Opinion
Notre Dame des
Landes :
de la ZAD à Occupy Vinci !
Maxime Combes et Nicolas Haeringer
Mardi 6 novembre
2012 La
manifestation nationale de réoccupation
de la Zone à Défendre de Notre Dame Des
Landes, le 17 novembre prochain, est
l’occasion de marquer un tournant net et
durable dans la mobilisation contre le
projet d’aéroport. L’opposition au
projet d’aéroport ne concerne pas les
seuls riverains. Il est donc crucial de
parvenir à construire un mouvement "translocal"
d’opposition à l’aéroport. Dont le mot
d’ordre pourrait être "Occupy Vinci".
Les initiatives de soutien aux
occupant-e-s de la ZAD (Zone À Défendre)
de Notre Dame Des Landes se multiplient
ces derniers jours. Pour autant, la
répression brutale qui s’est abattue sur
les opposant-e-s au projet d’aéroport ne
faiblit pas. Elle se transforme en
occupation policière continue et
harassante. Jusqu’à présent, le
gouvernement n’a montré aucun signe
laissant entendre qu’il pourrait
renoncer au projet.
La manifestation
nationale de réoccupation du 17 novembre
prochain pourrait marquer un tournant
net et durable. La lutte reste pour
l’heure essentiellement locale, même si
les actions décentralisées de soutien
sont de plus en plus nombreuses. Les
différents collectifs et organisations
impliqués dans l’occupation et
l’opposition au projet ont certes
multiplié les initiatives ponctuelles –
Forum Social Européen contre les grands
projets inutiles et imposés, rencontres
nationales, etc. À chaque fois, les
organisations écologistes,
altermondialistes, les libertaires, les
autonomes et certains syndicats ont
répondu présents. Mais ils ne se sont
pas durablement mobilisés. À ce jour,
Notre Dame Des Landes n’est pas (encore)
le Larzac des années 2010.
Comme si ce qui se
jouait depuis des dizaines d’années dans
le bocage de la région nantaise ne
concernait que les seuls paysans en
passe d’être expulsés de leur terre et
les riverains du futur aéroport, victime
de sa pollution atmosphérique et sonore.
Pourtant, ce qui se joue à Notre Dame
Des Landes nous concerne tout-te-s. Les
expulsions en cours ne sont pas
seulement révélatrices de la logique
dans laquelle le gouvernement et le
président de la République ont décidé
d’inscrire leur action (c’est-à-dire :
la force plutôt que la concertation [1]).
Elles constituent également un test
crucial pour le mouvement social, dont
elle met à l’épreuve la capacité à se
saisir d’une lutte qui articule enjeux
locaux et globaux ; défense de
l’environnement ; question sociale et
alternatives à la crise économique.
Plus encore, ce
projet est exemplaire des principes d’un
capitalisme qui ne peut fonctionner que
par la prédation des ressources
naturelles, la destruction de
l’environnement – et le recours à la
force montre également que cette
prédation finit toujours par
s’accompagner d’un déni de démocratie.
Il montre en outre l’ineptie de l’idée
d’un capitalisme vert – rappelons que le
projet d’aéroport a été déclaré «
compatible » avec les objectifs du
Grenelle de l’environnement par le
précédent gouvernement.
Pour le dire
autrement, ce qui se joue actuellement à
Notre Dame Des Landes est une mise en
abime des enjeux politiques, sociaux et
environnementaux du quinquennat, ainsi
que de l’ensemble des débats autour des
scénarios de sortie des crises
économique, financière, sociale et
écologique.
Notre Dame de La
Honte : un projet inutile et dangereux
Le projet
d’aéroport de Notre Dame Des Landes pose
problème à au moins trois niveaux :
climatique, alimentaire, démocratique.
Les prévisions des
scientifiques travaillant sur le
changement climatique les plus
alarmistes apparaissent comme étant en
deçà de la réalité. Fonte de la calotte
glacière, élévation globale des
températures, augmentation du niveau des
mers et des océans, ampleur et fréquence
inédite des tempêtes tropicales : les
conséquences du basculement climatique
se font partout sentir.
Préparer et
organiser l’extension du trafic aérien
est, dans ce contexte, un crime contre
la planète et ses habitant-e-s. Il n’est
pas nécessaire de rappeler à quel point
l’avion est un méga pollueur, ce à au
moins trois niveaux. Pour voler, l’avion
a besoin de matière fossile. Il est donc
un élément majeur de la pression
extractiviste qui s’exerce partout dans
le monde, dont les sables bitumineux,
pétroles de schiste, et autres forages
en eaux profondes ne sont que les
derniers avatars. En volant, l’avion est
un redoutable émetteur de gaz à effets
de serre. Enfin, pour se remplir, il a
besoin d’infrastructures routières et
autoroutières, et d’une croissance du
trafic automobile. Réduire les émissions
de gaz à effet de serre passe
nécessairement par une diminution du
trafic aérien, régional comme
international, comme le prouve la très
récente
étude de Virage Energie Climat Pays de
la Loire.
Il faut donc être
aveugle pour vouloir construire un
nouvel aéroport. Et ce d’autant plus que
l’actuel aéroport de Nantes n’est pas
saturé et qu’il ne devrait pas le
devenir d’après les projections
d’experts indépendants [2].
De fait, ce projet de nouvel aéroport
n’est pas tourné vers le futur (ne
serait-ce que parce qu’il participe à
nous préparer une planète sans avenir).
Il est une scorie du passé, sortie des
cerveaux d’ingénieurs nourris de
l’utopie des voyages supersoniques. Le
Concorde s’est depuis définitivement
posé. Mais les imaginaires n’ont pas
changé, et n’ont pas retouché terre.
Jean-Marc Ayrault
et François Hollande sont à ce point
persuadé que seules de vieilles
recettes, à base de croissance soutenue,
d’industrialisation galopante et de
grandes infrastructures permettront de «
redresser » l’économie française, qu’ils
sont malgré tout déterminés à aller au
bout de ce projet inutile et néfaste. Ce
faisant, ils marquent leur renoncement à
toute politique ambitieuse de réduction
des émissions de gaz à effet de serre ;
en même temps qu’ils prouvent leur
incapacité à préparer et à anticiper le
pic pétrolier – que les forages non
conventionnels ne font que repousser.
En pleine crise
alimentaire mondiale, bétonner plusieurs
milliers d’hectares de terres agricoles
est une aberration totale. Comme avec
tous les grands projets inutiles, la
production agricole est délocalisée,
augmentant la pression au rendement sur
d’autres terres. Rappelons que
l’agriculture est polluante à trois
niveaux : la production elle-même
(lorsqu’elle est industrielle) ; le
transport des fruits et légumes vers
leur lieu d’achat (le plus souvent via
un marché d’intérêt national) ; le
déplacement des consommateurs. Dans le
cas d’une production délocalisée et d’un
achat effectué en supermarché, la
pollution se répartit en trois tiers à
peu près équivalents. Relocaliser la
production (en promouvant l’agriculture
biologique) permet d’agir aux trois
niveaux, en faisant baisser la pression
aux rendements (permettant de passer à
une agriculture qui ne soit pas fondée
sur l’utilisation intensive d’intrants
chimiques) et en réduisant au maximum la
distance entre producteur et
consommateur.
En outre, ce projet
est une illustration supplémentaire de
la collusion des intérêts entre
dirigeants politiques, très hauts
fonctionnaires et dirigeants de
multinationales. Il ne sert pas les
intérêts de la population nantaise, mais
ceux des multinationales de la
construction [3].
Ici, les frontières entre intérêt
général supposé, intérêts privés voire
intérêts personnels se brouillent et
deviennent poreuses. Un ancien préfet de
région Pays de la Loire et du
département de Loire Atlantique est
désormais employé par Vinci. De ce point
de vue, le futur de l’actuel aéroport
Nantes-Atlantique pose lui aussi
question. S’il est officiellement acquis
que la piste devrait être conservée pour
des vols industriels d’Airbus (le groupe
possède une chaine de montage à
Bouguenais, commune de l’actuel
aéroport), le terrain de l’aéroport et
son aérogare devraient néanmoins être
restructurés – représentant, à n’en pas
douter, l’opportunité d’excellentes
affaires immobilières sur lesquels
Vinci, Bouygues et consorts ne
manqueront pas de se positionner. Cette
collusion s’accompagne d’un véritable
déni de démocratie : plutôt que
d’entendre l’opposition des
habitant-e-s, occupant-e-s et riverains
de la ZAD, le gouvernement préfère le
passage en force, par la mobilisation de
moyens quasi militaires.
Relocaliser les
luttes et les imaginaires
Ce coup de force
est bien sûr une mise à l’épreuve de la
capacité des partis de la gauche du PS
(EELV inclus) à peser sur le
gouvernement et à se constituer comme
une force pouvant faire infléchir ses
choix politiques – de l’intérieur du
gouvernement pour EELV (on pourra alors
vérifier si la participation
gouvernementale était un choix politique
opportun, ou bien s’il ne s’agissait
vraiment que d’assouvir des ambitions
personnelles) ; et depuis les assemblées
nationale et locale pour le EELV et le
Front de Gauche. Mais l’enjeu principal
réside dans notre capacité collective à
construire un vaste mouvement social
d’opposition à ce projet d’aéroport.
Plusieurs facteurs
peuvent expliquer pourquoi la lutte
contre l’aéroport est jusqu’à présent
restée locale. La raison principale est
sans doute la suivante : cette lutte
remet directement en cause des
imaginaires et schémas de pensée qui
imprègnent jusqu’aux revendications des
militants les plus progressistes. Le
projet d’aéroport repose en effet sur
plusieurs contre-vérités, solidement
ancrées dans nos représentations, qu’il
est indispensable de déconstruire de la
manière la plus concrète qui soit.
C’est-à-dire : en construisant un vaste
mouvement social qui s’appuie sur une
lutte spécifique pour transformer nos
mentalités et nos revendications.
Parmi ces
contre-vérités, l’idée que l’aéroport
serait du côté du progrès – technique,
économique (via la création d’emplois
directs et indirects qu’il
engendrerait), mais aussi social : les
partisans de l’aéroport ne cessent de
défendre la « démocratisation » du
trafic aérien. L’aéroport serait un
outil indispensable au service de notre
mobilité, autrement dit de notre
liberté. Mais c’est une idée fausse : le
transport aérien est élitiste est
ségrégationnaire. Chaque année, seuls 2
à 3% de la population mondiale a le
privilège de faire un voyage aérien
international – la démocratisation du
transport aérien est donc un leurre. A
l’échelle planétaire, il reste l’apanage
des privilégiés et des plus riches – les
mobiles d’un côté : hommes d’affaire et
touristes d’un côté, libres de leurs
mouvements ; et, de l’autre, les
immobiles, assignés à résidence, qui,
lorsqu’ils s’essaient à la libre
circulation, se heurtent aux forteresses
douanières et policières et ne
connaissent des aéroports que leurs
zones d’attente et autres centres de
rétention.
Dans son texte «
Énergie et Équité », Ivan Illich a
brillamment analysé comment
l’accélération des déplacements engendre
de profondes inégalités. La vitesse
implique en effet le développement d’une
infrastructure spécifique, qui organise,
spatialement comme socialement, la
discrimination entre les mobiles et les
immobiles. Loin d’être synonyme de
liberté, l’accélération (et le progrès
technique) instaure de nouvelles
entraves. La modernisation des
infrastructures implique une
augmentation du prix des transports. Le
maillage territorial par ces
infrastructures modifie l’organisation
spatiale de la société, et privilégie le
fonctionnement par nœuds, qui
concentrent l’essentiel du trafic
rapide, à partir desquels il est ensuite
redistribué vers les zones d’importance
secondaires (si le TGV facilite les
déplacements de métropole à métropole,
le coût de son développement et de son
entretien est tellement élevé que les
liaisons TER de métropole à zone rurale
sont délaissées).
Lutter contre ce
projet d’aéroport, et, plus
généralement, contre les autres grands
projets inutiles (liaison grande
vitesse, liaison autoroutière, etc.)
implique de relocaliser et ralentir nos
imaginaires. Il nous faut collectivement
reconnaître que ces infrastructures, qui
nous facilitent tellement la vie, sont
tout autant sources de discriminations
et d’inégalités. L’utopie de la liberté
effective de déplacement et
d’installation ne se réalisera pas au
moyen du progrès technique. La tâche est
ici ardue.
Hommes d’affaires
et autres traders sont bien entendu les
premiers usagers des aéroports. Mais le
trafic aérien ne s’est pas développé à
partir des seuls déplacements d’affaire.
Il est indissociable de l’imaginaire lié
aux congés payés. Les charters remplis
de salariés sous pression 11 mois sur 12
désireux de se détendre à l’autre bout
de la planète pendant le mois restant y
contribuent également. La lutte contre
l’aéroport de NDDL nous renvoie donc
aussi à nos propres choix.
Cette
relocalisation de nos imaginaires ne se
fera pas sans heurts et sans tensions –
y compris au sein des mouvements les
plus progressistes. L’indispensable
horizon de la solidarité internationale
y passe trop souvent par les aéroports
internationaux. Inventer des formes de
solidarité « translocale », autrement
dit relocaliser les luttes sans pour
autant démondialiser les revendications
et les solidarités est le défi auquel
ces mouvements doivent désormais
s’atteler.
Occupy Vinci !
La lutte contre
l’aéroport de Notre Dame Des Landes est,
dans cette perspective, une excellente
opportunité d’expérimenter ces formes
nouvelles de solidarité translocale.
La ZAD de Notre
Dame Des Landes s’apparente en effet à
une déclinaison rurale du mouvement «
Occupy » et de la lutte des 99% contre
les 1% : une mobilisation directement
ancrée dans une occupation, qui, dans sa
résistance comme dans l’expérimentation
de pratiques alternatives, pose des
problèmes globaux.
À partir du bocage
nantais, il s’agit en effet de lutter
contre tous les « grands projets
inutiles et imposés », pour la
préservation des terres cultivées, et,
bien entendu, contre le réchauffement
climatique. Les opposant-e-s au projet
d’aéroport en ont eux-mêmes posé les
premiers jalons, en participant
directement à la création d’un réseau
international de lutte contre les «
grands projets inutiles et imposés ».
Les organisations du mouvement social
doivent désormais à leur tour inventer
ce que pourrait être la branche urbaine
de la lutte contre l’aéroport.
L’omniprésence de
Vinci sur l’ensemble du territoire en
fait la cible idéale d’actions
décentralisées. « Occupy Vinci »
pourrait ainsi devenir le mot d’ordre de
celles et ceux qui luttent contre
l’aéroport de Notre Dame Des Landes.
Occupy Wall Street nous a rappelé la
puissance de l’occupation des
interstices urbains : s’immobiliser
durablement dans des espaces de transit
et de flux, qui sont tout entiers dédiés
au passage rapide permet d’engager des
conversations politiques d’une intensité
et d’une diversité rares, tout en
articulant construction de rapport de
forces et réflexion sur les
comportements individuels.
En occupant, de
manière ponctuelle (chaque semaine, à
heure fixe), ou durable ; des
infrastructures Vinci (entrées de
parking, chantiers, etc.) le mouvement
de solidarité avec les occupant-e-s de
la ZAD pourrait ainsi contribuer à
renforcer la lutte contre le projet
d’aéroport, et, de là, sur les
alternatives à la crise dont l’aéroport
est l’antinomie : relocalisation,
défense de l’agriculture paysanne,
rupture avec le mythe de la croissance
infinie.
Vive la ZAD !
Occupy Vinci !
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