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BERNARD
KOUCHNER
Posture islamophobe
Mustapha Cherif 
Bernard Kouchner
10
février 2008 Le ministre
français des Affaires étrangères ne cesse d’agir comme un éléphant
dans une maison de porcelaine. Le ministre
français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui s’est
fait le promoteur du devoir d’ingérence dans les affaires
d’Etats souverains, au nom des «droits de l’homme»,
à qui Nicolas Sarkozy a confié le Quai d’Orsay au lendemain de
son élection, ne cesse d’agir comme un éléphant dans une
maison de porcelaine. Il vient encore de se signaler par une déclaration
islamophobe.
A un quotidien français, dans un débat avec l’ancien ministre
allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, Bernard
Kouchner a affirmé, ce 8 février, sans nuances ni retenue, que
les valeurs fondatrices des musulmans recèlent des «facilités»
pour les déviations: «Je pense que l’utilisation de la
religion est pour beaucoup dans le refus de ce monde moderne. Je
crois que c’est vraiment une supercherie intellectuelle, une dénaturation,
une déviation de la religion islamique qui, avec le Coran, offre
peut-être des facilités pour que ces déviations soient
populaires. Je pense profondément que la majorité des musulmans
a peur de manifester son désaccord avec l’extrémisme...Cela
interdit à l’immense majorité des fidèles, des islamistes que
j’appelle modérés, de se manifester.» C’est une posture
islamophobe, qui dénote une ignorance et des préjugés tenaces.
Tout comme l’inquisition n’est pas dans l’Evangile, le
goulag n’est pas dans Marx et le sionisme n’est pas dans la
Thora, la violence aveugle n’est pas dans le Coran. Ces
amalgames et confusions cyniques ne servent pas le rapprochement
entre les peuples.
L’immense majorité des musulmans prouve tous les jours
qu’elle s’oppose à tous les extrémismes. Autant opposée à
ceux internes qui se manifestent au sein de leurs sociétés et à
ceux étrangers, israéliens et américains, qui agressent,
colonisent et occupent de manière brutale, comme en Palestine et
en Irak. Les causes du désordre sont politiques avant tout, à
cause, à la fois, de la loi du plus fort, de la politique des
deux poids, deux mesures et des dérives de la modernité
occidentale. Certes, des pesanteurs et formes de fermetures
existent au sein de nos sociétés, mais la question est
sociopolitique, plus que théologique. Il serait temps que les
discours censés êtres de militantisme et de paix arrêtent de
stigmatiser, de participer à la désinformation et reviennent à
la raison. Les jugements à l’emporte-pièce et les visions
arrogantes ruinent toute idée de dialogue, fragilisent toute idée
d’Union en Méditerranée, d’Alliance des civilisations, de
coexistence et hypothèquent l’avenir commun.
Sur le plan mondial, nous sommes dans une phase de méconnaissance
de l’autre, du recul du dialogue, et recul du droit. Certains
s’inventent de nouveaux ennemis et tentent de semer la peur. Ils
ne doivent pas nous pousser au repli, à la lassitude ou au désespoir.
Dialoguer, notamment sur le plan culturel, est vital pour au moins
trois raisons: -C’est une exigence du bon sens, une exigence de
la raison, une exigence de nos références fondatrices- C’est
une nécessité pour comprendre et honorer la vie, car rien
n’est donné d’avance et personne n’a le monopole de la vérité.
L’avenir est incertain. Dialoguer c’est accepter le débat
franc, le témoignage de l’autre, les questions et critiques qui
interpellent, dans le respect mutuel, voire l’admiration réciproque.
Il est immoral et contre-productif de stigmatiser l’autre et
d’opérer des amalgames. Le dialogue entre les cultures, prises
dans le mouvement d’un seul et problématique monde, est impératif.
Les peuples de l’Islam et les peuples européens appartiennent
en grande partie à une même histoire. L’Occident a été judéo-islamo-chrétien
et gréco-arabe. Les amnésies et les murs de séparation sont voués
à l’échec. Nous devons tous nous déclarer acteurs d’une
civilisation commune à réinventer: c’est celle d’une culture
réelle dans laquelle hier des hommes vécurent ensemble, parlèrent,
écrivirent réellement en arabe, en berbère, en hébreu, en
grec, en latin, se mêlant sans se confondre, et procédant ainsi
à former un creuset de civilisations. Il faut le rappeler, en
nous projetant dans l’avenir: car nous sommes, chacun à notre
manière, Orient et Occident, Nord et Sud.
Par conséquent, un vrai dialogue est possible et nécessaire. Nul
ne peut fuir ses responsabilités, ni au ´´Nord´´ ni au ´´Sud´´,
en prenant prétexte des dérives de l’autre et en cherchant par
là à faire diversion. En effet, sans syncrétisme, ni
relativisme, il faut reconnaître qu’il n’y a pas beaucoup de
sens à parler d’«Occident» et d’«Orient»
-ou de «Nord» et de «Sud». Non seulement à
cause du passé imbriqué, mais parce que la vérité
aujourd’hui est qu’il y a un mode de vie mondialisé et que ce
mode sous les figures du Marché, de la technique et de la
rationalité instrumentale, malgré des acquis prodigieux, s’éprouve
actuellement lui-même comme une impasse. Dès lors, plutôt que
d’accuser l’autre, d’évoquer des affrontements ou des
divisions, il devient urgent de travailler ensemble, de penser à
ce qui désormais fait question pour tous à partir d’un destin
commun. Car les défis culturels de la méconnaissance, et
politiques du recul du droit et économiques et écologiques du
Marché-Monde, sont les mêmes pour tous, par-delà le degré
d’acuité pour telle ou telle région. Puisqu’on ne peut
ignorer ni les rencontres bénéfiques du passé, ni les
incertitudes communes de notre époque, pourquoi ne serions-nous
pas capables de nous penser aujourd’hui peuples euro-méditerranéens
comme un nouveau creuset pour une culture universelle encore inédite?
Cela est possible, reste à mettre fin à l’islamophobie et au déni
de justice que subit le peuple palestinien. (*)
Professeur des Universités
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Publié le 11 février 2008 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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