Opinion
Crise syrienne :
Tous éprouvent le besoin de se rendre en
Arabie saoudite !
Nasser Kandil
Jeudi 8 novembre
2012
Présenter
Monsieur Nasser Kandil n’est pas chose
aisée tellement son expérience semble
riche en combats, activités,
engagements, et publications hautement
appréciées par les lecteurs et auditeurs
arabophones d’ici ou d’ailleurs. Alors,
nous nous contenterons de dire qu’il est
libanais, ancien député et Directeur de
la chaîne
TopNews.
Le 5 Novembre il a répondu à
l’invitation de la chaîne libanaise
Al-Manar
et s'est exprimé sur les situations
libanaise et syrienne; situations
interdépendantes depuis des siècles et
qui vraisemblablement le resteront,
quelles que soient les déclarations de
certaines petites ou grandes puissances
prétendant protéger l’un des deux pays
en agressant l’autre ! [NdT].
Q. Que pensez-vous de la situation
politique au Liban et de la visite du
président français François Hollande ?
R. Avant de rentrer dans une analyse
détaillée de la situation, la lecture
des données internationales et
régionales de la guerre menée contre la
Syrie, par l’Arabie saoudite, les USA,
le Qatar, la France, la Grande Bretagne,
etc., impose une première déduction qui
est, à l’évidence, que le Liban est le
« flanc mou » extrêmement sensible et
délicat de cette guerre et qu’il est
interdit d’y jouer sans un maximum de
précautions. Il est clair que le
président français est venu dans la
région pour délivrer ce message. Il
n’est certes pas particulièrement
amoureux du groupe du « 8 mars »
[pro-syrien et majorité gouvernementale,
NdT] et, s’il pouvait choisir entre MM.
Mikati, Hariri et Siniora, sans
compromettre les résultats escomptés par
le bloc coalisé « USA-Occident-Alliés
régionaux », il ne choisirait pas M.
Mikati !
Par conséquent, le choix du président
Hollande indique que les coalisés contre
la Syrie sont aujourd’hui convaincus que
si la boîte de Pandore libanaise
laissait échapper ses serpents, nul ne
saurait comment les contenir et éviter
que le Liban ne devienne la mèche
incandescente et le coup de tonnerre qui
ferait exploser la région, beaucoup plus
vite que ne le ferait la « crise
syrienne ».
Q. L’Arabie saoudite partagerait donc
cette optique, bien que plusieurs
rapports indiquent qu’en ce qui concerne
l’arène libanaise son point de vue
serait différent de celui des
Européens ? Quant à ces derniers,
auraient-ils modifié leur position à
l’égard du Liban après avoir travaillé à
le compromettre ? De plus, étant donné
les remarques de certains disant qu’il
est rare qu’une personnalité étrangère
de ce rang visite le Liban sans
rencontrer les « trois présidents »,
pour quelle raison le président français
s’est-il contenté de rencontrer le
président de la République Michel
Sleiman, à l’exclusion des présidents
Berri et Mikati [respectivement
président du Parlement libanais et
président du Conseil des ministres, NdT]
?
R. Ceux qui disent cela font semblant
d’ignorer que c’est la première fois
qu’un visiteur étranger de ce rang ne
rencontre aucune personnalité du
« Mouvement du 14 Mars » [anti-syrien et
dans l’opposition, NdT]. D’autant plus
que jusqu’ici, les rencontres avec MM.
Berri et Mikati, ou l’un de ses
prédécesseurs, n’étaient qu’une sorte de
laisser passer servant à justifier
celles prévues avec les « 14 marsistes ».
Autrement dit, ce qui se disait
publiquement en présence de MM. Berri,
Mikati ou équivalent était, en quelque
sorte, destiné à éviter les critiques
pendant que les véritables pourparlers
se passaient en coulisse avec les
dirigeants du « 14 Mars ». De plus, si
le président Hollande avait dû
rencontrer MM. Berri et Mikati au palais
présidentiel, le protocole aurait exigé
la présence de MM. Gemayel et Siniora…
Dans ce cas, il est probable que
M. Hollande aurait eu à se dépêtrer
d’une situation où il n’avait rien à
offrir avant de rencontrer les
dirigeants saoudiens !
Ceci dit, ce qu’il faudrait plutôt
souligner c’est tout le remue ménage
auquel nous assistons… toutes ces
visites symboliques qui n’ont rien à
voir avec la situation politique du
moment. Voilà que, tout à coup, tous
éprouvent le besoin de se rendre en
Arabie saoudite : là où se trouve la
monnaie sonnante et trébuchante ! Hier
même, Hollande a déclaré qu’il y
retournerait début 2013 accompagné des
représentants de plusieurs sociétés
françaises. La presse anglaise rapporte
que Cameron doit s’y rendre aussi pour
vendre ses avions de combat Eurofighter-Typhoon,
après une rapide visite aux Émirats
Arabes Unis. Donc, Cameron fait un
détour par les Émirats pour marquer sa
part du butin, Hollande fait un détour
par le Liban pour marquer la sienne. En
clair, nous sommes aux premières loges
pour assister à l’esquisse de la
dernière « nouvelle carte » souhaitée
pour la région !
Il est vrai que depuis bientôt une
année, l’Occident, les Pays du Golfe et
la Turquie étaient bien partis pour
faire exploser le Liban. M. Oglou nous a
rendu visite, suivi de M. Feltman et de
bien d’autres… Nul n’a manqué à la liste
des visiteurs pour dire et répéter :
« Allons, cette guerre est celle de
toute la région, celle de nous tous, le
Liban est destiné à y jouer un rôle de
premier ordre, il n’est pas concevable
que vous restiez à l’écart ! ». Ils sont
allés jusqu’à exercer des pressions sur
le député Walid Joumblat pour qu’il se
prononce au-delà des limites exigées par
la situation politique. Souvenez-vous,
il était même question d’accueillir les
dirigeants de l’opposition syrienne du
« Conseil d’Istanbul » au Liban… Tout a
été fait et tout a été épuisé pour
exploiter le Liban dans cette guerre
contre la Syrie : trafic d’armes, de
combattants et de djihadistes ;
installation de bases pour les
salafistes dans le Nord et dans le
Bekaa ; tribunes et propagandes
médiatiques sans précédent ; zizanies
entre les différents partis politiques ;
menaces de guerre ; et pour couronner le
tout, implication de la Turquie à la
manière d’un nouveau Pakistan avec la
Syrie comme nouvel Afghanistan ! Mais
cette période d’escalade dans la
déstabilisation et la violence est
maintenant dépassée.
Nous sommes désormais dans l’avant
dernière étape préparant la nouvelle
donne. Car, si la coalition « atlanto-turco-golfiste »
s’était dirigée vers une victoire en
Syrie, elle aurait remis ses
arrangements concernant les zones
d’influence des uns et des autres à plus
tard pour profiter de son succès, même
strictement politique, et se partager le
butin dans les pays limitrophes ou
l’ensemble des pays concernés et
déstabilisés par le conflit. Il est donc
clair, et je m’appuie sur des
informations, que le monde occidental
mené par les États-Unis a trouvé un
terrain d’entente sur une nouvelle
équation. Elle se résume à dire que le
retrait d’Afghanistan étant programmé
pour 2014, l’année 2014 sera celle de la
concrétisation des
ententes,
et l’année 2013 sera celle de la
politique.
Q. Selon vous, l’année 2013 sera celle
de la politique ou du règlement
définitif?
R. L’année 2013 sera celle de la
politique dans le sens où faire tomber
le régime syrien à la manière, désormais
traditionnelle, de la Libye ou de la
Tunisie et de l’Égypte est caduque. Il
en est de même du procédé yéménite
enterré par M. Oglou en personne.
C’est
le terrain qui décidera si le règlement
se fera en faveur ou contre la Syrie, et
il est évident que les négociations
politiques n’empêcheront pas toutes
sortes d’opérations militaires et
l’escalade dans les agressions contre la
Syrie. Est-ce qu’ils décideront de
l’attaquer sur tous les fronts ou bien
de l’encercler pour en obtenir davantage
sur la table des négociations ? Ce qui
est certain est que, mise à part
l’Arabie Saoudite, ils en sont tous
arrivés à la décision qu’une guerre
contre la Syrie les mettrait dans une
situation pire que celle qui est la leur
aujourd’hui. C’est pour cette raison
qu’ils gonflent au maximum les opposants
syriens en leur promettant toutes les
armes nécessaires au cas où ils
réussiraient à s’unir !
Mais, il est clair qu’actuellement la
balance penche en faveur de la Syrie
militairement et politiquement. La
preuve en est une déclaration importante
de M. Sergueï Lavrov
publiée
ce matin par le quotidien égyptien
« Al-Ahram ». Il a fait savoir que la
Russie avait fini de livrer à la Syrie
des armes portant sur des moyens de
défense contre une menace extérieure en
application de contrats anciens. Nous
savons qu’il s’agit, entre autres, des
fameux S-300 qui avaient soulevé
l’indignation des USA et
d’Israël. Ce qui signifie que
s’il y a un an on se contentait de dire
que la Syrie pouvait déclencher une
guerre régionale qui menacerait la
sécurité d’Israël, aujourd’hui on se dit
qu’en cas de guerre contre la Syrie
c’est l’OTAN qui pourrait perdre des
centaines d’avions de combat !
Q. Plus personne ne parle d’intervention
militaire de l’OTAN en Syrie, mais le
camp adverse ne manque pas
d’alternatives. Tout le monde sait qu’il
est question de fournir des armes
anti-aériennes aux rebelles. Hier à
Doha, où des représentants de
l’opposition syrienne préparent la
rencontre du Jeudi 8 Novembre censée les
unifier au sein d’un gouvernement
provisoire, l’opposant Riad Seif qui est
proche des autorités américaines a fait
une déclaration qui va dans ce sens…
R. Certes, mais avec l’exigence des USA
que ces opposants arrivent à nettoyer
les régions, considérées comme
conquises, de tous les djihadistes qui
les encombrent ! C’est là une exigence
de notoriété publique, publiée par
l’ensemble de la presse occidentale et
clairement explicitée par Me Hilary
Clinton avouant qu’il est impossible
d’envoyer des armes vers l’inconnu. […]
tandis que sur la BBC Georges Sabra,
figure chrétienne du « Conseil
d’Istanbul »,
avoue
que le noyau dur de ceux qui combattent
le « régime » syrien sont des
djihadistes […].
J’en déduis que tout ce qu’ils font pour
tenter d’unifier l’opposition
anti-gouvernementale, à Doha ou
ailleurs, n’est pas là pour faire tomber
le régime, mais pour se préparer à aller
aux négociations en position de force et
autant que faire se peut ! D’où les
escalades verbales, les promesses
d’armement…
Q. M. Lavrov s’est d’ailleurs prononcé
là-dessus au Caire. C’est bien ce qu’il
a dit ?
R. M. Lavrov a déclaré en substance que
si les pays de l’axe anti-syrien
persistaient à pousser aux extrêmes, à
torpiller toute solution politique, à
armer l’opposition… ils finiraient par
faire exploser la région, car la guerre
ne restera pas
confinée à
la frontière syrienne.
Ce qu’il faut comprendre de l’ensemble
de ses déclarations est que si la Syrie
entre dans un conflit ouvert, le
deuxième pays qui aura à en pâtir sera
la Turquie où la situation pourrait
exploser à tout moment.
Et M. Brahimi est allé encore
plus loin en estimant que d’autres pays
proches et plus lointains en subiraient
les néfastes conséquences.
Tout ce qui précède indique que l’année
prochaine sera autant marquée par les
tractations politiques, les opérations
militaires et les négociations. Pour ne
parler que de L’Iran, rappelez-vous
qu’en Août dernier les discussions
étaient déclarées closes, M. Obama ayant
prévenu que la table des négociations ne
serait pas éternellement dressée. Mais
voilà qu’il y a 2 jours,
l’administration américaine annonce la
reprise des négociations à [5+1] alors
qu’elle avait formellement démenti, deux
à trois semaines plus tôt, l’existence
d’un accord sur des négociations
bilatérales concernant le nucléaire
iranien. Démenti compréhensible,
lorsqu’on imagine l’impact d’un tel
accord sur les alliés des USA qui ont
suivi aveuglément l’intransigeance
américaine. D’ailleurs si M.
Jeffrey Feltman a été nommé
Secrétaire général adjoint aux
affaires politiques à l’ONU, ce n’est
certainement pas pour assister le
formidable cerveau stratégique qu’est
Ban Ki-moon, mais plutôt parce que les
USA ont besoin de la couverture de cette
instance pour agir. C’est M. Feltman qui
devra négocier en leur nom avec l’Iran.
C’est lui qui devra négocier en leur nom
pour la Syrie… Bref, l’année prochaine
sera marquée par des négociations sur et
sous la table, selon les exigences
concrètes imposées par les
circonstances !
Q. Où en est le Liban dans tout cela ?
Comment voyez vous
sa situation face
à un Occident qui persiste à
l’utiliser pour aller plus loin dans
l’escalade militaire contre la Syrie,
tout en cherchant à négocier et à
vouloir le protéger des retombées
négatives du conflit ?
R. Tant que l’axe anti-syrien a cherché
à envenimer la situation en Syrie pour
la forcer à plier, il a utilisé le
Liban. Mais il se trouve que tous les
moyens déstabilisateurs qu’il a
accumulés, dans sa guerre non
déclarée
contre la Syrie, n’ont pas
empêché sa ligne directrice d’aller en
s’infléchissant. Par conséquent, il est
désormais évident qu’il fait ce qu’il
peut et non ce qu’il veut en tentant de
contenir
les pertes qu’il subirait au
Liban, en cas de victoire syrienne.
Notamment, en évitant que les forces
libanaises favorables à la Syrie n’en
tirent bénéfice en cas d’une nouvelle
équation interne au Liban. […]
Si nous considérons les conséquences des
violences, du comportement des « 14
marsistes » et même de l’assassinat du
Général Wissam al-Hassan, nous pouvons
dire que nous assistons à la « fin
politique » du Mouvement du 14 Mars.
Certes, il survivra en tant que parti
pour de multiples raisons de
représentativité locale. Mais il a perdu
sa dynamique, puisqu’il s’est mis en
situation de devoir remporter une
victoire contre la Syrie pour survivre.
Il avait besoin de ce crédit qui aurait
été équivalent à celui gagné par le
Hezbollah suite à sa victoire sur Israël
en 2006. Au lieu de cela, il n’a fait
que pousser ses partisans sunnites dans
les bras des salafistes, tandis que ses
partisans chrétiens se retrouvent plus
confiants au coté du Patriarche Al-Raï,
à défaut de se rallier au Général Michel
Aoun.
Pendant ce temps l’Arabie saoudite, qui
dit ne pas souhaiter voir « le vide »
s’installer au Liban, s’entête à
faire pression sur le député Walid
Joumblat pour le pousser à démissionner
du gouvernement, espérant ainsi
atteindre ses objectifs premiers
partagés avec les USA, la France, le
Qatar… À mon avis, il ne le fera pas
maintenant qu’il a déclaré que le
Président syrien ne sera pas renversé de
sitôt, et qu’il a compris que tel est le
but de la manœuvre de la part de ceux
qui voudraient l’utiliser pour
réussir là où ils ont échoué.
Q. Qu’en est-il de la situation
militaire en Syrie ?
R. Le Président syrien s’est préparé
économiquement et militairement à cinq
années de guerre ! Actuellement la force
militaire mobile de l’Armée syrienne qui
se bat sur tous les fronts est
constituée de 100 000 soldats, ce qui
signifie que les trois quarts des forces
n’ont pas bougé ni en hommes, ni en
matériels. Les 100 000 soldats engagés
dans le combat font face à environ
250 000 combattants armés, dont 70 000
sont entrés en Syrie par la frontière
turque, 17 000 sont entrés par la
frontière libanaise, 30 000 sont entrés
par la frontière jordanienne, 94 000
sont des fugitifs de la justice
syrienne, 8000 sont des déserteurs de
l’Armée syrienne, 12 000 sont des
militants de l’opposition armée
syrienne. Au total 120 000 ne sont pas
syriens, et il existe 56 organisations
et 160 groupes différents qui n’ont rien
à voir ni avec le « Conseil
d’Istanbul », ni avec le groupe qui
tente de s’unifier à Doha !
Par ailleurs, le financement de toutes
ces mouvances armées est surtout assuré
par des moyens extra-gouvernementaux
provenant essentiellement de quêtes dans
les mosquées wahhabites, auprès d’hommes
et de cheiks
fortunés du même bord, avec
évidemment l’approbation de leur
gouvernement ; les différents conseils
de la révolution assurant à peine 10 %
du financement total. De toute façon et
au point où nous en sommes, si demain
l’Émir qatari donnait l’ordre
d’interdire ces donations, il serait
accusé de « lâcher la révolution ». Le
roi de Jordanie a bien essayé de
concentrer les sommes destinées aux
soi-disant révolutionnaires entre les
mains de son gouvernement, mais il a
vite fait de se raviser !
Permettez-moi une parenthèse à
l’intention de ceux qui disent qu’il
suffirait d’unifier l’opposition pour
tout régler. En réalité, seule l’Armée
syrienne est capable d’en finir au plus
vite avec les djihadistes sévissant en
Syrie. Il faudrait pour cela que Bachar
Al-Assad accepte de sacrifier un
demi-million de personnes, ce qu’il ne
fera pas !
[…]
Nasser Kandil
05 /11/2012
Article transcrit partiellement et
traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Texte original : Émission Al-Hadath de
1’08 / Al-Manar TV [vidéo]
ناصر قنديل في مقابلة على قناة المنار
5/11
2012
http://www.youtube.com/watch?v=XZPdzqk3SVk
Nasser Kandil
est libanais, ancien Député et Directeur
de TopNews-nasser-kandil
Le
dossier Syrie
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