Atterré par les atrocités commises par les forces US envahissant
les Philippines, et les envolées rhétoriques sur les nobles
intentions libératrices qui accompagnent systématiquement les
crimes d’état, Mark Twain exécrait ses mains de ne pouvoir
exercer son arme formidable ; la satire. L’objet premier de sa
frustration était le renommé Général Funston. “Aucune satire de
Funston ne pourra atteindre la perfection“ se lamentait Twain,
“parce que Funston lui-même occupe ce sommet… [il est] la satire
personnalisée.“
C’est une idée qui est souvent revenue en
tête en Août 2008 pendant la guerre Russie-Georgie-Ossetie,
alors que George Bush, Condoleezza Rice et d’autres
personnalités ont solennellement invoqué le caractère sacré
des Nations Unies, avertissant que la Russie pourrait être
exclue des institutions internationales “si
elle prenait en Géorgie des mesures contraires“ à leurs
principes. La souveraineté et l’intégrité territoriale de
toutes les nations doivent être rigoureusement respectées,
entonnèrent-ils – “toutes les nations“
sauf celles que les USA choisissent d’attaquer : l’Irak, la
Serbie, peut-être l’Iran, et une liste d’autres pays qu’il
serait trop long et trop récurrent de mentionner.
L’allié subalterne s’y mit aussi. Le
ministre des Affaires Etrangères Anglais David Miliband
accusa la Russie de s’engager dans “une
diplomatie du 19ème siècle“ en envahissant un état
souverain, chose que l’Angleterre n’envisagerait jamais
aujourd’hui. Ceci “n’est simplement pas la
façon dont les affaires internationales peuvent être menées
au 21ème siècle“, ajouta-t-il faisant écho au décideur
en chef qui avait dit que l’invasion d’un “état
voisin souverain …. n’est pas acceptable au 21ème siècle“.
Le Mexique et le Canada n’ont donc pas à craindre d’autres
invasions et annexions d’une partie de leur territoire car
les Etats-Unis n’envahissent maintenant que les états qui ne
leur sont pas frontaliers, bien qu’une telle contrainte ne
tienne pas pour sa clientèle, comme le Liban l’a encore
appris en 2006.
“Le conte moral est plus
édifiant encore“écrit Serge Halimi dans
le Monde Diplomatique, “quand, pour
défendre son territoire, le gentil président proaméricain
rapatrie une fraction des soldats envoyés... envahir l’Irak,
l’un des contingent les plus importants à côté de ceux des
deux pays guerriers.“
Les analystes de premier plan se sont joints
au chœur. Fareed Zakaria applaudit la remarque de Bush
disant que le comportement de la Russie est inacceptable de
nos jours, contrairement au 19ème siècle, “quand
l’intervention Russe aurait été considérée comme une
procédure d’opération ordinaire d’une grande puissance“.
Nous devons donc élaborer une stratégie pour amener la
Russie “à s’aligner sur le monde civilisé“,
dans lequel une telle intervention est impensable.
Évidemment, il y en eut certains pour
partager le désespoir de Mark Twain. Un exemple remarquable
en est fourni par Chris Patten, ancien commissaire européen
aux relations extérieures, président du parti conservateur
Anglais, chancelier de l’Université d’Oxford et membre de la
Chambre des lords. La réaction occidentale “est
suffisante pour que les plus cyniques hochent la tête
d’incrédulité“, a-t-il écrit en faisant référence à
l’échec de l’Europe à répondre vigoureusement à
l’effronterie des dirigeants russes, qui, “comme
des tsars du 19ème siècle, voulaient une sphère d’influence
autour de leurs frontières.“
Patten différencie à juste titre la Russie
et la super puissance mondiale, qui a depuis longtemps passé
le stade de demander une sphère d’influence autour de ses
frontières mais la demande autour du monde entier. Elle agit
aussi de façon vigoureuse pour donner du poids à cette
demande, en accord avec la doctrine Clinton qui dit que
Washington a le droit d’utiliser la force militaire pour
défendre ses intérêts vitaux tels que “s’assurer
un accès sans obstacles aux marchés clé, aux réserves
énergétiques et aux ressources stratégiques“ – et dans
la réalité, beaucoup plus.
Clinton bien sûr n’avançait pas en terre
inconnue. Sa doctrine découle des principes de base formulés
par des planificateurs de haut rang pendant la Seconde
Guerre Mondiale, qui ouvraient la voie à une domination
mondiale. Dans l’après-guerre, ils affirmèrent que les USA
devaient viser “à détenir un pouvoir
incontesté“ tout en s’assurant de “limiter
l’exercice de la souveraineté“ par des états qui
pourraient interférer avec leurs ambitions mondiales. Pour
s’assurer de ces buts, “la nécessité
essentielle [est] la réalisation rapide d’un programme de
réarmement complet“ un élément central “d’une
politique intégrée pour parvenir à une suprématie militaire
et économique des Etats-Unis.“ Les plans établis pendant
la guerre furent mis en œuvre de différentes façons dans les
années qui suivirent
Ces buts sont profondément ancrés dans des
structures institutionnelles stables. Ils persistent donc
au-delà des changements d’occupant de la Maison-Blanche, et
ne sont pas troublés par d’occasionnelles “économies sur le
budget militaire“ (NDT : terme qui désigne notamment les
économies réalisées depuis la fin de la guerre froide), la
disparition du rival majeur de la scène mondiale, ou autres
futilités marginales. Concevoir de nouveaux défis n’est
jamais hors de portée de cadres doctrinaires, comme lorsque
Ronald Reagan se tenant droit dans ses bottes de cow-boy
déclara l’alerte nationale parce que l’armée du Nicaragua
n’était qu’à deux jours d’Harlingen, Texas, et pouvait
entraîner les hordes prêtes à “balayer les
Etats-Unis et prendre nos biens“, ou comme Lyndon
Johnson se lamenta lorsqu’il appela à tenir bon au Viêt-nam.
De façon inquiétante, ceux qui tiennent les rênes peuvent
réellement croire à leurs paroles.
Pour en revenir aux tentatives d’élever la
Russie au monde civilisé, les sept membres moteurs
(Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie,
Canada) du Groupe des Huit pays industrialisés ont émis une
déclaration “condamnant l’action de notre
compagnon du G8“, la Russie, qui doit maintenant
comprendre l’engagement anglo-américain à la
non-intervention. L’Union Européenne a réuni en urgence son
conseil exceptionnel pour condamner le crime de la Russie,
sa première réunion depuis l’invasion de l’Irak, qui ne
déboucha sur aucune condamnation.
La Russie a demandé une réunion d’urgence du
Conseil de Sécurité, mais aucun consensus n’a été atteint
car, selon des diplomates du Conseil, les USA, la
Grande-Bretagne, et quelques autres ont rejeté une phrase
qui appelait les deux parties “à renoncer à
l’usage de la force.“
Des réactions typiques qui rappellent les
observations d’Orwell sur “l’indifférence à
la réalité“ du “nationaliste“ qui “non
seulement ne désapprouve pas les atrocités commises par son
propre camp, mais … a une remarquable propension à ne pas
même les entendre.“
Les faits de base ne sont pas vraiment
sujets de désaccord. L’Ossétie du Sud, en même temps que la
bien plus importante région d’Abkhazie, ont été attribuées
par Staline à sa Géorgie natale. Les dirigeants occidentaux
admonestent sévèrement qu’il faut respecter les consignes de
Staline malgré les fortes oppositions des Ossètes et des
Abkhazes. Les provinces ont profité d’une relative autonomie
jusqu’à l’effondrement de l’URSS. En 1990, le président
ultranationaliste de Géorgie Zviad Gamsakhurdia abolit les
régions autonomes et envahit l’Ossétie du Sud. L’âpre guerre
qui en résulte fait 1000 morts et des dizaines de milliers
de réfugiés, avec la capitale Tskhinvali “dévastée
et dépeuplée“ (New York Times).
Une petite force Russe supervise alors une
trêve difficile, rompue en connaissance de cause le 7 Août
2008 quand le président Géorgien Saakashvili ordonne
l’invasion à ses forces. Selon un “large
échantillon de témoins“, rapporte le Times,
immédiatement les militaires de Géorgie “commencent
le pilonnage de zones civiles de la ville de Tskhinvali,
ainsi que d’une base de maintien de la paix Russe qui s’y
trouve, par d’importants tirs de barrages de roquette et
d’artillerie“. La réaction Russe prévisible expulse les
forces Géorgiennes d’Ossétie du Sud, et la Russie continue
en conquérant une partie de la Géorgie, puis s’en retire
partiellement au voisinage de l’Ossétie du Sud. Il y a eu
beaucoup de victimes et d’atrocités. Comme c’est la norme,
les innocents ont sévèrement souffert ?
En premier lieu, la Russie déclare que dix
Russes du maintien de la paix ont été tués par les
bombardements Géorgiens. L’Occident en fait peu de cas. Cela
aussi fait partie de la norme. Par exemple, il n’y eu aucune
réaction quand Aviation Week a révélé que 200 Russes furent
tués par une incursion de l’aviation Israélienne au Liban en
1982 pendant une invasion épaulée par les USA et qui laissa
quelques 15-20.000 morts, sans aucun autre prétexte crédible
que le renforcement du contrôle Israélien sur la Rive Ouest
occupée.
Parmi les Ossétiens qui s’enfuirent vers le
nord, “l’opinion qui prévaut“ selon le
London Financial Time, “est que le dirigeant
pro-occidental Mikheil Saakashvili, a essayé de détruire
leur enclave autonome“. Les milices Ossétes, sous les
yeux des Russes, ont alors brutalement chassé des Géorgiens
hors d’Ossétie. “La Géorgie a dit que son
attaque était nécessaire pour arrêter une attaque Russe déjà
en cours“, rapporte le New York Times, mais plusieurs
semaines après, “il n’y a pas eu de preuves
indépendantes, hormis l’insistance de la Géorgie, que cette
version soit vraie, que les forces Russes ont attaqué avant
les tirs Géorgiens“.
En Russie, le Wall Street Journal écrit, “des
juristes, des officiels et des analystes locaux ont adopté
la théorie que l’administration Bush a encouragé la Géorgie,
son allié, à commencer la guerre pour déclencher une crise
internationale qui mettrait en valeur l’expérience de
sécurité nationale du sénateur John McCain, le candidat
républicain aux présidentielles.“ Au contraire, l’auteur
Français Bernard-Henri Lévy, écrivant dans la Nouvelle
République, proclame que “personne ne peut
ignorer le fait que le Président Saakashvili a décidé d’agir
seulement lorsqu’il n’avait d’autres options, et que la
guerre avait déjà commencé. Malgré cette accumulation de
faits qui auraient dû aveugler tous les observateurs
scrupuleux et de bonne foi, beaucoup dans les médias se sont
rué comme un seul homme sur la thèse des Géorgiens
instigateurs et provocateurs irresponsables de la guerre.“
Le système de propagande Russe a fait
l’erreur de présenter des faits, qui ont été facilement
réfutés. Son homologue occidental, plus sagement, s’en est
tenu à des déclarations autorisées, comme celle de Lévy
dénonçant les principaux médias occidentaux pour leur
ignorance de ce qui aurait dû “aveugler tous
les observateurs scrupuleux et de bonne foi“ pour qui la
loyauté à l’état est suffisante pour établir la Vérité –
qui, pourraient conclure des analystes sérieux peut-être
même être vraie.
Les Russes sont en train de perdre la “guerre
de propagande“, annonce la BBC, puisque Washington et
ses alliés ont réussi à “présenter les
actions de la Russie comme une agression et à minimiser
l’attaque Géorgienne en Ossétie du Sud du 7 Août, qui
déclencha la riposte Russe“, bien que “les
preuves en provenance d’Ossétie du Sud sur cette attaque
indiquent qu’elle a été de grande envergure et destructrice“.
La Russie “n’a pas encore appris à jouer des
médias“ observe la BBC. C’est naturel. La Propagande est
habituellement plus sophistiquée au fur et à mesure que
l’état perd sa capacité à contrôler la population par la
force.
L’échec Russe à fournir des preuves
crédibles a été partiellement compensé par le Financial
Times, qui à découvert que le Pentagone a entraîné au combat
les commandos des forces spéciales Géorgiennes peu de temps
avant l’attaque Géorgienne du 7 Août, révélations qui
pourrait “alimenter les accusations du mois
dernier de Vladimir Poutine, le premier Ministre Russe, que
les USA ont ‘orchestré’ la guerre dans l’enclave Géorgienne.“
L’entraînement fut en partie pris en charge par d’anciennes
forces spéciales US recrutées par des contractants
militaires privés, incluant le
MPRI, qui comme l’écrit le journal “fut
engagé par le Pentagone en 1995 pour entraîner les
militaires Croates avant qu’ils envahissent la région
ethnique Serbe de Krajina, ce qui amena le déplacement de
200.000 réfugiés et fut l’une des pires péripéties du
nettoyage ethnique pendant les guerres des Balkans.“ Le
nettoyage de Krajina (généralement estimé à 250.000 déplacés
et de nombreux tués), épaulé par les USA, est
potentiellement le pire cas de nettoyage ethnique en Europe
depuis la Seconde Guerre Mondiale. Pour une raison simple et
suffisante, son destin dans l’Histoire officielle est un peu
comme celui des photographies de Trotski dans la Russie
Stalinienne ; il ne s’accorde pas avec l’image obligée de la
noblesse US combattant le diable Serbe.
Les estimations du bilan de la guerre du
Caucase de 2008 sont sujettes à variations. Un mois après,
le Financial Times citait des sources Russes ; “au
moins 133 civils sont morts dans l’attaque, en même temps
que 59 de ses soldats de maintien de la paix“, alors que
dans l’invasion massive et les bombardements aériens de la
Géorgie qui s’ensuivirent, selon le Financial Times, 215
Géorgiens moururent, dont 146 soldats et 69 civils. D’autres
révélations suivront certainement.
Deux issues cruciales se profilent en
arrière-plan. L’une est le contrôle des oléoducs vers
l’Azerbaïdjan et l’Asie Centrale. La Géorgie, choisie par
Clinton comme couloir de passage pour contourner la Russie
et l’Iran, fut massivement armée dans ce dessein. Donc, la
Géorgie est “un atout capital et stratégique
pour nous“ observe Zbigniew Brzezinski.
Il faut noter que les analystes sont moins
réticents pour expliquer les réelles motivations des USA
dans la région, alors que les prétextes de menaces extrêmes
et de libération perdent de leurs poids et qu’il devient
plus difficile d’ignorer les exigences Iraquiennes pour le
retrait de l’armée d’occupation. Les éditorialistes du
Washington Post ont donc sermonné Barack Obama qui considère
l’Afghanistan comme “le front central“ pour les Etats-Unis,
lui rappelant que l’Irak “se trouve au
centre géopolitique du Moyen-Orient et contient
quelques-unes des plus grandes réserves de pétrole du monde“
et que “l’importance stratégique de
l’Afghanistan faiblit devant celle de l’Irak“. Une
reconnaissance bienvenue, bien que tardive, de la réalité de
l’invasion US.
La seconde issue est l’expansion de l’OTAN à
l’Est, décrite par George Kennan en 1997 comme “l’erreur
la plus fatale de la politique Américaine de l’après-guerre
froide [qui] peut enflammer les tendances nationalistes,
anti-Occident et militaires dans l’opinion Russe ; nuire au
développement de la démocratie en Russie ; restaurer
l’atmosphère de guerre froide dans les relations Est-Ouest.“
Pendant la chute de l’URSS, Mikhail fit une
concession extraordinaire étant donné l’histoire récente et
les réalités stratégiques : il donna son accord à
l’Allemagne réunifiée pour rejoindre une alliance militaire
hostile. Cette “stupéfiante concession“
fut acclamée par les médias Occidentaux, l’OTAN et le
président Bush I, qui la considérèrent comme une
démonstration des “qualités d’homme d’état …
au mieux des intérêts de tous les pays d’Europe, y compris
l’Union Soviétique“.
Gorbatchev donna son accord à cette
stupéfiante concession avec “l’assurance que
l’OTAN n’étendrait pas son influence vers l’Est d’un ‘seul
pouce’ selon les termes exacts du Secrétaire d’Etat Jim
Baker“. Ce rappel de Jack Matlock, l’expert principal
des affaires soviétiques du service diplomatique, et
ambassadeur en Russie dans les années décisives de 1987 à
1991, est confirmé par Strobe Talbott, le personnage
officiel le plus important en charge des affaires de
l’Europe de l’Est dans l’administration Clinton. En se
basant sur un examen complet des rapports diplomatiques,
Talbot signale que “le Secrétaire d’Etat
Baker a assuré au Ministre Soviétique des Affaires
Etrangères de l’époque, Edouard Chevardnadze, dans le
contexte d’une volonté réticente de l’Union soviétique de
laisser une Allemagne réunifiée faire partie de l’OTAN, que
l’OTAN ne s’étendrait pas vers l’Est“.
Clinton renia rapidement cet engagement,
rejetant par la même occasion les efforts de Gorbatchev pour
en finir avec la guerre froide en concertation avec ses
partenaires. L’OTAN rejeta aussi une proposition Russe pour
une zone libre d’armes nucléaires de l’Arctique à la Mer
Noire, qui aurait “interféré avec les plans
d’extension de l’OTAN“, fait remarquer l’analyste
stratégique et ancien planificateur de l’OTAN Michael
MccGwire.
En rejetant ces possibilités, les USA ont
adopté une position triomphante qui a menacé la sécurité
Russe et joué un rôle déterminant pour plonger la Russie
dans un désastre économique et social sévère, faisant des
millions de morts. Bush a mené une escalade rapide de ce
processus avec l’extension de l’OTAN, le démantèlement
d’accords de désarmement décisifs, et un militarisme
agressif. Matlock écrit que la Russie aurait pu accepter
l’incorporation d’anciens satellites Russes à l’OTAN si
celle-ci “n’avait pas bombardé la Serbie, ni
continué son expansion. Mais, en fin d’analyse, les missiles
anti-balistiques en Pologne, et les coups de soudes de
l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine, sont des lignes rouges
infranchissables. L’insistance à reconnaître l’indépendance
du Kosovo a en quelque sorte été le comble. Poutine a appris
que les concessions aux USA n’étaient pas réciproques, mais
utilisées pour asseoir la domination US sur le monde.
Lorsqu’il a eu la force de résister, il l’a fait“, en
Géorgie.
Les représentants de Clinton expliquent que
l’extension de l’OTAN n’était pas une menace militaire, mais
une simple opération pour faciliter l’intégration des
anciens satellites Russes à l’Europe (Talbott). Ceci n’est
pas très convaincant. L’Autriche, la Suède et la Finlande
font partie de l’Europe, pas de l’OTAN. Si le Pacte de
Varsovie avait survécu et incorporait des pays d’Amérique
Latine – laissons de côté le Canada et le Mexique – les USA
croiraient difficilement que le Pacte n’est qu’une réunion
de Quakers. Il n’y aurait pas besoin de passer en revue la
liste des violences US pour empêcher la plupart des liens
supposés avec Moscou dans “notre petite
région ici“, l’hémisphère Occidental, pour citer le
Secrétaire à la Guerre Henry Stimson qui expliquait que tous
les systèmes régionaux devaient être démantelés après la
Seconde Guerre Mondiale, sauf le nôtre qui doit être
développé.
Pour étayer la conclusion, au milieu de la
crise actuelle dans le Caucase, Washington prétend
s’inquiéter que la Russie puisse rétablir une coopération
militaire et de renseignement avec Cuba, à un niveau
n’approchant que de loin celui des relations entre les
Etats-Unis et la Géorgie, ce qui pourrait être un pas
significatif vers une menace à notre sécurité.
Le bouclier de missiles est aussi présenté
comme inoffensif, bien que les principaux analystes
stratégiques US aient expliqué pourquoi les stratèges Russes
doivent voir ce système et le choix de ses implantations
principales, comme une menace potentielle pour la dissuasion
Russe, et donc en fait une arme de première frappe.
L’invasion de la Géorgie par la Russie a servi de prétexte
pour finaliser l’accord d’installer ce système en Pologne, “étayant
ainsi un argument souvent répété par Moscou et rejeté par
Washington ; la vraie cible de ce système est la Russie“,
comme l’a observé Desmond Butler commentateur d’Associated
Press.
Matlock n’est pas le seul à considérer le
Kosovo comme un facteur important. “La
reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de
l’Abkhazie était justifiée par le principe du droit à la
sécession d’une minorité opprimée – le principe que Bush a
établi pour le Kosovo“, selon les commentaires des
éditorialistes du Boston Globe.
Mais il y a des différences importantes.
Strobe Talbott reconnaît “qu’il y a un degré
de ressemblance avec ce que les USA et l’OTAN ont fait, il y
a neuf ans au Kosovo “, mais défend “que
l’analogie est totalement et profondément fausse“.
Personne n’est en meilleure position pour savoir ce qu’il y
a de profondément faux, et il en a lucidement expliqué la
raison dans sa préface à un livre de son associé John Norris
sur les bombardements de l’OTAN en Serbie. Talbott écrit que
ceux qui veulent savoir “comment ces
évènements se sont passés et ont été ressentis par ceux
d’entre nous impliqués“ dans la guerre devrait se
référer au récit bien informé de Norris. Norris conclut que
“ce fut la résistance de la Yougoslavie à
des tendances générales de réformes politiques et
économiques – pas la situation critique des Albanais du
Kosovo – qui expliquent le mieux la guerre de l’OTAN“.
Que le motif des bombardements de l’OTAN
n’était pas “la situation critique des
Albanais du Kosovo“ était déjà clair d’après le dossier
documentaire Occidental très fourni révélant que les
atrocités furent, très largement, les conséquences attendues
du bombardement, et non sa cause. Mais, avant même que ce
dossier ne soit rendu public, il aurait dû être évident à
tous, sauf aux loyalistes les plus fervents, que le souci
humanitaire ait pu le moins du monde motiver les USA et
l’Angleterre qui au même moment apportaient un soutien
décisif à des atrocités au-delà de celles du Kosovo, dans un
contexte bien plus épouvantable que celui des Balkans. Mais
ce ne sont que de simples faits, donc sans rapport avec les
“nationalistes“ d’Orwell – dans ce cas la plupart de la
communauté intellectuelle Occidentale, qui s’est impliquée
massivement dans l’autocélébration et la mauvaise foi pour
la “noble cause“ de la politique étrangère Américaine et son
“glorieux éclat“ à l’approche de la fin du Millénaire, avec
le bombardement de la Serbie comme joyaux à sa couronne.
Néanmoins, il est intéressant d’entendre
venant du plus haut niveau que la vraie raison des
bombardements était que la Serbie constituait un obstacle
isolé en Europe aux programmes économiques et politiques de
l’administration Clinton et de ses alliés. Il se passera
cependant du temps avant qu’une telle façon de faire soit
admise comme canon. D’autres différences existent bien sur
entre le Kosovo et les régions de Géorgie qui demandent leur
indépendance, ou une union avec la Russie. Ainsi, il ne
semble pas que la Russie possède là-bas une énorme base
militaire, comparable au camp Bondsteel au Kosovo, baptisé
du nom d’un héros de la guerre du Vietnam et faisant
vraisemblablement partie du vaste système US ayant en mire
les régions du Moyen-Orient productrices d’énergie. Et il y
a beaucoup d’autres différences.
Il y a beaucoup à dire sur la “nouvelle
guerre froide“ instituée par le comportement brutal des
Russes en Géorgie. On ne peut pas manquer d’être alarmé par
les signes de confrontation entre les Russes et les
flottes Américaines de la Mer Noire – une situation
semblable ne serait pas tolérée dans les Caraïbes. Les
efforts envisagés dès maintenant d’étendre l’OTAN à
l’Ukraine peuvent devenir extrêmement dangereux.
Une nouvelle guerre froide semble cependant
improbable. Pour en évaluer les risques, nous devons être
clairs sur l’ancienne guerre froide. Tout rhétorique
passionnée mise à part, la guerre froide était une entente
tacite dans laquelle chaque protagoniste était libre de
recourir à la violence et la subversion pour contrôler ses
dominions ; pour la Russie, ses voisins de l’Est ; pour la
superpuissance mondiale, la plupart du monde. La Société
Humaine n’a pas besoin de la résurrection d’une telle chose
- et pourrait ne pas y survivre.
Une alternative sensée est la vision de
Gorbatchev, rejetée par Clinton et sapée par Bush. Un avis
sain, suivant cette ligne, a récemment été donné par
l’ancien Ministre des Affaires Etrangères Israélien et
historien Shlomo ben-Ami, qui écrivait dans le Beirut Daily
Star : “La Russie doit rechercher un vrai
partenariat stratégique avec les USA, et ces derniers
doivent comprendre qu, lorsqu’elle est exclue et méprisée la
Russie peut être une cause majeure de problèmes mondiaux.
Ignorée et humiliée par les USA depuis la fin de la Guerre
Froide, la Russie a besoin d’être intégrée dans un nouvel
ordre mondial qui respecte ses intérêts alors que son
pouvoir revient, pas d’une stratégie de confrontation avec
l’Occident“.
Noam Chomsky est professeur
à l’Institut de Technologie du Massachusetts.
Traduit par Laurent pour Le Grand Soir
http:///www.legrandsoir.info
Texte original :
http://www.informationclearinghouse...