Analyse
Le peuple syrien fait face à une guerre
impérialiste
Nadia Khost
Manifestation
contre l’intervention étrangère à Damas
Lundi 7 mai 2012
Questions
douloureuses
Les Syriens
comprennent que la destruction de
l’infrastructure, le pillage des
hôpitaux, l’incendie des usines, des
écoles, et des établissements publics,
l’explosion des pipelines, et des
pylônes électriques, tendent, à l’instar
des sanctions économiques arabes et
occidentales, à rendre leur vie plus
pénible !
Ils comprennent que
l’appui politique, financier et
militaire apporté aux gangs armés par
les pays du Golfe et occidentaux,
extirpe les miséreux de leur misère
sociale (en donnant de l’argent et des
armes). Et donne libre cours aux
spéculations que les lois, et la
suprématie de l’État, réfrènent.
C’est ainsi
qu’apparaissent des gangs qui kidnappent
et demandent des rançons ; et des
spéculateurs commerçants peu scrupuleux
qui font grimper les prix !
Les Syriens
comprennent tout cela. Car le projet
politique impérialiste sioniste est de
déstructurer la société et de démanteler
le pays en émirats confessionnels, pour
qu’Israël devienne la seule force dans
ce qui est une région stratégique.
Mais ce que
n’arrivent pas à comprendre les Syriens,
c’est la sauvagerie des gangs armés,
l’horreur des mutilations, des
découpages de cadavres auxquels ils se
livrent : un jeune homme attaché à une
voiture et traîné dans la banlieue de
Damas, jusqu’à la mort ; une jeune fille
pendue pour avoir témoigné à la
télévision en disant que les gangs tuent
des innocents ; des chambres de torture
munies de crochets comme ceux
qu’utilisent les bouchers pour accrocher
les moutons égorgés ; des bourreaux
inscrivant sur les murs
« la brigade libyenne Khaled Bin el
Walid est passée par là ! » Une
famille entière égorgée, à l’exception
des deux petits derniers qui, de leur
cachette, ont assisté au carnage ; ces
deux petits orphelins ont raconté en
pleurant que les hommes armés ont brûlé
les cadavres de leurs parents.
Les tueurs
racontent, comme on conte une histoire
banale, qu’ils violent les femmes avant
de les tuer, et filment ces horreurs
pour les diffuser ensuite sur la chaine
Al-Jazeera.
Ces scènes
sanglantes, étalées devant nos yeux par
centaines, suscitent des questions
brûlantes
Comment ces
sauvages sont-ils soudainement apparus
dans la société syrienne qui a été
élevée dans la bonté et les mots d’amour
des poèmes de Nizar Qabbani ? Comment
n’avons nous pas vu le Wahhabisme
sauvage arriver et prendre la place de
la bonté de et la miséricorde ?
Pourquoi avons-nous
imaginé que les escadrons de la mort –
qui ont sévi en Amérique Latine et en
Algérie - faisaient partie d’une époque
révolue ?
Mais les vrais
criminels ne sont-ils pas ces
politiciens occidentaux qui qualifient
ces gangs de «
révolutionnaires », et les
soutiennent publiquement avec leur
réseau de communication (Clinton) ; ou
concoctent des réunions au Conseil de
sécurité sous l’article 7, (Juppé) ; ou
leur offrent des sanctuaires aux
frontières et l’appui des services
français, états-uniens, britanniques et
israéliens. Les régimes despotiques du
Golfe qui financent les gangs et
achètent les armes ne sont-ils pas
responsables ?
Les médias
occidentaux qui passent sous silence les
témoignages des blessés rescapés des
carnages et le rapport des observateurs
arabes, ces médias qui participent au
mensonge dans la guerre d’invasion
sioniste contre le peuple syrien, ne
sont-ils pas eux aussi responsables ?
Le 28 avril,
l’armée libanaise a arrêté un navire
chargé de 140 tonnes d’armes, en
provenance de Libye et à destination de
groupes armés syriens. Le navire a
navigué sous le regard de la FINUL et
des Israéliens dans une zone sous
protection occidentale et
internationale. Cette violation du plan
de Kofi Annan a-t-elle été condamnée ?
Et cette intervention de la Libye
exportant des armes à destination des
gangs d’Al-Qaida a-t-elle été condamnée
?
Le 27 avril encore,
un terroriste s’est fait exploser à la
sortie des fidèles de la mosquée dans le
quartier Midane, à Damas. Al-Qaida a
revendiqué l’attentat. Dans la même
semaine, deux terroristes se sont fait
exploser à Idleb, détruisant des
immeubles d’habitation. Les gangs ont
kidnappé onze chercheurs scientifiques
et ont tué un médecin ; ils ont attaqué
aux roquettes RPG la banque centrale
syrienne et assassiné un candidat aux
élections parlementaires à Idleb ; puis
un autre à Deraa. Est-ce que les
dirigeants occidentaux, ou leurs médias,
ont condamné les attaques visant des
habitations et une institution civile
économique, des compétences
scientifiques et des candidats aux
élections législatives ?
En méditant sur la
destruction de Homs, on découvre les
traces d’une vraie guerre. On découvre
que le quartier de Baba Amr, l’émirat
islamique que Bernard-Henri Lévy a
présenté comme le berceau de la
révolution, est en fait un bastion de
gangs, avec des prisons, des centres de
torture et de terreur et, le long des
rues que les gangs avaient conquises,
des barricades militaires, des maisons
vidées de leurs habitants et dont les
murs intérieurs ont été démolis par les
gangs pour faciliter leur passage d’un
appartement à l’autre.
En dépit de cela,
les médias menteurs, et les dirigeants
impérialistes, qualifient les criminels
de « révolutionnaires »
et d’« armée libre »
!Aux Nations Unies on n’évoque jamais
Israël, qui a commis les massacres de
Qana, de Jenin et de Gaza, et qui
emprisonne des milliers de Palestiniens,
mais on évoque la Syrie qui soutient la
résistance arabe à Israël. La
« communauté
internationale » est furieuse de
n’avoir pas réussi à rééditer le drame
libyen en Syrie ; elle se rabat sur les
charges explosives, les voitures piégées
et les assassinats quotidiens.
Sur le plan local,
la Syrie doit faire face au poids
infligé par la destruction des
infrastructures et les séquelles de
l’embargo économique. Les communes
recensent les dégâts subis pour
dédommager les habitants. Mais peut-on
évaluer les dégâts que représentent des
milliers d’orphelins, de veuves, et de
mutilés ? Comment mesurer la douleur de
notre âme dans une société connue pour
son tact et sa gentillesse, son
raffinement et son dégoût de la
brutalité ? Traditionnellement basée sur
la miséricorde, elle a été surprise par
la sauvagerie wahhabite.
Une question nous
assaille : comment avons-nous pu
partager avec ces sauvages notre air et
notre eau ? Et comment la vigilance des
services officiels, et des partis ne les
a-t-elle pas détectés ? Ces questions
ensanglanteront nos cœurs pour
longtemps…
Il y a une autre
douleur. Une douleur politique.
De Syrie, depuis la
seconde moitié du siècle dernier, un
chant : « Pays arabes, ma patrie » s’est
répandu dans les pays arabes. La Syrie a
inspiré les résistants arabes. La Syrie
a loyalement honoré ses devoirs liés à
sa position géopolitique : elle a
accueilli un demi-million de réfugiés
palestiniens qu’Israël a chassés. Un
million et demi d’Irakiens s’y sont
réfugiés lors de l’invasion
états-unienne. Et des milliers de
Libanais s’y sont réfugiés lors de
l’invasion israélienne au Liban (en
2006). La Syrie leur a accordé les mêmes
droits au travail, à l’assurance
maladie, à l’éducation et au logement
qu’à ses propres citoyens. Et voici que
des institutions officielles arabes
conspirent avec Israël et les États-Unis
contre la Syrie ; que des bandes arabes
et islamistes armées s’infiltrent depuis
les pays arabes voisins et se livrent au
meurtre des Syriens. Et que la Ligue
Arabe est utilisée pour réaliser le
projet occidentalo-sioniste en Syrie !
Le néo-libéralisme
Les crises arrivent
lorsque les relations économiques et
sociales heurtent les besoins et les
aspirations humaines et nécessitent
alors d’être changées. Après la chute de
l’Union Soviétique, une période
historique mondiale étant révolue, les
Syriens ont compris qu’ils perdaient un
appui important. Et les changements
politiques et économiques sont apparus
comme une évidence. Malgré cela, la
Syrie a su garder ses acquis culturels
et économiques : le secteur public, et
le rôle de l’État dans le commerce
extérieur et la planification
économique, la culture pour tous, la
gratuité de l’enseignement, les magasins
d’État, le soutien des produits de base,
la place des syndicats ouvriers et
agricoles dans les décisions économiques
et politiques. Le plan de
« sécurité alimentaire »
a été maintenu, et des millions
d’oliviers ont été plantés dans le nord.
La Syrie a sagement traversé la période
de l’effondrement du bloc socialiste, et
n’a pas rejoint le marché capitaliste
occidental.
Mais la corruption
a gagné le secteur public. Et il a paru
à la classe compradore locale et à
l’Occident, qu’ils pouvaient changer la
structure économique syrienne et la
politique extérieure syrienne. Les pays
européens ont fait croire à la Syrie
qu’ils étaient prêts à participer à la
modernisation de son économie et de sa
structure administrative. Nous avons
alors vécu une période dite
« d’expansion européenne
». Un institut pour former des
administrateurs à diriger nos
institutions à la manière occidentale a
été créé, et un projet incluant la Syrie
dans le marché commun européen a été
préparé. Et Madame Ashton, qui
aujourd’hui menace la Syrie, était alors
souriante et satisfaite de sa visite à
Damas.
La
« fetoue » [1]
a été supprimée, qui sous-entendait une
militarisation des élèves ; et sont
apparues les ONG. Le secteur public a
été prié de s’en aller.
La classe
ascendante ne s’est pas souvenue du
projet de Khaled El Azem, représentant
de la bourgeoisie nationale dans les
années cinquante du siècle dernier,
d’instaurer un immense secteur public
avec l’aide de l’URSS. Et les médias
syriens ont ignoré, lors de sa visite en
Syrie en août 2006, le discours d’Hugo
Chavez sur la nationalisation des
grandes sociétés. [2]
Les relations
politiques et économiques ne convenaient
plus à la classe compradore influente
politiquement et issue de la corruption.
Les réformes étaient devenues une
nécessité, mais dans quel sens ? Et
dirigées par qui ? La réforme de
l’enseignement dans le sens de la
dynamisation des universités et des
écoles ? Ou la création d’universités et
d’écoles privées enseignant en anglais ?
Épurer le secteur public des corrompus
et de l’engluement administratif, ou
céder ? Au secteur privé le rôle de
l’État dans la gestion économique, et la
suppression du soutien des produits de
base ?
Dans les réunions
hebdomadaires du mardi économique, les
économistes ont critiqué la
libéralisation de l’économie, le
délaissement du secteur public, et la
prépondérance accordée aux services et
au tourisme sur la production agricole
et industrielle. Le ministre du
tourisme, qui représentait alors le
néo-libéralisme, avait même planifié
l’exploitation des lieux archéologiques,
et avait exproprié les vergers de
l’entrée historique de Damas ; pour
réaliser des projets hôteliers
internationaux, il avait aussi mis la
main sur le littoral syrien. Le
gouverneur de Homs avait, lui, planifié
la construction de terrains de golf,
d’une cité diplomatique, et de
gratte-ciels Qataris, comme s’il
préparait Homs à devenir un émirat
indépendant, ignorant tout évidemment
des tunnels creusés sous terre préparant
l’arrivée des bandes armées ! Il ne lui
a pas été demandé des comptes pour avoir
construit une place inspirée de la place
de l’holocauste à Berlin.
Les syndicats
ouvriers s’étaient à l’époque opposés à
ce courant. Ils se sont notamment
opposés à la location des ports de
Tartous et de Lattaquié à des sociétés
étrangères. Au cours de cette période,
l’homme d’affaires a pris le pas sur
l’intellectuel, et les «
libéraux » ont transformé l’économie
de production agricole et industrielle
en économie immobilière touristique. La
culture de l’exploitation a envahi la
vie publique. Les rues se sont couvertes
de panneaux publicitaires faisant la
promotion de marques de voitures ou de
marques de vêtements importés. Les
devantures des magasins ont vu fleurir
les présentations en lettres latines ;
et les T-shirts aussi, alors même que
les lettres arabes se prêtent mieux à la
calligraphie. La pauvreté s’est
répandue, la classe moyenne s’est
effondrée. Les dirigeants politiques
n’ont pas remarqué - car ils ne se
déplacent qu’en voiture - que la zone de
départ des transports vers la banlieue
dévoilait une pauvreté sans précédent en
Syrie. Et que l’extérieur pouvait tirer
profit de cette paupérisation et du
ras-le-bol. Est-ce que l’emprise du
pouvoir a donné l’illusion que
l’expropriation des terres agricoles
pour des constructions résidentielles
privées, ou des complexes que l’État a
prévus pour ses employés, serait sans
conséquences politiques ? Comment
ont-ils pu oublier que la corruption,
les erreurs et la mauvaise gestion
portent des fruits politiques ? Et que
l’injustice est une braise qui allume
l’incendie si un vent mortifère l’attise
!
Au sujet de la
réforme économique le Dr Mounir Al
Hamash [3]
a écrit que deux courants sont apparus.
« Le premier courant
veut redonner le premier rôle à l’État
dans la croissance et la réforme du
secteur public et garantir
l’indépendance des décisions
économiques. Le second courant veut
favoriser l’économie libre de marché et
l’emprise du secteur privé dans la
direction de l’économie. Ce qui s’est
passé a été l’application des politiques
économiques, financières et
commerciales, libérales, qui
s’inscrivent dans les plans des
institutions mondiales : le Fond
monétaire international (FMI), la Banque
mondiale, l’Organisation mondiale du
commerce. (…) La libéralisation du
commerce intérieur et extérieur et
l’installation de banques privées ont
provoqué des changements sociaux et
économiques radicaux. Ces politiques ont
conduit à affaiblir le pouvoir juridique
de l’État, et à développer un climat de
corruption. (…) La direction économique
a œuvré en toute connaissance de cause
et elle a réussi à réaliser le
changement des cadres économiques en
Syrie vers une économie plus ouverte,
plus compétitive et plus impliquée dans
l’économie mondiale (…) avec de grands
changements dans le rôle de l’État. La
preuve de la réussite de ce projet est
son arrivée au point de non retour ».
[4]
Le peuple syrien
défend sa Patrie
Le libéralisme a
instauré la destruction économique afin
de changer l’orientation politique. Mais
sa réalisation a été impossible, car la
position politique syrienne est
intimement liée aux valeurs nationales
traditionnelles, à son rôle de gardien
patriotique et de la cause palestinienne
; cette position est liée à l’existence
même de la Syrie. Par exemple, en 1911,
les députés syriens ont dénoncé au
Parlement l’infiltration de juifs
occidentaux en Palestine. Ils ont
démontré que les
Ettihadiyyn [5]
livraient l’État Ottoman aux banques
juives occidentales et vendaient la
Palestine. Ils se sont associés à la
déclaration de l’indépendance de la
Syrie en 1920, et ils ont refusé de
livrer la Palestine aux sionistes. En
1936, des volontaires syriens ont
participé à la révolution palestinienne
; ils ont participé en 1948 à la
résistance à l’occupation sioniste en
Palestine. Mais où sont aujourd’hui les
forces politiques qui peuvent contrer le
grand complot occidentalo-arabe ?! La
crise économique a montré le danger de
l’éloignement des partis politiques du
peuple, et l’erreur qu’ont constitué les
freins que le front national
progressiste a imposées à l’activité des
partis parmi les étudiants, excepté le
parti Baath.
Le fait marquant
est que le peuple syrien est descendu
dans les rues dès lors qu’il a compris
qu’il ne s’agissait pas d’une question
de changement de régime, ni de réformes,
mais que l’on voulait éradiquer la
position patriotique syrienne, et faire
éclater l’unité du pays. Le peuple s’est
précipité dans les rues et sur les
places, avec en première ligne les
femmes qui n’avaient jamais participé
auparavant à l’action politique. Il a
déclare son refus de l’ingérence arabe
et étrangère. Ces manifestations
massives ont mis fin aux manifestations
dérisoires à la sortie des mosquées les
vendredis. Le jour où une manifestation
massive est partie de la mosquée des
Omeyyades à Damas, c’était le signe
évident d’une position populaire
décisive. C’est le peuple syrien qui a
défendu sa patrie, qui a encouragé
l’armée et qui a compris que celle-ci
était la colonne vertébrale de la
sécurité et de la cohésion nationale.
Les religieux chrétiens et musulmans s’y
sont associés. C’est ainsi que le peuple
syrien a dépassé ses dirigeants
politiques et que, grâce à lui, il a été
possible à la Russie et à la Chine de se
dresser en défense de la Syrie.
L’isolement des
partis politiques
Le Front national
progressiste a été fondé en 1972. Il
comprenait 7 partis, dont le parti
Baath, le parti communiste et le parti
national syrien. Sa charte préconisait
le modèle économique socialiste par
opposition à l’économie de marché. En
s’écartant de cette orientation, le
Congrès du parti Baath de 2005 était en
opposition avec le document sur lequel
se fondait la création du Front
national, et était au surplus contraire
à la Constitution.
Quand j’ai demandé
à M. Youssef Faycal, président du parti
communiste et membre de la direction
centrale du Front national progressiste
« N’êtes-vous pas
opposés à l’économie de marché ? »,
il a répondu : « Nous y
sommes opposés mais cela n’a servi à
rien ; ils ne nous écoutent pas ».
Le différend était donc de principe.
Cependant le parti communiste ne s’est
pas retiré du Front. Est-ce seulement la
position politique patriotique de la
Syrie qui l’a retenu ?
Les Syriens
accusent les partis de se vautrer dans
leurs privilèges : les voitures
luxueuses, les bureaux, les postes. Ce
qui s’est passé est désastreux :
l’économie de marche a ouvert la Syrie
aux marchandises turques, ce qui a ruiné
les entreprises de fabrication de
mobilier dans la banlieue de Damas et
les usines de textile, a fait flamber
les prix, a livré le littoral syrien à
quelques riches personnes, associés au
Golfe, a abusé des droits du citoyen, et
a gaspillé les biens publics. Est-ce le
libéralisme qui a pu leurrer les partis
du Front, leur faisant croire que la
politique patriotique syrienne pouvait
continuer, même si l’économie syrienne
était transformée ?
Avant et après
l’avènement du libéralisme, le Front a
cantonné les partis politiques dans des
bureaux, loin du peuple, et ils se sont
uniformisés. Une blague circule : un
homme du parti communiste accroche sa
pancarte à la porte du siège de son
parti : « Parti
communiste syrien ». Quand il se
retourne et se voit observé, il rajoute
a la hâte : « À son
maître le parti Baath arabe socialiste
». Il est regrettable que les
dirigeants n’aient pas analysé ce genre
de blague et pris en compte la position
politique populaire. Il semble que la
confiance dans le patriotisme, la
sagesse et la patience du peuple syrien,
ainsi que le sentiment des partis d’être
les protecteurs du peuple, aient
facilité leur éloignement de la
population.
Le Front a adopté
une politique dont les effets néfastes
n’ont pas fini de se manifester. À
chaque parti est attribué un lot de
postes dans les ministères, ainsi que
des bureaux exécutifs dans les syndicats
et comités. Ces gens-là ont bénéficié de
privilèges ; ils ont été choisis sur la
base d’amitiés ou de liens de parenté et
non pas pour leurs compétences, ce qui
les a éloignés encore plus du peuple. La
crise que traverse le pays a montré le
danger de cette situation. Si les
politiciens avaient eu une influence sur
les couches sociales pauvres et
défavorisées, ils se seraient orientés
vers une action politique forte d’un
programme national. Mais ce sont les
cheikhs rétrogrades des mosquées, les
wahhabites, les agents du Qatar, le
Mossad et l’Arabie Saoudite, qui s’en
sont emparé. Ils ont répandu l’argent et
les idées. Et, au moment opportun, ils
ont fourni des armes. Le politicien
patriotique Bassam Al Shakaa, ex-maire
de Naplouse, qui a perdu ses deux jambes
lorsqu’Israël a piégé sa voiture, m’a
confié : « Le problème
réside dans le fait que les résistants
sont devenus des fonctionnaires ! ».
Il parlait des Palestiniens, mais cela
s’applique aussi à la Syrie.
Le phénomène du
Front du changement
Dans les couches
les plus défavorisées de la société,
l’opposition politique patriotique n’a
pas d’influence. Les gangs ont profité
de ce vide. Car l’opposition politique
locale est composée de personnes de
cultures et d’idéologies différentes,
sans projet cohérent, qui sont apparues
au moment de la crise mais sans parcours
politique connu du peuple. C’est dans ce
contexte que l’on comprend la popularité
du Front du changement qui réunit
aujourd’hui le parti de Qadri Jamil
« La volonté populaire
», le parti d’Ali Haydar
« Le nationaliste syrien
social », ainsi que des
personnalités indépendantes, parmi
lesquelles Monsieur Naiseh et un jeune
prêtre. Ce front se distingue par sa
position ferme contre l’ingérence
extérieure, par son dynamisme et son
indépendance. Dans son programme
électoral parlementaire, il a inscrit
« le jugement de la
grande corruption ». Certains disent
de Qadri Jamil qu’il est le fils de
traditions communistes anciennes ; ce
qui est vrai. Il a acquis son expérience
politique d’un parti qui a joué un rôle
patriotique. Il a tiré profit des
préceptes enseignés pour analyser la
crise. Derrière la politique officielle
nationale, il a vu le danger de la chute
de la Syrie dans le néolibéralisme ; il
a donc inclus dans son programme
électoral parlementaire un front
économique mettant en garde contre les
conséquences de cette politique. Il a
concrétisé, par son alliance avec des
jeunes forces politiques, son objectif
d’un changement qui préserve les acquis
nationaux et le courant syrien qui
soutient la Résistance à Israël. Il tire
maintenant parti de son ancien lien avec
la Russie dans le sens que souhaitent
les Russes : une opposition réaliste qui
veut des réformes, refuse l’ingérence
extérieure et la violence armée. Une
délégation du Front du changement s’est
déjà rendue deux fois en Russie. [6]
Ce Front du
changement est témoin des
dysfonctionnements de la vie politique
passée. Il est commun de neutraliser
ceux qu’on écarte et de ternir leur
réputation. Mais Qadri Jamil s’est battu
contre ce destin ; il a formé une
coalition de communistes comblant le
vide laissé par les politiciens parmi
les indépendants. Et, pendant la crise,
il s’est réuni en un unique front avec
Ali Haydar et les patriotes syriens non
représentés dans le Front national
officiel. Il a soulevé cette question :
pourquoi, durant ces dernières
décennies, les partis ont-ils perdu
leurs compétences, perdu ce qu’ils
avaient de meilleur ?
La crise par
laquelle passe le pays a soulevé une
autre question : la mainmise du parti
Baath sur l’activité publique a-t-elle
servi l’intérêt national ? Cette
mainmise n’a-t-elle pas été la cause
d’un éloignement des Syriens de la vie
publique jusqu’à ce que le danger
encouru par leur pays les mobilise à
nouveau ? En l’absence de partis
traditionnels, la place de la
revendication populaire est occupée
aujourd’hui par des groupes de jeunes,
par des organes nouveaux et divers qui
ont en commun la défense de la patrie et
le refus de l’ingérence extérieure. Ils
déroulent des banderoles de centaines de
mètres pour collecter des signatures,
ils remettent en état les jardins
dévastés par les gangs, ils visitent les
blessés dans les hôpitaux et les
familles des martyrs dans les zones
soumises aux attaques de bandes armées,
ils font des collectes pour venir en
aide aux Syriens déplacés, Le président
et son épouse ont un jour également
participé à ces actions. Ces groupes
commencent sainement : ils mènent leur
travail au sein de la population et non
dans des bureaux.
Les religieux
musulmans et chrétiens occupent
également la scène publique par leurs
rencontres et leurs prières communes
dédiées aux martyrs, la réception des
délégations. Certains ont été assassinés
; parmi eux un imam de mosquée à Midane
et un religieux chrétien.
La conscience
syrienne apparaît admirablement dans les
vigoureuses manifestations des femmes
qui crient après chaque attentat :
« C’est cela la
démocratie et la liberté qu’ils veulent
? » Si c’est cela «
selmiyyeh selmiyyeh »,
(« pacifique, pacifique
») [7]
que Dieu les maudisse. Les femmes
accomplissent des activités qu’elles
n’avaient pas avant la crise. Hier par
exemple, des tableaux sur la révolution
syrienne de 1925 ont été exposés sous le
patronage d’un groupe de dames ; elles
ont peint des vergers, des chevaux et
des fontaines damascènes décorées,
s’inscrivant dans une mémoire historique
nationale en défiant ainsi les bandes
armées qui se servent de ces vergers
pour y cacher les armes.
Les tribus arabes
qui se déplacent entre la Syrie, l’Irak,
la Jordanie et l’Arabie Saoudite,
organisent de grandes réunions
condamnant le maléfique complot ourdi
par l’Occident et les régimes arabes
despotiques.
Le 2 mai, le fils
d’Ali Haydar a été assassiné. Le père a
déclaré : « Ne venez pas
me présenter vos condoléances ; mon fils
n’est que l’un de ces milliers de
martyrs syriens ». Il est probable
que c’était le père lui-même qui était
visé, ainsi que la liste du changement
sur laquelle il est candidat aux
élections. Il semble que les élections
vont se dérouler sous les balles des
snipers et des charges explosives.
Le désaccord n’a
jamais porté sur les réformes ou sur la
démocratie. Au début des événements,
Netanyahou avait déclaré :
« Pour que les actions
armées s’arrêtent en Syrie, il faut que
celle-ci change son attitude vis-à-vis
d’Israël ». Nous n’avons pas besoin
de Netanyahou pour savoir que la raison
de la guerre contre les Syriens est
qu’ils ont fermement maintenu leur
position politique : l’ennemi c’est
l’impérialisme et Israël. L’histoire des
partis en Syrie témoigne de leur
attachement aux valeurs nationales. Le
président Hafez El Assad avait résumé
cette attitude traditionnelle, en
répondant, lorsqu’on lui avait demandé
de visiter Israël : «
Personne en Syrie n’accepte cela,
personne en Syrie ne le peut ».
La question est :
avec quelle structure politique et
économique portons-nous ces grandes
valeurs nationales ?
Conclusions
En 2003, l’invasion
de l’Irak a anéanti une force arabe,
qu’Israël avait demandé de liquider. En
2006, la guerre d’Israël contre le
Liban, soutenue par les États-Unis, a
tenté d’anéantir la résistance
libanaise. En 2008/2009, la guerre
israélienne contre Gaza a voulu briser
la résistance palestinienne. En 2011, la
guerre dirigée par l’OTAN contre la
Libye et soutenue par les sionistes, a
brisé une force arabe patriotique. En
2012, l’alliance entre des pays
occidentaux, Israël et des pays du Golfe
a installé la guerre menée par Israël au
cœur de la Syrie. Le danger de ce
tournant, entamé avec la guerre contre
la Libye, est le fait que désormais des
régimes arabes despotiques sont devenus
des alliés d’Israël dans sa guerre
contre les Arabes et que des bandes
armées arabes et islamiques se
substituent aux armées israélienne et
étasunienne pour se battre à leur place.
La bataille de la
Syrie met en lumière les points suivants
:
La remise à sa juste place du conflit
central contre Israël est une nécessité
pour défendre l’existence des peuples
arabes.
Les régimes du Golfe qui ont pris
naissances sous la protection d’accords
d’occupation avec les États-Unis, sont
chargés de diviser les grandes sociétés
arabes fortes de traditions patriotiques
et historiques.
L’islam extrémiste se met au service
d’Israël.
Le patriotisme est une valeur
progressiste dans la défense de la
souveraineté, mais il ne peut triompher
sans rétablir la justice sociale et sans
dynamiser le peuple avec des libertés et
un pluralisme politique national.
La Syrie a gagné de
ces évènements :
1) La réappropriation par le peuple du
rôle que ses dirigeants lui avaient
confisqué.
2) La reconquête par les Syriens de la
liberté de parole ; tout Syrien
interrogé par des journalistes se livre
à des analyses politiques sur le plan
local et international.
3) Les femmes ont devancé les hommes
dans les manifestations et les analyses
politiques.
4) Les jeunes ont trouvé l’espace qui
permet leur dynamisme ; ils ont
découvert la joie du travail bénévole et
patriotique.
5) Un consensus national du refus de
l’ingérence arabe et extérieure s’est
manifesté.
6) Les évènements en Syrie ont attiré
les penseurs et politiciens arabes qui
ne se sont pas laissé corrompre par
l’argent du Qatar, car ils ont compris
que l’issue de la lutte en Syrie
décidera du destin de la région et de
l’avenir de la Résistance arabe.
Ces conclusions
supposent que les dirigeants examinent
leur parcours passé, leurs méthodes de
travail, la raison de leur absence des
régions qui ont connu la crise ; et
qu’ils rendent des comptes au peuple
syrien qui défend sa patrie.
Dr Nadia KHOST
Damas, le 3 mai 2012
Traduit de l’arabe par Anis El Abed
URL de cet article
:
http://www.silviacattori.net/article3184.html
Dr
Nadia Khost, romancière syrienne, réside
à Damas. Elle est l’auteur de nombreux
ouvrages, d’essais, et de nouvelles
portant sur l’histoire, l’architecture,
la conservation et la protection du
patrimoine de la Civilisation Arabe.
[1]
Il s’agit d’une éducation civique
patriotique, qui était dispensée en
tenue kaki (seul aspect
« militaire » de cette éducation).
[2]
Le président vénézuélien Hugo Chavez,
soutient le peuple syrien dans sa
résistance face à Israël et le droit de
la Syrie à récupérer le Golan. Il s’est
rendu en Syrie en 2006, 2009 et 2010.
[3]
Le Dr Mounir al Hamash est économiste et
directeur d’un centre d’études et de
recherche.
[4]
« La relation entre les
revendications et la situation
économique », par le Dr Mounir al
Hamash, publié dans le journal
Al Nour, avril 2012.
[5]
Membres du Comité
Ittihad ve tarakki (Comité
Union et Progrès) en turc, ou CUP.
Cette association secrète fondée à
Salonique sous l’aile des francs maçons,
a appelé à la liberté et à l’égalité et
a organisé un coup d’État militaire qui
a renversé l’Empire Ottoman. Elle a
gouverné entre 1906 et 1918 et a engagé
l’Empire dans la 1ère guerre mondiale.
Elle a cédé les finances aux banques
européennes et a exécuté, en 1915 et
1916, les représentants de la
bourgeoisie arabe nationale qui
s’opposaient à la cession de la
Palestine au sionisme. Elle a commis le
massacre des Arméniens en 1915-1916.
[6]
La Russie a ouvert la porte aux
pourparlers avec les différents courants
de l’opposition ; une délégation de ce
Front d’opposition s’est rendue en
Russie ainsi que l’opposition du
Conseil National Syrien
présidé par Burhan Ghalioun, et les
Comités de
coordination.
[7]
Le slogan « pacifique,
pacifique » était entonné au début
des manifestations (mars 2011). Il
n’était pas encore évident pour tout le
monde que ces manifestations censées
êtres pacifiques étaient
instrumentalisées par des provocateurs
armés. Ce slogan a longtemps été
revendiqué comme un signe de non
violence par ceux qui ne reconnaissaient
pas le caractère armé.
Texte original en
arabe :
http://www.silviacattori.net/article3185.html
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