
plus en plus grande de la part des
travailleurs aux États-Unis et
internationalement. Cela s’est exprimé à
travers le soutien de la population pour
Bradley Manning, Julian Assange et
Edward Snowden pour avoir révélé les
crimes du gouvernement des États-Unis.
Les travailleurs,
les jeunes et les étudiants des
États-Unis et de par le monde ont
l’obligation de se porter à la défense
de ces êtres courageux. La lutte pour la
liberté de ceux qui sont pourchassés par
l’impérialisme américain pour avoir
dévoilé ses crimes doit devenir le point
de départ d’une offensive visant à
défendre les droits démocratiques. Ce
mouvement doit être développé
consciemment en tant que partie d’un
mouvement politique de la classe
ouvrière américaine et internationale
contre le capitalisme : la source de la
guerre, de l’inégalité sociale et de la
dictature.
(Article original
paru le 5 août 2013)
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Publié le 9 août 2013 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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