Analyses
Une justice internationale ?
Nabil Ennasri
Lundi 29 mars 2010
La scène se passe il y a quelques
semaines. Tony Blair est interrogé par la Commission Chilcot
chargée de faire la lumière sur les conditions d’entrée en
guerre du Royaume-Uni lors de l’invasion anglo-américaine de
l’Irak en mars 2003. L’ancien premier ministre défend ardemment
la politique qui l’a conduit à envoyer des dizaines de milliers
de jeunes soldats britanniques participer à ce qui restera l’une
des plus grosses opérations de manipulation de l’histoire
contemporaine. Devant les caméras et les journalistes, Tony
Blair ne reniera rien : il confirme qu’il était de son devoir
d’abattre le “monstre“ Saddam Hussein, de contribuer à
la “démocratisation du Moyen-Orient“ et d’éliminer
ainsi la fantasmatique menace des fameuses ADM (armes de
destruction massive).
La commission qui
questionne l’ancien supplétif de Georges Bush n’est même pas
habilitée à le juger. Elle se contentera d’apporter des éléments
de réponse aux questions qui taraudent toujours les millions de
citoyens de Sa majesté qui ont été floués par les mensonges
grossiers et manipulations honteuses dont « King Tony » a été
l’auteur tout au long de la préparation de l’opération Iraqi
Freedom. En outre, les membres de cette commission ont été
nommés par Gordon Brown, ancien ministre du gouvernement Blair.
Pour faire semblant mais sans avoir peur du ridicule, ce dernier
sera également auditionné par la commission quelques semaines
après son mentor. Le discours sera le même : malgré l’opposition
frontale d’une très large partie de l’opinion publique mondiale,
il fallait faire la guerre, même sans l’aval des Nations-Unies.
On croit rêver.
Ou plutôt cauchemarder. Dans un monde civilisé qui en appelle à
l’établissement d’une justice internationale, cette mascarade ne
peut que faire rire. Un rire au goût amer car entre-temps, le
drame irakien a laissé des traces. L’un des pays les plus
prospères du monde arabe a été renvoyé cinquante ans en arrière.
Lancée il y a sept ans presque jour pour jour, le bilan de
l’invasion anglo-américaine n’en finit plus de s’alourdir. Les
victimes irakiennes se comptent en centaines de milliers de
morts et l’avenir de ce pays martyr semble encore très
incertain.
Tony Blair
aujourd’hui parcourt le monde. A la tête d’une richissime
fondation, il partage son temps entre rendez-vous d’affaires et
conseils auprès des émirs de quelques pays du Golfe. Animé d’une
ardente foi catholique, celui qui se fait facturer la conférence
pour la coquette somme de 200 000 euros est également émissaire
du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie, Nations Unies)
chargé de relancer le processus de paix israélo-palestinien…
Ainsi va le monde et les « relations internationales » :
on charge les faiseurs de guerre de faire la promotion de la
paix. On croit lutter contre le “terrorisme“
mais tout est fait pour alimenter ses causes.
L’an dernier, le
Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), demandait
l’inculpation et l’arrestation du président soudanais Omar Al-Bechir
pour génocide. Sans vouloir nier la réalité des crimes commis au
Darfour, on ne peut s’empêcher de se poser la question de savoir
pourquoi – diable ! – ne pas inculper ceux dont les crimes ne
sont plus à démontrer ? Cette fois, c’est clair : l’idée d’une
justice internationale a véritablement touché le fond. Jean de
La Fontaine ne s’était pas trompé : « Selon que vous serez
puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc
ou noir. ». Le peuple irakien, tout comme
les familles des 179 soldats britanniques tombés en Irak, n’ont
plus que leurs yeux pour pleurer.
Chronique publiée sur le site
www.saphirnews.com le 29
mars 2010.
Nabil Ennasri
est diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence,
est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Il est
également membre du Collectif des musulmans de France (CMF).
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