Récit
Tibet: un pacifiste
chez les bouddhistes (3)
Maxime Vivas
Samedi 7 août 2010
Le GS publie le troisième et dernier volet
des articles écrits par Maxime Vivas, au retour d’un voyage
d’étude au Tibet avec des journalistes du Monde, du Figaro
et deux journalistes free-lance. Au bout du compte, le
lecteur aura pu lire des informations puisées à des sources
contradictoires : témoignage de l’auteur, paroles, discours
et interviews du dalaï lama, paroles des autorités
chinoises, d’autres sources encore. Enfin, nous publions, en
dessous de ce dernier article, celui que l’envoyé spécial du
Figaro a publié à l’issue de ce voyage. Quand ils seront
parus, nous donnerons à lire, si cela est possible, ceux du
journaliste du Monde et des journalistes free-lance.
LGS n’ignore pas qu’il suffit d’écrire le
mot « Tibet » pour que s’enflent des passions, mais nous
croyons avoir fait œuvre utile en ouvrant nos colonnes à des
écrits diversifiés et à des personnes de plusieurs
sensibilités.
LGS.
Avec une population de
2,8 millions d’habitants, le Tibet (Région autonome) compte 46
000 moines, soit 1,64% de la population.
Pour 65 millions d’âmes, la France ne compte que 15 340 prêtres
catholiques. Avec les diacres, laïcs impliqués et religieuses,
on doit peut-être atteindre les 40 000, soit 0,06% de la
population.
Pour que la proportion soit la même en France qu’au Tibet, il
faudrait que nous ayons plus d’un million de prêtres (ou de
serviteurs de toutes les religions en vigueur chez nous). Une
trentaine dans chaque village.
Imaginons le spectacle de rue, s’ils s’affublaient en plus de
soutanes écarlates.
« Le régime politique du Tibet d’avant
l’invasion chinoise a parfois été qualifié par les
observateurs occidentaux, lorsqu’ils en firent la découverte
au XIXème siècle, de « théocratie féodale ». Cette société
traditionnelle se caractérisait, en effet, par des
structures politico-économiques évoquant celles qui
existaient en Europe au Moyen-Âge, et notamment par une
union des pouvoirs temporel et spirituel. »
(In : Rapport du groupe d’information du
Sénat sur le Tibet).
1 – Paroles de dalaï
lama.
Que veut le dalaï lama ? Indépendance ?
Autonomie ? Démocratie ? Théocratie ? Les réponses sont données
ici par des extraits de discours et des écrits du dalaï lama.
Au-delà des astuces de langage, les mots révèlent sa pensée
profonde.
La différence entre un Corse attaché à un statut
spécial de l’île et un Corse qui milite pour l’indépendance, est
que le premier désignera l’Hexagone par « Le continent ». Le
second dira : « La France », soulignant ainsi qu’il s’agit d’un
pays étranger. La méthode vaut en tous lieux et pour chacun.
Elle est particulièrement pertinente dans le cas qui nous
occupe. En effet, à côté des Tibétains, cohabitent en Chine 55
ethnies. Les désigner toutes sous le nom de « Chinois » en s’en
démarquant, c’est bien revendiquer une spécificité à nulle autre
pareille, toutes les ethnies étant chinoises aux yeux du dalaï
lama, sauf une : celle sur laquelle il régna et sur laquelle il
entend à nouveau exercer son pouvoir de Dieu vivant en le
parant, pour la galerie, des oripeaux de la démocratie telle
qu’il la voit au jour le jour, en fonction de la conjoncture et
de son bon vouloir.
Palais du POTALA
1.1- Indépendance ?
Autonomie ?
Discours du dalaï lama : « Plan de paix en cinq
points, adressé au comité congressiste des Droits de l’Homme des
Etats-Unis le 21 septembre 1987 ».
Extraits :
Le dalaï lama, commence par s’adouber lui-même :
« Je m’adresse aujourd’hui à vous en tant que chef des
Tibétains… » ( En fait, le dalaï lama représente une seule des 4
écoles bouddhistes du Tibet, moins de 2% des bouddhistes du
monde et 100% des espoirs de la CIA en Chine).
« Quand la toute nouvelle République populaire
chinoise a envahi le Tibet… »
« C’est l’occupation illégale du Tibet par la
Chine… »
« Il ne fait aucun doute que, lorsque les armées
communistes de Pékin ont envahi le Tibet, celui-ci était en tout
point un Etat indépendant… »
« Alors que l’occupation militaire de la Chine
se poursuit au Tibet, le monde devrait se souvenir que – bien
que les Tibétains aient perdu leur liberté – le Tibet demeure
encore aujourd’hui un Etat indépendant illégalement occupé… »
« En 1982, j’ai envoyé mes représentants dans la
capitale chinoise […] pour ouvrir un dialogue au sujet de
l’avenir de mon pays et de mon peuple. »
« Je souhaite […] un avenir empreint d’amitié et
de coopération avec nos voisins, y compris le peuple chinois. »
« Les Tibétains, les Chinois, sont des peuples
différents… »
MONASTERE DE JOKHIANG
Discours ancien, dira-t-on, le dalaï lama a
évolué. Il est vrai que son programme indépendantiste s’édulcore
au fil des ans et des échecs, reculs troués ça et là par
d’irrépressibles appels à l’indépendance qui jaillissent comme
un cri du cœur incontrôlé.
Le dalaï lama est un général défait qui se
replie « sur des positions préparées en avance ». Mais c’est
l’art de la guerre, pas celui de la paix.
Lisons ce qu’il dit, le 12 mai 2008, dans une
interview accordé au magazine « Der
Spiegel » : « Après des années d’oppression les
Tibétains ne font plus confiance aux Chinois ». Persiste et
signe ! La guerre ? Il en parle justement dans le même interview
où le pacifisme du chef religieux n’apparaît pas consubstantiel
de sa pensée, mais imposé par le rapport des forces. Et nous
allons bien lire qu’il emploie deux fois le mot
« indépendance » : « Les Tibétains doivent-ils prendre les armes
pour conquérir cette indépendance ? Quelles armes, d’où ? Des
Moudjahidines au Pakistan, peut-être ? Et si nous les obtenons,
comment les ferons-nous passer au Tibet ? Et si la guerre
d’indépendance commence, qui nous viendra en aide ? Les
Américains ? Les Allemands ? ».
A cette question, une réponse au parfum d’appel
au Pentagone avait été donnée par sa Sainteté le 29 avril 2005 à
des sénateurs français (1) venus le voir dans son exil indien :
« La politique américaine veut promouvoir la démocratie en Irak
et en Afghanistan, par des méthodes parfois controversées. Je
dis tant mieux, c’est bienvenu. Mais ce serait encore mieux si
la démocratie était promue en Chine » (2).
1.2- Démocratie ?
Théocratie ?
« Tandis que les Tibétains en exil exercent
leurs droits démocratiques sous une Constitution que j’ai
moi-même promulguée en 1963… » (discours cité).
« Nous avons récemment initié des changements
qui, plus tard, démocratiseront et renforceront notre
administration en exil » (In : « Bouddhisme et démocratie,
Washington D.C., avril 1993 ». Dans ce texte, fait de
généralités sur la démocratie, le dalaï lama avance : « Pour
plusieurs raisons, j’ai décidé que je ne serai ni le chef ni ne
jouerai de rôle au gouvernement quand le Tibet deviendra
indépendant. » Notons le royal « J’ai décidé » ainsi que
l’espoir d’un Tibet « indépendant » et lisons la suite : « Le
futur chef du gouvernement tibétain doit être une personne
reconnue et élue par le peuple ».
Dans son discours au Parlement européen à
Strasbourg le 24 octobre 2001, il poursuit dans ce sens :
« Cette année, nous avons accompli une autre grande avancée dans
le processus de démocratisation en faisant élire le Président du
Cabinet tibétain au suffrage universel ». Mais il ajoute
aussitôt que ce parlement et les députés se borneront à
« diriger les affaires courantes… », le rôle principal lui étant
toujours dévolu : « Toutefois, je considère comme un devoir
moral envers les six millions de Tibétains, de continuer à
travailler à la question tibétaine avec les dirigeants chinois
et d’agir en tant que libre porte parole des Tibétains jusqu’à
ce que nous soyons parvenus à une solution. ». Libre
porte-parole ! Il reprendra la formule dans son discours,
qualifiant les Tibétains de « mon peuple » à la manière des
monarques.
Dans le même discours, il définit ce qu’il
appelle « la voie du milieu », une transition de fait vers
l’indépendance qui ne laisserait à Beijing que la charge
d’assurer de loin la sécurité et les relations extérieures d’un
Tibet où les moines exerceraient à nouveaux tous les pouvoirs en
matière d’éducation, de culture, d’environnement, d’économie.
Le 10 mars 2008 à Dharamsala (Inde), il prononce
un discours où il prétend que la langue, les coutumes et les
traditions du Tibet s’effacent peu à peu. Il fustige
l’organisation des régions autonomes (« Ces lieux n’ont
d’autonome que le nom ») et se réinvestit dans le rôle de
porte-parole des Tibétains : « … J’ai la responsabilité
historique et morale de continuer à m’exprimer librement en leur
nom ».
En 2008, à l’approche des jeux olympiques de
Beijing, montent à l’étranger (notamment à Paris) des campagnes
sur la question tibétaine qui ulcèrent la population chinoise.
Le dalaï lama commettrait une erreur majeure en ne s’en
démarquant pas. Il importe pour lui de se dissocier de ceux qui
peuvent apparaître comme les ennemis de la Chine. Aussi, le 28
mars 2008, il lance un « Appel au peuple chinois » où l’on croit
rêver en lisant : « Frères et sœurs chinois, je vous assure que
je ne désire nullement obtenir la séparation du Tibet ni même
brouiller les peuples tibétains et chinois. » Et encore, il se
dit inquiet en tant « que personne qui se sent prête à se
considérer comme un membre de cette grande famille qu’est la
République populaire de Chine », s’étonnant d’une injuste
suspicion : « Il est regrettable qu’en dépit de mes efforts
sincères de ne pas séparer le Tibet de la Chine, les dirigeants
de la République populaire de Chine continuent de me dénoncer
comme « séparatiste ». Suspicion incroyable, en effet !
Le 6 avril 2008, dopé par les manifestations de
Llassa, il lance un appel « A tous les Tibétains » où il jure :
« j’ai décidé (ah, ce démocratique « j’ai décidé » ! N. de MV)
de trouver une solution au sein même de la structure de la
République populaire de Chine ». Remarquons qu’il dit ainsi a
contrario que les solutions antérieures qu’il cherchait se
situaient « en dehors de la structure ».
Faut-il d’autres exemples issus, non pas du
gouvernement central de Beijing, mais de la bouche du dalaï lama
pour se persuader que la lutte pour l’indépendance, pour un
Tibet théocratique dont il serait le chef, n’a jamais cessé
d’être à l’ordre du jour et que seule la manière de la mener
fluctue en fonction des circonstances ?
Lisons quelques extraits de la « Charte » du
Dalaï Lama, ayant valeur de Constitution.
Article 3. Nature de la politique tibétaine.
« L’avenir politique tibétain doit respecter le principe de la
non-violence et s’efforcent d’être un libre État de la
protection sociale avec sa politique guidée par le Dharma ». Le
Dharma, c’est-à-dire ce que les musulmans appellent la Charria,
disposition qui nous fait pousser des hauts cris.
La Charte se termine par une « Résolution
spéciale », votée en 1991, dont voici un extrait : « Sa Sainteté
le Dalaï Lama, le chef suprême du peuple tibétain, a offert les
idéaux de la démocratie au peuple tibétain, même s’il n’a pas
ressenti le besoin de ces idéaux. Tous les Tibétains, dans le
Tibet et en exil, sont et restent profondément reconnaissants à
Sa Sainteté le Dalaï Lama, et s’engagent à nouveau à établir
notre foi et notre allégeance à la direction de Sa Sainteté le
Dalaï Lama, et à prier avec ferveur pour qu’il puisse rester
avec nous à jamais comme notre chef suprême spirituel et
temporel. »
Vous avez dit « laïcité » ?
Article 36. Pouvoir législatif. « Tout pouvoir
législatif et autorité résident dans l’Assemblée tibétaine. Les
décisions de celles-ci requièrent l’approbation de Sa Sainteté
le Dalaï Lama pour devenir des lois ».
L’Assemblée a tous les pouvoirs… si Sa Sainteté
le veut !
Article 19. Pouvoir exécutif. « Le pouvoir
exécutif de l’administration tibétaine est dévolu à Sa Sainteté
le Dalaï Lama, et doit être exercé par lui, soit directement ou
par l’intermédiaire d’officiers qui lui sont subordonnés,
conformément aux dispositions de la présente Charte. En
particulier, Sa Sainteté le Dalaï Lama est habilité à exécuter
les pouvoirs ci-après en tant que chef de la direction du peuple
tibétain :
(a) approuver et promulguer les projets de loi
et des règlements prescrits par l’Assemblée tibétain.
(b) promulguer des lois et ordonnances qui ont
force de loi.
(c) conférer les honneurs et les brevets de
mérite . (d) convoquer, ajourner, reporter et prolonger
l’Assemblée tibétaine ?
(e) envoyer des messages et adresses à
l’Assemblée tibétaine chaque fois que nécessaire.
(f) suspendre ou dissoudre l’Assemblée
tibétaine.
(g) dissoudre le Kashag (gouvernement) ou
destituer un Kalon (ministre).
(h) décréter l’urgence et convoquer des réunions
spéciales de grande importance.
(j) autoriser les référendums dans les cas
impliquant des grandes questions en suspens conformément à la
présente charte. »
Voila qui est clair : ni chef, ni impliqué dans
le gouvernement « démocratique », mais au-dessus des communs des
mortels et des Institutions, Dieu vivant et guide suprême.
Dharamsala, exil, lutte pour la liberté de son
peuple, prières, modération dans le ton lors de ses prestations
médiatiques, vie frugale… pourquoi l’image de l’ayatollah
Khomeiny sous sa tente à Neauphle-le Château surgit-elle
brusquement de l’oubli ?
Egalement obsolète, ce document ? Toujours
est-il que le dalaï lama refuse de souscrire à la condition
incontournable pour être reçu à Beijing : la dissolution de son
"gouvernement" dont l’acceptation ferait de sa visite en Chine
celle d’un chef d’Etat étranger.
c’est un lac
2 – Paroles du
gouvernement central chinois.
Les autorités chinoises nous ont distribué une
documentation abondante, chiffrée et précise sur la question
tibétaine.
Il est d’usage en France de prendre les chiffres
émanant des USA et de ses alliés comme argent comptant et de
considérer que ceux des pays qui ne sont pas dans l’optique
atlantiste sont suspects, faux, ou au minimum émis à des fins de
propagande (les Etats-uniens informent, les Chinois
endoctrinent).
Le journaliste français qui veut échapper à
l’accusation d’être le porte-parole (ou l’idiot utile) du
gouvernement de Beijing et de ses antennes à Llassa doit marcher
sur des œufs.
Il peut donner à lire en laissant le lecteur
faire son tri et repérer des erreurs et contrevérités que LGS
signalera s’il le souhaite. Le lecteur peut procéder à quelques
vérifications. Il peut vouloir ne pas voir. Il fait ce qu’il
veut, le lecteur. Il peut même attaquer un témoin plutôt que son
témoignage.
Le Tibet avant la fuite
du 14ème dalaï lama.
Avant 1959, le Tibet était un pays de servage
féodal théocratique. On comptait 2676 monastères abritant 114
925 moines (le quart de la population ! C’est vrai que ça a
baissé). Les trois grands groupes de seigneurs (fonctionnaires,
nobles, moines de haut rang) représentaient 5% de la population
et possédaient toutes les terres arables, les prés, les forêts,
les rivières et la plupart des animaux domestiques. A côté des
serfs (90% de la population), 5% des Tibétains étaient des
esclaves de père en fils, considérés comme des « outils sachant
parler ».
Le 14 ème dalaï lama et son entourage
possédaient 27 domaines, 30 prairies et plus de 6000 serfs qui
leur fournissaient 462 000 kg d’orge, 35 000 kg de beurre, 2
millions de taëls d’argent (unité de mesure valant 40 gr), 300
têtes de bœufs et de moutons. En 1959, le dalaï lama possédait
160 000 taëls d’or, 95 millions de taëls d’argent, 20 000 pièces
de bijoux et de jade, 10 000 vêtements en satin et fourrure et
plus de 100 pèlerines incrustées de perles et de pierres
précieuses.
Les serfs étaient assujettis à plus de 200
impôts de toutes sortes. Les corvées dues pouvaient représenter
jusqu’à 80% de leur quantité de travail. Pour survivre, 90 %
d’entre eux empruntaient de l’argent à leurs maîtres à des taux
usuraires et se trouvaient endettés sur plusieurs générations.
Les trois quarts devaient se nourrir d’herbes sauvages dans une
soupe d’os de bœuf accompagnée de farine d’avoine et de soja.
L’espérance de vie de ces bêtes de somme analphabètes et
martyrisées était de 35,5 ans. Parmi les serfs on disait : « Ce
qu’on peut emporter, c’est son ombre, ce qu’on peut laisser, ce
sont ses empreintes ». Malgré les risques de représailles
terribles, l’absence de routes et la rudesse du climat, les
serfs s’enfuyaient en grand nombre, laissant les terres
abandonnées sur de vastes étendues tandis que les villages
mourraient. Dans certains d’entre eux, entre 1927 et 1952, plus
la moitié des habitants trouvèrent leur salut dans la fuite.
Ces conditions d’exploitation expliquent
qu’entre 1737 et 1953, la population du Tibet a stagné à 1
million d’habitants.
Sous la férule des dalaï lamas, le prix de la
vie des êtres de catégories « supérieures » (princes, bouddhas
vivants) était évaluée en or selon le poids de leur corps. Celle
des êtres « inférieurs » (femmes, bouchers, chasseurs,
artisans…) valait une corde de chanvre. Selon les lois du Tibet
ancien, si les valets blessaient leur propriétaire, on devait
leur couper les mains et les pieds. Ceux qui blessaient un
bouddha vivant se faisaient arracher les yeux, couper les pieds
et les mains et étaient torturés. Les maîtres qui blessaient un
serf étaient absous si ce dernier guérissait. Les voleurs se
voyaient couper les doigts et le nez quand ils n’étaient pas
énucléés par un crochet de fer après crevaison des yeux à
l’huile bouillante. La peine capitale était exercée par noyade
dans un sac de cuir, précédent un démembrement.
pâtre énucléé
Le 13 ème dalaï lama avait officiellement aboli
ses pratiques, sans qu’elles cessent dans les faits. Il n’est
pas dit ici que le 14 ème dalaï lama veut les rétablir, mais que
tel était le Tibet bouddhiste de sagesse et d’amour.
Le bouddhisme tibétain à la sauce des dalaï lama
est une religion de la soumission par laquelle le bonheur
viendra dans une prochaine vie. Inutile donc de revendiquer une
condition d’homme, imprégnée des notions de dignité, de liberté,
d’égalité. La prière, les offrandes, l’obéissance et les petites
échelles blanches peintes sur les rochers promettent aux serfs
d’hier et de demain une nouvelle naissance sur un lit de pétale
de roses.
La rébellion et la
fuite.
La Chine est devenue communiste en 1949. En
1954, le 14ème dalaï lama est élu au poste de vice président du
Comité permanent de l’assemblée populaire nationale. En 1956, il
devient président du Comité préparatoire de la Région autonome
du Tibet. Conciliant (ou prudent !) le gouvernement de Pékin
décide alors de ne pas appliquer de réforme au Tibet pendant six
ans. Mais les maîtres du Tibet, inquiets pour leurs privilèges,
ont déjà commencé à fomenter la rébellion qui éclatera en mars
1959. Le dalaï lama en sera le deus ex machina, tout en
proclamant qu’il désavoue ces « malfaiteurs réactionnaires »,
ces « groupes de réactionnaires » dont la violence le plonge
« dans une immense inquiétude ». Il assure encore Pékin qu’il
fait « l’impossible » pour régler la situation, puis, qu’il a
« éduqué » et « critiqué sévèrement » les insurgés.
Vaincus en quelques jours par l’armée chinoise,
ceux-ci devront s’exiler. Le pacifiste dalaï lama est parmi eux,
le fusil en bandoulière. Dans le livre « Inspirations et paroles
du dalaï lama », éditions Acropole, mai 2008, le journaliste et
écrivain sud-Africain Mike Nicol osera : « Ironiquement, c’est
déguisé en soldat, un fusil sur l’épaule, qu’il quitta Llassa de
nuit avec sa suite et prit la direction de la frontière
indienne ».
La nuance est subtile entre un soldat et un
homme armé en uniforme de soldat. Apprécions aussi qu’il ne fuit
pas mais qu’il « prend la direction » de l’étranger, la nuit.
En Inde, le dalaï lama s’empressera de former un
« gouvernement tibétain en exil » et de proclamer l’indépendance
du Tibet.
Le Tibet aujourd’hui.
Durant les cinquante dernières années, le PIB du
Tibet a connu une progression spectaculaire, passant de 174
millions de yuans à presque à presque 40 milliards de yuans. La
modernisation accélérée a été profitable à tous les secteurs de
l’économie. La population dans la République autonome du Tibet
est passée de 1,228 millions d’habitants en 1959 à 2,870
millions d’habitants (dont 10% de Hans et autres ethnies). La
non application à cette région de la politique de l’enfant
unique en vigueur presque partout en Chine, l’amélioration des
conditions de vie, de travail, de logement et une meilleure
couverture médicale (gratuite au Tibet mais pas partout en
Chine) expliquent cette croissance. La mortalité des
nouveaux-nés qui approchait les 50 % est désormais inférieure à
3%. L’espérance de vie moyenne est de 67 ans.
Le bilan de l’économie du Tibet fait apparaître
que la population paysanne, arrachée il est vrai à une extrême
misère, est à la traîne dans ses progrès. Un écart significatif
subsiste entre le niveau de vie des ruraux et des citadins. Il
est encore plus patent entre le niveau de vie de l’ensemble des
Tibétains et du reste de la Chine. Mais, loin de se creuser ou
de rester égal comme dans le passé, il se réduit chaque année.
Arrachée aux monastères, l’éducation qui était
réservée aux moines (et encore : pas à tous) et enfants des
nobles, ce qui laissait dans la nuit de l’analphabétisme 95 % de
la population, est désormais offerte à l’ensemble des Tibétains.
Le taux d’analphabétisme est tombé en dessous de 3%. Le Tibet
compte plus de 15 000 enseignants bilingues (le Tibétain est la
première langue, la langue obligatoire dans les écoles). C’est
la seule région chinoise qui bénéficie d’une éducation primaire
gratuite avec logement et nourriture gratuits pour les élèves.
Le Tibet forme désormais ses cadres.
Dans le même temps où des informations circulent
(le dalaï lama s’est exprimé à plusieurs reprises là-dessus) sur
le stockage de déchets nucléaires au Tibet, le gouvernement
central a approuvé un plan de longue durée pour faire de la
région un « écran écologique » de la Chine. Il s’agit par
exemple de préserver les grands fleuves qui prennent naissance
dans le plateau et dont l’eau est indispensable à la Chine et à
d’autres pays qu’ils irriguent, soit à des milliards d’êtres
humains. Une politique de reboisement a fait augmenter le taux
de couverture forestière, les surfaces reboisées ont été
multipliées par 20 entre 1997 et 2008. Des réserves naturelles
ont été créées pour protéger la flore et la faune. L’énergie
solaire se développe sous toutes ses formes : éclairage,
chauffage, cuisson (400 000 « fours » solaires ont été
distribués).
On l’a dit, de lourdes disparités existent au
niveau global entre l’ensemble de la Chine et sa région
tibétaine. Pour les combler, des « discriminations positives »
sont appliquées : aides financières pour créer des entreprises,
achats des productions par le gouvernement, bonus pour les
étudiants voulant entrer à l’université, priorité d’embauche par
les établissements publics …
Les faits et les chiffres sont têtus. Les
informations sur un génocide culturel, ethnique, démographique,
sur l’exploitation d’une région par un pouvoir colonial ne
résistent pas à un examen impartial.
Par exemple, depuis Dharamsala une rumeur a été
lancée selon laquelle le pouvoir central a exterminé un million
de Tibétains (presque tous mâles). Le chiffre a été repris sans
plus de précaution par les médias et tous les dalaï lamiste du
monde. Cette « information » a été à l’origine d’un sentiment
mondial de compassion envers un peuple exterminé au nom d’une
croyance qu’on lui dénie. Il a fallu que des démographes
démontrent que la chose était impossible, que la population se
serait pratiquement éteinte, que des tranches d’âge
n’existeraient plus, pour que la fable soit abandonnée (par le
dalaï lama, pas encore par tous ses thuriféraires).
De « génocide » on a alors reculé à « génocide
culturel ».
Pas exterminés mais néanmoins opprimés ? Sur les
lieux de culte, il semble que les moines et les fidèles ne
rasent pas les murs.
Qui croire ?
Curieusement, ce voyage, parce que guidé, laisse
acceptable, on l’a vu dans un commentaire de l’article précédent
(www.legrandsoir.info/Choses-vues-au...)les écrits du Figaro (auxquels un lecteur contradicteur se
réfère) mais pas ceux du GS. Par conséquent, je dois me
rapporter à l’article de mon confrère pour attirer votre
attention sur ce constat : ce journaliste du Figaro, voyant en
même temps que moi les mêmes choses et au même moment, ne
contredit aucunement (bien au contraire) ce que j’ai écrit sur
le Tibet : sa course au modernisme, les hausses du niveau de
vie, les subventions, la construction d’écoles et de d’hôpitaux,
les aides massives à l’agriculture et à l’industrie, le
développement de l’énergie solaire, la préservation de la
nature, la conservation des textes sacrés, la restauration des
monastères, etc. (voir son article ci-après)…
Quelqu’un dira-t-il qu’il est maoïste parce
qu’il rapporte honnêtement ce qu’il a vu et qui tranche avec ce
qu’on a lu partout naguère ?
Ce que je crois, enfin…
Le gouvernement central chinois est arc-bouté
sur une mission première : ne pas laisser la Chine au 100ème
rang des nations pour son PIB. Il s’agit d’une course dans
laquelle il ne veut pas dériver sur deux écueils :
1 - une politique
d’affrontement verbal avec les USA. Il est significatif
que l’aide apportée depuis plus d’un demi-siècle au dalaï lama
par les USA et la CIA soi désignée pudiquement par « aide de
l’étranger » sans plus de précision.
Plus de 40 % des ressources de la Chine se
trouvent au Tibet : arsenic, zinc, bauxite, charbon, fer,
uranium, or, jade, saphir, quartz, chrome, cuivre, borax,
uranium, lithium, plomb,cobalt, pétrole, gaz et l’essentiel de
ses sources d’eau. Le quart des êtres humains vit dans une Chine
qui bénéficie seulement de 7% des réserves en eau de la planète.
Je pose à un responsable du PCC une question sur la crainte de
la Chine de se voir déposséder de ces richesses vitales et de la
perspective de la création de bases militaires US sur son toit
si le Tibet devenait indépendant. Il répond à côté. Pas de
polémique.
2 - Un raidissement de
ses rapports avec les bouddhistes. C’est probablement
la raison pour laquelle on ne nous a pas fait visiter des lieux
où sont exposés des outils de supplice : fers pour les pieds,
instruments utilisés pour arracher les yeux et les tendons,
photos montrant les membres coupés et les peaux écorchées par
des propriétaires de serfs sous le règne des dalaï lama. A aucun
moment, les officiels n’aborderont ces sujets pourtant
susceptibles d’émouvoir nos lecteurs. Une documentation traite
de ces questions mais elles ne seront pas traitées dans les
discussions. Ce qu’il s’agissait de voir surtout, c’est la
liberté de culte, la fréquentation des monastères, leur
richesse, l’aide que le gouvernement apporte à présent à leur
préservation et à leur rénovation. Le passé est rapidement
évoqué, le présent prend toute sa place avec le futur.
Le gouvernement central cherche donc à éviter
les querelles externes et à lisser la situation intérieure. Avec
46 000 moines, des dizaines de milliers de fidèles dont on
dirait chez nous qu’ils ont « la foi du charbonnier », le chef
auto-proclamé du bouddhisme n’est pas quelqu’un dont on peut se
moquer comme le fit Staline à l’égard du chef de l’Eglise
catholique : « Le pape ? Combien de division ? ».
Au cours d’un dîner, un officiel a implicitement
laissé sourdre une crainte en nous disant : « Vous, en Occident,
vous avez un Dieu mort qui ne peut donner des ordres politiques.
Le nôtre est vivant ».
Bien fort qui pourrait jurer que, quels que
soient les fonds que le gouvernement central du pays a injecté
et injecte au Tibet, quels que soient les progrès de l’éducation
(et donc de l’ouverture des esprits ), quelle que soit sa
prudence à l’égard d’une religion nostalgique de ses pouvoirs
politiques et économiques passés, le Tibet est à l’abri de
nouveaux troubles.
L’éclatement de la Chine multiethnique en une
kyrielle de petites nations semble être la seule solution pour
freiner sa montée en puissance. Le nationalisme est un terreau
fertile qui repose en tous lieux où sont des hommes. Le
fanatisme religieux est son allié.
L’armée de la Chine est confinée dans ses
frontières. Cette anomalie effraie semble-t-il les médias des
pays dont les soldats sont en guerre en plusieurs pays du monde
et ils ne désespèrent pas de voir la puissance militaire
chinoise entrer en action, sur son propre sol. Si cela advenait,
nous assisterions, désolés, à des massacres au terme desquels
les régions sécessionnistes n’auront gagné que des tombes.
Pour les raisons dites, la Chine ne renoncera
pas à la Région autonome du Tibet.
Que les amoureux du Tibet et de sa culture,
voire du bouddhisme, oeuvrent pour une toujours meilleure
harmonisation des rapports entre le gouvernement central et
cette région sensible, qu’ils poussent à une démocratisation
accélérée de la Chine, qu’ils ne tolèrent pas les campagnes de
presse qui attisent la haine à base de mensonges au bout
desquels viendra une violence inutile, et ils auront contribué à
l’avènement d’un monde meilleur sans avoir à aucun moment été
obligés de souscrire au système politique, économique,
judiciaire, social, médiatique de l’Empire du Milieu.
Notes :
(1) Pour sourire, voici comment un élu de
la république française, Jean-Pierre Plancade, sénateur
socialiste, s’adressa en cette occasion au dalaï lama :
« J’ai un ami parlementaire qui s’occupe de la Chine et qui
me demandait quel intérêt j’ai à soutenir ainsi le Tibet et
à parler ainsi de Votre Sainteté. Je lui ai répondu que je
le faisais parce que Votre Sainteté est un peu ce sage qui
porte une lumière qui éclaire le monde. Et c’est une lumière
très fragile. Après ma visite à Dharamsala, je lui répondrai
que c’est aussi un exemple de démocratie et de vie politique
parlementaire, qu’il pourrait défendre auprès de ses amis
chinois. Je voudrais aussi savoir si vous pensez que les
responsables politiques peuvent bénéficier de vos
conseils. »
La « lumière qui éclaire le monde », dit
par un camarade socialiste élu dans la région de Jaurès ! Et
la demande de conseils à un dirigeant politique étranger, Sa
Sainteté, chef religieux et dieu vivant pour gouverner un
pays constitutionnellement laïque…
(2) Serait-ce forcer le trait que de dire
que, outre sa misogynie, les récents propos du dalaï lama
sur les homosexuels, son rejet des "étrangers" Hans, sa
participation à l’insurrection au Tibet et son approbation
des guerres d’invasion états-uniennes, peuvent inquiéter ?
Ces positions pourraient le faire passer pour un sexiste, un
homophobe, un raciste et un va-t-en guerre américanophile.
Maxime Vivas
« Le
Grand Soir » au Tibet
Choses
vues au Tibet
(Photos : M.V.)
© LE GRAND SOIR - Diffusion non-commerciale
autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 15 août 2010
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