Le colonialisme
des temps modernes Oussama
Charabeh
Une
alliance rejetée par la grande majorité
des Turcs, mais quid de M. Erdogan ?
Vendredi 22 juin 2011
Oussama Charabeh,
Franco-syrien spécialisé en finance de
marché est un observateur attentif des
événements du Proche-Orient. Il y vit
depuis plusieurs années après 23 ans
passés à Paris. Sa connaissance a la
fois de la France et de la Syrie et les
trois derniers mois qu’il vient de
passer dans ce dernier pays lui
permettent de jeter un regard critique
sur les informations présentées à ce
sujet par les médias, informations dont
le but manifeste est de manipuler
l’opinion des Français et fabriquer un
consensus artificiel contre le régime
syrien, étape décisive sur la voie d’une
intervention militaire. A côté des
Américains et des Européens, Oussama
Charabeh pointe le jeu dangereux d’une
Turquie qu’on a cru peut-être un peu
vite détachée de l’alliance avec
Washington et Tel Aviv…
Le colonialisme des siècles passés a
toujours eu pour but la domination
économique par le contrôle des matières
stratégiques, les XXeme et XXIeme
siècles ne connaissent qu’une seule
matière stratégique : le pétrole, qui
est abondant au Moyen-Orient. Mais il
n’est plus acceptable aujourd’hui de
coloniser, non pas parce que les
dirigeants des ex-colonies sont devenus
plus humanistes mais parce qu’ils
tomberaient instantanément devant la
pression de leurs peuples. Le
colonialisme doit donc se moderniser et
revêtir un costume plus coloré et plus
doux pour obtenir le même résultat : ce
costume à la mode ce seront la
démocratisation des pays du tiers monde,
les droits de l’homme ou tout prétexte
suffisamment noble en apparence. Le
garant des intérêts stratégiques des USA
au Moyen-Orient c’est Israël et il est
tout simplement interdit à qui que ce
soit d’avoir les moyens de s’opposer à
ce pays même s’il occupe nos territoires
et tue nos peuples. Tout Etat qui
résiste à Israël ou qui a les moyens de
lui résister est donc un danger qui doit
être écarté soit par intervention
directe sous prétexte humanitaire comme
en Libye, soit par un renversement de
l’intérieur.
La Syrie s’inscrit dans ce
schéma et, à cause de ses positions
hostiles aux ambitions impérialistes et
coloniales d’Israël, n’a jamais été
appréciée par les administrations
américaines et leurs alliés. La
Syrie a toujours été la cible de
tentatives de déstabilisation par
l’extérieur et pendant les dix dernières
années ces tentatives ont été
régulières et répétées, surtout depuis
le refus d’Assad de l’invasion de
l »Irak et son soutien affiché à toutes
les résistances de la région. En 2004,
l’assassinat du Premier ministre
libanais dont la Syrie fut aussitôt
accusée sera le premier coup dur de la
décennie pour le régime de Damas. La
résolution 1559 est adoptée par l’ONU et
la Syrie est la cible de sanctions
américaines et européennes. En 2006, la
guerre du Liban a pour objectif de
détruire la résistance libanaise et
d’affaiblir le régime syrien mais à la
surprise du monde entier Israël est
vaincu.
Les événements actuels s’inscrivent
dans ce même schéma et les
Américano-sionistes profitent du courant
de révolte qui traverse les pays arabes
pour forcer le changement en Syrie, ce
malgré le peuple syrien. Tout indique
une manipulation extérieure dans les
événements en cours.
La main étrangère
Les Américains n’ont pas attendu
longtemps avant de revendiquer leur
implication dans la violence en Syrie.
Le 2 Avril 2011, l’adjoint au Secrétaire
d’Etat américain au affaires étrangères
déclare dans une conférence de presse
que « la Syrie pourrait retrouver à
nouveau son calme et sa stabilité si
elle répond aux exigences qui lui ont
été transmises« . Les exigences en
question sont passées par les
arrières-cours de la diplomatie mais
elles ne sont pas nouvelles. Déjà en
2003, lors de l’invasion de l »Irak,
Colin Powell envoyé de Bush, croyant que
maintenant que l’armée américaine était
aux frontières syriennes Bachar al-Assad
serait effrayé, avait débarqué a Damas
avec une feuille récapitulant les
exigences américaines : ne pas soutenir
la résistance irakienne ; stopper tout
soutien à la résistance libanaise ;
fermer les bureaux de la résistance
palestinienne à Damas et enfin rompre
les liens avec l’Iran. La Syrie aurait
pu devenir l’enfant gâté des Américains
au Moyen-Orient si elle avait répondu
positivement mais c’aurait été au prix
de son asservissement à la volonté
expansionniste et dominatrice d’Israël
dans la région.
La déstabilisation de la Syrie et du
Liban figurait sur l’agenda
israélo-américain et sur celui de l’Otan
depuis ces dix dernières années : selon
le commandant général de l’OTAN
l’Américain Wesley Clark, 2001 a vu la
mise en place d’un plan quinquennal pour
envahir sept pays (en commençant par
l »Irak puis la Syrie , le Liban, la
Libye, la Somalie et le Soudan) de la
région et redéfinir la carte du
Moyen-Orient (Le Nouveau Moyen-Orient
selon les termes de l’alors Secrétaire
d’Etat américaine Condolesa Rice).
Dans son livre « Gagner les
guerres modernes » le général
Wesley Clark écrit ainsi :
« En novembre 2001 alors que je
repassais au Pentagone et en posant la
question de l’Irak à un haut officier
de l’armée américaine, celui-ci me dit :
» Oui nous sommes toujours en route
vers l’Irak ». Et d’ajouter avec un ton
plein de désagrément : « Mais il y a
plus : ceci (l’Irak) a été discuté dans
le cadre d’un plan plus général de
campagne contre sept pays: Irak, puis
Syrie, Liban, Libye, Iran, Somalie et
Soudan. »
Cette discussion a également été
relatée par le général Clark dans une
émission télévisée :
Il est tout aussi légitime de
se demander pourquoi les affrontements
armés sont intervenus dans des régions
frontalières où il est plus facile de
faire passer des combattants, des armes,
de la drogue et de l’argent :
il y a eu Daraa à la frontière
jordanienne et israélienne, puis il ya
eu Banyas et Tal Kalakh à la frontière
libanaise et enfin récemment Jisr El
Shoughour à 10 km seulement de la
frontière turque. Ceci montre clairement
à qui est de bonne foi que ces
rébellions armées avaient bien pour
bases arrières des pays étrangers
frontaliers.
Et pourquoi, au fait, ces événements
ne se sont-ils pas produits en même
temps mais se sont au contraire succédés
? L’insurrection éclatait dans une
ville lorsqu’elle état jugulée par
l’Etat dans la précédente, comme pour
signifier que quand les extrémistes sont
neutralisés dans un point géographique
donné et quand leur ravitaillement est
coupé sur une frontière, ils se dirigent
alors vers une autre frontière.
L’objectif est donc de déstabiliser
la Syrie et de provoquer un « changement
de régime » (traduire : pour implanter
un régime soumis à Israël), ce par une
insurrection armée infiltrée par des
extrémistes islamistes. Les rapports sur
des civils tués seraient utilisés pour
légitimer une intervention sous le volet
« droits de l’Homme » et en invoquant le
devoir de « protéger les civils » :
copie conforme de ce qui s’est déroulé –
se déroule encore – en Libye.
D’ailleurs, sait-on qui sont ceux qui
se battent contre l’armée libyenne;
ceux que les médias appellent
indécemment des « révolutionnaires » ?
Sait-on d’où viennent leurs armes
sophistiquées et leurs méthodes de
combat en Toyota à la Taliban ? Car oui,
ces groupes sont encadrés et entraînés
par des combattants d’Al Qaida. Et puis
sait-on enfin combien de civils les
bombardements de l’OTAN ont-ils tué ?
Mais tout cela importe peu aux
éditorialistes pro-américains.
Et puis, si ce principe de protection
des civils, des droits de l’homme et des
droits internationaux est si important
pour Sarkozy ou Obama pourquoi ne les
entend-on pas lorsqu’il s’agit des
Palestiniens tués – ou opprimés – par
Israël ? Pourquoi ne les entend-on pas
quand les résolutions de l’ONU sont
bafouées par Israël ?
La propagande, la
désinformation et le pilonnage
médiatique
Toutes les preuves d’existence d’une
rébellion extrémiste armée en Syrie est
systématiquement niée par les médias et
agences de presse occidentales et même
certains médias arabes comme Al Jazeera
ou Al Arabia qui ont déjà perdu leur
crédibilité au Moyen-Orient.
Les civils tués sont systématiquement
imputés au compte du régime négligeant
toute preuve d’existence de tireurs
embusqués tirant sur la foule.
Les massacres des hommes de l’armée
et de ceux des forces de sécurité sont
régulièrement omis et lorsque les images
montrent les militaires massacrés et
leur corps mutilés les médias
mentionnent timidement l’événement
qu’ils expliquent par une fable qui
insulte à l’intelligence de l’esprit
humain : la fable de l’armée tuant et
mutilant les corps de ses propres
soldats
qui ont refusé de tirer sur la foule.
Le 17 avril dernier, huit membres des
forces de sécurité sont égorgés dans un
petite commune de la banlieue de Daraa.
Le 8 Mai, 10 policiers sont froidement
égorgés à leur tour a Homs. Le 7 Juin,
120 militaires et policiers sont
attaqués dans leur caserne a Jisr Al
Shoughour à la frontière turco-syrienne
et décapités après avoir été tués. Al
Jazeera et la BBC ont préféré parler
alors de 120 manifestant pacifistes tués
par les forces de sécurité !
Toutes les vidéos (sans
exception) diffusées pour soutenir la
thèse d’une révolution populaire ne
durent jamais plus de 15 secondes,
c’est-à-dire pas suffisamment pour
discerner ce que dit réellement l’image
; d’ailleurs souvent on ne voit
que des pieds ou le ciel avec comme fond
sonore des cris. Puis les ingénieurs de
son y ajoutent un slogan et finalement
le commentaire du journaliste, qui du
reste, est bien habillé et a l’air
honnête, anéantit tout esprit critique
ou doute quant aux images montrées.
Et finalement, quand la bêtise
dépasse toute imagination, les agences
de presse s’excusent pour avoir commis
des erreurs. Reuters, fin avril, publie
un communiqué officiel d’excuse pour
avoir fourni des vidéos des événements
d’Irak ou du Yémen avec le sous-titre « a
eu lieu en Syrie« .
France 24 diffuse un appel en direct
d’une personne qui se fait passer pour
l’ambassadeur de Syrie à Paris, et
annonçant sa démission en direct en
raison des atrocités commises.
L’ambassadeur dément immédiatement et
porte plainte contre la chaîne. Enfin
l’AFP reconnaît pour la première fois –
bien tardivement – la présence d’une
rébellion armée en diffusant des photos
le 18 juin.
Que valent les excuses quand chaque
image et chaque titre incitent à plus de
violence et à plus de sang versé, et
encouragent les terroristes qui se
voient dotés des moyens médiatiques les
plus puissants… et ce gratuitement.
La Turquie : de l’ONU à
l’OTAN ?
Si les positions américaine et
britannique n’ont surpris personne car
ces deux pays ont toujours été les
premiers à soutenir les attaques contre
le régime syrien, et si la position
clairement hostile du gouvernement
français s’inscrit dans l’inféodation de
Sarkozy à Washington, le choc est venu
de la Turquie qui, tel Judas, est passé
du jour au lendemain du rôle d’ami
fidèle à celui de prédateur affamé.
La dernière rébellion armée à Jisr al
Shoughour, à la frontière turque, a
indéniablement reçu le support
logistique des Turcs ainsi que le
montrent les équipements saisis sur les
terroristes et leurs aveux : réseau de
télécommunication à disposition des
rebelles, armes et fonds ont transité
par la Turquie. Des sources
officielles affirment que les
tentes avaient été plantées à la
frontière il y a déjà deux mois pour
accueillir les futurs réfugiés. Ceux-ci
étaient donc attendus et les Turcs
participaient à la préparation des ces
événements. Pourquoi ? Dans le cadre de
quel deal ont-ils monnayé leur relation
avec la Syrie ? Et comment la carte des
réfugiés va-t-elle être utilisée par
Ankara et Washington ?
Les réponses seront certainement
connues dans les quelques semaines a
venir. Mais il est d’ores et déjà clair
que la Turquie a toujours eu la
nostalgie de l »empire ottoman et de sa
domination et nous avons sous-estimé –
ou enterré trop vite – l’alliance
militaire de la Turquie avec Israël, son
appartenance à l’OTAN (sous hégémonie
américaine) et son désir de devenir
membre de UE. Nos amis Turcs viennent
d’ailleurs de se retirer du convoi
humanitaire d’aide à Gaza.
Le revirement de la position turque
et l’échec diplomatique
américano-européen après les vétos
russe et chinois à l »ONU sur une
condamnation de la Syrie, l’acharnement
de ces ex-puissances coloniales (France
et Grande-Bretagne) me poussent à penser
que la Turquie pourrait être utilisée
comme base d’intervention de l’OTAN aux
frontières syriennes.
La dénonciation incessante du sort
des réfugiés syriens à la frontière
turque et l’exagération médiatique
autour de ces derniers suggèrent que le
prétexte de l’OTAN utilisera pourrait
bien être (comme en Libye) de nature
humanitaire.
Les quelques semaines à venir seront
donc cruciales.
Publié le 1er juillet
2011 avec l'aimable autorisation d'Info
Syrie
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