Opinion
L'humanitaire au
service du capital : le cas du Pakistan
Mohamed Belaali
Lundi 13 septembre 2010
20
millions de Pakistanais, privés quasiment de tout, errent à
travers un pays dévasté et ravagé par de violentes inondations.
La brutale montée des eaux a déjà laissé derrière elle plusieurs
centaines de victimes. La famine commence à faire son apparition
et menace des millions d'êtres humains. La situation sanitaire
est catastrophique. Plusieurs millions d'enfants risquent d'être
emportés par des maladies mortelles selon les Nations Unis. Ban
Ki-moon, en visite dans le pays, disait lui-même qu'il n'avait «jamais
vu une catastrophe d’une telle ampleur». L'ampleur du
désastre n'a d'égale que la profonde souffrance de la population
pakistanaise livrée à elle-même. Mais si l'aide humanitaire se
fait toujours attendre, le matériel militaire de l'OTAN pour la
poursuite de la guerre contre les talibans en Afghanistan voisin
circule, lui, normalement ! La sale guerre impérialiste passe
avant l'aide humanitaire. Pire, pendant que les pakistanais
affrontent, dans des conditions inhumaines, cette terrible
catastrophe, l'armée américaine continue à bombarder le
Nord-Ouest du pays faisant des dizaines de victimes civiles (1).
Pour les États-Unis et leurs alliés, la population pakistanaise
qui résiste à l'hégémonie impérialiste dans la région ne mérite
aucune aide. L'humanitaire doit servir l'intérêt des puissances
capitalistes.
Le grand
spectacle humanitaire
organisé par les pays impérialistes, leurs ONG, leurs sportifs,
leurs artistes et leurs médias concernant le séisme haïtien
contraste avec le silence, l'indifférence et le mépris avec
lesquels la tragédie pakistanaise est traitée. C'est que le
Pakistan n'est pas Haïti! Et même dans le cas de ce dernier
pays, plus de neuf mois après le terrible tremblement de terre
du 12 janvier 2010, rien ou presque rien n'a été fait pour une
population abandonnée à son triste sort alors que les troupes
américaines et les ONG humanitaires par dizaines sont toujours
présentes sur le sol haïtien.
Mais au moins, on a réussi à transformer la tragédie haïtienne
en un immense show humanitaire et médiatique (2).
Le drame pakistanais, lui, n'a
été traité qu'avec parcimonie par les médias bourgeois. Et
malgré une présence massive des grandes ONG (largement
dépendantes des États occidentaux et de l'Union Européenne),
l'aide humanitaire pour le Pakistan n'arrive qu'au compte-goutte.
Ici nul spectacle humanitaire, nul appel aux dons lancé
directement par les médias, nulle opération de relation publique
des multinationales et nul battage médiatique. La souffrance du
peuple pakistanais se fait dans le silence.
Ironie du sort, le Pakistan est
le principal producteur mondial des tentes humanitaires. Mais
les industriels américains veulent remplacer les fabricants
locaux et vendre aux pakistanais des tentes beaucoup plus
chères: «Aider le Pakistan, aider Haïti sont des réactions
humanitaires appréciables des États-Unis, surtout s'ils adoptent
la stratégie «aide des USA, made in USA» écrivent-ils(3).
L'humanitaire c'est aussi du business, il s'arrête là où
s'arrêtent également les intérêts des puissances impérialistes!
Il faut dire que sur
l'échiquier international, le Pakistan occupe une position
singulière à cause de son histoire mouvementée, de sa puissance
nucléaire et de sa frontière avec l'Afghanistan.
Le Pakistan a été « Conçu à
la hâte et mis au monde prématurément par une césarienne de
dernière minute » disait
Tarik Ali (4). Il a été également amputé du Cachemire toujours
disputé par l'Inde et privé de sa partie orientale, le
Bangladesh.
Le Pakistan a payé chèrement
son indépendance nucléaire à cause du refus américain. Le
gouvernement démocratiquement élu d'Ali Bhutto, le père de
l'arme nucléaire pakistanaise, fut renversé par un coup d'État
militaire dirigé par le général-dictateur Zia avec la
bénédiction des États-Unis. Ali Bhutto fut jugé et exécuté en
1979.
En 1999, un nouveau coup d'État
porte au pouvoir un autre général-dictateur, Pervez Mucharraf,
le ferme soutien des américains dans la région (on le surnommait
d’ailleurs dans le pays... Busharraf !).
Benazir Bhutto, fille d'Ali
Bhutto, fut assassinée à son tour en 2007 et de lourds soupçons
pèsent toujours sur Mucharraf dans cet assassinat.
Au total depuis sa création en
1947, le pays a connu pas moins de quatre coups d'État
militaires. Il est inutile de préciser que la main de Washington
est derrière, pour ainsi dire, tous ces événements majeurs qui
ont fortement bouleversé ce pays.
Aujourd'hui, l'Afghanistan
voisin est toujours occupé par les puissances impérialistes
menées par les américains. La résistance afghane, de
mieux en mieux organisée, de plus en plus unie, porte des coups
décisifs aux armées d'occupation.
Le Pakistan entretient avec
cette résistance des relations ambiguës et complexes. En tout
cas, les pays occidentaux soupçonnent fortement l'armée
pakistanaise et ses services secrets, les fameux Inter-Services
Intelligence (ISI), de coopérer avec les talibans pakistanais et
surtout afghans. En effet, le Pakistan tient à garder ses
vieilles relations avec ces derniers dans le but de préserver
ses intérêts stratégiques et surtout de ne pas laisser le champ
libre à une autre puissance nucléaire, l'Inde son ennemi de
toujours. Car les américains, tôt ou tard, seront contraints de
quitter l'Afghanistan: «Si l'Amérique s'en va, le Pakistan
est très inquiet d'avoir l'Inde à sa frontière Est et l'Inde en
Afghanistan à sa frontière Ouest»
(5). Le gouvernement
pakistanais redoute que l'Inde développe, après le départ des
américains, des relations privilégiées avec les talibans
afghans. Rappelons tout de même que de 1947 à 1999 le Pakistan
et l'Inde, deux puissances nucléaires, se sont livrés quatre
guerres successives. Islamabad considère en quelque sorte
l'Afghanistan comme sa chasse gardée.
Le Pakistan n'est pas prêt à
abandonner ses relations, même ambiguës, avec les talibans
nonobstant les pressions fortes des États-Unis.
En tout cas, les pakistanais
sont présentés à l'opinion publique occidentale, comme les amis
de ces grands méchants talibans barbus, cruels et primitifs.
Nous les civilisés de
l'occident capitaliste, nous n'allons tout de même pas apporter
notre secours aux amis de nos ennemis! Notre humanité a des
limites.
Ces deux peuples (afghan et
pakistanais) se retournent aujourd'hui contre nous alors que
grâce à nos valeureux soldats, nous essayons de leur apporter
démocratie et prospérité tout en protégeant leurs femmes.
Les quelques bombes qui tombent
de part et d'autre de leur frontière commune et qui font des
victimes innocentes ne sont que des erreurs, des bavures bien
évidemment...
Et notre présence «là-bas»,
c'est pour leur bien, n'est-ce-pas ? On leur construit des
écoles, des hôpitaux, des routes etc. Mais ces barbares ne
comprennent rien à rien! Il ne comprennent que le langage de la
force : «Nous
n'avons pas le droit de renoncer à défendre nos valeurs. Nous
n'avons pas le droit de laisser les barbares triompher»(6).
Mais derrière la diabolisation
du pakistanais et de l'afghan, comme d'ailleurs du cubain, de
l'iranien, du palestinien, du nord-coréen, de l'irakien etc. se
cachent des intérêts impérialistes. Car ces mêmes «barbares» de
talibans, on les appréciait bien et on les appelait même les
Moudjahidines de la liberté lorsqu'ils combattaient la présence
soviétique en Afghanistan (1979-1989)! Pour faire barrage à
l'armée russe, les américains ont financé, entraîné et armé ces
«combattants de la liberté» et le Pakistan devint leur allié
privilégié dans la région.
Ainsi le civilisé d'hier est
devenu le barbare d'aujourd'hui! Seule la bourgeoisie, pour ses
intérêts, est capable d'un tel exploit. Les ennemis comme les
amis d'ailleurs ne sont jamais permanents; seuls les intérêts
sont permanents!
L'humanitaire dans un ordre
économique, social et politique profondément injuste qui
n'accorde aucune valeur à la vie humaine, ne peut que servir les
puissances capitalistes qui l'instrumentalisent cyniquement pour
leurs seuls intérêts.
A bas l'humanitaire
capitaliste!
Vive la solidarité entre les
peuples!
(1)
http://www.latribune-online.com/monde/39339.html
(2)
L'humanitaire au service du capital:le cas de Haïti
(3)
lemonde.fr/idees/article/2010/09/06/l-aide-au-pakistan
(4) Tariq Ali « Le choc des intégrismes »,
Textuel, 2002.
(5)
Déclaration de Tariq
Fatemi, un ex-ambassadeur du Pakistan, au
New York Times.
Cité in
www.wsws.org
(6)
rue89
Publié le 21 septembre 2010
Partager
Le
dossier Pakistan
Dernières mises à
jour
|