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UJFP
Une rencontre, deux voix
Mireille Fanon-Mendès France
Photo L'Humanité
Dimanche 23 août 2009
Une fois encore, à la sortie du tournant de Progress Drive,
légèrement en contre bas, se dressent deux rangées de fils de
fer barbelés installés au-dessus des grillages entourant la
prison de Greene. Identiques à ceux que l'on voit le long du mur
de l'apartheid et de la honte en Palestine, mais aussi le long
de la frontière mexicaine et à la frontière maroco-espagnole,
juste avant de passer à Mellila et dans bien d'autres endroits
de par le monde.
Au loin, se détache le secteur où Mumia Abu Jamal est retenu
depuis 27 ans. Un espace-temps constituant celui qui sépare une
génération d'une autre. 27 ans de prison pour un meurtre non
commis, 27 ans à se battre, au quotidien, pour faire reconnaître
son droit à un procès équitable. 27 ans à démonter les fausses
preuves présentées lors du premier procès, à dénoncer la façon
dont ont été sélectionnés les jurés, à dénoncer les propos
racistes ouvertement tenus par le procureur, 27 ans d'espoir.
Tout ce temps volé à Mumia, aux siens, à ses amis et à tous ceux
qui, de par le monde, se mobilisent pour son droit à un procès
respectant les droits fondamentaux de tout être humain. 27 ans
encore de déni de justice. 27 ans d'attente. 27 ans
d'enfermement et toujours debout.
Aujourd'hui, je suis accompagnée de Sion Assidon, ancien
prisonnier politique sous le règne d'Hassan II, pour lequel
Amnesty International avait mené une campagne. Pendant 12 ans et
demi, il a été enfermé, après une parodie de procès, dans la
prison de Kenitra; a tenté, avec deux autres «retenus» de s'en
évader, a été repris. Libre depuis 25 ans, son premier acte a
été un bain de mer. Quel sera le premier acte de Mumia?
Deux prisonniers politiques, venant d'espaces géographiques très
éloignés mais luttant pour l'émancipation sociale et la fin de
systèmes politiques dominants et dominateurs, vont se
rencontrer. Pour Sion, venant du Maroc, il est urgent qu’un
soutien politique pour Mumia vienne aussi de l'espace du Maghreb
et s'y organise rapidement.
Nous attendons de savoir si nous sommes sur la liste, toujours
un temps suspendu...Nos noms y figurent. Il est 8h30, ce
dimanche matin 23 août. Nous verrons Mumia dans quelques
instants. Premier contrôle passé, attente dans un sas qui ne
s'ouvrira que lorsque Mumia sera extrait de ce qu'il nomme sa
«cage». Long corridor silencieux et d'une propreté inhabitée. Au
bout, Mumia est là, toujours vêtu d'une informe salopette
orange, ses dreadlocks de plus en plus longues, sourire aux
lèvres.
Après les premiers échanges, le plaisir de se revoir, de donner
et de prendre des nouvelles des uns et des autres, je les laisse
se reconnaître.
Echange entre prisonniers. Découverte des conditions d’isolement
maximales faites autour de Mumia. Il est difficile de faire
répondre Mumia aux questions concernant son quotidien. Ce n’est
qu’à la fin de la visite que nous découvrirons que Mumia a
encore une nouvelle corde à son arc… Car Mumia est d’abord
complètement tourné vers le monde, vers l’ailleurs. Son regard
dépasse l’horizon étroit des murs et du quotidien.
Comme toujours Mumia ne parle que du monde et des mobilisations
qui devraient advenir si nous voulons le changement. Longuement,
nous échangeons sur l'impérieuse nécessité d'obtenir des
éléments de transformations sociales et pour ce faire de
l'importance de se mobiliser à partir des droits économiques,
sociaux et culturels mais aussi civils et politiques.
Nous plaisantons sur le «short guy» dit aussi le «petit
Napoléon» qui a dû se mettre sur la pointe des pieds pour
paraître un peu moins court par rapport à sa femme et au couple
Obama.
Si nombre d'activistes ont pensé que le changement pouvait venir
à la suite de l'élection d'Obama, il leur suffirait de parler
avec Mumia qui, suivant les informations soit à la télévision ou
la radio soit sur les journaux distribués avec une régularité
dépendant de la bonne humeur des gardiens, a rapidement compris
que ce nouveau président américain ne changerait en rien la
politique nord-américaine, ou seulement à la marge. Une peau
noire avec un masque blanc. Ne devons nous pas constater qu'il a
raison? Certes, le discours du Caire est important et aurait dû
être annonciateur de changements. Il n'en est rien. Il s'agit
d'un remake, n'avons nous pas espéré sous Clinton?
Il est 12h. Pas une seconde, nous n'avons vu le temps passé,
tant est intense l'échange. La parole fluide. Où sommes nous?
Enfermés dans une cellule séparée en deux par une épaisse vitre,
le temps s'est aboli, l'espace s'est ouvert. Nous sommes tous
les trois hors les murs. Ils sont tombés. Nous les avons
déconstruits. Nous sommes libres. Mumia nous rend libres. Là est
sa force et le paradoxe de la situation d'enfermement dans
laquelle il se trouve. C'est lui qui nourrit les visiteurs qui
viennent à lui. Ni la sentence inique et monstrueuse ni
l'emprisonnement n'ont réussi à réduire en esclavage cet esprit
libre et constructif. N'a-t-il pas, face aux méandres juridiques
impossibles dans lesquels se trouvent la plupart des prisonniers
et des condamnés à mort, trouvé le temps d'écrire un livre pour
aider les uns et les autres à comprendre, à apprendre pour mieux
se défendre. Signalons que nous avons, aussi bien à New York
qu'à Washington, essayé de trouver ce livre publié en avril 2009
«Jailhouse Lawyers: Prisoners Defending Prisoners V. the USA».
Impossible, indisponible dans toutes les librairies.
Est-il si dangereux qu'il soit plutôt préférable de violer la
Constitution américaine que de lui garantir son droit à un
procès équitable ? On se trouve dans l'obligation d'accepter
cette monstruosité. Il n'est d'ailleurs pas le seul prisonnier
politique à qui il est refusé le droit au droit. Leonard Peltier
n'attend il pas aussi un procès équitable alors qu'il a été
condamné, il y a plus de 30 ans sans aucune preuve?
Sion, devenu libéré-libre, Mumia, toujours libre-enfermé, se
sont trouvés et soudain Mumia, qui nous a appris que depuis
plusieurs mois, il prenait des cours de chant - dans l'espace
fermé où nous nous trouvons - sort de sa poche un bout de
feuille plié et replié. Une seule ligne musicale inscrite de sa
fine écriture. Il la plaque sur la vitre, Sion fredonne. Une
chanson pour sa femme. Tout en tendresse, en douceur, en espoir,
en tristesse.
Ce chant sorti d'une voix fragile mais intense est porteur
d'espérance. Il appelle l'espace. Tout s'arrête... Sion, en
apprenti du chant lui aussi, répond par une mélodie de Fauré ,
‘les berceaux’ – « que la main des femmes balancent… » - cette
force qui retient les âmes, ou qui tient le monde sur un souffle
?...
Les nouvelles, sur le plan légal, ne sont pas bonnes. Il est
toujours passible de la peine de mort et particulièrement depuis
que certains de ses recours ont été refusés. Certes, il en reste
deux pendants devant la Cour Suprême des Etats-Unis et la Cour
d’Etat de Common Pleas à Philadelphie.
Mireille Fanon-Mendès France, Fondation Frantz
Fanon
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