Opinion
Impressions de
Gaza
Noam Chomsky
afp.com/Mahmud Hams
Samedi 10 novembre
2012 Noam
Chomsky était en visite à Gaza du 25 au
30 octobre 2012
Même une seule nuit en prison suffit
à donner une idée de ce que veut dire le
fait de se trouver sous le contrôle
absolu de la même force extérieure. Et
il faut à peine plus d’une journée à
Gaza pour commencer à
apprécier ce à quoi doit ressembler
tenter de survivre dans la plus grande
prison en plein air du monde, où un
million et demi de personnes, dans la
région la plus densément peuplée du
monde, sont constamment soumises à la
terreur générale, souvent sauvage et aux
châtiments arbitraires qui n’ont souvent
pour but que d’humilier et avilir, ainsi
que de faire en sorte que les espoirs
palestiniens d’un avenir décent soient
anéantis et que soit réduit à zéro le
soutien mondial majoritairement
favorable à un arrangement diplomatique
censé accorder ces droits.
L’intensité de cet engagement de la part
des dirigeants politiques israéliens a
été dramatiquement illustrée ces
quelques derniers jours encore, quand
ils ont prévenus qu’ils allaient «
devenir fous » si l’ONU
reconnaissait les droits des
Palestiniens, ne serait-ce que
de façon limitée. On est loin d’un
nouveau départ. La menace de «
devenir fous » (« nishtagea
») est profondément enracinée, elle
remonte même aux gouvernements
travaillistes des années 1950, ainsi que
le fameux « complexe de Samson
» qui s’y rattache : nous abattrons les
murailles du Temple si on les franchit.
C’était une menace vaine à l’époque. Ce
ne l’est plus aujourd’hui.
L’humiliation intentionnelle n’est pas
nouvelle non plus, bien qu’elle adopte
continuellement de nouvelles formes. Il
y a trente ans, les dirigeants
politiques, y compris certains des
faucons les plus notoires, avaient
soumis au Premier ministre Begin
un compte rendu choquant et
détaillé sur la façon dont,
régulièrement, les colons recourent à la
violence contre les Palestiniens et ce,
de la façon la plus vile et en toute
impunité. L’éminent commentateur
militaro-politique Yoram Peri
avait écrit avec dégoût que la tâche de
l’armée ne consistait pas à défendre
l’État, mais « à détruire les droits
de personnes innocentes tout simplement
parce qu’elles étaient des
Araboushim (« bicots », «
métèques ») vivant dans les territoires
que Dieu nous avait promis ».
Les Gazaouis ont été
choisis pour recevoir un châtiment
particulièrement cruel. C’est presque un
miracle que des gens puissent supporter
ce genre d’existence. La façon dont ils
y arrivent a été décrite il y a trente
ans dans un mémoire éloquent rédigé par
Raja Shehadeh (The Third
Way – La troisième voie) et
s’appuyant sur son travail d’avocat
engagé dans la tâche désespérée de
tenter de protéger les droits
élémentaires au sein d’un système
juridique destiné à assurer l’échec de
cette même tâche, ainsi que sur son
expérience personnelle en tant que samid,
(une personne inébranlable), qui voit sa
maison transformée en prison par des
occupants brutaux et qui ne peut rien
faire d’autre que de « subir »,
d’une façon ou d’une autre.
Depuis ce témoignage de Shehadeh,
la situation a grandement empiré. Les
accords d’Oslo,
célébrés avec beaucoup de faste en 1993,
ont déterminé que Gaza
et la Cisjordanie
étaient une seule et même entité
territoriale. À l’époque, les
États-Unis et Israël
avaient déjà lancé leur
programme visant à les séparer
complètement d’une de l’autre, de façon
à bloquer tout arrangement diplomatique
et à punir les Araboushim
des deux territoires.
Le châtiment infligé aux
Gazaouis fut encore plus sévère
en janvier 2006, quand ils commirent un
crime majeur : ils votèrent « de la
mauvaise manière » lors des
premières élections libres du monde
arabe, choisissant le Hamas.
Démontrant leur « désir passionné de
démocratie », les
États-Unis et Israël,
soutenus par la timide Union
européenne, imposèrent aussitôt
à Gaza un siège brutal,
accompagné d’attaques militaires
intenses. Les États-Unis
aussi recouraient tout de suite
à un processus d’opération standardisé
quand l’une ou l’autre population
désobéissante optait pour le mauvais
gouvernement : ils préparaient un coup
d’État militaire afin de rétablir
l’ordre.
Les Gazaouis commirent
un crime encore bien pire un an plus
tard en contrant la tentative de coup
d’État, ce qui aboutit à une
intensification rapide du siège et des
attaques militaires. Celles-ci
culminèrent au cours de l’hivers
2008-2009, avec l’Opération
Plomb durci, l’une des
utilisations les plus lâches et
violentes de la force militaire de
l’histoire récente, quand une civile
population sans défense, piégée sans
aucune possibilité de sortie, fut
soumise à une agression sans pitié par
l’un des systèmes militaires les plus
perfectionnés au monde se servant d’un
armement américain et protégé par la
diplomatie américaine. Un compte rendu
inoubliable de cette boucherie – un
« infanticide », pour reprendre
leurs termes – fut rédigé par deux
courageux médecins norvégiens qui
travaillaient dans le principal hôpital
de Gaza durant cette
impitoyable agression, Mads
Gilbert et Erik Fosse,
dans leur remarquable ouvrage intitulé
Eyes in Gaza (Des
yeux à Gaza).
Le président élu Obama
fut incapable de proférer le moindre
mot, hormis le fait qu’il réitéra sa
cordiale sympathie pour les enfants
soumis à cette agression – et ce, dans
la ville israélienne de Sderot.
L’attaque soigneusement planifiée fut
mené à bien juste avant son entrée en
fonction, de sorte qu’il put dire que,
désormais, il était temps de regarder
vers l’avant, et non vers l’arrière, ce
qui constitue l’échappatoire classique
des criminels.
Bien sûr, il y eut des prétextes – il y
en a toujours. Le prétexte habituel,
ressassé à l’envi chaque fois que le
besoin s’en fait sentir, est la «
sécurité ». Dans ce cas, il
s’agissait des roquettes artisanales
lancées à partir de Gaza.
Comme c’est habituellement le cas, le
prétexte était dénué de la moindre
crédibilité. En 2008, une trêve ait été
instaurée entre Israël
et le Hamas. Le
gouvernement israélien reconnaît
officiellement que le Hamas
l’observa rigoureusement. Pas une seule
roquette du Hamas ne
fut tirée jusqu’au moment où
Israël viola la trêve, sous
couvert des élections américaines du 4
novembre 2008, en envahissant
Gaza sous des prétextes
ridicules et en tuant une demi-douzaine
de membres du Hamas.
Les hauts responsables des services de
renseignement israéliens conseillèrent
leur gouvernement en lui disant que la
trêve pouvait être renouvelée en
desserrant le blocus criminel et en
mettant un terme aux attaques
militaires. Mais le gouvernement d’Ehud
Olmert, à la réputation de «
colombe », rejeta ces choix,
préférant tirer parti de son énorme
avantage comparatif, sur le plan de la
violence, et ce fut l’Opération
Plomb durci. Les faits
principaux ont été passés en revue une
fois de plus par le commentateur de
politique étrangère Jerome
Slater dans le dernier numéro
du journal du MIT
(Harvard), International Security.
La méthode de bombardement utilisée lors
de Plomb durci fut
soigneusement analysée par le défenseur
gazaoui des droits de l’homme, Raji
Sourani, un homme remarquablement bien
informé et internationalement respecté.
Il fait remarquer que les bombardements
se concentrèrent sur le nord, visant les
civils sans défense des zones les plus
densément peuplées et sans qu’il y ait
eu le moindre prétexte militaire
possible. Le but des Israéliens,
suggère-t-il, peut avoir été de pousser
la population intimidée vers le sud, à
proximité de la frontière égyptienne.
Mais les Samidin ne
bougèrent pas, malgré l’avalanche de
terreur américano-israélienne.
Un autre but peut avoir été de les
repousser au-delà de cette frontière.
Quand on remonte aux débuts de la
colonisation sioniste, il était beaucoup
question, parmi le vaste ensemble des
Juifs, que les
Arabes n’avaient aucune raison
d’être en Palestine ;
ils pourraient être tout aussi heureux
ailleurs et devraient s’en aller – «
être transférés » avec égards,
suggéraient les colombes. Ce n’est
certainement pas une inquiétude mineure
en Égypte et c’est
peut-être une raison pour laquelle l’Égypte
n’ouvre pas sa frontière librement aux
civils ou aux marchandises dont les
Gazaouis ont si
désespérément besoin.
Sourani et d’autres bien
documentées font remarquer que la
discipline des Samidin
cache un baril de poudre qui peut
exploser à tout moment, de façon
inattendue, comme le fit la première
Intifada à Gaza,
en 1989, après des années d’oppression
misérable qui n’avait suscité aucune
remarque ou inquiétude.
Pour ne mentionner qu’un des
innombrables cas, peu avant le
déclenchement de l’Intifada,
une jeune Palestinienne,
Intissar al-Atar, fut
tuée par balle dans la cour d’une école
par un habitant d’une colonie juive
toute proche. L’homme était l’un des
plusieurs milliers de colons israéliens
amenés à Gaza en
violation des lois internationales et
protégés par une énorme présence
militaire. Ces colons s’étaient emparés
d’une grande partie des terres et de
l’eau déjà rare dans la bande de
Gaza et ils vivaient «
luxueusement dans vingt-deux colonies au
beau milieu de 1,4 million de
Palestiniens démunis »,
pour reprendre les termes de la
description de l’intellectuel israélien
Avi Raz. Le meurtrier
de l’écolière, Shimon Yifrah,
fut arrêté, puis rapidement relâché sous
caution quand le tribunal décida que «
le délit n’était pas suffisamment grave
» pour justifier la détention. Le juge
expliqua Yifrah avait
uniquement l’intention d’impressionner
la fille en tirant dans sa direction,
dans la cour de l’école, et non pas de
la tuer, de sorte qu’« il ne s’agit
pas d’un cas de criminel devant être
puni ou dissuadé d’agir de la sorte et à
qui il convient de donner une leçon en
l’emprisonnant ». Yifrah
reçut sept mois avec sursis et les
colons massés dans la salle d’audience
se mirent à chanter et à danser. Et
l’habituel silence régna de nouveau.
Après tout, c’était la routine.
Et c’est ainsi que vont les choses.
Quand Yifrah fut
relaxé, la presse israélienne rapporta
d’une patrouille de l’armée tira dans la
cour d’une école pour enfants de six à
douze ans, dans un camp de réfugiés de
Cisjordanie, blessant
ainsi cinq d’entre eux, avec sans doute
l’intention de « les impressionner
». Il n’y eut pas de plainte et
l’incident n’attira pas non plus
l’attention. Ce n’était qu’un autre
épisode parmi tant d’autres dans le
programme de « l’analphabétisme en
tant que punition », rapporta la
presse israélienne, programme comprenant
la fermeture d’écoles, le recours à des
bombes à gaz, le tabassage d’étudiants à
coups de crosse, l’interdiction de
passage de l’aide médicale pour les
victimes ; et, au-delà des écoles, le
règne d’une brutalité pire encore, avec
une surenchère de la sauvagerie pendant
l’Intifada, et le tout
sous les ordres du ministre de la
Défense Yitzhak Rabin,
une autre colombe très admirée.
Mon impression initiale, après une
visite de plusieurs jours, était
l’étonnement, non seulement pour cette
capacité de continuer à vivre, mais
aussi pour l’allant et la vitalité dont
faisaient preuve les jeunes,
particulièrement à l’université, où je
passai une bonne partie de mon temps
dans une conférence internationale.
Mais, là aussi, on peut détecter des
signes de ce que la pression peut
devenir trop pénible à supporter. Des
rapports révèlent que, parmi les jeunes,
il y a une frustration qui couve, une
prise de conscience de ce que, sous
l’occupation israélienne, l’avenir n’a
rien à leur offrir. Il n’y a que ce que
des animaux en cage peuvent endurer et
il peut y avoir une éruption,
susceptible de revêtir des formes
vilaines – offrant ainsi une occasion
aux apologistes israéliens et
occidentaux de condamner hypocritement
des gens qui sont culturellement
arriérés, comme l’a expliqué
Mitt Romney avec toute sa
perspicacité.
Gaza a l’aspect d’une
société typiquement du tiers monde, avec
des poches de prospérité entourée d’une
pauvreté affreuse. Elle n’est toutefois
pas « sous-développée ». Elle a
plutôt été « dé-développée »,
et de façon très systématique, en plus,
pour emprunter la terminologie de
Sara Roy, la principale
spécialiste universitaire à propos de
Gaza. La bande de
Gaza aurait pu être une
région méditerranéenne prospère, avec
une agriculture riche et une industrie
florissante de la pêche, des plages
merveilleuses et, comme on l’a découvert
voici une décennie, des bonnes
perspectives concernant les larges
réserves de gaz naturel qui se trouvent
sous ses eaux territoriales.
Coïncidence ou pas, c’est à ce moment
qu’Israël a intensifié
son blocus, refoulant les bateaux de
pêche vers le littoral, les confinant
actuellement à trois nautiques et moins.
Les perspectives favorables avortèrent
en 1948, quand la bande de Gaza
dut absorber une marée de réfugiés
palestiniens fuyant la terreur ou
expulsés par la force de ce qui allait
devenir Israël et, dans
certains cas, expulsés plusieurs mois
après le cessez-le-feu officiel.
En fait, on en expulsa encore quatre ans
plus tard, comme le rapportait
Ha’aretz (25 décembre 2008), dans
une étude minutieuse réalisée par
Beni Tziper sur l’histoire de
la ville israélienne d’Ashkelon
remontant jusqu’aux
Cananéens. En 1953,
rapporte-t-il, « on calcula
froidement qu’il était nécessaire de
nettoyer la région des Arabes
». Le nom original de la
ville, Majdal, avait
déjà été « judaïsé » sous sa
forme actuelle d’Ashkelon,
selon la pratique habituelle.
C’était en 1953, alors qu’il n’y avait
pas le moindre signe de nécessité
militaire. Tziper
lui-même est né en 1953 et, tout en se
promenant dans ce qui reste du vieux
secteur arabe, il pense : « Il est
vraiment difficile pour moi, vraiment,
de comprendre qu’alors que mes parents
célébraient ma naissance, d’autres
personnes étaient entassées sur des
camions et chassées de leurs maisons. »
Il y eut les conquêtes israéliennes de
1967 et les coups qu’elles ont continué
à asséner par la suite. Puis sont venus
les crimes terribles déjà mentionnés et
qui n’ont cessé de se poursuivre jusqu’à
ce jour.
Il est facile d’en voir les signes, même
au cours d’une brève visite. Depuis
l’intérieur d’un hôtel à proximité du
littoral, on peut entendre les tirs de
mitrailleuse des canonnières
israéliennes repoussant les pêcheurs des
eaux territoriales de Gaza
vers le littoral, de sorte qu’ils sont
forcés de pêcher dans des eaux
lourdement polluées du fait que les
Américains et les
Israéliens refusent
d’autoriser la reconstruction des sites
de traitement des déchets et des
systèmes de production d’électricité
qu’ils ont détruits.
Les accords d’Oslo ont
établi les plans de deux sites de
désalinisation, une nécessité, dans
cette région aride. L’un, une
installation de pointe, fut construit…
en Israël. Le second
est à Khan Yunis, dans
le sud de Gaza.
L’ingénieur chargé d’essayer d’obtenir
de l’eau potable pour la population a
expliqué que cette installation avait
été conçue de telle façon qu’elle ne
pouvait utiliser l’eau de mer, mais
qu’elle devait travailler avec l’eau
phréatique, un processus moins onéreux,
qui continue à dégrader la nappe
aquifère déjà réduite, ce qui promet de
graves problèmes pour l’avenir. Même
avec cette installation, l’eau est
sévèrement rationnée. L’Office
de secours et de travaux des Nations
unies (UNRWA), qui
s’occupe des réfugiés (mais pas des
autres Gazaouis), a
publié récemment un rapport prévenant
que les dégâts à la nappe aquifère
pourraient très bientôt devenir «
irréversibles » et que, si on
n’entamait pas d’urgence des actions
réparatrices, Gaza
pourrait ne plus être un « endroit
vivable » en 2020.
Israël autorise l’utilisation
du béton dans les projets de l’UNRWA,
mais pas pour les Gazaouis
engagés dans d’énormes besoins
de reconstruction. Les équipements
lourds, déjà limités, traînent
généralement sur place sans pouvoir être
utilisés, puisque Israël n’autorise pas
l’entrée de matériaux de réparation.
Tout cela fait partie du programme
général décrit par le haut fonctionnaire
israélien Dov Weisglass,
qui fut le conseiller du Premier
ministre Ehud Olmert,
après que les Palestiniens ne se
conformèrent pas aux ordres lors des
élections de 2006 : « L’idée »,
disait Weisglass, «
consiste à mettre les
Palestiniens au régime, mais
pas de les laisser mourir de faim.
» Cela aurait fait mauvais genre.
Et ce plan est scrupuleusement suivi.
Sara Roy en a fourni
des preuves très complètes dans ses
savantes études. Récemment, après
plusieurs années d’efforts,
l’organisation israélienne des droits de
l’homme Gisha est
parvenue à obtenir un ordre du tribunal
enjoignant au gouvernement de libérer
ses archives détaillant les plans du
fameux « régime » et la façon
dont ces plans sont appliqués. Le
journaliste
Jonathan Cook, qui
vit en Israël, les
résume comme suit : « Les
fonctionnaires de la santé ont fourni
des calculs à propos du nombre minimal
de calories nécessaires au million et
demi d’habitants de Gaza
afin d’éviter la malnutrition.
Ces chiffres ont alors été traduits en
camions de nourriture qu’Israël est
censé permettre chaque jour (…). Une
moyenne de 67 camions seulement – bien
moins que la moitié du minimum requis –
sont entrés à Gaza
quotidiennement. Ceci comparé aux plus
de 400 camions d’avant le début du
blocus. » Et même cette estimation
est exagérément généreuse, rapports les
fonctionnaires de l’ONU chargés de
l’aide.
De ce régime forcé, fait remarquer Juan
Cole, spécialiste du
Moyen-Orient, « il résulte
qu’environ dix pour cent des enfants
palestiniens de moins de cinq ans ont
leur croissance retardée par la
malnutrition (…). De plus, l’anémie est
très répandue, affectant plus de deux
tiers des enfants, 58,6 pour 100 des
enfants qui vont à l’école et plus d’un
tiers des femmes enceintes. » Les
États-Unis et Israël
veulent faire en sorte que rien
au-delà de la simple survie ne soit
possible.
« Il ne faut pas perdre de vue
», fait remarquer Raji Sourani,
« que l’occupation et l’enfermement
absolu constituent une attaque
permanente contre la dignité humaine de
la population de Gaza en particulier et
de tous les Palestiniens
en général. C’est une
dégradation, une humiliation, un
isolement et une fragmentation
systématiques du peuple palestinien. »
La conclusion est confirmée par bien
d’autres sources. Dans l’une des plus
éminentes revues médicales de la
planète, The Lancet, un
médecin de Stanford en
visite, horrifié par ce dont il avait
été témoin, décrit Gaza comme
« une sorte de laboratoire où l’on
étudie l’absence de dignité », une
situation qui a des effets «
dévastateurs » sur le bien-être
physique, mental et social. « La
surveillance constante à partir du ciel,
les punitions collectives via le blocus
et l’isolement, l’intrusion dans les
maisons et dans les communications et
les restrictions imposées aux personnes
qui essaient de voyager, cde se marier
ou de travailler, font qu’ils est
malaisé de mener une existence dans la
dignité, à Gaza. » Il convient d’apprendre aux
Araboushim à ne pas
redresser la tête.
On pouvait espérer que le nouveau
gouvernement Morsi, en
Égypte, moins servile à
l’égard d’Israël que la
dictature de Moubarak
soutenue par l’Occident,
allait ouvrir le passage de
Rafah, le seul accès à
l’extérieur pour les Gazaouis
enfermés qui ne soit pas soumis
au contrôle direct d’Israël.
Il y a eu une légère ouverture,
mais pas plus. La journaliste
Laila el-Haddad écrit que la
réouverture sous Morsi
‘est tout simplement un retour au statu
quo d’il y a plusieurs années : seuls
les Palestiniens en
possession d’une carte d’identité de
Gaza approuvée par les
Israéliens peuvent utiliser le
passage de Rafah, ce
qui exclut un grand nombre de
Palestiniens, y compris la
propre famille d’el-Haddad,
dont un seul des conjoints possède une
carte.
En outre, poursuit-elle, « le
passage ne mène pas à la
Cisjordanie, pas plus qu’il ne
permet le passage des marchandises, qui
sont limitées aux passages contrôlés par
les Israéliens et sont
soumis à des interdictions concernant
les matériaux de construction et les
exportations ». La limitation du
passage de Rafah ne
modifie en rien le fait que «
Gaza reste sous un sévère état
de siège, tant maritime qu’aérien et
continue à être complètement isolée
principales villes culturelles,
économiques et universitaires
palestiniennes du reste des territoires
occupés, et ce, en violation des
obligations imposées aux
États-Unis et à Israël
dans le cadre des accords d’Oslo
».
Les effets en sont douloureusement
manifestes. À l’hôpital de Khan
Yunis, le directeur, qui est
également le chef du département
chirurgical, décrit avec colère et
passion à quel point même les
médicaments font défaut pour soulager
les patients qui souffrent, de même que
les équipements chirurgicaux, ce qui
laisse les médecins désemparés et les
patients à l’agonie. Les récits
personnels ajoutent un élément
particulièrement frappant au dégoût
général que l’on ressent face à
l’obscénité d’une occupation brutale. Un
exemple est le témoignage d’une jeune
femme désespérée parce que son père, qui
aurait été fier que sa fille eût été la
première femme du camp de réfugiés à
obtenir une qualification supérieure, «
était décédé après six mois de combat
contre un cancer, à l’âge de soixante
ans. L’occupation israélienne lui avait
refusé un permis pour aller se faire
soigner dans les hôpitaux israéliens.
J’ai dû suspendre mes études, mon
travail et mon existence pour rester à
son chevet. Nous tous, y compris mon
frère médecin et ma sœur pharmacienne,
étions impuissants et désespérés de le
voir souffrir. Il est mort au cours du
blocus inhumain de Gaza,
durant l’été 2006, à une époque où
l’accès aux services de santé était
particulièrement restreint. Je pense que
se sentir impuissant et désespéré est le
sentiment le plus mortel qu’un être
humain puisse avoir. Cela tue l’esprit
et cela brise le cœur. On peut lutter
contre l’occupation, mais on ne peut
lutter contre son sentiment
d’impuissance. C’est un sentiment qu’on
ne peut même pas éliminer. »
Le dégoût face à une obscénité composée
de culpabilité : il est en notre pouvoir
de mettre un terme à la souffrance et de
permettre aux Samidin
de profiter de l’existence de paix et de
dignité qu’ils méritent.
chomsky.info, 4 novembre 2012.
Traduction pour la Plateforme Charleroi
Palestine : JM Flémal.
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