Opinion
Blasphème et
blasphème
Nazim
Rochd
© Rahul Talukder /
AP
Samedi 11 mai 2013
A Dacca, au
Bangladesh, 200 000 personnes sont
sorties manifester le dimanche 5 mai,
dans un immense brouhaha, paralysant une
bonne partie de la ville. Quelques jours
auparavant, le 24 avril, il y avait eu
l’effondrement d’un immeuble abritant
des ateliers textiles qui a fait un
millier de morts parmi les ouvriers,
pour un premier bilan. Nous aurions pu
conclure, sans hésiter, que les deux
événements sont liés et que la
manifestation a été naturellement
produite par une vague de colère, contre
les criminelles conditions de travail
infligées aux travailleurs. Très
violente, elle a fait au moins 37 morts,
un poste de police, des véhicules et des
magasins ont été incendiés. Cela peut
paraître surréaliste, mais son moteur
n’avait rien à voir avec le sort des
victimes du mépris patronal, qui sont
royalement ignorées, contre toute
attente. La foule a envahi la rue, à
l’appel du Allama Shah Ahmad Shahi, pour
réclamer notamment une nouvelle loi sur
le blasphème, pour que «les athées
soient pendus» et pour la fin de la
mixité entre hommes et femmes. Des
préoccupations, à tous points de vue,
bien plus importantes pour Hefazat-e-Islam,
l’organisation concernée. Les patrons
Bengalais peuvent être tranquilles et
leurs clients occidentaux de même. Les
affaires peuvent continuer à l’abri du
bruit religieux qui couvre les râles des
enfants soumis à une exploitation
inhumaine, au milieu des produits
toxiques interdits par la réglementation
internationale, durant plus de 14 heures
par jour, pour quelques dollars par
mois, sans jours de congé, sans sécurité
sociale et sans même un simple contrat
de travail. Ce blasphème à l’encontre de
l’humanité, contre la vie et contre la
dignité, n’est pas à l’ordre du jour des
fatwas et ne le sa probablement jamais.
Allama Shah Ahmad Shahi et Hefazat-e-Islam
ne pouvaient pas ne pas mesurer
l’ampleur de la tragédie qui a frappé
leurs concitoyens. Mais, ils n’ont de
toute évidence pas été sensibles à
l’ambiance macabre et à l’émotion qui a
envahi la ville. Sinon, avec leur
capacité de mobilisation, ils auraient
pu lourdement peser en faveur d’une
remise en cause de l’esclavage
institutionnalisé, du moins introduire,
dans leur plate-forme de revendications,
un point qui concernerait la barbarie
qui règne sur le marché du travail.
Alors nous en venons à renforcer notre
compréhension de l’apparent paradoxe qui
fait que les pays de l’OTAN préfèrent
des gouvernements islamistes pour les
«indigènes» quand, dans le même temps,
ils développent l’islamophobie chez eux.
Youssef al-Qardaoui, le muphti de
l’alliance atlantique, n’est décidemment
pas une exception isolée. Il n’est que
la tête de proue d’une entreprise, qui
provoque des questionnements chez
certains «démocrates», du fait de
l’incompatibilité, communément admise,
entre le discours de Washington et de
ses satellites et les alliances avec la
Confrérie des Frères musulmans et le
Wahhabisme. Tout est cohérent, pour qui
sait voir. Le Hamas palestinien s’engage
contre la Syrie aux côtés de l’OTAN, par
Qatar, où son chef jouit d’un exil doré,
et Al Saoud interposés, au nom de ce
«printemps» dont rêve désormais tout
Frère en mal de pouvoir. A l’instar de
notre MSP national qui s’est découvert
une vocation d’opposant.
N. R.
Publié sur
Le Jour d'Algérie
Le
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