Opinion
Crise syrienne
Soubassements politiques et énergétiques
Nedjma M. K.
© REUTERS/
Nour Fourat
Lundi 9 septembre 2013
Le conflit syrien prend des tournures de
plus en plus complexes. Quelques mois
après que les médias occidentaux ont
préparé le terrain pour que l'opinion
publique se familiarise avec l'idée
d'une éventuelle attaque aux armes
chimiques par le régime syrien sur son
propre peuple, nous y voilà comme
beaucoup d'analystes l'avaient prévu.
Par Nedjma M. K.
Or si nous prenions la peine de creuser
un peu, ou du moins de ne pas se
contenter de la version des médias, qui
ont grandement participé à la
fabrication mensongère des excuses
«justifiant» la guerre en Irak, on
verrait que cette histoire est infestée
de contradictions inouïes, et de preuves
corroborant facilement les thèses de ce
que certains qualifient de «conspirationnistes»,
de dangereux ou de ridicules
paranoïaques... selon les goûts.
Pour commencer, les attaques chimiques
ont eu lieu aux alentours de régions
contrôlées par les troupes d'Al-Assad,
nous pouvons donc nous étonner que ce
dernier puisse attaquer ses propres
troupes... cherchez la logique ! De
plus, les déclarations onusiennes,
notamment celle de la responsable
italienne Carla Del Ponte siégeant à la
commission d'enquête des nations unies
sur la Syrie vont dans le sens de la
thèse inverse. Et les indices dirigent
les soupçons onusiens vers les forces
rebelles.
Rappelons toutefois que cette
responsable a été procureur général du
TPI concernant l'ex-Yougoslavie ainsi
que le Rwanda, tribunaux crées par
l'occident pour punir les méchants
dictateurs vaincus.
Il est bon aussi de se rappeler
l'article paru dans le Figaro, le 23
juillet dernier, dans lequel on nous
faisait clairement un briefing de la
composition majoritaire de l'opposition
syrienne : un ramassis de mercenaires,
djihadistes, repris de justices et
autres hors la lois, ressortissants de
divers pays. Sans oublier bien sur
l'interview accordée au président syrien
par ce même journal, opportunité pour
lui d'exposer sa version des faits. Les
médias occidentaux ne cessent non
seulement de se contredire mais en plus
d'adopter des positions troubles. On
peut clairement ressentir la présence de
lobbies antagoniques dans les pays
bellicistes : les pro-va-t-en-guerre, et
les anti va-t-en-guerre. Phénomène
clairement visible au Royaume-Uni dont
le parlement a voté non à l'agression de
la Syrie par leur armée. Il semblerait
donc même que ceux qui sont contre une
agression du pays du Sham aient plus de
poids. En France la droite semble
majoritairement opposée à la guerre,
contrairement à la «gauche», à part
quelques députés PS.
Rappelons-nous que Saddam Hussein et
l'Irak n'ont pas eu droit à une telle
distribution de «cadeaux» médiatiques et
diplomatiques, et qu'un black-out total
des versions s'opposant à celle de
l'administration américaine s'est opéré
afin de convaincre les esprits de
l'atrocité sans borne du dirigeant
irakien, allant jusqu'à mener à sa
pendaison. Excepté la France de
Dominique de Villepin qui avait pris
position au conseil des Nations unies
contre une attaque du pays dont est issu
le premier code civil de l'histoire de
l'humanité. La Libye non plus n'a pas eu
cette chance, alors que son «dictateur»
était reçu en grandes pompes à peine
quelques mois auparavant à l'Elysée. Lui
aussi finit abattu de la façon la plus
cruelle, octroyant ainsi l'étiquette de
barbares patentés aux musulmans. Un pas
de plus dans le façonnement des esprits,
et l'association d'idées racistes et
islamophobes, était fait.
Les positions russes et chinoises jouent
pour beaucoup dans ce rapport de force
plus équilibré concernant la Syrie, mais
les choses sont plus complexes, et les
intérêts du capitalisme mondial se
heurtent de plus en plus les uns aux
autres, créant contradictions et
confusion dans les positions des
politiques. Cependant, un fait est là,
l'hégémonie américaine et le monde
unipolaire sont sur le déclin, même si
les puissances émergentes ne sont pas
toutes prêtes à assumer leur rôle
décisif sur la scène internationale. Il
s'en suit donc un débattement de la bête
à l'agonie qui risque de durer encore et
faire les peuples payer un lourd tribut
dans les zones à conflits
principalement.
Il serait donc bon d'essayer d'en savoir
plus. Concernant ces intérêts
économiques, il est évident que ce sont
les véritables motivations de tous les
conflits auxquels on veut attribuer des
vertus humanistes. Ce qui se fait avec
l'aval des populations occidentales,
conscientes au fond qu'il n'est question
que de la défense de leurs intérêts et
de leur mode de vie, et aucunement de la
sauvegarde de populations civiles
innocentes, pour lesquelles la majorité
d'entre eux éprouvent bien souvent un
profond mépris. Attitude qui procède des
séquelles du colonialisme, esclavagisme
et autres atrocités leur ayant permis de
fonder leur puissance économique.
Les dessous de la mise en scène
De cet angle, les choses se compliquent
considérablement, et sans doute même les
économistes les plus avertis se
heurteront à des questionnements
suscités par tout cet ésotérisme
politico-économique.
Nous savons l'existence de plusieurs
projets d'acheminements tubulaires des
énergies fossiles. Projets dont le
premier est à l'instigation russe. Le
projet North Stream établi par la
société Gazprom : Gazovaïa
Promychlennost, industrie gazière en
russe (qui exploite des installations
gazières au Royaume-Uni et en France,
mais surtout en Autriche, où il est
question de stockage qui alimenterait la
Slovénie, la Slovaquie, la Croatie, la
Hongrie, l'Italie et l'Allemagne) au
lendemain de la chute du bloc
soviétique, en 1990. Les russes ont
rapidement associé deux grands
partenaires allemands qui sont E.ON et
BASF. En 1993 la filiale Winttershall
Holding AG de BASF en partenariat avec
le russe Gazprom créent la société
Wingas Gmhb (Gmhb : équivalent allemand
de société à responsabilité limitée)
dont l'allemand détient 51% des parts,
les 49% restants revenant au russe
Gazprom.
Les possibilités de ce genre de
partenariats et accords économiques
russo-allemands privilégiés sont une
conséquence logique de la guerre froide.
Ainsi, l'un comme l'autre ont eu recours
aux relations et personnages politiques
qui existaient entre l’ex-URSS et
l’ex-RDA. Pour preuve, en mars 2006,
Gerhard Shroeder est nommé à la tête du
consortium chargé de construire les
gazoducs du projet North Stream, et
Gazprom Germania (qui détient des actifs
dans plus d'une vingtaine de projets au
Royaume-Uni, en Italie, en Turquie, en
Hongrie etc...) est fondée en
collaboration avec Hans-Joachim Gornig,
qui n'est rien moins que l'ancien
vice-président de la compagnie qui avait
élaboré les gazoducs de l'ancienne RDA.
Jusqu'en octobre 2011, Gazprom était
dirigée par Vladimir Kotenev, ancien
ambassadeur de Russie en Allemagne.
Ainsi, le projet North Stream est né, et
n'aura semble-t-il pas même besoin de
passer par la Biélorussie, se contentant
d'un passage par la mer Baltique et
rejoignant directement l'Allemagne. Tout
ceci peut nous éclairer sur les raisons
du refus allemand d'une intervention
militaire en Syrie. Ajoutons qu'en 2004,
Wingas Gmhb achète Saltfleetby Gasfield,
une société responsable du stockage de
gaz en Grande Bretagne, et qui
appartenait à l'australien Roc Oil.
Cette même Australie génocidaire des
aborigènes qui est très favorable à une
intervention militaire en Syrie.
Sans oublier que Wintershall Holding AG
possède 40% des parts de l'Austrian
Centrex Co, une entreprise autrichienne
responsable du stockage du gaz pour
Chypre, disputé par la Grèce et la
Turquie.
En réponse aux ambitions de contrôle
gazier des russes, les Etats-Unis et
l'Union européenne créent le projet
Nabucco (officiellement porté par les
trusts suivants : OMV pour l'Autriche,
MOL pour la Hongrie, Transgaz pour la
Roumanie, Bulgarian Energy Holding pour
la Bulgarie, Botas pour la Turquie, et
depuis récemment GDF Suez pour la
France) qui a pour prétention de relier
l'Iran aux pays européens en termes de
gazoducs. Par conséquent la Syrie
devient passage obligé pour le transport
du méthane. Sauf que Téhéran a signé des
accords avec Baghdad pour le transit de
son gaz, et avec Damas pour le transit
vers l'Europe et le stockage de son gaz,
coupant ainsi l'herbe sous les pieds
occidentaux.
Au début des années 2000, la société
norvégienne PGS réalise une étude des
eaux libanaises, étude rachetée par ENI
(Italie), Lukoil (Russie), BP
(Royaume-Uni), Statoil (Norvège), et
Shell (Royaume-Uni/Pays-Bas).
L'exploration est prévue pour 2013, et
l'exploitation pour 2020. De plus, le 16
août 2011, le ministère syrien du
Pétrole a annoncé la découverte d'un
puits de gaz à Qara, près de Homs. Cette
même ville où les rebelles «syriens» ont
perpétré de nombreux ravages. Bien des
désagréments pour le projet Nabucco,
auquel la Banque mondiale a consenti à
prêter 5 milliards de dollars en octobre
2010, selon The Economist.
L'enjeu russe
Entre-temps, la Russie se targue de
plus de succès pour son autre projet qui
a sensiblement le même trajet que
Nabucco, le South Stream. Ce dernier est
sensé relier les richesses venant du
détroit d'Ormuz (Iran, Qatar…), en
passant par la Syrie et la mer Noire (la
Turquie étant insuffisamment intégrée
dans le projet South Stream, ce qui
explique son acharnement à vouloir
soutenir le projet Nabucco). D'autant
que le projet américano-européen
comptait fortement sur le gaz
azerbaïdjanais pour remplir ses tubes,
mais le consortium exploitant les puits
du gisement de Shah Deniz a finalement
porté son choix, le 26 juin 2013, sur le
projet TAP (Transadriatic pipeline). Ce
projet est impulsé par les sociétés
norvégienne Statoil et suissesse Axpo à
hauteur de 42,5% des parts pour chacune,
et de l'allemand E.ON à 15% des parts.
Sans oublier le drôle de jeu qui s'est
tramé depuis un certain nombre d'années
: En 2008 la Turquie oppose son veto à
la participation de GDF Suez dans le
projet Nabucco sous prétexte de la
reconnaissance par la France du génocide
arménien, on voit donc l'entrée de
l'allemand RWE, filiale de E.ON, et
principal fournisseur d'électricité
d'Allemagne. Plus tard, le groupe
autrichien OMV rachète ses parts à
l'allemand qui se retire donc du projet,
et finalement, le 28/05/2013, Le Monde
nous annonce l'entrée de GDF Suez dans
celui-ci, OMV ayant annoncé avoir vendu
9% des parts du projet Nabucco-ouest au
géant français.
Bien d'autres tractations se produisent
certainement au même moment, et il est
étrange que l'on ne rencontre pas une
seule fois le nom d'une quelconque
compagnie américaine dans ces différents
projets, et étrange aussi est la bien
timide implication des géants français
de l'industrie hydrocarbure, notons
notamment l'absence de Total dans ces
affaires. Tout ceci peut nous laisser
croire qu'il est toutefois question, par
une intervention militaire en Syrie, non
seulement de fragiliser le régime de
Damas, afin de privilégier des accords
favorables aux américains et aux
français (les grands bellicistes de
cette histoire), mais d'abord d'empêcher
son projet Ducstan d'aboutir, en
détruisant les infrastructures
nécessaires à l'extraction, au stockage
et au transit des énergies fossiles. Une
conclusion d'élargissement s'impose ici,
avec la découverte du dernier grand
gisement de la planète, et qui est
africain, situé dans la vallée du Grand
Rift, et qui nous laisse augurer du pire
des présages pour ce qui est de
l'Algérie qui risque de se trouver sur
le chemin de futures projets gazier et
pétrolier et de la mettre en plein cœur
de conflits aussi sérieux que ce que
subit la Syrie aujourd'hui.
N. M. K.
Publié sur
Les Débats
Dossier Syrie
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