Opinion
De Gaulle, l’indépendance et les
deux Diên Biên Phu
Mohamed Bouhamidi
Mardi 13 mars 2012
Le séisme planétaire et historique de
Diện Biên Phủ (13 mars au 7 mai 1954) a
laissé un écho si retentissant que la
victoire militaire des Vietnamiens
restera gravée comme modèle de défaite
d’une armée coloniale que ne dépassera
que celle de Saïgon.
Cette victoire vietnamienne contre le
corps expéditionnaire de l’Union
française – c’est-à-dire des troupes
françaises renforcées par les troupes
indigènes des colonies- a constitué un
puissant encouragement à la lutte
nationale du peuple algérien. En 2012,
le combat du peuple algérien qui s’est
déroulé à une journée de bateau de
Marseille, dans le contexte d’une
colonie de peuplement tout différent de
celui d’Indochine, se voit évalué dans
son résultat à l’aune de Diên Biên Phủ
qui a tranché la question du vainqueur,
et celle de l’indépendance du Nord-Viet
Nâm.
En Algérie, l’indépendance n’a pas
résulté d’une défaite de l’armée
française sur le modèle habituel de
défaite, et encore moins sur le modèle
de Dien Bien Phủ. Alors victoire ou pas
de l’ALN ? Cinquante ans après, des
militaires français, des historiens et,
surtout, des animateurs-télé, continuent
de discuter de la question. La thèse est
simple : nous n’avons pas gagné la
guerre, car nous n’avons pas réussi
notre Dien Bien Phủ.
Alors comment a été acquise
l’indépendance ? Par un cadeau, et comme
De Gaulle était au pouvoir, c’était un
cadeau de De Gaulle. Avant-hier encore,
on le répétait sur un plateau de la
télévision française. Et les généraux
français de surenchérir sur leurs
«victoires» dans la bataille d’Alger,
dans les maquis laminés, sur les
frontières hermétiquement fermées, dans
la guerre de l’ombre. Les historiens,
eux, y compris algériens, ont versé dans
le même sens : la guerre d’Algérie a été
un problème entre des généraux en mal de
revanche indochinoise et des colonels
égarés dans les maquis. Même les
historiens les plus émérites, et qui
passent pour honnêtes, chantent la
ritournelle : la guerre d’Algérie, c’est
le FLN contre les SAS sur fond de
bleuite. On se retrouve avec ce
paradoxe, que l’armée française aurait
gagné la guerre, mais perdu l’Algérie !
Hocine Aït Ahmed a déjà répondu à ce
paradoxe il y a bien longtemps, dans une
émission télé face à un général qui
alignait «les victoires de terrain». Si
El-Hocine a rappelé que l’ALN s’était
fixée comme but de la lutte armée
l’indépendance de l’Algérie, pas la
destruction de l’armée française.
L’armée française s’était par contre
fixée le but de détruire l’ALN et les
maquis et de rallier les populations.
Laquelle a atteint son but ? L’ALN qui a
défilé à Alger en juillet 1962 ou
l’armée française qui a plié bagages ?
En plus de ce que le but de la lutte
armée n’était que l’indépendance, la
guerre d’Algérie est unique par le degré
de son atrocité, de son intensité et de
sa dureté. Faut-il rappeler qu’elle fut
une sale guerre, celle de la torture
généralisée, des viols systématiques, du
napalm sur les villages. C’est le
président De Gaulle qui a mené la guerre
à son paroxysme de cruauté avec les
grandes opérations qui jetaient des
nuées de soldats sur nos dechras, et
c’est lui qui a parrainé ce crime
illustré par les centres de regroupement
dans lesquels on parquait les Algériens
coupés de leur terre et de leurs
ressources pour les livrer aux exactions
des soldats et des harkis. C’est De
Gaulle qui a fait passer les harkis à
deux cent mille, aggravant la guerre
civile que l’armée avait programmée dès
1955. La guerre d’Algérie a été la
guerre où on a opposé le plus grand taux
d’encadrement militaire à un peuple. 800
000 soldats et 200 000 harkis à ajouter
aux effectifs de la police, soit un
soldat pour quatre civils adultes des
deux sexes.
Après deux ans et demi d’effort de
guerre appuyé de la part de l’OTAN, du 9
au 11 décembre 1960, les Algériens
affrontèrent en masse les soldats
français à Alger. Contrairement à ce que
prétendent même les historiens, les
Algériens n’ont pas mené des
manifestations mais une confrontation
militaire d’un genre nouveau : des
foules désarmées ont choisi d’affronter
les mitrailleuses à mains nues. En trois
jours, le peuple algérien a réussi une
opération politico-militaire inédite :
la fusion des masses et de l’ALN, selon
l’heureuse expression du maquisard et
historien Mohamed Téguia. Et un
journaliste étranger – suédois,
semble-t-il – l’avait compris en
profondeur : le peuple, algérien avait
infligé un Dien Bien Phû politique au
colonialisme français. De Gaulle voulait
empêcher l’ALN d’aller au peuple, et au
moment le plus critique, le peuple est
allé en masse à l’ALN ; c’est cela la
victoire politico-militaire qui a mené,
quinze mois plus tard, en mars 1962, à
la victoire tout court, le temps de
négocier comme le Viêt-minh et l’immense
Ho chi Minh ont négocié après Dien Bien
Phû. Nous avons mené et gagné cette
guerre en dehors des formes connues,
avec ténacité et en inventant les formes
qui nous donnaient la victoire. Cela,
non plus, les colonialistes français,
d’hier et d’aujourd’hui, ne nous le
pardonnent pas et ne pardonnent pas à
décembre 1960 d’avoir été le plus
cinglant démenti à leur tentative de
faire oublier que ce fut la guerre de
notre peuple moins leurs harkis, et que
le FLN, c’était nous.
Bouhamidi Mohamed
Publié sur
Le Jeune Indépendant
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