Opinion
Fédéralisme libyen
Mohamed Bouhamidi
Samedi 10 mars 2012
Le retour
au tribalisme, au clanisme et à la
royauté religieusement obscurantiste
La proclamation d’une entité autonome
dans l’Est libyen rappelle cruellement
la réalité sociologique d’une Libye
patriarcale et tribale. Notons, au
passage, que ce genre de structures
sociales ne laisse aucune place au choix
politique individuel et fait du vote
d’une personne l’expression du choix du
clan et non du sien. C’est dire
l’imposture de ceux qui ont habillé la
destruction de l’Etat libyen et de la
Libye avec les oripeaux démocratiques
déjà mis en haillons en Irak, en
Afghanistan, à Ghaza, dans l’île de
Grenade, à Guantanamo, dans le Patriot
Act ou dans la légalisation américaine
de la torture.
Pendant que la presse dominante
encensait la destruction de la Libye,
suivie, avec zèle, par la presse
néocoloniale indigène, des dizaines
d’articles et de textes alternatifs
alertaient sur le web de l’inéluctable
dislocation de ce pays avec la
démolition de l’Etat libyen et des buts
réels des agresseurs, lesquels avaient
obstinément refusé les propositions
africaines de négociations, acceptées du
reste par Kadhafi. Il ne fait aucun
doute que l’OTAN – et particulièrement
le couple Sarkozy - Cameron – cherchait
à infliger à la Libye le maximum de
destruction et laisser le maximum de
blessures et de rancœurs insurmontables.
Ces analyses dévoilaient les buts
stratégiques de morcellement du pays
après la division du Soudan, et ce, afin
de créer sur toute la zone sahélienne
des mini-Etats en guerre et en demande
permanente de protection extérieure, en
contrepartie du bradage de leurs
ressources.
La partition de la Libye n’est ni un
accident ni un effet «non désirable».
C’était le but même de la guerre.
Sarkozy et Cameron savaient très bien
que le CNT servait juste à camoufler la
mise en branle des forces les plus
rétrogrades à travers des identités
politiques, tribales et religieuses
d’avant la colonisation. La presse
dominante a soigneusement caché le
lynchage des Noirs libyens – il ne
fallait pas réveiller la vigilance et la
conscience des Noirs américains – sinon
il aurait fallu expliquer que ce
lynchage prévient de la vengeance de
leurs anciens maîtres (ou de leurs
enfants) qui ne leur auraient pas
pardonné leur libération. Jeter un œil
sur la Mauritanie et sur l’histoire des
«Haratine» (ou «H’ratane» en Algérie)
permet en effet de cerner la question.
Le retour au tribalisme, au clanisme,
à la royauté religieusement
obscurantiste des Senoussi, à
l’idéologie esclavagiste des notables
féodaux et au fétichisme et à l’animisme
de la mort par la profanation des
cimetières prélude à la mort spirituelle
de la foi, voilà le contenu démocratique
des bombes de l’OTAN et des gauches
européennes, et voilà le contenu
démocratique de certaines gauches
algériennes qui ont tenté de nous vendre
les «bienfaits» de l’OTAN par «la
libération des Berbères» de Nefoussa.
Fiction politique, fiction militaire,
fiction sociale, le CNT ne servait donc
qu’à couvrir l’action de forces réelles,
mais rebutantes, que sont les tribus et
leurs identités passéistes, l’OTAN, le
Qatar, la CIA et ses Belhadj, ses
Shalabi ou ses Jibril.
Quelques jours avant la proclamation
de l’entité de Brêga ou Cyrénaïque, la
presse française et sa comparse indigène
ont commencé à lever le voile sur les
crimes de guerre des «thouwars», sur le
sort barbare réservé aux Noirs, sur les
tortures jusqu’à la mort... Beaucoup de
gens se sont interrogés sur l’origine de
cette volte-face dans le traitement
médiatique et se sont demandés s’il ne
s’agissait pas d’une autocritique sans
mea-culpa.
L’explication du mystère est tout
entière dans la proclamation de cette
nouvelle entité qui ruinait toutes les
manœuvres de Sarkozy et ses ententes
faussement secrètes avec le CNT. Cette
autonomie de la Cyrénaïque n’était plus
qu’une question de circonstances.
Pendant que le Qatar investissait sur
le terrain dans les milices, dans les
groupes djihadistes et dans les forces
spéciales, et pendant que les Etats-Unis
plaçaient leurs hommes passés par
Guantanamo ou par la CIA dans les
postes-clés, tout en téléguidant
l’action du Qatar, des Saoudiens et de
la Turquie, Sarkozy n’avait que la
fiction du CNT pour signer ce fameux
accord secret accordant aux Français le
tiers du pétrole libyen. Et les Français
n’ont eu que cette fiction du CNT pour
croire à des contrats de reconstruction,
d’armement ; ou encore ce contrat
indécent de contrôle des frontières
libyennes, côté algérien.
Durant la guerre d’agression, les
analystes et observateurs avaient
souligné le rôle de sous-traitant de la
France. Elle se retrouve sans aucun
recours. Sa seule planche de salut est
d’aller contre les buts de la guerre
qu’elle a exécutée pour le compte des
Etats-Unis et de la Grande-Bretagne et
d’essayer de donner le maximum d’oxygène
au CNT pour ne pas tout perdre. Du côté
de la Tripolitaine et du Fezzan, la
douche est glacée avec une prise de
conscience d’enjeux autrement plus
importants que celui de tenter de vivre
la réalité à travers une PlayStation. Du
coup, les milices se montrent prêtes à
discuter d’intérêts supérieurs à ceux de
leur univers tribal, en attendant que se
décide le sort du pays en tant que
nation et en tant qu’identité supérieure
à celles des tribus. L’Algérie
deviendra-t-elle le seul acteur régional
capable d’éviter une implosion à la
Libye ou, du moins, une implosion
incontrôlée ? Quel paradoxe ! Surtout si
l’on se souvient que le titre phare de
la presse coloniale locale se faisait le
relais des menaces d’un Abdeljalil
reconnaissant aujourd’hui n’avoir aucun
moyen d’assurer l’unité de la Libye.
Retenons, quand même, la reconnaissance
timide et honteuse des crimes des
rebelles, tout en notant qu’elle cherche
à occulter le pire d’entre eux : avoir
servi de supplétifs à des agresseurs
étrangers. Nous savons déjà que cette
presse ne pleure pas les malheurs des
Libyens mais cherche à détourner un
cours de l’histoire qui fait de la
France de Sarkozy le dindon de la farce
américano-qatarinne dans ce pays.
Mohamed Bouhamidi
Publié sur
Le Jeune Indépendant
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