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Opinion
Jasmin et dignité
Nabil El-Haggar

Jeudi 10 février 2011
L’écrivain français Gabriel Charmes, en visite au pays du Cham
en 1882, décrivant un nouvel esprit qui s’installait
écrivait: «…l’inspiration à l’indépendance domine les esprits.
J’ai pu observer, pendant ma présence à Beyrouth, les jeunes
musulmans s’occuper à construire des hôpitaux et des écoles et à
travailler pour le développement de la nation. Le plus important
est que le communautarisme et le racisme étaient bannis. On
pouvait trouver des Arabes chrétiens travailler dans les
associations musulmanes…».
Quelques années plus tard, la révolution arabe est déclarée
contre l’empire Ottoman.
Les Arabes s’allient aux Britanniques et aux Français en
échange de la promesse
de l’édification de l’Etat arabe.
Un Etat que le mouvement
national arabe a voulu, lors de son premier congrès réuni à
Paris en 1913, moderne, démocratique et laïque… à l’image de la
République française disait-il! Ironie de l’histoire, la nation
arabe est politiquement née à Paris, capitale de l’une des deux
puissances coloniales qui trahiront les promesses données au
monde arabe qui sera divisé et colonisé, avec
la Palestine sacrifiée
au profit de la construction d’un Etat juif. Ce faisant,
l’Occident ferme la porte de la modernité au monde arabe.
Plus d’un
siècle plus tard, la révolution tunisienne du jasmin et
l’égyptienne de Midan Al Tahrir inaugurent sans doute une
nouvelle ère arabe. Elles
viennent d’acter la volonté populaire de se mettre debout et
penser le monde par soi-même. Cela faisait trop longtemps que le
doute de soi, la peur, la haine, les interdits et la méfiance
envers l’autre remplissaient le cœur des arabes privés de
démocratie.
En
quelques jours, l’Arabe se découvre capable de volonté, de
résistance ; il se sent utile, il refait société, il se pense
capable de décider du monde dans lequel il aimerait vivre. Il se
veut capable de juger ses dirigeants et leur intégrité, de
contester leurs choix et leurs alliances, de contester des
décisions politiques imposées par un Occident qui n’a pas encore
compris qu’il a tout intérêt à ce que les Arabes puissent
accéder à la liberté de penser, forger leur propre opinion et
défendre leur droit. Un Occident qui devrait se presser de
mettre fin à la politique des « deux poids, deux mesures »
concernant la question palestinienne et son traitement injuste
et humiliant pour tous les Arabes, à l’exception de leurs
dirigeants.
Par
ailleurs, le silence de certains intellectuels qui d’ordinaire
se font passer pour les infatigables défenseurs des droits de
l’homme est assourdissant. Ils pensent sans doute que les
intérêts d’Israël, ami fidèle de la dictature de Moubarak, sont
plus importants que les 80 millions d’Egyptiens qui aspirent à
la démocratie.
Quelque soit l’avenir de cette révolution, il est sûr que
désormais l’Arabe, où qu’il soit, vient de récupérer sa dignité
et l’estime de soi. C’est déjà beaucoup.
Gabriel Charmes, voyage en Syrie, p.171-172, cité par G.
Antonius, Ibid,
P.162.
Nabil El-Haggar, universitaire
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