La saga des armes
chimiques syriennes:
un désastre humanitaire orchestré par
les États-Unis et l'OTAN ? Michel
Chossudovsky
Photo :
Marion Doss/Flickr / cc
Lundi 17 décembre
2012
Inspirée du discours sur les
armes de destruction massive (ADM) de
Saddam Hussein, la ruse propagandiste
concernant la présumée menace des armes
chimiques syriennes se développe depuis
plusieurs mois.
D’une même voix et sans preuves, les
médias occidentaux suggèrent qu’un
président Bachar Al-Assad « désespéré »
et « frustré » prévoit utiliser des
armes chimiques mortelles contre son
propre peuple. La semaine dernière, des
représentants étasuniens ont révélé à
NBC News que « l’armée syrienne a
chargé des bombes de gaz
neurotoxiques et attend les derniers
ordres d’Al-Assad ».
Les gouvernements occidentaux
accusent maintenant la Syrie d’avoir un
plan diabolique ordonné par le chef
d’État syrien. Entre-temps, l’hyper
médiatisation est passée à la vitesse
grand V. De faux reportages sur les ADM
syriennes sont introduits dans le réseau
médiatique, rappelant les mois précédant
l’invasion de l’Irak en mars 2003.
Le consensus médiatique qui se
développe est que « le régime du chef
d’État syrien Bachar Al-Assad semble à
son crépuscule » et la « communauté
interrnationale » a la responsabilité
d’aller secourir le peuple syrien afin
de prévenir un désastre humanitaire.
« [L]’Occident craint de plus en plus
que la Syrie, dans un ultime geste de
désespoir, lance des armes chimiques »
Des reportages récents indiquent que
le gouvernement assiégé de la Syrie a
commencé à préparer l’utilisation
d’armes chimiques [contre le peuple
syrien]. Après deux ans de guerre civile
et plus de 40 000 morts, les événements
en Syrie pourraient atteindre une apogée
sanglante. (WBUR,
11 décembre 2012.)
La Syrie (2012) comparée à
l’Irak (2003)
Les critiques antiguerre ont
abondamment souligné les similitudes
avec le subterfuge des ADM irakiennes,
qui consistait à accuser le gouvernement
de Saddam Hussein de posséder des armes
de destruction massive. La menace
présumée d’ADM a ensuite été utilisée
pour justifier l’invasion de l‘Irak en
mars 2003.
Dans la foulée de l’invasion, le
stratagème des ADM d’Irak a été reconnu
comme pure fabrication, le président
George W. Bush et le premier ministre
Tony Blair reconnaissant qu’il
s’agissait en fait d’une « grave erreur
». Récemment, l’archevêque Desmond Tutu,
récipiendaire du prix Nobel de la paix,
a réclamé que
les menteurs Blair et Bush subissent un
procès à la Cour pénale internationale
de La Haye.
La
saga des ADM syriennes contraste avec
celle d’Irak. Le but n’est pas de «
justifier » une guerre humanitaire
totale contre la Syrie en employant les
armes chimiques comme prétexte.
Une évaluation des planifications
militaires alliées ainsi que la nature
de l’appui des États-Unis et de l’OTAN
aux forces de l’opposition suggèrent une
approche différente de celle adoptée
avec l’Irak (2003) et la Libye (2011).
L’objectif est, en effet, de
diaboliser Bachar Al-Assad mais à ce
stade-ci le but n’est pas de mener une
guerre totale de type « choc et stupeur
» contre la Syrie impliquant une
véritable campagne aérienne. Dans les
conditions actuelles, agir de la sorte
serait extrêmement risqué. La Syrie
possède un système de défense aérienne
sophistiqué, équipé de missiles russes
Iskander (voir l’image) ainsi qu’une
force terrestre considérable. Une
opération militaire occidentale pourrait
aussi mener à une réaction de la Russie,
détenant une base navale dans la ville
portuaire de Tartous au sud de la Syrie.
Par ailleurs, des forces iraniennes
du corps des Gardiens de la révolution
(GRI) sont sur le terrain en Syrie et
des conseillers militaires russes sont
impliqués dans la formation de l’armée
syrienne.
Le Pechora-2M
est un système de défense antiaérienne
équipé de missiles sol-air à courte
portée conçu pour détruire des avions,
des missiles de croisière, des
hélicoptères d’assaut et d’autres cibles
au sol ou à basse et moyenne altitude.
Guerrenon
conventionnelle
À ce stade, malgré la supériorité
militaire des États-Unis et de l’OTAN,
une opération militaire en règle n’est
pas envisagée pour les raisons
mentionnées ci-dessus.
La guerre non conventionnelle demeure
la méthode privilégiée. Des reportages
confirment que les opérations militaires
menées par l’OTAN consisteraient
principalement à appuyer les forces
rebelles, leur structure de
commandement, leurs systèmes de
communication, leur recrutement, leur
formation et à leur transférer des armes
plus perfectionnées. Une partie de ce
projet, dont la formation des rebelles,
est accomplie par des entreprises
privées de mercenaires.
Il se pourrait que l’on envisage
une campagne de bombardements
aériens limitée et sélective en appui
aux rebelles en utilisant comme
prétextel’existence
d’armes chimiques syriennesstockées dans des bunkers.
Cette opération serait toutefois risquée
vu la capacité de défense aérienne de la
Syrie.
Un
programme militaire coordonné
caractérisé par un « appui naval et
aérien en plus d’une formation militaire
pour l’opposition » était l’ordre du
jour d’une récente réunion «
semi-secrète » à Londres, présidée par
le général Sir David Julian Richards,
chef d’état-major de la Défense
britannique.
Les chefs militaires de la France, de
la Turquie, de la Jordanie, du Qatar,
des Émirats arabes unis et des
États-Unis ont participé à la réunion de
Londres. Aucune autre information n’a
été rendue publique. (Voir Felicity
Arbuthnot,
Secret Meetings in London Plotting to
Wage War on Syria without UN
Authorization, Global Research, 11
décembre 2012.)
L’objet de ce rassemblement derrière
des portes closes à Londres (rapporté le
10 décembre 2012) était d’appuyer une
structure de commandement militaire
unifiée des forces d’opposition conçue
pour « unir les rangs des insurgés »
luttant contre les forces
gouvernementales. En pratique, cela
nécessitera un nouvel afflux de
mercenaires sous la supervision des
forces spéciales occidentales, déjà sur
le terrain en Syrie.
Orchestration d’un désastre
humanitaire?
L’élément formation de la manœuvre
des États-Unis et de l’OTAN est crucial.
En quoi est-il lié à la question des
armes chimiques de la Syrie?
À l’heure actuelle, l’alliance
militaire occidentale n’envisage pas de
guerre totale en réaction à la
possession d’armes chimiques par la
Syrie, mais plutôt la nécessité
d’entraîner les rebelles de l’opposition
à manier des armes chimiques.
Ce programme de formation a été
confirmé, a déjà débuté et est implanté
avec l’appui d’entreprises privées
spécialisées à contrat pour le Pentagone
et offrant des services de sécurité et
des mercenaires.
« Un représentant et des diplomates
étasuniens de haut rang ont déclaré à
CNN dimanche que les États-Unis et
certains alliés européens
emploient des sous-traitants du domaine
de la défense pour entraîner les
rebelles syriens à sécuriser les
réserves d’armes chimiques en Syrie.
» (
CNN Report, 9 décembre 2012.)
Un scénario diabolique faisant partie
intégrante de la planification militaire
se déroule, c’est-à-dire une situation
où des terroristes de l’opposition
conseillés par des entrepreneurs
occidentaux du secteur de la défense
sont en possession d’armes chimiques.
Il ne s’agit pas d’un exercice de
formation en non-prolifération. Alors
que le président Obama affirme « vous
serez tenu responsables » si « vous »
(en parlant du gouvernement syrien)
utilisez des armes chimiques, cette
opération clandestine envisage la
possession de telles armes par les
terroristes appuyés par les États-Unis
et l’OTAN, à savoir « nos »
agents affiliés à Al-Qaïda, dont le
FrontAl-Nosra
(voir l’image à droite), lequel
constitue le groupe de combattant le
plus efficace financé par l’Occident et
auquel sont intégrés des mercenaires
étrangers. Par un retournement de
situation, Jabhat Al-Nosra, un « agent
du renseignement » parrainé par les
États-Unis a récemment été placé sur la
liste des organisations terroristes du
département d’État.
L’Occident affirme qu’il vole à la
rescousse du peuple syrien dont les vies
seraient menacées par Bachar Al-Assad.
En réalité, non seulement l’alliance
militaire occidentale appuie les
terroristes, incluant le Front Al-Nosra,
il met également des armes
chimiques à la disposition de ses forces
par procuration, les rebelles de l’«
opposition ».
La prochaine étape de ce scénario
diabolique est que les terroristes de
l’« opposition » recrutés par les
États-Unis et l’OTAN pourraient utiliser
ces armes chimiques contre des civils ce
qui pourrait provoquer un désastre
humanitaire à la grandeur du pays.
La question plus générale est donc :
qui représente une menace pour le peuple
syrien? Le gouvernement syrien de Bachar
Al-Assad ou l’alliance militaire
États-Unis-OTAN-Israël qui recrute et
entraîne des forces terroristes d’«
opposition »?
Historique du prétexte des
armes chimiques syriennes
La saga des armes chimiques syriennes
a été lancée l’été dernier. Au début
août, le Pentagone a annoncé qu’il
enverrait de « petites équipes des
forces d’opérations spéciales » en Syrie
dans le but de détruire les ADM
syriennes. Ces équipes seraient appuyées
par des « frappes aériennes de précision
», soit des raids aériens. Aucune
attaque aérienne en règle n’était
envisagée. Selon le Pentagone, les
frappes de précision visaient à «
détruire les armes chimiques sans les
disperser dans l’air », un engagement
risqué…
Ironiquement, au début de ce plan
machiavélique, l’incursion et les
opérations aériennes des forces
spéciales étasuniennes ne ciblaient pas
le régime syrien. C’est plutôt le
contraire. L’intention déclarée de
l’opération était de protéger les civils
contre les rebelles de l’« opposition »
plutôt que des forces gouvernementales.
Aucune accusation n’a été portée
contre le président Bachar Al-Assad
voulant qu’il manigance l’emploi d’armes
chimiques contre les civils syriens.
Selon le Pentagone, l’opération avait
pour but de s’assurer que les ADM
syriennes, supposément « laissées sans
surveillance » dans des bunkers
militaires à travers le pays, ne
tombent pas aux mains de rebelles
djihadistes combattant les forces
gouvernementales :
Les planificateurs du Pentagone se
penchent davantage sur la
protection ou la destruction de toute
réserve syrienne laissée sans
surveillance et risquant de tomber aux
mains des combattants rebelles ou de
milices affiliées à Al-Qaïda au
Hezbollah ou à d’autres groupes de
militants. (U.S.
has plans in place to secure Syria
chemical arms – latimes.com, 22 août
2012.)
Le Pentagone disait en août que
ces ADM pouvaient tomber aux
mains des combattants de la liberté, «
prodémocratie », recrutés et financés
par plusieurs proches alliés des
États-Unis dont la Turquie, le
Qatar et l’Arabie Saoudite, en liaison
avec Washington et le quartier général
de l’OTAN à Bruxelles.
Au fond, le secrétaire à la Défense
Leon Panetta réfutait ses propres
mensonges. En août il reconnaissait la
menace terroriste et maintenant il
accuse Bachar Al-Assad. Washington le
reconnaît tacitement, la majorité des
combattants de la liberté syriens sont
non seulement des mercenaires étrangers,
ils appartiennent aussi à des groupes
islamistes extrémistes figurant sur la
liste des organisations terroristes du
département d’État.
Israël est un partenaire de l’OTAN et
du Pentagone dans l’opération des armes
chimiques syriennes.
Former des terroristes à
l’utilisation d’armes chimiques
Si l’administration Obama s’affairait
véritablement à empêcher que ces armes
chimiques ne tombent « entre de
mauvaises mains » (tel que le suggérait
le Pentagone en août) pourquoi donc
forme-elle désormais les « rebelles de
l’opposition », composés surtout de
salafistes et de combattants affiliés à
Al-Qaïda, afin de prendre le contrôle
des réserves gouvernementales d’armes
chimiques?
Selon les sources, la formation [sur
les armes chimiques] se donne en
Jordanie et en Turquie et englobe la
surveillance et la protection des
réserves ainsi que le traitement du
matériel et des sites d’armement.
Certains entrepreneurs sont sur le
terrain en Syrie et travaillent avec les
rebelles pour superviser quelques sites,
d’après l’un des représentants
officiels.
La nationalité des formateurs
n’a pas été divulguée, cependant les
représentants ont indiqué qu’il ne
fallait pas assumer qu’ils sont tous
étasuniens.(CNN,
09 décembre 2012.)
Bien que les reportages ne confirment
pas l’identité des sous-traitants du
secteur de la défense, les déclarations
officielles suggèrent qu’ils sont
étroitement liés par contrat au
Pentagone :
La décision des États-Unis d’engager
des entrepreneurs du domaine de la
défense pour apprendre à des rebelles
syriens à manier des réserves d’armes
chimiques semble dangereusement
irresponsable, surtout si l’on considère
à quel point Washington a été incapable
jusqu’à maintenant de s’assurer que
seuls des rebelles laïques fiables,
s’ils existent, reçoivent leur aide et
les armes fournies par leurs alliés des
États arabes du Golfe.
Cela alimente par ailleurs
les accusations récentes du ministère
syrien des Affaires étrangères selon
lesquelles les États-Unis montent un
coup contre le régime syrien pour lui
reprocher qu’il se bat avec des armes
chimiques ou se prépare à la faire.
« Cette nouvelle que font circuler
les médias suscite des inquiétudes. Nous
craignons sérieusement que
certains des pays appuyant le terrorisme
et les terroristes fournissent des armes
chimiques aux groupes terroristes armés
et affirment que c’est le gouvernement
syrien qui les a utilisées […]
» disait une lettre à l’ONU. (John
Glaser,
Us Defense Contractors Training Syrian
Rebels, Antiwar.com, 10 décembre
2012. Voir également le
reportage de CNN, 9 décembre 2012.)
La principale question qui se pose
est : quelle est la nature de cette
horrible opération clandestine? Cette
opération menée par les États-Unis et
l’OTAN vise-t-elle à « prévenir
» ou « encourager » l’utilisation
d’armes chimiques par l’Armée syrienne
libre (ALS)?
Le reportage ci-dessus confirme que
les États-Unis et l’OTAN montrent à des
terroristes comment utiliser des armes
chimiques. Est-il nécessaire de
manipuler des produits chimiques
toxiques dans ce type de formation
spécialisée? Autrement dit, par le biais
des sous-traitants de la défense,
l’alliance militaire occidentale
met-elle des armes chimiques à la
disposition de terroristes pour les
besoins de la formation?
Sachant que l’insurrection syrienne
est en grande partie composée de
djihadistes et de formations affiliées à
Al-Qaïda, ce n’est guère une façon d’«
empêcher » l’utilisation d’armes
chimiques contre des civils. De plus, de
nombreux rebelles de l’« opposition »
recevant la formation des armes
chimiques ont commis d’innombrables
atrocités amplement documentées contre
des civils syriens, dont le massacre de
Houla.
Des groupes terroristes pourraient
avoir recours à des armes chimiques
contre la population syrienne […] après
avoir pris le contrôle d’une usine de
chlore toxique [à Alep] » a déclaré le
ministère des Affaires étrangères
samedi. (Press TV, 8 décembre 2012.)
Il convient de noter que les forces
de l’opposition n’ont pas besoin de
contrôler les réserves gouvernementales
pour utiliser des armes chimiques. De
telles armes, provenant des réserves
occidentales, pourraient facilement être
mises à la disposition des firmes
impliquées dans les programmes de
formation spécialisée sur les armes
chimiques.
Inutile de dire que la formation sur
les armes chimiques et l’implication de
sociétés privées de mercenaires à
contrat avec l’OTAN et le Pentagone
augmentent les risques. Elles créent les
conditions favorables à l’utilisation
des armes chimiques par les forces de
l’opposition pouvant déclencher un
désastre humanitaire national.
La coalition des États-Unis et de
l’OTAN a toutefois clarifié lors de sa
réunion « semi-secrète » à Londres
(rapportée le 10 décembre) qu’elle
n’envisage pas de « présence sur le
terrain ». Les forces spéciales
travailleront avec l’insurrection contre
les forces gouvernementales.
En l’absence d’une opération
militaire en règle, l’accent est mis sur
la guerre non conventionnelle. Dans ce
contexte, l’une des nombreuses «
options [diaboliques] sur la table »
serait de créer les conditions dans
lesquelles des armes chimiques « tombent
aux mains » des terroristes, ce qui
pourrait provoquer un désastre
humanitaire dans toute la Syrie.
Alors que cette option, advenant sa
mise en œuvre, ne nécessiterait pas une
intervention militaire de États-Unis et
de l’OTAN, la catastrophe
humanitaire ouvrirait la voie à la chute
du gouvernement syrien et à l’objectif
longuement convoité de « changement de
régime ».
Les modèles libyen ou irakien
ne constituent pas des options. Le choix
stratégique de l’alliance militaire
occidentale indique la mise en scène
probable d’une catastrophe humanitaire.
Dans la logique de la propagande de
guerre et de la désinformation
médiatique, la mort de civils causée par
l’utilisation d’armes chimiques serait
blâmée sur le président Bachar Al-Assad
afin de faire appliquer des mesures
subséquentes par l’alliance militaire
des États-Unis et de l’OTAN.
Nous ne suggérons pas que cette
option se concrétisera inévitablement,
mais qu’au programme des États-Unis et
de l’OTAN figure l’option des
rebelles en possession d’armes chimiques
pouvant déclencher un désastre
humanitaire.
Comment pouvons-nous nous assurer que
cette option épouvantable et diabolique
soit éliminée et définitivement
enterrée?
Cette question doit être diffusée.
L’opinion publique doit se mobiliser
contre la guerre menée par les
États-Unis, l’OTAN et Israël.
Dénoncez ce déjà vu
mensonger sur les ADM.
Opposez-vous au consensus des médias
dominants.
Révélez et réfutez les mensonges et
fabrications concernant le programme des
armes chimiques de la Syrie.
Faites circuler l’information dans le
monde entier.
Amenez le débat sur la place
publique. Confrontez les criminels haut
placés.
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