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L'EXPRESSIONDZ.COM
LE BILAN DU VOYAGE DU PAPE
La terre de vos ancêtres
Mustapha Cherif
Photo El Watan
Jeudi 21 mai 2009
Les Palestiniens sur la terre de leurs ancêtres sont à
l’avant-poste du combat contre la barbarie. Ce
fut un voyage riche d’enseignement. Durant le voyage spirituel
et politique en «Terres Saintes», risqué, notamment à
cause de l’arrivée du nouveau gouvernement d’extrême droite en
Israél, l’aggravation de la situation dans les territoires
occupés et le regain du radicalisme, le pape a été exemplaire,
agissant selon sa conscience, ne cédant à aucune pression ou
chantage des sionistes. Tout le monde était inquiet, vu les
enjeux et il a surpris le monde entier par son sens de l’équité,
de la justesse et du courage. En tant que pèlerin et homme de
paix, il a mis l’accent sur la réconciliation avec les Juifs et
sa condamnation de toute forme de négationnisme. Au niveau du
dialogue interreligieux, le pape, avec finesse, a mis fin au
malentendu avec les musulmans qu’il a suscité en septembre 2006
lors de sa conférence de Ratisbonne. Le prince Ghazi en Jordanie
lui a rendu un vibrant hommage bien mérité.
Respect de l’Islam
Dans son discours au sein de la Mosquée Hussein et du dôme du
Rocher à Jérusalem, El Qods Echarif, le pape a encore exprimé
son respect pour l’Islam. Sur le plan intellectuel, il ne
définit plus la raison comme seule source de vérité, mais une
raison humble qui doit se laisser éclairer par la foi, pour
s’exercer pleinement. Sa critique s’adresse aux dérives de ceux
qui manipulent la religion et non point à la religion elle même:
«La manipulation idéologique de la religion parfois à des
fins politiques». Il a appelé «musulmans et chrétiens»
à témoigner par leur «cohérence» dans les sociétés
sécularisées pour «être connus et reconnus comme des
adorateurs de Dieu».
La question de la violence n’est plus perçue comme intrinsèque à
telle ou telle religion mais liée aux manipulations. Sur le plan
de la justice, même s’il n’a pas prononcé le mot colonisation,
il a affirmé aux colonisés palestiniens, nos frères chrétiens et
musulmans «le droit à une patrie palestinienne souveraine sur
la terre de vos ancêtres».
Le pape a dit clairement ce que les Palestiniens voulaient
entendre: «M. le Président, le Saint-Siège soutient le droit
de votre peuple à une patrie palestinienne souveraine sur la
terre de vos ancêtres, sûre et en paix avec ses voisins, à
l’intérieur de frontières internationalement reconnues». Il
a rappelé les paroles prononcées par son prédécesseur Jean-Paul
II lors de la visite de ce dernier en Terre Sainte en 2000: «Il
ne peut y avoir de paix sans justice, et de justice sans pardon».
Est-ce suffisant pour faire reculer l’oppression et stopper la
colonisation? Hélas! non, mais ce sont des paroles nécessaires,
le minimum vital.
De son côté, le président palestinien a rappelé les graves
difficultés et crimes que connaît son peuple, composé de
musulmans et de dizaines de milliers de chrétiens: «Sur cette
Terre Sainte, il y a ceux qui continuent à bâtir des murs de
séparation plutôt que des ponts, et qui tentent avec leurs
forces d’occupation d’obliger chrétiens et musulmans à quitter
le pays, afin que les Lieux Saints deviennent de simples sites
archéologiques plutôt que des lieux vivants de prière»,
a-t-il déclaré.
Cette déclaration sera-t-elle entendue un jour par les puissants
de ce monde? Qui va comprendre, comme le dit le Palestinien que
l’on «exerce contre tous les citoyens arabes, qu’ils soient
chrétiens ou musulmans, toutes les formes possibles
d’oppression, de tyrannie et d’expropriation de terres»?
Faire pression sur Israël est possible pour tenter de mettre fin
à l’occupation, aux barrages, aux murs, aux prisonniers
politiques, et aux réfugiés. Car qui peut nier que: «Jérusalem
(...) est entourée d’un mur d’apartheid qui empêche le peuple de
vivre librement, à Ghaza, en Cisjordanie, de se rendre à
l’église du Saint-Sépulcre et à la mosquée Al Aqsa».
L’injustice a trop duré, personne n’y gagne, ni les Juifs, ni
l’Occident.
Passer aux actes
Ce que le pape a dit en Palestine ne sont pas de simples paroles
ni de voeux pieux mais un témoignage qui interpelle les
consciences et les décideurs occidentaux qui renvoient trop
souvent dos à dos le colonisé et le colonisateur, pour ne pas
dire pire. Certes le gouvernement israélien fascisant risque de
redoubler de férocité et continuer la colonisation inhumaine.
Mais, la falsification des mots, le détournement de sens et
l’air du temps n’ébranlent pas l’immense majorité des citoyens
du monde qui sont attachés au vivre ensemble, en sachant, comme
Benoît XVI, qu’il n’y a pas de paix sans justice. Le pape parle
de deux États, de deux peuples et de paix pour tous. Ce n’est
point un simple rappel des positions du Vatican. Il a parlé «de
terres de vos ancêtres» en s’adressant aux Palestiniens,
c’est exceptionnel, clair et objectif, et a qualifié le mur de
la honte de «tragédie» et a ajouté: «Une de mes plus
tristes images au cours de ma visite sur ces terres a été le
mur.» Dans son dernier discours, il a encore réaffirmé le
droit du peuple palestinien: «Le peuple palestinien a le
droit à une patrie souveraine et indépendante, de vivre avec
dignité et de se déplacer librement. Que la solution de deux
États devienne une réalité, et ne reste pas un rêve.» Nous
sommes dans le politique au sens noble avec Benoît XVI et non
dans la position partisane, le dogme et les euphémismes. Cela
devrait encourager Barack Obama et les puissants de ce monde à
passer des paroles aux actes pour bâtir la paix au Moyen-Orient
dont dépend la sécurité du monde.
Lors de cette visite spirituelle et politique, un cheikh
musulman palestinien, non prévu par le protocole, a dit
publiquement en présence du pape, la vérité sur la souffrance
des Palestiniens sous l’occupation israélienne, au cours d’une
rencontre à Jérusalem pour promouvoir le dialogue. Certains
s’imaginaient que toute l’assistance allait seulement parler «d’amour»
et de «dialogue» en ignorant la dure réalité.
Ces déclarations, selon une certaine presse occidentale et
sioniste, auraient provoqué une réaction irritée du Vatican.
Comment serait-il possible qu’un cri du coeur d’un opprimé sur
la tragique réalité puisse irriter? En vérité, c’est seulement
le fait que sur la forme, ce discours non prévu était long et
inattendu. Cheikh Tayssir al-Tamimi, président de la Cour
suprême palestinienne est membre du Forum islamo-catholique,
personnalité modérée, n’a pas exagéré en prenant la parole. Il a
demandé au pape de faire «pression sur le gouvernement
israélien pour qu’il mette fin à son agression contre le peuple
palestinien». Est-ce trop demander? Le cheikh a appelé
chrétiens et musulmans à agir ensemble contre l’occupation
israélienne, à tout le moins à «condamner les crimes»
israéliens comme ceux commis durant la guerre israélienne dans
la bande de Ghaza.
Le dignitaire a proclamé devant ce forum Jérusalem-Est «capitale
éternelle, politique, nationale et spirituelle de la Palestine»,
contrairement à la position d’Israël qui a annexé toute la
partie orientale de la Ville Sainte après sa conquête en 1967 et
proclamé Jérusalem «capitale éternelle d’Israël».
La colonisation doit cesser
Le problème est bien là: il faut sortir de la loi inique du plus
fort et mettre en oeuvre la solution juste et équitable pour les
deux peuples: deux Etats. Les responsables palestiniens,
chrétiens et musulmans, qui subissent l’oppression, savent
qu’Israël tente de faire taire toute voix dénonçant
l’occupation. La dernière en date est la fermeture du centre de
presse palestinien ouvert à Jérusalem pour la visite du pape.
Cette fermeture est «une tentative de faire taire la voix
palestinienne qui dit au monde que Jérusalem est occupée», a
affirmé le mufti de Jérusalem. La suite de la visite du pape est
un test pour tous les citoyens du monde épris de justice et qui
savent que l’extrémisme se nourrit de l’injustice. Le pape qui a
parlé selon sa conscience ne peut que dire à son tour que la
colonisation doit cesser.
Le peuple privé de ses droits est le peuple palestinien, qui n’a
pas d’Etat, ni de souveraineté et de liberté à cause du régime
israélien colonialiste. Le pape a bien compris que des réactions
aveugles de jeunes Palestiniens face à l’oppression sont les
effets du désespoir et les a appelés à l’espérance. C’est une
manière franche d’appeler chacun à corriger ses points
d’aveuglement. Le pape ne confond pas les causes et les effets.
Il réfute avec sagesse l’injustice et la hiérarchisation des
peuples, expression de l’idéologie de l’exclusion. Avec tous,
par ce voyage qui fera date, il a tenu le langage du respect et
de la franchise. D’innombrables Juifs, croyants et non-croyants
ne peuvent qu’approuver, d’autant que la plupart d’entre eux, à
juste titre, refusent que des lobbys et le régime israélien
parlent en leur nom. Tout comme, en tant que musulmans, nous
refusons que les extrémistes politico-religieux et des régimes
arabes archaïques parlent en notre nom.
La solution est la réforme du monde arabe pour sortir de la
situation de victime. Les êtres justes en Palestine rêvent d’une
nouvelle Andalousie où personne ne monopolise la vérité. Benoît
XVI, qui, depuis le début de son pontificat a inquiété des
croyants, des progressistes et des humanistes, et même s’il ne
dispose pas des moyens des grandes puissances, redonne de
l’espoir à ceux qui savent que le devenir est commun ou ne sera
pas.
Les Palestiniens sur la terre de leurs ancêtres sont à
l’avant-poste du combat contre la barbarie. Reste à ce qu’ils
évitent les pièges, sortent des réactions aveugles et des
divisions.
Mustapha Cherif, Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net
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Publié le 21 mai 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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