L’ange Dalaï Lama contre le dragon
chinois ?
Le
Tibet, « Paradis perdu » !
Maxime Vivas
Photo :
http://berlinf.spaces.live.com/
20 juin 2008
Réponse à un article paru dans le magazine
"la
Décroissance" Tout d’abord, il serait
bon, pour la compréhension de la complexité chinoise, de
préciser qu’à côté des Tibétains, cohabitent 54 ethnies
minoritaires. La Chine est constituée de plus de 150 régions
d’autonomie ethnique, dont cinq régions autonomes à l’échelon
provincial, des dizaines de départements autonomes, plus de 100
districts autonomes, plus de 1000 cantons ethniques.
Il existe donc des dizaines de possibilités
d’éclatement d’un pays où 28 langues sont parlées. La question
de savoir si nous devons y contribuer mérite d’être posée.
- On me dit que le Tibet a été indépendant de
1913 à 1950, raccourci abrupt que pas un historien ne voudrait
adopter et par lequel sont niées les années de présence
britannique et l’acceptation de la suzeraineté de la Chine par
le Dalaï Lama d’alors. Une autre thèse, qui mérite d’être au
moins discutée est que, quels qu’aient été au fil des siècles
les soubresauts des rapports entre Pékin et Lhassa, le Tibet
était chinois avant que la Bretagne, la Bourgogne, la Savoie et
la Corse ne soient françaises.
- On me dit que l’étude du tibétain est
« marginalisé au profit du chinois, langue obligatoire ». En
fait, la Constitution prévoit l’apprentissage du chinois (putonghua)
et des langues des ethnies minoritaires. Dans la pratique, les
choses sont effectivement moins idylliques du fait de la non
gratuité de l’école, même si des manuels scolaires en tibétain
existent pour l’enseignement primaire et secondaire. Il reste
que, du fait du recul de l’analphabétisme (95% du temps des
Dalaï Lama), le tibétain est plus parlé et écrit que dans les
décennies passées. Ce qui n’est pas le cas chez nous du breton,
du corse, de l’alsacien, de l’occitan, langues « génocidées ».
Il y a chaque jour plus de 20 heures de programmation en langue
tibétaine à la télévision ; 40 magazines et 10 quotidiens sont
publiés en tibétain.
- On me dit que les « écoles y sont rares »
alors que notre ambassade en Chine dénombre au Tibet 4
établissements d’enseignement supérieur, une école normale
secondaire, 9 écoles professionnelles secondaires, 105 écoles
secondaires et 892 écoles primaires. Insuffisance sans doute,
rareté, non.
- On m’assène sans sourciller le chiffre de 1,2
million de morts par violence au Tibet depuis la fuite du Dalaï
Lama N° 13. Ce chiffre est bidonné par le « gouvernement
tibétain en exil ». Des chercheurs internationaux l’ont
démontré. Le simple examen de la "pyramide des âges" fait
litière de cette fable que le Dalaï Lama ne soutient d’ailleurs
plus. Il n’accuse plus de "génocide", mais
de "génocide culturel". De surcroît, comment
pourrait-on parler de génocide des « Tibétains de souche » (la
« race pure » ?) alors que le Tibet est autorisé à déroger à la
politique de l’enfant unique ?
- Je lis dans un journal alternatif d’amis de la
nature (et du Dalaï Lama !) que les troubles de ce printemps à
Lhassa se limitent à des destructions de « luxueux véhicules »
et à des boutiques appartenant à des « Chinois » (des étrangers
au sang impur ?). Or, chacun a pu voir des vidéos de chasses aux
faciès, des lynchages de passants isolés et des destructions de
leurs deux roues.
- Le même prétend tout à la fois que le Tibet
est « économiquement marginalisé » et que son PIB progresse de
12% par an et que la croissance du Tibet est « extrêmement
rapide ».
- On m’assure que les « Tibétains de souche »
ploient sous le nombre des envahisseurs « chinois »
(traduction : des Hans). De retour d’un voyage d’étude au Tibet,
le réputé sinologue allemand Ingo Nentwig, rapporte que les Hans
séjournent souvent temporairement (ouvriers de chantiers,
conscrits, cadres), que les habitants permanents de l’ethnie Han
représentent seulement 7% de la population totale du Tibet,
tandis que la proportion des Tibétains dépasse 90%. Les Hans
seraient-ils plus nombreux, souhaiterions un système de quota ?
Dans quelle région de France le mettrions-nous en place ?
Combien de Russes Nice peut-elle accepter ? Quel est le nombre
tolérable de bistrots auvergnats à Paris ?
- On ne me dit pas que le Tibet compte quelque
46 000 moines et 1 700 lieux de culte, mais on me cache que le
prétendu génocide culturel est aujourd’hui contredit par la
totale liberté de culte, heureusement amputée de celle d’avoir,
dans les monastères, l’exclusivité de l’enseignement (pour une
minorité) et des soins médicaux.
- Par ailleurs, les dalaï lamistes français ne
soufflent mot des éloges attendris du Dalaï Lama (ses Mémoires)
à son précepteur, un officier nazi, Heinrich Harrer.
Ils occultent ce que fut le régime oppressif,
féroce, liberticide, abrutissant des Dalaï Lama contre leur
population soumise au servage, à l’analphabétisme et promis à
une espérance de vie qui ne dépassait guère 37 ans.
Instaurez en France une dictature à la
chilienne, enseignez dans les établissements religieux (les
seuls autorisés !) que Pinochet est une sorte de Dieu vivant,
réinventez la Sainte-Inquisition, la pratique de la torture, de
l’enlèvement des enfants, de leur enfermement à vie dans des
monastères, de la maltraitance sexuelle, et vous saurez ce que
fut le Dalaï lamisme appliqué.
La journaliste américaine Anna Louise Strong a
raconté ce qu’elle a vu dans une exposition d’équipements de
torture de l’époque : menottes de toutes les tailles, y compris
pour des enfants, instruments pour couper le nez et les
oreilles, pour énucléer et pour briser les mains, les rotules et
les talons, ou pour paralyser les jambes, instruments spéciaux
pour éviscérer.
Si je me risque à livrer ici ces informations,
au risque de passer pour un adepte tardif de Mao, c’est parce
que la question du Tibet mérite qu’on n’occulte pas les éléments
de réflexion qui ne confortent pas la pensée unique et
l’agitation proaméricaine d’une fausse ONG compassionnelle.
Les pro-Tibet-Indépendant, s’ils ont vocation à
nous alerter sur les exactions des gouvernements, à faire signer
des pétitions, vont sans doute aussi lancer une campagne contre
le génocide d’une culture plusieurs fois millénaires, en Irak,
le pillage de ses trésors antiques, la destruction de ses
musées, le massacre de centaines de milliers de civils (qui ne
demandaient rien à G.W. Bush), contre l’encagement de centaines
de malheureux dans des bagnes et dans 17 prisons flottantes US,
zones de non droit, de tortures et de disparitions. Ils vont,
car leur cohérence est grande, déployer des banderoles sur la
Tour Eiffel pour la fermeture de Guantanamo.
Il n’est pas nécessaire d’être un
conspirationniste pour dire que le Dalaï Lama est subventionnée
depuis des décennies par les USA, que la National Endowment for
Democracy, organisation paravent de la CIA, sponsorise des
kyrielles d’organisations chargées d’ébranler le Tibet (il
suffit d’aller voir sur le site officiel de la NED). Il n’est
pas indispensable d’être géographe pour voir que le Tibet,
« toit du monde » (et donc de la Chine) est une position
stratégique cruciale, qu’il est la réserve d’eau de tout le
pays, que son sous-sol est riche de minerais indispensables et
que la Chine ne voudra, ne pourra jamais laisser cette province
s’acheminer vers une indépendance qui pourrait se traduire, à
terme, par l’installation de bases militaires américaines, comme
ce fut le cas dans nombre de pays qui composaient le bloc
soviétique.
J’entends souvent que personne ne réclame
l’indépendance, juste d’autonomie. Outre que le Tibet est déjà
une région autonome, c’est bien un combat sécessionniste qui se
mène à grand renfort de pilonnage médiatique. Lisons ce que dit
le matois Dalaï Lama dans une interview accordé au magazine
« Der Spiegel » le 12 mai 2008.
« Après des années d’oppression
les Tibétains ne font plus confiance aux Chinois ».
Donc, le Dalaï Lama, réclame bien L’INDEPENDANCE
puisqu’il distingue les Tibétains des dizaines d’ethnies qui
composent la Chine et qu’il les exclut de ce que tous les pays
qui sont représentés à l’ONU appellent « Les Chinois ».
Il déclare en outre : « Les
Tibétains doivent-ils prendre les armes pour conquérir cette
indépendance ? Quelles armes, d’où ? Des Moudjahidines au
Pakistan, peut-être ? Et si nous les obtenons, comment les
ferons nous passer au Tibet ? Et si la guerre d’indépendance
commence, qui nous viendra en aide ? Les Américains ? Les
Allemands ? ».
Le pacifisme du chef religieux n’est pas
intrinsèque, consubstantiel de sa pensée, mais imposé par le
rapport des forces. Et nous lisons bien : « indépendance ».
Dommage également que dans vos deux pleines
pages sur le Tibet, vous n’avez su évoquer la « Charte » du
Dalaï Lama, ayant valeur de Constitution.
Article 3. Nature de la politique tibétaine. « L’avenir
politique tibétain doit respecter le principe de la non-violence
et s’efforcent d’être un libre État de la protection sociale
avec sa politique guidée par le Dharma ». La Dharma,
c’est-à-dire ce que les musulmans appellent la Charria,
disposition qui nous fait pousser des hauts cris.
La Charte se termine par une « Résolution
spéciale », votée en 1991, dont voici un extrait : « Sa
Sainteté le Dalaï Lama, le chef suprême du peuple tibétain, a
offert les idéaux de la démocratie au peuple tibétain, même s’il
n’a pas ressenti le besoin de ces idéaux. Tous les Tibétains,
dans le Tibet et en exil, sont et restent profondément
reconnaissants à Sa Sainteté le Dalaï Lama, et s’engagent à
nouveau à établir notre foi et notre allégeance à la direction
de Sa Sainteté le Dalaï Lama, et à prier avec ferveur pour qu’il
puisse rester avec nous à jamais comme notre chef suprême
spirituel et temporel. » Vous avez dit «
laïcité » ?
Article 36. Pouvoir législatif. « Tout
pouvoir législatif et autorité réside dans l’Assemblée
tibétaine. Les décisions de celles-ci requièrent l’approbation
de Sa Sainteté le Dalaï Lama pour devenir des lois ».
L’Assemblée a tous les pouvoirs si Sa Sainteté le veut !
Article 19. Pouvoir exécutif. « Le
pouvoir exécutif de l’administration tibétaine est dévolu à Sa
Sainteté le Dalaï Lama, et doit être exercé par lui, soit
directement ou par l’intermédiaire d’officiers qui lui sont
subordonnés, conformément aux dispositions de la présente
Charte. En particulier, Sa Sainteté le Dalaï Lama est habilité à
exécuter les pouvoirs ci-après en tant que chef de la direction
du peuple tibétain : (a) approuver et promulguer les projets de
loi et des règlements prescrits par l’Assemblée tibétain.
(b) promulguer des lois et ordonnances qui ont
force de loi.
(c) conférer les honneurs et les brevets de
mérite.
(d) convoquer, ajourner, reporter et prolonger
l’Assemblée tibétaine ?
(e) envoyer des messages et adresses à
l’Assemblée tibétaine chaque fois que nécessaire.
(f) suspendre ou dissoudre l’Assemblée
tibétaine.
(g) dissoudre le Kashag (gouvernement) ou
destituer un Kalon (ministre).
(h) décréter l’urgence et convoquer des réunions
spéciales de grande importance.
j) autoriser les référendums dans les cas
impliquant des grandes questions en suspens conformément à la
présente charte. »
Le site officiel des tibétains donne des
précisions quant à la validité des différents discours du Dalaï
Lama en précisant que celui qui suit est toujours d’actualité :
« Alors que se poursuit l’occupation militaire
du Tibet par la Chine, le monde doit garder présent à l’esprit
que, bien que les Tibétains aient perdu leur liberté, du point
de vue du droit international, le Tibet reste aujourd’hui un
état indépendant soumis à une occupation illégale. […] Libéré de
l’occupation chinoise, le Tibet continuerait à remplir
aujourd’hui son rôle naturel d’Etat-tampon, préservant et
favorisant la paix en Asie. »
Pour le Dalaï Lama, désavoué par la totalité des
Etats de la planète, le Tibet, un quart du territoire chinois,
doit donc devenir indépendant. Cette affirmation est
significative de la volonté d’affronter le gouvernement légal du
pays et de provoquer des troubles qui ne pourront être que
sanglants. Pour instaurer une démocratie à la mode française ?
On vient de voir que le projet est une dictature théocratique.
En conclusion, les adversaires de la politique
du pire souhaitent que les moines prient, que les gouvernements
gouvernent, que les langues régionales soient respectées (mieux
que chez nous), que les cultures perdurent, que la démocratie
progresse au Tibet, dans les autres régions chinoises, partout
dans le monde (et jusque dans la presse française) et que rien
de cela ne soit obtenu par des guerres civiles.
Inutile donc de crier haro sur le baudet, de
désigner à la vindicte l’Empire du mal en tranchant à notre
place. Le citoyen français a le droit d’exiger de la presse et
des commentateurs sur Internet qu’ils présentent la réalité dans
sa complexité, ce qui suppose de ne rien celer qui affaiblit une
thèse, de ne pas gommer la nécessaire connexion aux enjeux
géopolitiques mondiaux.
Maxime Vivas, écrivain
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