Ha'aretz
Quelle
loi appliquer ?
Meron Benvenisti
Haaretz, 19
janvier 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/815186.html
Version anglaise : Implement which law?
www.haaretz.com/hasen/spages/815284.html
Parmi
les réactions d’émoi exprimées par les ministres du
gouvernement et par le Premier ministre à la vue d’une femme
colon maltraitant, injuriant une famille d’Hébron, il y a eu ce
commentaire d’Ephraïm Sneh : « Les lois de l’Etat ne sont pas appliquées dans cette ville avec le zèle
nécessaire, en particulier à l’égard des citoyens israéliens ».
Les paroles du vice-ministre à la Défense visaient à critiquer
les forces de sécurité dans leur action pour faire régner la
loi et l’ordre à Hébron mais elles recèlent l’idée que le
problème ne se situe pas au niveau des « lois
de l’Etat », mais seulement dans « leur
application ».
De
quelles lois et de quel Etat le vice-ministre parle-t-il ?
Car enfin Hébron n’a pas été annexé à Israël et
apparemment, c’est l’autorité militaire qui y règne. Mais en
cette quarantième année de l’occupation, Ephraïm Sneh peut
esquiver ces subtilités juridiques et traiter Hébron comme un
territoire annexé, tout comme il est permis de considérer toute
localité israélienne ou même tout véhicule israélien ou
n’importe quel juif dans les Territoires, comme faisant partie
d’Israël.
La
directive de la ministre de l’Enseignement visant à rétablir
la Ligne Verte sur les cartes imprimées dans les ouvrages
scolaires a entraîné des réactions qui nous montrent que la
majorité de ceux qui soutiennent la restauration de cette
indication, croient qu’il existe une différence essentielle
entre les deux côtés de la Ligne Verte : Israël n’impose
pas ses lois dans les territoires situés au-delà de celle-ci (à
l’exception de Jérusalem et des hauteurs du Golan).
Il
n’y a pas erreur plus grossière. La différence tient seulement
dans la manière de mettre en œuvre l’annexion ;
contrairement aux annexions déclarées et globales comme celle de
Jérusalem-Est et du Golan, où le principe en a été établi et,
ensuite seulement, mis en œuvre dans ses détails, ici on a suivi
la démarche inverse : l’annexion est opérée d’une manière
détaillée et sélective et c’est l’accumulation de ces détails
qui entraîne, des dizaines d’années plus tard, une annexion
pleine et entière, tout en ayant préservé l’apparence d’une
« non application de
la loi ».
La
fiction ainsi créée est confortable pour tout le monde. Le camp
de la paix peut continuer à errer dans l’illusion que la marque
de la Ligne Verte témoigne de ce qu’il reste des options
ouvertes et que le pouvoir, dans les Territoires, est « militaire »,
donc temporaire. Le camp de la Droite peut, lui, réclamer avec
insistance une « application
déclarée de la loi » et jouir entre-temps de
l’annexion sélective, ne s’appliquant qu’aux juifs – et là
réside la finesse.
L’annexion
pour les juifs exclusivement a créé un système dual dans lequel
le cadre légal et juridique est fixé d’après l’identité
nationale de l’individu ou de la communauté. La population dite
« locale »
est seulement soumise à la loi d’origine, amendée par des
milliers d’ordres militaires. Les juifs conservent, eux, le
droit de choisir. Quand cela leur convient, ils sont à tous égards
citoyens israéliens. Quand cela leur convient moins, comme dans
les questions d’enseignement supérieur et surtout en matière
de planification concrète, alors ils sont assujettis à la loi
locale : celle-ci est en retard sur la loi israélienne et
offre dès lors des possibilités de manipulation.
La
confrontation entre la femme colon et l’habitante palestinienne
d’Hébron est une confrontation entre deux mondes qui ne se
rencontrent pas : la juive porte, parmi ses affaires, tous
les droits que lui confère le statut de citoyenne d’un Etat
libre, qui a droit à la protection des forces de sécurité de
cet Etat. Face à elle, une femme d’un peuple sous occupation,
et qui a, il est vrai, elle aussi, droit à une protection, mais
l’armée d’occupation a oublié depuis bien longtemps que son
rôle était d’apporter cette protection à une « population
protégée » aux termes du droit international. L’armée
est devenue la milice des colons et elle traite l’autochtone en
élément hostile.
Il
est facile de condamner la vulgarité de cette femme colon d’Hébron
et commode de taxer la colonie juive là-bas de gang d’émeutiers
violents. Mais ce ne sont que des herbes folles poussant dans le
terreau du régime arbitraire qui prévaut au-delà de la Ligne
Verte, dans toute la Cisjordanie. C’est un régime fondé sur la
discrimination et la séparation ethniques, les doubles standards
et l’absence d’autorité de la loi.
Quelle
loi le vice-ministre entend-il « appliquer
avec le zèle nécessaire » ? Celle de la femme
colon ou celle de la Palestinienne ? Un lieu régi par une
loi qui change et établit des discriminations en fonction de
l’identité nationale et individuelle, est un lieu qui n’est régi
par aucune loi. Qu’attend-on des soldats et des policiers ?
Qu’ils ne soient pas influencés par les instructions qui leur
sont données d’agir de manière discriminatoire et sélective ?
Le
dégoût suscité par la vulgarité de langage de la femme colon
ne fait que détourner l’attention de la réalité qui sévit
dans les territoires au-delà de la Ligne Verte, où en apparence
se vit une vie normale. On ne devrait pas tarder à voir les libéraux
eux-mêmes exiger l’effacement de la Ligne Verte sur les cartes,
une fois que, de symbole d’une aspiration à la paix, elle sera
devenue une ligne marquant le découpage géographique de
l’apartheid.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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