".
Les explications zigzagantes de cette chute
démontrent leur improvisation.
On a d’abord parlé de problèmes de santé, puis
de lassitude avant que l’intéressé ne démente.
Donc, alors qu’il est en pleine forme, qu’il se
félicite publiquement de voir l’association bourrée d’euros et
de dollars et très médiatisée dans le monde entier, Ménard saute
par la fenêtre sans préavis. Et sans parachute (doré ? Voir plus
loin).
« Cela fait deux ans que j’y
pensais » affirme-t-il. On sait ce que vaut une affirmation
ménardienne. Les innombrables journalistes qui l’interviewaient
sans désemparer, à qui il racontait sa vie, son œuvre, sa
famille, ses espoirs tombent des nues.
Démissionnaire, il perd des indemnités, lui, qui
aime l’argent. Payé plus de 5000 Euros par mois sans compter les
avantages annexes, il se retrouve sans job, le week-end passé.
Deux ans qu’il y songeait mais à la question
posée vendredi : « Vous partez pour quoi faire ? » il bafouille
de première. Il est « plein d’envies et plein de
souhaits », il va voir si sa femme l’embauche dans sa revue
Média (trimestrielle et confidentielle), il va monter une maison
d’édition (il eût dû commencer à la mettre en route, depuis deux
ans), il va peut-être faire de la politique, lancer un nouveau
journal. Bref, décryptons : vendredi 26 septembre, il ne sait
pas, il est psychologiquement à la rue.
Mais le plus beau bobard de Ménard, je veux dire
le plus comique, celui par lequel il prouve qu’il a toujours
pris les journalistes et les lecteurs pour des abrutis est le
suivant : Il fallait à RSF quelqu’un qui connaisse mieux
Internet que moi. Ô discrédit des journalistes dont aucun
recevant cette galéjade n’a bondi pour s’écrier : « Mais
la plupart des grands patrons, des ministres ne touchent jamais
un clavier. Chirac ne savait même pas ce qu’était une souris !
Qu’est-ce que vous nous chantez-la ? »
Ils nous auraient, impassibles et polis,
pareillement transmis la réponse de Ménard si elle avait été :
« Je pars parce que j’arrive pas à régler le
fauteuil de mon bureau » ou « J’ai deux
téléphones dans le bureau, je sais jamais lequel sonne » ou
« Depuis qu’on m’a volé l’ordinateur portable,
j’en ai un nouveau, mais je n’arrive pas à ouvrir la fermeture
éclair de la sacoche ».
Robert Ménard qui a grandi avec RSF dans la
dissimulation et le mensonge , quitte RSF en lançant des rafales
d’ultimes impostures que ses successeurs doivent assumer sur
leurs fonds baptismaux. Cela commence mal pour son successeur
Jean-François Julliard.
En l’absence de vérité, la duperie étant établie
par la multiplication de réponses à géométrie variable et à haut
niveau de bêtise, il reste des hypothèses. En voici cinq dont je
tiens pour probable qu’une, au moins (voire plusieurs), tape
dans le mille.
1 – Viré par l’Elysée.
La classe politique, exaspérée, renvoie à la
niche le toutou tout fou qui mord la main de l’Etat français qui
le nourrit depuis des années et qui lèche celle de Bush.
Vu sur le site de RSF :
« Le 9 octobre prochain, Robert
Ménard publie un ouvrage intitulé « Des libertés et autres
chinoiseries » aux Editions Robert Laffont, dans lequel il
revient sur la campagne pour le boycott de la cérémonie
d’ouverture des JO de Pékin. Récit inédit sur les coulisses et
les négociations secrètes menées autour des Jeux, ce livre est
aussi un essai mordant sur la presse, les droits de l’homme et
les lâchetés de la classe politique. »
Il est vraisemblable que « la classe politique »
a déjà lu ce livre avant sa mise en librairie et qu’elle n’a pas
aimé ça.
Ménard injurie Sarkozy qu’il a traité de
« lâche » pour avoir été brièvement à Beijing où le fidèle
sponsor de RSF, Bush, a séjourné plusieurs jours sans être
injurié par notre ONG, par l’opinion publique états-unienne ou
la nôtre.
Est-ce que le Pouvoir a jeté le citron pressé
Ménard afin de sauver RSF si utile pour effacer les syndicats de
journalistes, escamoter les problèmes de la presse en France et
ceux du droit à l’information ?
Les médias ont commencé à évoquer ce que des
sites Internet démontrent depuis des années : les liens de RSF
avec les USA. Un journaliste du Figaro, Eric Zemmour, va jusqu’à
affirmer à le télévision que RSF est manipulée par le CIA.
Première hypothèse donc : L’Elysée en a usé avec
Robert Ménard comme pour des journalistes de la presse écrite et
de la télé : « Viens ici, t’es viré, et surtout,
tais-toi ». Comment ? Avec quels moyens de pression ? La
menace de laisser les médias populariser vraiment le livre « La
face cachée de Reporters sans Frontières. De la CIA aux Faucons
du Pentagone » récemment réédité (éditions Aden) a-t-elle
suffi ? Il serait présomptueux de le dire. Mais il est juste de
prétendre (pub) qu’on saisit mal les ingrédients de la puissance
de RSF et en même temps de sa fragilité sans avoir lu cette
enquête.
Après 5 mois d’omerta, la presse française,
comme sur un coup de baguette magique, a découvert ce livre en
groupe serré, dans la semaine (le lendemain pour les plus
rapides sortant d’un coma hibernal) qui a suivi les incidents de
la flamme olympique à Paris.
L’Elysée dispose-t-il d’un dossier
complémentaire pour obtenir si vite, si brutalement, le départ
et le silence de Ménard sur les vraies raisons de son départ.
L’avenir (ou le Canard Enchaîné ?) nous le dira.
2 - Ménard a été viré en
cadeau de la France aux Chinois en colère.
L’affront fait à la Chine le 9 avril à Paris
n’est pas pardonné et la plaie ouverte sera longue à se
refermer.
Faute d’informations dans les médias français
sur RSF, les Chinois sont venus les chercher auprès de moi.
Plusieurs exemplaires de mon livre ont été achetés par leur
ambassade en mai pour envoi en Chine et traduction à destination
de leurs médias et des autorités politiques.
Après la soudaine et brève ruée des médias
français, j’ai donc vu déferler vers moi les médias chinois,
avec la même force, sauf qu’ils ne se retirent pas. Sur le
moteur de recherche chinois (baidu.com), les articles qui font
référence à mon livre sont nombreux. La presse écrite chinoise
en parle beaucoup. Radio Chine International arrose la planète
depuis le mois de juin, en diffusant en 45 langues (dont
l’Esperanto !) une interview que je lui ai accordée en mai.
Ces jours-ci encore, je suis averti de la
parution d’articles inspirés de mon livre dans deux journaux
chinois à gros tirage (500 000 et 3 millions d’exemplaires). Et
ça n’arrête pas depuis le passage de la flamme olympique à Paris
et les exploits de Ménard.
Nos diplomates en poste en Chine, nos
entreprises ont vu cette contre-attaque médiatique continue.
Qu’elle se poursuive sans faiblir presque six mois après le
camouflet français indique que les dégâts sont profonds.
On se souvient que Paris a envoyé au mois de
juin à Beijing des émissaires de haut niveau : Jean-Pierre
Raffarin, ancien Premier ministre et Christian Poncelet,
président du Sénat qui ont demandé à être reçus par le président
chinois, Hu Jintao.
Plus récemment, preuve que rien n’est aplani,
Nicolas Sarkozy a reçu à l’Elysée la jeune Jin Jing, athlète
chinoise handicapée, bousculée par les fanatiques chauffés à
blanc par RSF lors du passage de la flamme olympique qu’elle
défendit avec courage.
Cette jeune fille est devenue une héroïne
nationale en Chine, symbole vivant d’un « racisme
français anti-chinois ». Le film de sa résistance a été
passé en boucle à la télévision chinoise.
Un journaliste chinois en poste depuis 15 ans en
France, amoureux de notre pays, me confiait récemment : « J’étais
en Chine il y a quelques semaines, j’ai constaté, avec une
profonde douleur, la montée d’un sentiment anti-français dans la
jeunesse chinoise ».
Le rétablissement de relations amicales
(établies par le général De Gaulle) culturelles et commerciales
normales entre la France et le pays le plus peuplé du monde
passait-il par l’élimination du responsable du désastre ?
C’est une hypothèse à retenir.
3 - Ménard est lâché par
les USA.
Les liens de RSF avec des vitrines écrans de la
CIA commencent à être des secrets de Polichinelle. Des milliers
d’articles y sont consacrés sur la Toile dans de nombreuses
langues. Des livres de librairie traitent cette question. Les
médias officiels commencent à briser la loi de l’omerta.
Il faut dire que, s’agissant de griller RSF,
Collin Powel y est allé de sa gaffe. Dans son rapport
Commission for Assistance to a free Cuba
(458 pages) qu’il a remis en mai 2004 à Georges Bush, il en
appelle fiévreusement aux ONG (NGOs, Non-Governmental
Organizations) à presque toutes les pages (et jusqu’à dix fois à
la page 77) pour aider son pays. Mais (page 20) une seule est
citée en exemple : Reporters Sans Frontières (Reporters Without
Borders).
Des documents se déclassifient aux USA. Des
journalistes d’investigation comme Diana Barahona, des avocats
de droits de l’Homme, comme Eva Golinger, s’appuyant sur des
lois états-uniennes, demandent des comptes aux organismes
distributeurs des subventions votées par le congrès. Et le
transfert de fonds d’officines écrans de la CIA, que les comptes
publics publiés par RF sur Internet occultaient naguère, est
désormais prouvé, au dollar près.
RSF commence à être nue.
Dans ses innombrables apparitions dans les
médias, Ménard se défend mal : arrogant, agressif, il injurie
ses contradicteurs et ment avec une impudence qui scandalise.
Il n’est plus the right man in
the right place.
4 - Ménard a trouvé une
autre gamelle dans une dictature arabe.
Une dépêche d’Associated Press tombée dimanche
28 septembre à 16 heures 40 nous annonce un spectaculaire rebond
de Ménard pendant le W.E. en direction de Doha, au Qatar, pays
d’Al Jazeera, chaîne arabe honnie par les USA, lesquels ont fait
subir à des journalistes des enlèvements, assassinats,
séquestration sous l’œil placide de RSF.
Une information livrée le 28 septembre sur la
Toile par l’Express est plus explicite : sous le titre « ROBERT
MENARD QUITTE RSF POUR ALLER AU QATAR » l’hebdomadaire
explique : « Il dirigera Centre for Media
Freedom à Doha » avec « des privilèges d’un sultan de la presse
mondiale ».
Le Qatar est un pays peuplé de moins d’un
million d’habitants, gorgé de pétrole et dirigé par un
cheikh, mot arabe qui veut dire
dictateur.
RSF est cofondatrice (décembre 2007) avec
l’émirat du « Centre pour la liberté de
l’information ». Robert Ménard en est le directeur
général.
Dans son Centre, une maison d’accueil de
journalistes femmes a été ouverte, il va s’en ouvrir une pour
les hommes. Tout est bien, personne ne se mélange.
D’après Associated Press, Ménard se félicite du
soutien de cheikha Moza bint Nasser al-Missned, considérée comme
la plus influente des épouses de l’émir du Qatar, le cheikh
Hamad ben Khalifa al-Thani.
Ménard concède que l’émirat, 79e du classement
2007 de la liberté de la presse de RSF, peut encore « faire des
progrès en la matière ».
Et pas qu’en cette matière, d’ailleurs. En
effet, le Qatar connaît-il des déficits de démocratie uniquement
avec la presse ? Non. La palette est large si l’on en croit
l’organisation Amnesty International.
Les tribunaux continuent de prononcer des
condamnations à mort et des peines de flagellation, « Les
autorités n’ont pris aucune mesure appropriée pour mettre fin à
la discrimination et aux violences contre les femmes ».
Les travailleurs migrants sont durement
exploités, certains ne sont pas payés, ceux qui protestent sont
interpellés, maltraités, puis ont été renvoyés dans leur pays.
Après une visite au Qatar la rapporteuse
spéciale des Nations unies sur la traite des personnes, en
particulier les femmes et les enfants, a exprimé sa
préoccupation à propos des travailleurs immigrés victimes de
traite d’êtres humains.
On compte 22 prisonniers au moins sous le coup
d’une sentence capitale.
Aucune enquête n’a été menée par les autorités
du Qatar sur les actes de torture et les mauvais traitements qui
auraient été infligés à au moins 31 prisonniers condamnés pour
leur participation présumée à une tentative de coup d’Etat. Le
droit du Qatar ne comporte pas une définition de la torture
conforme aux normes internationales, les procédures
d’arrestation et de détention sont susceptibles de favoriser le
recours à la torture contre les suspects.
Abdullah Hussein Ali Ahmed al Malki a été privé
de sa nationalité pour avoir critiqué e les autorités lors d’une
émission de la chaîne de télévision Al Jazeera, en mai 2005.
Bref, Ménard frétille à l’idée de travailler
pour une dictature monarchique polygame ou la violence contre
les femmes n’est pas illégale, où la presse est malmenée, les
travailleurs traités comme des esclaves, tandis que perdurent la
flagellation, la torture et la peine de mort.
5 - Le départ de Ménard
précède un aggiornamento de RSF.
Les USA, les pouvoirs publics, le MEDEF ont
besoin d’ONG vierges. Est-il possible de re-toiletter la façade
de RSF ? Si oui, l’illusion sera de courte durée. Chat échaudé…
A l’encontre, observons que les départs des
caudillos s’accompagnent souvent de ruptures avec les méthodes
et les orientations antérieurs.
Espérons que le successeur de Ménard,
Jean-François Julliard, avec qui j’ai échangé des mails courtois
(malgré nos désaccords et la menace publique de procès exprimée
par RSF à mon encontre) pendant l’écriture de mon livre saura
recadrer RSF vers un travail d’ONG au service de la presse, des
lecteurs, des journalistes.
Inutile donc de démarrer un procès d’intention,
inutile même de brûler d’impatience, de guetter dès aujourd’hui
des signes de changements.
Laissons à RSF sans Ménard le droit à un délai,
accordons-lui un Etat de grâce, octroyons-lui le temps
nécessaire à amorcer un virage.
N’ergotons pas sur son élémentaire liberté de
faire son travail sans forcément chercher à plaire à tous,
pourvu que l’éthique s’installe dans un bureau laissé vacant.
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