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Lettre au Saint-Père
Mustapha Cherif
Benoît XVI
Dimanche 3 mai 2009 Votre Sainteté, à juste
titre, vous avez encouragé le dialogue et la bonne entente entre
les trois religions abrahamiques et entre les communautés
respectives. Vous aviez proclamé avec clarté maintes fois, comme
à Istanbul en Novembre 2006, la nécessité d’appliquer le droit
international en Palestine. Lors de la guerre contre Gaza vous
aviez aussi exprimé votre réprobation. A la veille de votre
voyage aux « lieux saints », nous attirons votre souveraine
attention sur la question palestinienne. Des chrétiens d’Orient
et d’Occident regrettent que vous ayez maintenu votre visite en
Israël après les crimes commis par l’armée israélienne durant la
guerre de Gaza, suivie par l’arrivée au pouvoir d’une droite
sectaire alliée à l’extrême droite, opposées à la paix,
compromis entre des ambitions de pouvoir au service d’un
nationalisme à courte vue.
Certes, nous comprenons qu’il faut poursuivre le
dialogue entre l’Eglise catholique et le judaïsme auquel
légitimement vous tenez. Vous savez qu’il ne faut jamais se
contenter du récit du dominant. Le discernement est l’art des
justes et nous savons que votre lucidité est celle de l’homme de
paix. Il ne peut y avoir de paix sans justice. Nul ne peut
prendre comme prétexte les graves dérives des extrémistes
politico-religieux et les archaïsmes dans le monde musulman pour
se taire. Aujourd’hui le palestinien est opprimé, colonisé,
meurtri. L’humanité est confrontée aux défis des dérives du
monde dominant qui déshumanise, aux injustices qui poussent au
désespoir et à l’instrumentalisation de la religion qui porte
préjudice à nos valeurs communes. L’histoire atteste que les
arabes qui ont toujours accueilli et respecté leurs frères juifs
n’ont aucun rapport avec l’effroyable holocauste et
l’antisémitisme qui ont eu lieu en Europe.
Cohabiter, négocier est la seule solution. Reste
à tirer les leçons pour que chacun travaille ses points
d’aveuglement. Les lignes d’une paix honorable sont connues, il
n’y a plus d’alibi pour, une fois encore, en détruire les
chances. Pour leurs responsabilités passées et présente dans
l’équilibre du monde, l’Europe et les chrétiens doivent peser de
tout leur poids pour que les enfants juifs, chrétiens et
musulmans de Palestine et d’Israël, aient enfin droit à une vie
normale dans des sociétés qui ne soient plus dominées par la
peur et la haine.
Un compromis pour la paix juste est possible. Le
monde arabe a pris conscience que durant des décennies il n’a
pas su dialoguer. Un plan de paix a été examiné en 1991 à
Madrid, accepté par les arabes, puis approfondi lors de la
négociation d’Oslo (1993), ensuite inachevé à Taba (2001), puis
relancé par l’Initiative pertinente arabe (2002) qui propose une
normalisation avec Israël sur la base de la paix en échange de
la terre occupée par la force depuis 1967.
L’Organisation de la Libération de la Palestine
a amendé sa Charte et reconnu l’État d’Israël depuis 1988 et les
palestiniens survivent aujourd’hui sur seulement 8% des
territoires qui leur reviennent. La description de Hamas comme
un mouvement « terroriste » ne correspond pas à la réalité. Le
Hamas est un mouvement de résistance, qui est entré dans le jeu
politique, abandonnant le recours aux attentats terroristes. Il
défend la solution de deux Etats dans les frontières de 1967. La
politique de confrontation pratiquée par Israël renforce les
tendances radicales chez les peuples, israéliens et arabes.
La société civile arabe est disposée au vivre
ensemble. La communauté internationale sait que le droit est du
côté des palestiniens, d’autant que plus de 60 résolutions de
l’ONU, restées lettres mortes, en sont le reflet. Pourtant, la
tragédie continue. Ce qui s’est passé à Gaza et le risque que
cela se répète, dans une sorte de solution finale génocidaire,
obligent à dire que l’injuste colonisation doit cesser. C’est ce
que diraient sans l’ombre d’un doute le Messie et tous les
Prophètes, qui ne chercheront pas à renvoyer dos à dos le
colonisé et le colonisateur. Les autorités morales, et votre
sainteté à leur tête, ont pour noble devoir de contribuer au
règlement de cette question qui détermine l’avenir des relations
internationales.
Cela implique la fin du blocus de Gaza et de
Cisjordanie, le démantèlement des colonies, la restitutions des
territoires occupés depuis 1967, la démolition du mur de la
honte, de l’apartheid, dit « de sûreté », dénoncé par les
instances internationales dont l’Union Européenne, et une
négociation sur les questions sensibles, comme le partage de
Jérusalem, ville sainte de nos trois religions, aujourd’hui
violentée. Les questions concernant le Moyen-orient sont en
général décrites en termes d’euphémismes trompeurs : on confond
sans cesse l’opprimé et l’oppresseur. Les dirigeants d’Israël
s’acharnent à réaliser l’impossible : détruire la résistance
palestinienne.
Quiconque dans le monde est sincèrement attaché
aux droits légitimes des peuples palestinien et israélien – un
Etat viable et souverain pour le premier, une sécurité garantie
pour le second – ne peut qu’être atterré par la politique
israélienne. La politique d’Israël fait régresser la réflexion
et, partant, sabote toute forme de rapprochement entre chrétiens
et musulmans. Des voix humanistes, juives, chrétiennes,
musulmanes s’élèvent pour s’opposer à une guerre qui n’atteindra
aucun des objectifs que lui assigne les israéliens.
A cause de l’intransigeance d’israéliens, qui se
fourvoient, trop de pourparlers sont jusqu’à présent allés
d’échec en échec, en dépit des rares moments où l’on s’est pris
à espérer que la raison l’emporte grâce à quelques visionnaires.
Les dérives injustifiables qui suscitent insécurité et peur
relèvent des injustices, de la politique et de l’ignorance. Si
nous ne répondons pas à l’exigence de justice, les jeunes
palestiniens oubliés de la vie seront nombreux demain à être
candidats à la mort, non par fascination nihiliste ou par
fanatisme mais faute de ne pouvoir faire entendre leur voix.
Pour mettre en pratique les principes de la foi, de la paix,
les faire adopter, nous devons êtres solidaires de manière non
sélective, des peuples qui souffrent.
Saint Père, votre voix, peut contribuer à
ramener plus de compréhension, à faire reculer la loi du plus
fort et la logique inique de la colonisation. Il s’agit de
réinventer une nouvelle civilisation qui peut se dénommer celle
de l’hospitalité, qui n’exclut ni le droit à la résistance ni le
débat. Ce qui se joue est l’avenir de la liberté, du droit à la
différence, du droit des peuples. Les déshérités palestiniens,
chrétiens et musulmans et même des juifs, attendent de votre
voyage une parole juste et un signe fort. »
Mustapha Cherif, Philosophe, cofondateur et
premier co-président du Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne.
Coordinateur du Forum des Intellectuels Algériens, auteur de
« l’Islam tolérant ou intolérant ? » aux éditions Odile Jacob ;
2006.
Publié le 4 mai 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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