on Odsg.org (The One Democratic State Group), 6 avril 2009
http://www.odsg.org/co/index.php/...
(article diffusé par
Agence
Global et publié ici avec son accord)
Le cauchemar d’Ehud Olmert est là. Non
seulement l’ex-Premier ministre israélien doit désormais faire
face aux accusations de corruption qui pèsent contre lui, mais
il est aussi confronté à la réalisation de ses craintes quant au
fait que les Palestiniens « risqueraient » de renoncer à une
« solution à deux Zétats » au profit d’une lutte pour la
conquête de droits égaux – ce qui signifierait, pour reprendre
ses propres termes, la « fin de l’Etat juif ».
Hé… Hou-hou, Ehud : ce combat est désormais
croissant, et il ne représente absolument pas une menace pour
les juifs. Bien au contraire : les juifs y participent. Et pas
qu’un peu !!
Il y a tout juste une semaine, à Boston,
des juifs américains et/ou israéliens représentaient près du
tiers des vingt-neuf intervenants qui ont participé à une
conférence organisée par le TARI (Trans Arab Research
Institute), conjointement au William Joiner Center de
l’Université du Massachusetts.
C’était la seconde grande conférence
publique consacrée à la réalisation de l’Etat unique des
Palestiniens et des Israéliens. La première avait été tenue à
Londres en novembre 2008 et la troisième est prévue à Toronto,
au mois de juin.
Signe de la bonne santé du mouvement en
faveur d’un seul Etat, il y avait déjà trop de personnes
plusieurs semaines avant la date de sa tenue ; des dizaines de
personnes avaient dû être gentiment éconduites, car la salle ne
pouvait en accueillir « que » cinq-cents. Ceux qui ont pu venir
sont restés scotchés à leur siège, un orateur captivant
enchaînant après un orateur captivant précédent, en dépit d’un
temps réduit pour les questions et, le deuxième jour, pas de
pause déjeuner ! En ce qui me concerne, je reste agnostique.
Comme je l’ai dit lors d’une intervention à la conférence, les
deux Etats doivent garantir l’égalité à tous leurs citoyens,
qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens, hommes ou femmes,
quelle que soit leur origine ethnique. Et, je le rappelle au
passage, ce n’est actuellement pas le cas, ni dans l’Etat
israélien réellement existant, ni dans l’Etat palestinien
putatif.
Autrement dit, même si deux Etats étaient
créés, Israël ne pourrait continuer à être un Etat qui
privilégie ses citoyens juifs au détriment de ses citoyens non
juifs. Donc, que ce soit la « solution » à deux Zétats ou la
solution à un seul Etat qui soit retenue, cela signifiera la fin
de l’Etat juif – mais non pas (bien entendu) la disparition de
l’Etat d’Israël.
Par ailleurs, je pense que les Palestiniens
sont confrontés à d’autre défis, dont celui de trouver un moyen
de maintenir les Palestiniens physiquement sur la terre de
Palestine, et celui de la manière de défier efficacement et de
manière non violente un leadership qui ne représente dans le
meilleur des cas qu’un quart du peuple palestinien, afin
d’éviter l’abrogation des droits des Palestiniens.
Je partage le point de vue de l’analyste
politique Phyllis Bennis, qui a lancé une mise en garde, lors de
la conférence, contre le fait que les Etats-Unis sont peut-être
en train de chercher à imposer un mini-Etat (« palestinien »
doté d’une souveraineté et de droits minimalistes.
C’est la raison pour laquelle mon
intervention a été focalisée sur une analyse des sources de
pouvoir non-violent à la disposition du peuple palestinien,
incluant un pouvoir dans les domaines économique, moral,
culturel, légal et politique.
Un fait important (simple, mais d’une
extrême importance) a été rappelé par plusieurs intervenants
palestiniens des territoires occupés, de l’intérieur d’Israël et
de l’exil. Ils ont dit, à claire et forte voix, que le fait
d’œuvrer à une solution à un seul Etat, cela veut dire qu’il
faut travailler avec les juifs israéliens. Comme le secrétaire
général de TARI, Hani Faris, l’a dit, « l’idée d’un Etat unique
va de pair, nécessairement, avec celle d’une composante
palestinienne et d’une composante juive. »
Laïla Farsakh, une scientifique
palestinienne, a reconnu que cela serait difficile, en raison de
la haine qu’éprouvent les Palestiniens à l’encontre (de l’Etat)
d’Israël, après Gaza, et étant donné leur histoire, faite de
leur dépossession du fait d’Israël. Comme stratégie permettant
de surmonter cette colère, elle suggère un débat portant sur
l’identité, qui tiendrait compte du rôle joué par des juifs,
dans le passé et aujourd’hui, dans la résistance au sionisme.
Une autre proposition serait d’examiner la façon dont les juifs
ont été (ou sont) traités par les sociétés arabes.
Il n’existe pas de « voix juive
monolithique », a rappelé le militant palestinien Omar Barghouti,
ajoutant qu’il est antisémite de prétendre le contraire. Il a
fait observer une « sur-proportion de juifs dans le mouvement de
boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre
Israël, qui doit se poursuivre jusqu’à ce que les droits humains
des palestiniens soient garantis.
Le spécialiste de science politique As’ad
Ghanem a souligné que personne ne peut décider à la place d’un
peuple ce qu’est, ou doit être, sa conscience national : « Je
sais que je suis Palestinien ; mais je ne suis pas en position
de dire aux Israéliens qui ils sont ».
En ce qui concerne les juifs, plusieurs
intervenants ont fait allusion à la manière dont le sionisme a
subverti les valeurs du judaïsme, et ils ont mis l’accent sur
plusieurs discours alternatifs. Comme l’a dit le philosophe du
droit Ori Ben-Dor : « Le sionisme viole la mémoire juive et le
message humaniste de l’Holocauste ». L’historien Norton
Mezvinsky a quant à lui rappelé que les Palestiniens et les
(autres) Arabes n’ont pas été les seules victimes des sionistes.
L’historien Gabriel Piterberg a salué dans
la poésie du regretté Avot Yeshurun un modèle de narratifs et
d’identités inclusives, mêlant des idiomes arabes et yiddish à
la poésie en hébreu.
L’anthropologue Smadar Lavie a indiqué
qu’une lutte commune contre l’oppression dont souffrent les
juifs d’origine arabe et les Arabes palestiniens offre une
possibilité de sortir du sionisme, pour entrer dans la
coexistence. L’historien Ilan Pappe a cité plusieurs projets
concrets de « dé-sionisation » sur le terrain, dont des jardins
d’enfants communs.
Un aspect remarquable de la conférence fut
la manière dont la quasi-totalité des orateurs a souligné que le
projet sioniste – de créer un Etat exclusiviste – était à la
racine du problème, et dont ils ont débattu des moyens
permettant d’y mettre un terme.
La militante de défense des droits humains
Nancy Murray et d’autres orateurs ont suggéré de placer
l’agression contre Gaza dans le contexte de la manière dont
Israël a été créé, et aussi de souligner le parallélisme entre
le discours de l’Etat unique et les valeurs qui sont chères aux
citoyens américains.
Un des rares – peut-être même était-il le
seul – orateurs sionistes à la conférence, ancien adjoint au
maire de Jérusalem Meron Benvenisti, était venu enterrer le
sionisme, et non pas le célébrer : « En tant que sioniste, je
voulais un Etat juif, mais cette option est caduque. L’ « Etat
unique » existe déjà, la seule question est de savoir de quel
genre d’Etat (unique) il va s’agir ? » Nombre d’orateurs ont
fustigé la plateforme politique des deux Zétats, y voyant « la
planche de salut du sionisme » - et la démonstration de Nadim
Rouhana à cet égard fut magistrale.
Un thème largement partagé fut
l’avertissement pressant quant à de futures agressions
israéliennes contre les Palestiniens, qui ne sont absolument pas
à écarter. Ilan Pappe et Nadim Rouhana ont attiré l’attention de
l’auditoire sur la décision prise par la Haute Cour israélienne
de permettre à cent extrémistes israéliens, dont le leader
appartenait à un parti israélien aujourd’hui interdit, de
défiler dans la ville arabe israélienne d’Umm el-Fahem, sous la
protection de plusieurs milliers de policiers israéliens
fortement armés.
Cette manifestation est un écho extrêmement
inquiétant de la provocation de l’ex-Premier ministre israélien
Ariel Sharon, qui avait consisté à parcourir (entouré de son
service de sécurité) l’esplanade de la Mosquée Al-Aqçâ – une
provocation qui fut l’étincelle qui déclencha la deuxième
Intifada palestinienne, en 2000, et donna lieu à l’écrasement
brutal de l’Autorité palestinienne en 2002. Ce sinistre écho est
d’autant plus préoccupant qu’il intervient dans un contexte
d’appels tonitruants à transférer la population arabe d’Israël
ou de lui dénier la citoyenneté israélienne, des appels auxquels
le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor
Lieberman, donne un ton encore plus menaçant et vociférant.
Un thème majeur fut également développé :
la nécessité de reconstituer un corps politique palestinien. La
spécialiste de science politique Karma Nabulsi a souligné les
efforts et les stratégies allant en ce sens, lors d’un passage
en revue de la manière dont « le discours au sujet des solutions
avait déraillé, en enlevant tout pouvoir au collectif populaire
palestinien et en excluant le peuple en tant que source de la
légitimité et de la souveraineté. »
Plusieurs des participants à la conférence
ont relevé la nécessité de passer de la discussion du concept
d’Etat unique à des stratégies concrètes quant à la manière d’y
parvenir, afin de répondre non seulement à l’agnosticisme, mais
également à une opposition fondamentale chez beaucoup de
Palestiniens, chez beaucoup d’Israéliens, et chez beaucoup de
citoyens du reste du monde. Comme l’a dit le professeur de droit
George Bisharat, les partisans de l’Etat unique doivent démolir
« l’idée qu’un Etat unique serait quelque chose d’utopique et
d’irréalisable ».
Affirmant « nous en sommes encore à la case
« départ » », As‘ad Ghanem a formulé une critique marquée au
coin d’une franchise totale. L’Etat juif, l’Etat islamique et
les différentes options de solution à deux Etats bénéficient,
tous, d’un soutien plus important de l’opinion publique. Les
questions difficiles à régler sont les suivantes :
- Que seront les citoyens de l’Etat
unique : israéliens, ou palestiniens ?
- Qu’en sera-t-il de la relation dudit Etat unique avec la
diaspora juive et avec le mouvement national arabe ?- Comment
convaincre les Palestiniens et les Israéliens que l’Etat unique
sera en mesure de répondre à leurs besoins ?
Proposant des stratégies concrètes, les
exemples donnés par Omar Barghouti comportaient des modalités
grâce auxquelles la restitution de droits intrinsèques pouvait
être réalisée sans porter atteinte à d’autres droits, acquis.
La discussion des mesures concrètes a fait
chanceler mon agnosticisme. La passion et la créativité qui se
sont dégagées du débat ont eu le même effet. Ghada Karmi a eu
raison de dire que la vision positive de la solution à un seul
Etat rend les débats alternatifs (sur la « solution » à deux
Zétats) « stériles ».
Réfléchissez-y : qui défend la solution à
deux Zétats, aujourd’hui ? C’est l’Autorité « palestinienne »,
dont la position est de plus en plus affaiblie après des
décennies de vacarme des bulldozers israéliens colonisant la
terre des Palestiniens et démolissant leurs maisons.
Ce sont aussi les « réalistes », aux
Etats-Unis, en Europe et en Israël, dont l’argument massue
consiste à dire qu’un Etat palestinien est le pis-aller qui,
seul, peut sauver un Etat majoritairement juif : pas très sexy,
comme argument en faveur d’un Etat (croupion) palestinien…
Les partisans d’une solution à deux Etats
doivent s’améliorer, s’ils veulent toucher les cœurs et les
esprits. Car, ne vous y trompez pas, comme se plaisent à le
répéter les hommes politiques américains, les partisans de la
solution à un seul Etat partagent une même foi. Et la peur et la
force brute – qu’elles soient exercées par Israël et/ou
l’Amérique et/ou l’Autorité « palestinienne » - ne font pas le
poids, face à une authentique foi.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Nadia Hijab est Maître de
conférence émérite à l’Institut des Etudes Palestiniennes de
Washington – District of Columbia].
© Traduction publiée le 10 avril 2009
avec l'aimable autorisation de l'Agence Global