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Le Boycott des
dattes israéliennes pendant le Ramadan :
une démarche éthique et un devoir religieux
Mustafa Kastit, Nabil Ennasri
Mardi 8 septembre 2009 Quelle surprise et
même quelle honte ! La situation nous est apparue si scandaleuse
qu’elle exige de notre part quelques précisions quant aux
principes qui régissent l’éthique islamique. Aujourd’hui en
France, de nombreux musulmans rompent leur jeûne avec des dattes
provenant d’Israël. Commercialisées par des sociétés criminelles
(comme la société israélienne agro-alimentaire Agrexco) et sous
le label de marques provenant des colonies juives (Carmel,
Jordan River etc), ces dattes ont, aussi bizarre que cela puisse
paraître, pignon sur rue dans les étalages des commerces
communautaires ainsi que chez de nombreux “épiciers arabes“.
La situation est à son comble en
Languedoc-Roussillon - région qui a pourtant vu naître la
mobilisation contre l’installation de la société israélienne
Agrexco dans le port de Sète
- où certains commerçants n’ont pas hésité à disposer à la vente
des dattes provenant de la société… Agrexco ! Nombreux sont donc
les musulmans qui, en cette période de Ramadan, achètent des
dattes en provenance des colonies israéliennes. Reconnaissables
à leur forme (elles sont en général plus grosses que les dattes
provenant du Maghreb) et à leur goût, la présence de ces dattes
auprès des commerces communautaires n’en constituent pas moins
un scandale.
Cette situation hallucinante mérite des
clarifications quant au fait d’acheter et de consommer des
produits en provenance d’un Etat (Israël), dont les massacres
récents, la politique coloniale et les méthodes sanglantes ne
sont un secret pour personne et ont clairement été mis à l’index
par les organisations de défense des droits de l’homme.
Aussi, l’objectif de ce texte est clair : il s’agira pour nous
de rappeler le caractère illicite, au regard de la loi
islamique, de la consommation de produits israéliens et
particulièrement ceux provenant des colonies.
Car l’heure est grave : alors que le mois
du Ramadan bat son plein – mois de partage, de recueillement et
de communion spirituelle à travers la Oumma – et qu’il
est observé en France par des millions de musulmans, il est
quand même consternant et affligeant de voir les dattes
israéliennes envahir les marchés et épiceries de nombreux
quartiers populaires.
Rappelons d’abord les règles qui guident
les principes islamiques. La promotion du droit, de la justice,
de la dignité humaine, de même que la défense de l’opprimé,
l’assistance aux pauvres et aux déshérités constituent des
points cardinaux de l’éthique islamique. La vie du Prophète
Mohamed (Saw) est à ce titre exemplaire : symbole de bonté et
d’humanité, il était constamment au service des hommes. Une
célèbre tradition prophétique nous rapporte que « le meilleur
des hommes est le plus utile à ses semblables ».
Cette bienfaisance devait se voir
naturellement intensifiée pendant le mois de Ramadan. Ibn ‘Abbâs
rapporte : « Le messager de Dieu était l’homme le plus généreux,
et il l’était davantage pendant le Ramadan, quand il recevait
(l’archange) Gabriel. Gabriel lui rendait visite chaque nuit de
Ramadan, et ce jusqu’à la fin de ce mois durant lequel le
prophète lui récitait le Coran. Lorsque Gabriel rencontrait le
Prophète, celui-ci se montrait plus généreux que le vent amenant
la pluie. ».
En plus de ces valeurs d’humanité, l’islam
fait de la fraternité et de la communion spirituelle entre les
croyants une nécessité vitale. Après l’Hégire de La Mecque vers
Médine, le Prophète Mohamed (Saw) fonda la nouvelle société sur
trois piliers : la construction de la mosquée (lieu fédérateur
par excellence), la fraternité entre les Ansars et les
Mohajirines
et la Déclaration de Médine (ou Constitution de Médine). Il est
intéressant de noter qu’immédiatement après avoir posé les bases
de la mosquée, le Prophète a fait de la solidarité et de la
fraternité entre les musulmans une règle d’or, véritable socle
sur lequel reposerait la nouvelle société qui venait de
s’établir à Médine.
Cette notion de fraternité est si prégnante
chez les musulmans que l’islam considère ses adeptes comme
tenant d’une même famille. Le Coran nous enseigne
d’ailleurs : « Les croyants ne sont que des frères. Etablissez
la concorde entre vos frères, et craignez Dieu, afin qu’on vous
fasse miséricorde ».
Dans ce cadre, il ne fait aucun doute que la Oumma, au
sens de communauté spirituelle mondiale, n’est pas insensible
aux malheurs et à l’injustice qui frappent les musulmans de
Palestine, d’Irak, de Tchétchénie ou du Soudan – et plus
largement du monde. Et ce sentiment d’appartenance à une même
communauté de foi se manifeste de la manière la plus éclatante
pendant le mois de Ramadan.
Nous profitons donc de ce mois sacré pour
lancer un appel aux musulmans de France et d’Europe. Il leur
faut tout mettre en œuvre, par voie pacifique, pour contribuer à
mettre un terme à l’une des injustices les plus longues de
l’histoire contemporaine. Israël se considérant constamment au
dessus du droit et la communauté internationale étant incapable
de forcer l’Etat hébreu à appliquer les résolutions
internationales, il appartient désormais aux peuples et aux
citoyens de la planète d’agir pour la défense et le respect du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Initiée par de
nombreuses associations palestiniennes issues de la société
civile palestinienne et soutenue par plusieurs prix Nobel de la
Paix, l’arme du boycott est aujourd’hui l’un des moyens les plus
efficaces pour contraindre Israël à se plier au droit
international.
En ce sens, les musulmans d’Occident ont une responsabilité
historique à mettre en pratique ce boycott et ce, à tous les
niveaux et notamment dans le domaine économique. Plus qu’une
responsabilité, c’est un devoir et nous allons ici en détailler
les motivations.
Par conséquent et au regard de la situation
actuelle, il nous apparait primordial de rappeler que l’éthique
du musulman devrait lui interdire de consommer des produits
provenant de l’Etat d’Israël. En ce sens, nous appelons les
musulmans d’Europe à souscrire aux recommandations émises par
l’Union Mondiale des Oulémas au sujet de la solidarité que
doivent témoigner les musulmans du monde à l’égard du peuple
palestinien.
Nous affirmons cela sur la base de l’avis
juridique (Fatwa) émis le 31 décembre 2008 par l’Union Mondiale
des ‘Oulémas, association qui regroupe des dizaines de
personnalités religieuses et de savants provenant de nombreux
pays musulmans comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Indonésie,
le Maroc, la Jordanie etc. et présidée par le Cheikh Youssouf Al
Qardawi. D’après cet avis juridique, promulgué en plein carnage
à Gaza, « Il incombe à la Oumma toute entière de soutenir et
de venir en aide au peuple de Gaza, victime de la barbarie
israélienne. Cet édit religieux (hukm shar’i) est valable pour
tous les musulmans de la planète sans exception et s’adresse
autant aux gouverneurs qu’aux peuples. (…) Car la Oumma est à
l’image d’un seul corps, si un membre se plaint, c’est tout le
corps qui souffre. En effet, les croyants sont frères et
l’agression infligée à l’un d’eux devient une. ».
Dans ce même texte, les savants musulmans
mettaient l’accent sur le boycott des produits israéliens comme
moyen de lutter contre l’impunité et l’agression israélienne :
« Nous appelons à faire revivre la dynamique du boycott
économique à l’égard des produits israéliens et même américains.
C’est l’un des moyens les plus efficaces et l’une des armes les
plus redoutables pour venir à bout de l’agresseur. Car chaque
centime dépensé dans ces produits se transformera en balle qui
finira par se loger dans le corps de l’un de nos frères ».
Cet appel au boycott d’Israël émis en
janvier dernier a depuis été rappelé à de nombreuses reprises.
Il apparaît donc important pour nous d’affirmer que ce boycott
ne relève pas simplement du choix. Au regard de ce qui précède,
nous pouvons soutenir que le boycott des produits israéliens
relève non seulement d’une démarche éthique, d’un acte citoyen
mais également du devoir religieux. Cette attitude devrait, pour
les musulmans, s’intensifier pendant le mois de Ramadan, période
propice à la compassion et à la solidarité. En effet, jamais la
situation du peuple palestinien n’aura été si tragique. Alors
qu’Israël est gouverné depuis plus de six mois par un
gouvernement d’extrême droite, la population palestinienne n’en
finit plus de croupir dans des conditions insoutenables. Le
peuple de Gaza souffre toujours d’un blocus criminel et abject
qui maintient près d’un million et demi de personnes dans des
conditions épouvantables. Même la mosquée Al Aqsa fait
aujourd’hui l’objet d’assauts répétés de colons fanatiques et
les fouilles entreprises par les gouvernements israéliens depuis
quelques années vont jusqu’à menacer les fondations du Troisième
lieu saint de l’Islam.
Comment donc en cette période de Ramadan,
moment intense de recueillement où nos pensés et invocations
devraient être destinées à ce peuple martyr, consommer des
produits d’un Etat criminel qui – dernier avatar d’une longue
série d’agissements sanglants – vient de se rendre coupable d’un
abominable trafic d’organes prélevés sur le corps de
Palestiniens ?
Comment pourrait-on rompre son jeûne avec des dattes issues d’un
pays sur lequel plane des accusations de crimes de guerre et de
crimes contre l’humanité et commercialisés par des sociétés (Agrexco-Carmel)
qui sont le bras armé de la colonisation israélienne en
Cisjordanie et à Jérusalem-Est ? Est-ce qu’il est logique et
cohérent à ce que des musulmans puissent, pendant le Ramadan,
participer financièrement à la colonisation israélienne et
contribuer ainsi à faire perdurer le cauchemar palestinien ?
Il faut donc dire et répéter aux citoyens
européens de confession musulmane (notamment ceux de France et
de Belgique) que la consommation de dattes israéliennes est
comme une insulte proférée à l’égard du peuple palestinien. On
ne peut concevoir que le mois de Ramadan soit une occasion pour
les colonies juives de voir leur production s’écouler auprès des
consommateurs musulmans occidentaux surtout lorsqu’on se
rappelle que le Prophète Mohamed (Saw) lui-même utilisa cet arme
lors de l’embargo décrété contre Qoraysh par l’entremise de la
tribu Banu Hanifa.
Consommer des dattes israéliennes est donc
illicite pour qui entend vivre conformément à l’éthique du
musulman. Cet appel que nous lançons aujourd’hui rejoint
pleinement celui lancé par la campagne BDS pour qui le boycott
est une prise de position pacifique et citoyenne. En effet, les
solidarités qui composent le mouvement de soutien à la cause
palestinienne sont plurielles et complémentaires et c’est cette
dynamique prometteuse qui permettra de mettre en branle une
campagne internationale de boycott de l’Etat d’Israël, dont les
premiers succès apparaissent déjà.
Comme ce fut le cas pour le régime
d’Apartheid en Afrique du Sud, il faut désormais contraindre
Israël à cesser son occupation et son entreprise de colonisation
des territoires palestiniens. Notre démarche rejoint d’ailleurs
celle soutenue par d’autres autorités religieuse non-musulmanes.
En visite en Palestine, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu,
ancien prix Nobel de la Paix et figure emblématique de la lutte
contre l’Apartheid, a récemment soutenu au quotidien israélien
Ha’aretz qu’il était "nécessaire de frapper le régime
d’apartheid [israélien] au portefeuille, comme cela a été le cas
en Afrique du Sud avec l’embargo sur les armes et le boycott
économique."
Nabil Ennasri, diplômé de
l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est
actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines de Château-Chinon. Il a
séjourné dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes
Unis). Son mémoire « Le champ politico-religieux du Qatar :
une vision estudiantine » obtenu en vue de la validation du
Master II (Recherche) « Politique Comparée » à été rédigé
sous la direction du professeur François Burgat. Il est
également membre du Collectif des Musulmans de France.
Publié le 8
septembre 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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