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IRIS

Birmanie : un an après la « désillusion » de safran
Olivier Guillard


Olivier Guillard - Photo IRIS

30 septembre 2008

Il y a douze mois, dans l’Union du Myanmar (Birmanie) naissait puis s’éteignait, étouffé par un appareil répressif omnipotent et redoutablement bien préparé, ce que l’on qualifia hâtivement en Occident de « révolution de safran (1) ». Un soulèvement qui hélas pour les 48 millions de Birmans s’acheva … avant même d’avoir pris son élan. Dans la seconde quinzaine de septembre 2007, relayant un mécontentement populaire né quelques semaines plus tôt du relèvement inopiné et exorbitant des prix (hydrocarbures ; transports), des manifestations populaires, timides et éparpillées, sont signalées à travers le pays. Face à la certitude de la répression attendant les manifestants, le peuple birman hésite à se joindre en masse à la contestation ; dans cet Etat policier, descendre dans les rues est un risque considérable méritant préalablement d’être soupesé. Désireux de protéger ces hommes et ces femmes sans défense ni coordination et espérant insuffler au mouvement une « taille critique », le clergé bouddhiste et ses milliers d’hommes de foi en livrée safran se joignent, de Mandalay à Yangon, à la manifestation d’humeur, longue cohorte pacifique, presque silencieuse, arborant la couleur et les espoirs d’un changement, fut-il au prix d’un séisme. Un événement en soi, sans précédent ou presque depuis les événements de 1988, lorsque la junte militaire réprima brutalement (plusieurs milliers de victimes) les aspirations de la population à plus de libertés, de droits et de considération.

· A l’automne 2008, un an après la dernière convulsion populaire réprimée par la junte, dans quel état retrouve-t-on la Birmanie des généraux et des espoirs évanouis ?

Une longue et douloureuse (cf. cyclone Nargis en mai 2008 et ses 150 000 victimes) année après ces événements, à l’orée desquels naquirent autant d’espoirs qu’ils générèrent de frustrations à leur crépuscule, on retrouve malheureusement un panorama birman tristement familier : pesant de toute son autorité sans tolérer la moindre démonstration, le plus petit écart, la junte militaire domine du casque lourd et des bottes cirées le débat, règle depuis son improbable capitale Naypyidaw le cours implacable des choses, la partition quotidienne de ses dizaines de millions d’administrés contraints, apeurés, sans grands espoirs. Douze mois plus tard, entre carences et abattement, la population demeure anesthésiée, éprouvée par l’implacable démonstration de force des hommes en uniforme. La junte a beau avoir « libéré » 9000 individus (2) de ses sinistres prisons ces jours derniers, rien n’indique une quelconque inflexion, la moindre volonté de relâcher son emprise totale sur le pays.
De son côté, l’opposition politique incarnée par son emblématique icône Aung San Suu Kyi (3) demeure exposée aux mêmes contraintes d’interdiction, de surveillance et de frustration : toujours assignée à résidence dans sa demeure de Yangon… -- à quelques hectomètres à peine de la nouvelle ambassade américaine --, « la Dame » poursuit son martyr et, contrainte, sa politique « d’opposition douce », n’ayant pas le loisir de se montrer à ses sympathisants, de partager sa solitude, son isolement, avec son peuple et les siens. Signe inquiétant, « la Dame » (63 ans), privée de liberté la majeure partie des deux décennies écoulées, aurait récemment entamé une grève de la faim. Et si « l’icône » en personne cédait elle aussi au découragement ?
Le mois dernier (août), la population commémora – silencieusement, sans excès ni démonstration trop ostentatoire --, le 20eme anniversaire du soulèvement de 1988, lorsqu’un million de birmans se pressaient alors dans les rues de Yangon pour réclamer le départ d’une junte aux commandes de la nation depuis 1962. Ils étaient à peine une centaine de moines à se risquer dans les rues de la cité portuaire de Sittwe, samedi 27 septembre 2008, à manifester pacifiquement, sans débordement, leur souvenir des exactions conduites aux dépends de leurs compagnons de foi, un an plus tôt.

· La population birmane est-elle à ce point anesthésiée ? N’a-t-elle plus le souffle, l’envie, de contester la mainmise des généraux ?

L’envie de changement politique d’une population indigente (1/3 vit sous le seuil de pauvreté ; inflation supérieure à 30% en 2007) et esseulée, demeure. Nul doute. Mais le peuple birman a peur ; une peur très palpable, compréhensible. La façon dont les forces de l’ordre « matèrent » en deux jours (26-27 sept.2007) la dernière éruption de colère (contenue, du reste) populaire a laissé peu de doute dans l’esprit des petites gens comme des élites urbaines : la mainmise des militaires, leur détermination, demeurent totales, sans faille. Et l’opposition, la société civile et le clergé, aussi peu en mesure de contester l’injuste ordre établi.

La gestion pour le moins contestable de l’après cyclone Nargis dans le delta de l’Irrawaddy (mai 2008 ; 150 000 victimes ; 1.5 million de personnes touchées) par les autorités, leur manque de préparation et de savoir-faire, l’acceptation coupablement tardive d’une assistance humanitaire internationale, ont davantage encore pesé sur l’exaspération populaire et le mépris voué aux généraux. Mais pas au point de mobiliser dans les rues une masse critique suffisante ; il est vrai que les arrestations par centaines qui, durant de longues semaines, de longs mois après l’éruption de colère de l’été 2007, ont continué à harceler les foyers de contestation (société civile, membres de la LND, militants droits de l’homme, monastères bouddhistes, etc.), ont dissuadé l’homme de la rue de risquer hasardeusement son destin et celui de ses proches.

Par ailleurs, une junte qui, en plein drame humanitaire, préfère procéder à la tenue d’un référendum (adoption d’une constitution perpétuant l’emprise de l’armée sur la vie politique) et monopoliser ses hommes pour assurer la « sécurité du scrutin » plutôt que de se porter au secours des populations sinistrées, un Généralissime qui se permet de ne pas prendre au téléphone le Secrétaire Général de l’ONU (Ban Ki-Moon), ne sont pas des acteurs qu’il est aisé d’émouvoir ou d’infléchir.

En guise de sucrerie bon marché à des fins de consommation intérieure, la junte promet certes la tenue à court terme (2010) « d’élections générales, libres et honnêtes ». Un concept à l’appréhension bien souple dans les frontières de l’Union du Myanmar. Birmans et observateurs étrangers se gardent bien de penser que cette échéance se déroulera à cette date, plus encore de croire que ses résultats, s’ils étaient une fois encore défavorables à la junte (cf. élections précédentes de 1990), seraient reconnus et acceptés par le demi-million de soldats et son inamovible hiérarchie.

· Durant l’année écoulée, la communauté internationale – beaucoup critiquée jusqu’alors pour son immobilisme ou son maigre investissement -- s’est-elle montrée plus présente, plus agressive ? A-t-elle été entendue par la junte ?

La communauté internationale ne s’est pas désintéressée de la question birmane ; de là à dire qu’elle s’est démultipliée pour peser de tout son poids sur les casquettes de plomb des généraux birmans… Ces douze derniers mois, le Représentant spécial des Nations unies pour la Birmanie, Ibrahim Gambari, s’est rendu à quatre reprises en territoire birman… pour ne pas être entendu, ou reçu par les véritables détenteurs du pouvoir. Son dernier déplacement remonte à la mi-août : « Une perte de temps », selon Nyan Win, représentant de la LND. Aung San Suu Kyi en personne refusa même de rencontrer l’émissaire onusien, excédée probablement par ces gesticulations diplomatiques profitant plus à la junte qu’à ses administrés. En six jours, I. Gambari ne fut pas même convié à se rendre dans la nouvelle capitale et dût se contenter de deviser avec le 1er ministre Thein Sein, un homme sans grande autorité, sans guère de prérogatives.

Certes, le concert des nations entend maintenir une « certaine » pression sur les généraux, souhaite leur départ, loue le retour prochain d’une démocratie à laquelle les Birmans aspirent dans leur immense majorité. Toutefois, vingt longues années après les événements de 1988, douze mois après la révolution de safran avortée, la communauté internationale brille par son manque de prise sur un régime plus fort, plus résistant que jamais aux improbables injonctions de l’Occident. Le 27 septembre, les 14 Etats membres composant à l’ONU le groupe informel des « m> Friends of the Secretary General on Myanmar » (4) ont rappelé l’intérêt portés aux questions birmanes, enjoignant la junte de se placer à l’écoute de sa population et de mettre un terme à deux décennies d’impasse politique. Avec l’impression et les résultats que l’on devine.

Paradoxalement, jamais Yangon n’a semble-t-il été si courtisée par ses grands voisins asiatiques (Chine ; Inde), engagés dans une course à l’influence motivée par des considérants stratégiques (ouverture sur la baie du Bengale et la mer des Andaman ; gazoduc vers la Chine méridionale) et énergétiques (accès aux gisements de gaz naturel), des arguments primant, de loin, sur d’incommodes arguments démocratiques d’inspiration occidentale. De quoi rendre plus forte et plus sûre d’elle une junte sans véritable menace intérieure ; une impasse qui confond plus encore 48 millions de Birmans, entre soumission, désespoir et oubli. « La communauté internationale n’oublie pas le peuple birman » déclarait il y a quelques jours David Miliband, le ministre britannique des Affaires étrangères. De Sittwe à Yangon, de Mandalay à Bassein, il est aujourd’hui peu de monde en Birmanie que ces propos faciles auront convaincus.

(1)
Du nom de la couleur du tissu porté par les moines bouddhistes.

(2) Dont Win Tin, 79 ans, le plus vieux prisonnier politique jusqu’alors détenu par la junte ; libéré le 24 septembre 2008, ce membre fondateur de la Ligue Nationale pour la Démocratie, parti de Aung San Suu Kyi, aura passé 19 années dans les geôles birmanes.

(3) Prix Nobel de la paix en 1991. Présidente de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), principal parti d’opposition.

(4) Une structure « souple » qui comprend notamment : l’Australie, la Chine, la France, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, la Norvège, la Russie, Singapour, la Thaïlande, le Royaume uni, les USA, le Vietnam et la Slovénie.



Source : IRIS
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