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Interview
Gaza : « On ne peut pas dire la vérité à
la télé.
Il y a trop de gens qui regardent »
Michel Collon
Dimanche 28 décembre 2008
Sommes-nous bien
informés sur Gaza, le Hamas, l'Histoire ? Pourquoi ce divorce
entre l'opinion des "Vieux Européens" et les citoyens d'origine
immigrée ? Que peut-on faire pour surmonter ce fossé? Michel
Collon, spécialiste des conflits, répond aux questions «
provocantes » de l'hebdomadaire belge Solidaire.
Interview : Julien Versteegh
La crise économique et les soucis quotidiens occupent les
esprits et Gaza passe peut-être en second plan dans le quotidien
des travailleurs. Pourquoi ?
Michel Collon. Coluche disait « On ne peut pas dire la
vérité à la télé, il y a trop de gens qui regardent ». La
question à poser à la population belge est : pensez-vous être
bien informés ? Croyez-vous que dans une région comme le
Moyen-Orient avec toute la richesse du pétrole, on va vous dire
la vérité ?
Les médias et l’école cachent soigneusement comment Israël s’est
imposé. Imaginez ceci... Vous Belges, vivant et travaillant ici
depuis des générations, tout d’un coup, des gens débarquent : «
Nos ancêtres vivaient ici il y a deux mille ans, notre Dieu a
dit que cette Terre nous appartient, allez ouste, dehors ! »
Vous devez quitter votre maison, vos champs, vos richesses et
aller vivre dans des tentes. D’abord, les envahisseurs prennent
Bruxelles, Anvers, le Hainaut. Un peu plus tard, Liège et la
Flandre occidentale. Ils bloquent toutes les routes avec un
grand mur. Et finalement, vous vous retrouvez tous parqués
autour d’Ostende et au fond des Ardennes. Dans des conditions de
vie misérables. En plus, on vous traite de menteurs, de
violents, de terroristes. Eh bien, remplacez Ostende par Gaza,
et les Ardennes, par la Cisjordanie, vous avez exactement ce
qu’a fait Israël !
A propos de désinformation, les Belges ont quand même eu un
fameux avertissement, non ? La RTBF a réussi à leur faire croire
que la Belgique avait disparu en une soirée. Alors, prudence !
Dans les années 80, au Nicaragua, un gouvernement de gauche
voulait éliminer la pauvreté et résister aux États-Unis. Le
Nicaragua a été attaqué par des terroristes financés par la CIA,
et diabolisé par les médias. Les sandinistes ont été chassés et
le pays est retourné à la misère. Un prêtre nicaraguayen, alors
ministre de la culture, disait : « Quand je vois ce que les
médias racontent sur mon pays que je connais bien, je me dis que
je ne dois rien croire de ce qu’ils racontent sur les pays que
je ne connais pas ».
Le grand problème, des Belges, des Français, des Européens sur
le conflit israélo-palestinien c’est qu’ils sont désinformés.
Avec quelques rares exceptions, la télé se met du côté d’Israël.
Ces derniers jours, elle a fini par montrer les crimes d’Israël.
Mais tant qu’on le présente comme “ripostant à des roquettes”,
on justifie le colonialisme.
Quand même le Hamas a commencé et il prend la population
palestinienne en otage, non ?
Michel Collon. Non. A propos des roquettes tirées sur des
villes israéliennes, on ne nous dit pas que des Palestiniens
(Hamas, Fatah et individus) les tirent sur des villes dont on a
chassé leurs parents. Ils y habitaient avant ! Pourquoi le
cache-t-on ? Mais surtout : le Hamas a respecté la trêve pendant
des mois. Or, cette trêve avait plusieurs conditions. Israël
devait lever le blocus qui étranglait Gaza, il ne l’a pas fait.
Il ne devait plus commettre d’agressions militaires, il en a
commis. L’Égypte devait ouvrir ses frontières, cela n’a pas été
fait. En réalité, c’est Israël qui n’a pas respecté la trêve.
Le Hamas, c’est quand même des fondamentalistes. Des
progressistes peuvent-ils les soutenir ?
Michel Collon. D’abord, pendant des décennies, quand le
Hamas n’existait pas encore, Israël a tout fait pour détruire le
Fatah d’Arafat et les mouvements palestiniens de gauche.
Ensuite, comme le Hebzollah au Liban, le Hamas semble d’accord
de respecter le mode de vie de l’ensemble des populations à
Gaza.
Les gens ont voté Hamas, s’estimant trahis par les précédents
dirigeants palestiniens. Si vous interrogez des Palestiniens de
gauche et laïcs, ils ont voté pour le Hamas parce c’est le parti
qui résiste. Il est faux de dire que le Hamas prend les
Palestiniens en otage, ce sont tous les Palestiniens qui
refusent et refuseront toujours la colonisation, même si demain
le Hamas était totalement détruit.
Enfin, on nous dit de façon un peu raciste que ces gens sont des
musulmans et qu’ils sont des fanatiques... Qu’on m’explique
alors pourquoi les USA organisent des coups d’Etat pour
renverser Chavez, un fervent chrétien ! Ou Evo Morales, un
Indien. Au Venezuela, avant Chavez, 80 années de richesse
pétrolière ont produit 80 % de pauvres. L’argent partait dans
les poches d’Exxon. Chavez, Evo, les Irakiens ou les
Palestiniens : rien à voir avec la religion, tout à voir avec le
pillage des ressources de ces pays.
Mais en Palestine, il y a peu de ressources naturelles...
Michel Collon. Le Moyen-Orient forme un ensemble. Les Arabes
se voient comme une seule nation. Ce sont les colonisateurs qui
ont divisé la région pour mieux la contrôler. Les Britanniques,
puis les États-Unis ont veillé à mettre le pétrole aux mains des
rois, des riches saoudiens et autres marionnettes pendant que le
reste du monde arabe se débat dans la pauvreté et le
sous-développement. Israël est surarmé par Washington pour être
le gendarme du Moyen-Orient. De plus, il veut construire un
pipe-line qui en fera le distributeur du pétrole irakien sur la
Méditerranée.
Israël prétend qu’il n’y a personne en face pour négocier et
que la paix est impossible.
Michel Collon. La paix est possible au Moyen-Orient. Il faut
créer un seul État garantissant tous les droits à tous : juifs,
musulmans, chrétiens ou athées. Un État ne peut pas être fondé
sur une religion privilégiée, excluant ou rabaissant les autres.
Un seul État, un homme une voix, et le droit au retour pour ceux
qui ont été chassés.
Beaucoup de Palestiniens et d’Israéliens pensent qu’il faudra
une solution transitoire avec deux États. A eux de trancher.
Sans doute qu’avec toute la haine qui a été semée, il faudra une
ou deux générations pour arriver à une coexistence harmonieuse.
En tout cas, je maintiens qu’Israël est l’État le plus raciste
au monde, pratiquant le nettoyage ethnique contre les Arabes.
Pour arriver à une solution il faut mettre fin à ce racisme. Un
État comportant plusieurs cultures n’est pas un appauvrissement,
mais un enrichissement.
Je pense qu’avec ces provocations et ces destructions terribles,
Israël ne veut pas la paix. Il refuse de négocier en sachant que
cela risque de provoquer des attentats. Il aura ainsi un
prétexte pour justifier ses nouvelles déportations et annexions.
Le ministre belge des affaires étrangères Karel De Gucht et
ses collègues européens semblent prendre une position neutre
dans l’histoire...
Michel Collon. De Gucht n’est absolument pas neutre, et
l’U.E. non plus. Elle vient de voter pour Israël un statut de
quasi-membre de l’Union européenne alors qu’Israël viole toutes
les résolutions de l’ONU et le droit international depuis des
dizaines d’années ! Elle a qualifié de ‘terroriste’ le
gouvernement Hamas élu démocratiquement, ce qui a donné le feu
vert à l’agression. Quand la ministre des affaires étrangères
israélienne dit qu’Israël défend les valeurs de la communauté
internationale devant Sarkozy, celui-ci applaudit. Quand on voit
comment Sarkozy, Merkel, De Gucht et compagnie ont soutenu
Israël tout le temps, je dis que ce sont eux qui bombardent en
notre nom. Va-t-on continuer à le tolérer ?
C’est surtout la population belge d’origine immigrée qui se
mobilise actuellement. Pourquoi y a-t-il encore tellement
d’indifférence et de passivité des travailleurs « belgo-belges »
?
Michel Collon. Ils sont maintenus dans l’ignorance. Mais la
guerre en Palestine fait partie d’une guerre globale Nord - Sud
qu’on mène en notre nom. On ne peut comprendre le monde
d’aujourd’hui si on ne comprend pas pourquoi la richesse est au
Nord et la pauvreté au Sud.
Les grosses sociétés européennes ont volé l’or et l’argent de
l’Amérique latine, les minerais, le caoutchouc et les esclaves
de l’Afrique (avec notre Léopold II coupant les mains quand on
refusait de travailler pour lui), et le pétrole du Moyen-Orient.
Aujourd’hui, le tiers monde reste pauvre car les multinationales
s’y installent en payant les travailleurs une misère, en
interdisant les syndicats, en corrompant les dirigeants
politiques et la police. Donc, toute la richesse du Sud continue
de partir vers le Nord. Ceci place les travailleurs belges
devant un choix moral : se ranger du côté des volés ou des
voleurs ? Réclamer justice ou faire l’autruche en espérant
profiter un peu du vol ?
Nous devrions témoigner de plus de curiosité et d’ouverture. En
Belgique, nous avons la chance d’avoir des immigrés, y compris
des travailleurs sans-papiers. Il faut parler avec eux, les
écouter. On peut en apprendre beaucoup ! Les Arabes vous
expliqueront ce qu’a fait l’Europe au Moyen-Orient depuis des
siècles. Les Noirs vous expliqueront ce qu’elle a fait au Congo.
Les Latinos pourquoi il y a encore 44 % de pauvres alors que
l’Amérique latine est très riche.
Je compare la situation actuelle au Titanic. Avec les très
riches en première classe, les classes moyennes et les
travailleurs qui sont dans la troisième classe sans beaucoup de
confort mais ils sont dans le bateau. Seulement le Titanic fonce
vers le désastre car le capitaine et surtout les armateurs
gagnent gros. Sur le dos de ceux qui rament, les esclaves du
Sud, et sur le dos des travailleurs du Nord. En les
appauvrissant et en nous appauvrissant continuellement, ils
provoquent la crise, car ils n’ont plus personne à qui vendre.
Les travailleurs belges veulent-ils rester dans le Titanic,
fondé sur l’appauvrissement du tiers-monde, un système qui,
après la crise financière, s’en prépare d’autres, peut-être plus
graves encore ? Le nombre de pauvres n’a cessé d’augmenter dans
le monde depuis 20 ans. Veut-on couler avec le Titanic ou
choisir une autre façon de naviguer, basée sur des rapports
Nord-Sud justes ?
Que faire alors ?
Michel Collon. Depuis quelques années, je travaille avec
l’équipe Investig’Action, et mon site www.michelcollon.info pour
décoder l’info, donner la parole aux exclus de l’info
officielle, montrer les images cachées, apprendre à repérer les
médiamensonges. Beaucoup de gens m’écrivent, dégoûtés par la
presse et découragés, car on ne les écoute pas.
Il faut une stratégie collective pour que les gens puissent
tester l’info et devenir actifs. L’info est un droit qui se
conquiert et ne tombe pas du ciel. Comme tous les autres droits.
Ca nécessite une démarche active. Par exemple, si un responsable
syndical a encore un doute sur qui est l’agresseur et le
colonisateur entre Israël et les Palestiniens, qu’il organise
donc pour tous ses affiliés un débat avec les deux parties,
qu’il s’informe sur Internet, auprès des syndicalistes
palestiniens et auprès de ceux que la télé exclut de ses débats
!
Pour conquérir le droit à une information de qualité, complète
et non manipulée par des intérêts, nous avons besoin d’un
mouvement citoyen pour l’information, à la base. « Nous sommes
tous des journalistes ! »
10 janvier 2009
http://www.ptb.be/fr/hebdomadaire/article/article/interview-le-journaliste-michel-collon-sur-les-evenements-de-gaza.html
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