Ha'aretz
Israël-Palestine
: un conflit « national » ?
(Peut-être
un slogan vide ?)
Meron
Benvenisti
Haaretz, 26 novembre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/928042.html
La demande que
les Palestiniens reconnaissent l’Etat d’Israël « comme
Etat juif », et cela au titre de condition à la création
d’un « Etat nation » palestinien, a suscité des réactions
enthousiastes. Pas précisément parmi ceux à qui s’adressait
la demande, mais dans le public juif qui a vu là un prétexte
pour ressasser encore les questions fondamentales de son identité
collective.
Les avis sont
partagés : s’agit-il d’une revendication justifiée,
d’un moyen de refuser aux Palestiniens le « droit au
retour », ou peut-être cette demande n’a-t-elle été
avancée que pour ruiner les chances de la négociation ? La
présentation même de cette symétrie entre les deux Etats
nations, l’israélien et le palestinien, n’a été accueillie
avec mécontentement que dans les cercles de l’extrême droite.
Et vraiment,
comment les princes de l’ancien camp national, Ehoud Olmert et
Tzipi Livni, sont-ils devenus les hérauts de l’Etat nation
palestinien ? Qu’est-ce qui a amené les opposants d’Oslo
– pour qui n’existait en terre d’Israël qu’un seul
collectif légitime et aux yeux desquels les Palestiniens n’étaient
qu’organisations terroristes – à déclarer que le conflit était
un conflit national et que dès lors sa solution était une
solution nationale, sous la forme de la création de deux Etats
nations ?
La Gauche israélienne
peut être louée de sa victoire, mais cette révolution, ce sont
les Palestiniens qui l’ont provoquée. En lançant l’Intifada
Al-Aqsa, ils ont contraint les Israéliens à comprendre qu’il
n’était pas possible de les anéantir, de les ignorer ni de les
expulser. L’Intifada a contraint les Israéliens, pour la première
fois de leur histoire, à indiquer les limites de leur expansion
territoriale par des clôtures de séparation et des checkpoints,
et à abandonner des territoires peuplés, susceptibles d’ébranler
l’équilibre démographique.
L’excédent de
territoire, écrasé et privé de toute possibilité d’existence
autonome, peut selon eux être transformé en Etat nation
palestinien ; et si les Palestiniens ne veulent pas profiter
de la générosité israélienne, le monde entier saura à quel
point ils sont atteints d’autodestruction et remplis
d’ingratitude.
Dès lors qu’il
apparaît que la révolution idéologique des princes de
l’ex-camp national est accueillie dans l’indifférence au sein
de la population juive et bénéficie de l’appui enthousiaste du
camp de la paix, on peut faire peser sur l’Etat destiné à s’étendre
sur moins de 10% de la terre d’Israël toute la charge de la
tragédie palestinienne. « Il devrait offrir une solution
nationale générale », déclare Livni, « tant pour
ceux qui se trouvent dans les camps de réfugiés que pour ceux
qui sont citoyens de l’Etat d’Israël et qui y jouissent de
droits égaux. »
Voilà assurément
qui ne constitue pas seulement une solution bon marché mais aussi
une solution de principe. Car elle se fonde sur le vieux et
honorable modèle du conflit national pour un même territoire,
avec sa conclusion : deux Etats pour deux peuples. Il est
seulement dommage que l’adoption du modèle national vienne trop
tard et que la formule rationnelle – qui a culminé dans la
reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP à Oslo – a de
nouveau régressé vers les couches élémentaires, ataviques et
émotionnelles du conflit.
Haine, cruauté,
racisme et déshumanisation ne peuvent pas être une fois de plus
intégrés à la notion de nationalisme. Il faut un moyen plus précis
pour définir les relations intercommunautaires. Et en effet, les
Palestiniens dénient l’applicabilité du modèle national
qu’ils remplacent par le modèle de l’autochtone et de
l’immigrant. « Eux (les Palestiniens) n’ont pas immigré
ici », dit le député Mohamed Barakeh, « mais c’est
l’Etat qui est venu chez eux » ; ils revendiquent
d’être reconnus comme minorité autochtone au sein d’une société
d’immigrants juifs.
Pour la toute
grande majorité de la population juive, la mise en place du modèle
de l’autochtone et de l’immigrant représente une trahison par
rapport aux valeurs fondamentales. Ils se sont persuadés qu’ils
étaient originaires du pays (en dépit du fait que leurs parents
y ont immigré dans les dernières décennies) et que ce sont les
Arabes qui eux habitent un pays qui n’est pas le leur.
La controverse
montre clairement que le modèle national est trop simpliste pour
rendre compte des aspects complexes du conflit. Le premier
d’entre eux étant la centralité de l’espace physique comme
champ de bataille dans la confrontation intercommunautaire. Le
produit dérivé de la définition du conflit comme conflit
national – à savoir, les Etats nations – est lui aussi
trop simpliste. Celui qui veut établir les relations des Israéliens
et des Palestiniens sur ce modèle simpliste va se retrouver pris
dans des contradictions insolubles. Ou peut-être était-ce un
slogan complètement vide, destiné à gagner un peu de temps ?
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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