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UJFP
La guerre sans fin et le droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes
Mireille Fanon-Mendès France
Mireille Fanon-Mendes France.
Photo Festival.com - Remi Boisseau
Vendredi 11 décembre 2009
Sans minimiser l'importance d'une analyse géostratégique à
partir des forces en présence et des enjeux liés à la volonté
des pays occidentaux d'imposer une guerre sans fin, cette
présentation propose de réfléchir à un aspect qui est assez
souvent placé au second plan, voire la plupart du temps ignoré.
Il s'agit du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes -pilier
essentiel du cadre normatif des Nations unies conquis par les
peuples colonisés- grâce auquel les rapports de force, dans les
relations internationales, peuvent et doivent être régulées.
Sans son effectivité et son applicabilité pour l'ensemble des
Nations, qu'elles soient petites ou grandes et y compris pour
les peuples sans Etat, le monde court directement à la loi du
plus fort.
Réfléchir à ce que nous appelons la guerre sans fin, nécessite
de faire un détour par ce que les peuples dominés, au cours de
leur lutte pour leur droit à disposer d'eux-mêmes et à disposer
de leurs ressources naturelles, tout comme leur droit à choisir
librement leur système politique ont eu à subir et la nature de
leur résistance ainsi que ce qu'il leur avait été possible de
penser en termes d'alternatives au modèle capitaliste.
J'introduis des questionnements qui me semblent pertinents dans
le contexte actuel et qui demandent une réflexion organisée à
partir d'un changement de regard et parce que, d'une certaine
façon, ils appellent à une prise de risques.
Je ne vais pas présenter une analyse géostratégique de l'état du
monde. Même s'il faut préciser que la guerre sans fin doit être
expliquée dans sa « nouveauté ». Cette nouveauté pointée par
Pierre Beaudet repose sur le fait qu'il y a une superpuissance
cherchant à prévenir et surtout à empêcher l'avènement d'autres
compétiteurs de grande envergure que sont la Chine, la Russie,
les BRIC, tout en reposant une alliance « durable » entre les
USA et l'Union européenne.
Cela a été fait, mais il m'apparaît que dans ces analyses, il
manque toujours un aspect important, celui de la guerre ouverte
faite aux droits, avec un droit particulièrement visé celui du
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, avec les conséquences
que cela entraîne.
Il me semble, même si cela peut paraître une antienne usée,
qu'il faut repasser par (...) le contexte de l’après guerre,
marqué par la lutte idéologique entre le bloc occidental et le
bloc socialiste, moment où a émergé la prise de conscience
collective qu'il était fondamental de lutter contre tout type de
domination et contre toutes les formes de marginalisation des
peuples .
Moment qui a représenté un pas historique et qui a montré aux
peuples opprimés qu’il était possible de construire des
alternatives. Ce moment passe par Bandung.
Revisiter Bandung n'est pas inintéressant, surtout parce que la
volonté avouée de l'ensemble des Occidentaux est, aujourd'hui,
de casser ce qui reste du tiers mondisme militant mais aussi
d'empêcher les BRIC -même si les pays du BRIC aspirent à
consolider leur forme de capitalisme - de mieux se structurer.
Dès lors, et même si l'on ne peut plus parler d'un « front »
tiers mondisme, il n'en reste pas moins qu'il est constructif
d'analyser les enjeux d'un tel mouvement. En effet, rappelons
que Bandung (...) est le résultat d’évènements extrêmement
importants qui ont eu des conséquences politico-idéologiques sur
les différentes luttes de libération nationale et de conquête de
l’indépendance.
Les peuples, jusque là ignorés et dépossédés de tout droit,
considérés comme assujettis à la métropole, sous l’idée force du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, se rebellent contre le
statut quo imposé par la violence de la domination coloniale des
Etats européens. C’est au cours des années 1950-1960 qu’un
troisième monde émerge: le tiers-monde qui revendique lui aussi
sa place dans les relations internationales et sa part dans le
partage des richesses de la planète.
Fort de promesses et de transformations dans les rapports de
force, ce troisième monde n'a pas répondu aux attentes. Il n'a
pas joué le rôle qui lui était assigné, malgré la volonté des
participants qui avaient identifié un axe d’action (...)
s’articulant autour du rassemblement des pays pauvres, de la
lutte contre le colonialisme et contre la ségrégation raciale et
qui se déclaraient, à l'issue de la conférence, en faveur du
développement, de la paix et de la coopération internationales
(...). En affirmant que le colonialisme et l’exploitation, sous
toutes ses formes, sont la négation des droits humains et un
obstacle au développement et à la paix, cette déclaration
constituait un cri de ralliement légitimant et légalisant le
droit des peuples, soumis à l’occupation étrangère, à disposer
d’eux-mêmes.
Il n'est pas inintéressant de souligner que la conférence
affirmait 1) le respect des droits humains fondamentaux en
conformité avec les buts et les principes de la Charte des
Nations Unies; 2) le respect de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de toutes les Nations; 3) la
reconnaissance de l’égalité de toutes les races et de l’égalité
de toutes les Nations, petites et grandes.
Qu'en est il aujourd'hui de ces positions fortes du Tiers Monde
qui, si elles ont changé, non pas la nature mais la forme des
rapports de force dans les relations internationales, n'ont
néanmoins pas permis aux pays du Sud d'agir, non pas en pesant
plus d'un côté ou de l'autre selon leurs besoins, mais en tant
que troisième force qui aurait dû transfigurer la nature des
rapports de force dans le cadre d'une nouvelle recomposition du
monde?
Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, le monde se cherche,
tentant de rééquilibrer les rapports de force à coup de logiques
de guerre économique et de guerre de civilisation qui
s’entretiennent mutuellement, prenant en étau les sociétés où
qu'elles se trouvent. L’humanité semble à nouveau rouler vers la
guerre infinie, même si celle-ci ne présente pas les
caractéristiques classiques des guerres entre états. Une des
premières victimes de cette guerre sans fin est le droit à
l’autodétermination, conquis de haute lutte après des siècles de
colonisation, de soumission et de racisme, par les peuples
colonisés.
Le droit à l'autodétermination, règle de droit international
largement reconnue, autorise les peuples à opter pour la
structure politique de leur choix et pour leur indépendance.
Droit consacré par la Charte des Nations Unies et proclamé par
l'ONU comme étant le droit de tout peuple à se soustraire à la
domination coloniale , ce droit est avant tout la garantie d’une
société pluraliste et démocratique, selon la formulation
contenue dans la revendication en faveur d’un nouvel ordre
économique international de 1974 .
Depuis une vingtaine d’années, est imposée une mondialisation
basée sur un capitalisme autoritaire donnant toute liberté aux
capitaux ce qui entraîne pour la société internationale
contemporaine un fonctionnement basé sur une logique largement
déterminée par les «pouvoirs privés», eux-mêmes fondés sur une
logique marchande et de «marchandisation» de l’être humain, de
la société internationale et des populations de la planète.
Parallèlement à cela la liberté de circulation des populations
est restreinte, au nom de la menace terroriste qui devient un
prétexte en faveur de mesures liberticides. Ainsi, se
développent d’un côté la peur, le fatalisme, le repliement des
uns et des autres tandis que de l’autre se développe un délire
de puissance pour les tenants d’un libéralisme échevelé, le tout
sur fond de guerres justifiées soit pour des raisons de
captation des ressources naturelles, soit pour transposer un
modèle dit démocratique, pensé en son temps par «cette vieille
Europe qui n’en finit pas de mourir », soit encore pour
revendiquer le droit d'imposer une idéologie raciste et
dominatrice alors que se poursuit depuis plus de soixante ans
l'occupation illégal d'un pays et la volonté d'asservissement de
sa population.
Ce phénomène de la mondialisation devient, dès lors, un moyen de
fabriquer un monde à partir d'un modèle unique qui ne reflète
absolument pas les particularités de la majorité des pays et des
peuples.
Dès lors les différentes règles de droit international,
garantissant le droit des peuples, entre autres l’interdiction
de l’utilisation de mesures économiques pour contraindre un Etat
à subordonner l’exercice de ses droits, se trouvent remises en
cause. Une autre règle proclamant également le droit inaliénable
de tout peuple de choisir son propre système politique
économique, social et culturel est aujourd’hui soumise aux
orientations des institutions financières internationales et des
systèmes financiers qui contraignent certains pays à des
programmes d’ajustement structurel et à ce qui est appelé «bonne
gouvernance, transparence, démocratie mondiale, lutte contre le
terrorisme…».
Face à ces attaques sans limite, le droit des peuples à
l'autodétermination, pilier du droit international, est
gravement menacé par l’existence et l’expansion de ce seul
modèle social international. Il l’est également, dans ce monde
unipolaire, par les théories prétendant justifier le droit à
l'intervention sous des prétextes humanitaires ou ce nouveau
droit concernant la responsabilité de protéger .
Dans ce contexte c’est tout l’arsenal juridique dit «pluraliste»
«hétérogène», avec une «tendance à la démocratisation» des
rapports internationaux qui se trouve remis en cause. Au-delà,
c’est le rôle de l’Etat qui est visé. Sur le plan international,
un petit groupe d’Etats puissants et d'entreprises
transnationales prennent, à huit clos, des décisions qui
déterminent la vie et les conditions de vie des peuples.
Aujourd'hui, nous ne pouvons que constater que la régulation
juridique internationale et le droit international construit
après la deuxième guerre mondiale subissent une dégradation
généralisée entraînant des répercussions directes sur les règles
consacrées par la Charte des Nations Unies, sur le régime
juridique international et sur le droit interne des Etats, et en
conséquence, sur le droit des peuples à disposer d’eux mêmes et
plus encore sur les droits civils et politiques et sur les
droits économiques, sociaux et culturels et environnementaux.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la guerre sans fin avec
pour pierre angulaire la remise en cause du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes et de leurs ressources.
Outre, la guerre militaro financière faite aux Etats et aux
peuples, outre la guerre menée contre les migrants, une guerre
est faite aux gens à coups de dérégulation des acquis sociaux
mais aussi de restriction des libertés publiques et privées avec
en toile de fond une désinformation orchestrée par les media.
N'oublions pas que la volonté de l'hégémonie occidentale se
traduit sous bien d'autres formes qui ne viennent que renforcer
cette idée que le monde porte en lui le germe de la guerre
-parce que les peuples sont irresponsables et que seuls quelques
Etats sont capables de le préserver de ses tentations
destructrices.
Ainsi, une des formes est à regarder du côté de ce qui s'est
passé lors des conférences internationales contre le racisme.
Durant ces deux dernières conférences, l'objectif des dominants
était d'instrumentaliser le racisme à des fins de division du
monde. D'un côté les soutiens de l'Etat d'Israël, dont de
nombreux pays occidentaux mais aussi arabes et africains, et de
l'autre ceux qui affirment que le racisme et la discrimination
sous toutes leurs formes, la xénophobie et l'intolérance
associée doivent être combattus, partout dans le monde, afin de
gagner l'universalité des droits humains pour toutes et tous de
façon à faire monde et de se penser ensemble dans une
identité-relation.
C'est à partir de cette rupture que les Etats occidentaux et
leurs alliés ont tenté de renforcer en imposant, à l'ensemble du
monde, leurs conceptions de la lutte contre le racisme, les
discriminations et la xénophobie sur un terrain dont les limites
ne comprennent aucune critique à l'égard d'Israël et d'où la
question de la diffamation religieuse a été écartée.
Comment échapper à cette folie meurtrière qui va plonger les
peuples face à des défis écologiques et climatiques, à la misère
et à l’humiliation d’une part, au terrorisme et aux armes de
destruction massive de l’autre, à l’alternative entre guerre et
dialogue de civilisations? Seuls peuvent ils y arriver? Seuls
peuvent ils résister à ceux qui préfèrent imposer la guerre, la
compétition généralisée, alors que l’humanité a résolument
besoin de paix et de coopération?
Sur cette question des peuples et non des Etats, et plus
précisément de la construction d'un « front » des peuples, il
faut préciser que même si ce front a du mal à émerger, il reste
que le processus du Forum social mondial -même si cela se fait
de manière inégale- reste et est un des outils de « coalisation
». Mais devant la violence du système libéral mondialisé qui a
de plus en plus tendance à flirter avec une sorte d'aventurisme
nazi -parce qu'il se réorganise, entre autres sur la
capitalisation des peurs et l'aggravation des dérives-, il est
urgent que le processus de FSM permette la radicalisation des
mouvements par la construction d'alliances permettant de
déboucher sur la confrontation avec les pouvoirs, comme on le
voit en Bolivie.
Le monde, dans son ensemble, n’a jamais été aussi fortement sous
la menace d’un bouleversement radical, essentiellement à cause
du mépris ouvert – avec des nuances – des pays occidentaux dont
la politique consiste à saper ce droit international et à le
manipuler suivant leurs intérêts financiers et leurs appétits de
domination et d’hégémonie. Les dominants imposent, sans retenue,
au reste du monde leur loi de la jungle où ne règnent que des
rapports de force basés sur la domination et la loi du plus
fort.
Nous sommes face au danger.
Le capitalisme violent, décomplexé montre son vrai visage. Face
à lui, faut il penser à un autre Bandung des peuples ou à une
forme analogue ? En tout état de cause, il faut résister pied à
pied sur tout ce qui s’impose aux peuples. Il est important de
lier, de relier, de regarder vers de nouveaux horizons, de
construire des alternatives en pensant à des alliances prouvant
qu'il est possible de penser les rapports de force sur le
respect mutuel des peuples et de leur droit aussi bien à leur
autodétermination qu'à leurs richesses
1 Article commun, à la fois au Pacte
international pour les droits économiques, sociaux et culturels
et au Pacte international pour les droits civils et politiques
2 Mireille Fanon-Mendes France, article paru sur le site
d'Alternatives internationales, juillet 2009,
3 Je reprends certaines propositions de Pierre Beaudet, Alter
Inter Québec, à la suite d'un échange d'emails
4 Ce droit a été postérieurement réaffirmé par les deux pactes
de 1966 et largement confirmé par la Cour Internationale de
Justice dans l’Affaire du Timor Oriental, dans l’Opinion
consultative sur la construction du mur par l’Etat d’Israël et
dans l’affaire des activités militaires au Nicaragua où la Cour
a implicitement élargi son contenu et l’a clairement mis en
rapport avec le principe de la non-intervention et avec le droit
des peuples à choisir son propre modèle politique et
idéologique.
5 résolution 1514 de 1960
6 dans ce qui se dégage des deux pactes internationaux de 1966
7 Déclaration de l’Assemblée générale de l'ONU
8Peau noire et masques blancs, ed. La Découverte, Frantz Fanon
9 principe fortement réaffirmé dans la Déclaration sur
l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires
intérieures des Etats et la protection de leur indépendance et
de leur souveraineté du 24 oct. 1970
10 § 2 et 5 (Résolution 2131 [XX] 21 déc. 1965
11 Première résolution sur la responsabilité de protéger, 14
septembre 2009, voir le site
http//www.un.org/news/fr-press/doc/2009/SGSM12,
12 Durban -30 août-8septembre 2001 et Genève -20 au 24 avril
2009,-
Mireille Fanon-Mendès France, Fondation Frantz
Fanon
membre du groupe Stratégie du Conseil international des Forums
sociaux mondiaux
membre du bureau national de l'UJFP
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