|
Ha'aretz
Un
monument au temps perdu et aux espoirs évanouis
Meron Benvenisti
Haaretz, 30 octobre 2008
http://www.haaretz.com/hasen/spages/1032834.html
Ce fut du
très grand Shimon Peres, comme d’habitude : la célébration du
dixième anniversaire de la création du Peres Center for Peace
fut un raout éblouissant, réunissant des célébrités et des
artistes célèbres venus du monde entier, et elle comporta, bien
entendu, ce poème écrit par le principal invité, commençant
ainsi : « Oh, Mon Dieu, le temps est venu de prier… »
La
culmination des festivités, ce fut l’inauguration du Peres Peace
House [‘Maison de la Paix’
(on ne rit pas !) Peres], à Jaffa, un magnifique bâtiment
en gigantesques pierres de taille de marbre vert, qui coûta au
bas mot 15 millions de dollars, soit trois fois le prix initial
estimé. Ce bâtiment est dépourvu de fenêtres, il est entièrement
équipé d’air conditionné, et il est séparé de ses environs, qui
abritent une population arabe indigente. L’immeuble trône, face
à la mer, comme ses constructeurs avaient eu l’intuition que les
chances d’une paix se trouvassent en Occident, au-delà de la
Méditerranée, et non pas à l’Est, là où vaquent les voisins
ennemis d’Israël…
Malheureusement, ni la magnificence, ni l’élégance ne
parviennent à dissimuler ce sentiment de gâchis, d’occasion
manquée. Les événements ayant entouré la création du Peres
Center for Peace, en octobre 1997, avaient puissamment illustré
une culture politique favorable à la paix ; cette culture était
même imbibée d’une confiance en la possibilité de réaliser la
paix, et elle défiait l’arrivée menaçante de Benjamin Netanyahu,
qui battit Peres et fit de son pire afin de torpiller les
accords d’Oslo. Les festivités de ce jour ne sauraient
dissimuler le fait que le seul maigre vestige des débris du camp
de la paix – l’Industrie de la paix – ne fonctionne que par la
force de l’inertie, et que ceux qui y sont impliqués doivent
inventer des excuses pour poursuivre cette activité, et que cela
suggère qu’ils sont en train de faire de la paix un instrument
au service de leurs propres objectifs égoïstement personnels.
Ce n’est
que par l’intuition que nous parvenons à entrevoir les dégâts
mortels causés par les accords d’Oslo, qui ont inspiré Peres
dans la création de son centre : ces accords, bien loin d’avoir
apporté le moindre changement au statu quo, sont devenus le
pilier central d’un régime binational de facto (appelé
« l’occupation »), qui s’est institutionnalisé au point de
devenir un régime définitif. Les accords d’Oslo sont
l’infrastructure légale de la division de la Cisjordanie en
cantons, qui permet un contrôle direct d’Israël sur 60 % du
territoire (la zone C), ainsi qu’une infrastructure
constitutionnelle autorisant l’existence d’une Autorité
palestinienne [purement] virtuelle. La pléthore de titres
ronflants dont s’affublent ses dirigeants et les costumes
officiels de ses soldats d’opérette rendent possible la
perpétuation de l’illusion fallacieuse de la nature temporaire
du régime de contrôle israélien, et partant, le pérennisent.
Dans les
activités du Peres Center for Peace, nul effort visible n’est
fait afin de changer le statu quo politique et socioéconomique
dans les territoires occupés ; c’est exactement le contraire :
des efforts sont déployés afin d’entraîner la population
palestinienne à accepter son infériorité et de la préparer à
survivre sous l’emprise des contraintes arbitraires imposées par
Israël pour garantir la supériorité ethnique des juifs. Avec un
colonialisme paternaliste, ce centre présente un cultivateur
d’oliviers, en train de découvrir les avantages d’une
commercialisation coopérative de ses olives ; un pédiatre, qui
est en train de bénéficier d’une formation professionnelle dans
des hôpitaux israéliens et un importateur palestinien, en train
d’apprendre les secrets du transit des marchandises via les
ports israéliens pourtant célèbres dans le monde entier pour
leur gabegie et leur inefficacité ; sans oublier, bien entendu,
les matches de foot et les orchestres mixtes
israélo-palestiniens, qui dépeignent un tableau fallacieux de
coexistence…
Il n’y a
strictement aucune chance pour que les adhérents et les
administrateurs du Peace Center participent au combat quotidien
des ramasseurs d’olives palestiniens, ni à leurs efforts
frustrants visant à faire franchir les checkpoints militaires à
des malades agonisants ou pour briser le siège économique et le
blocus maritime de la bande de Gaza. Le Peres Center for Peace
ne publie pas de rapports sur la situation économique
catastrophique des Palestiniens, et il n’alerte pas sur la
responsabilité d’Israël dans cette situation ; après tout, ça
n’est pas un club d’anarchistes haineux d’Israël, n’est-ce pas,
mais bien un club de gens respectables, qui contribuent à la
paix essentiellement en finançant généreusement des événements
bling-bling et en y participant.
Il a
toujours été affirmé que l’apport principal, et peut-être
révolutionnaire, des accords d’Oslo ne résidait pas dans la
« déclaration de principes », mais dans la reconnaissance
mutuelle entre le mouvement national palestinien et l’Etat
d’Israël. Mais cette reconnaissance mutuelle, qui a transformé
les Palestiniens, d’entité terroriste qu’ils étaient (sic) en
une entité légitime, aux yeux des Israéliens, fut détruite au
lendemain des attentats suicides et de la violence de l’Intifada
Al-Aqça, après quoi la vision pré-Oslo que les Israéliens ont
des choses revint à l’ordre du jour.
Aujourd’hui, les juifs sont en train de donner aux Arabes un
certificat de divorce ; ils leur tournent le dos, ils les
emprisonnent derrière des murs et des checkpoints sigillés, ne
se faisant confiance qu’entre eux et priant Dieu que la
Méditerranée s’assèche ou qu’un pont soit lancé en travers
d’elle, qui les relie directement à l’Europe.
Cette
mentalité a déjà créé deux structures monumentales, durant la
décennie passée, dont l’importance symbolique surpasse la valeur
fonctionnelle : la muraille de séparation et le nouveau terminal
de l’Aéroport International Ben-Gourion. La première sert à
cacher les Palestiniens et à les effacer de nos consciences, et
le deuxième sert de base d’évacuation et de pont aérien éventuel
vers l’Occident.
Quant au troisième monument à avoir été édifié durant cette
décennie, la Peres Peace House de Jaffa, elle les rejoint en
tant que monument dédié à un temps et à des espoirs qui ont été
perdus, et la seule chose qui nous reste à faire, c’est prier,
avec Peres : « Seigneur, Envoie-nous un Rayon d’Espoir, en vue
d’une [énième] autre solution… »
Traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier
|