Opinion
L'étrange petit
jeu d'Obama et Netanyahu
Marc
Saint-Upéry
Marc
Saint-Upéry
Mardi 14 juin 2011
Carrefours du futur" par Marc
Saint-Upéry Pour Henry
Siegman, ex directeur du Congrès Juif
Américain, le problème du Moyen-Orient
évoque une vieille blague soviétique :
nous faisons semblant de travailler, et
ils font semblant de nous payer. Le
processus de paix fonctionne de la même
manière, explique Siegman : les
gouvernements israéliens font semblant
de chercher une solution pour deux
États, et Washington fait semblant de
les croire.
La relation malaisée entre Barack Obama
et le premier ministre israélien
Benjamin Netanyahu complique
singulièrement cet étrange petit jeu. On
sait que les deux hommes ne s’aiment pas
et ne se font guère confiance, mais la
méfiance de l’establishment israélien et
du lobby pro-Israël envers Obama a des
raisons plus profondes.
Leur crainte est qu’il soit le premier
président américain à posséder un point
de vue vraiment indépendant sur la
nature du conflit. Malgré les
déclarations régulières d’amitié
éternelle et de solidarité inébranlable
entre les deux pays, ils soupçonnent que
la rationalité un peu trop froide
d’Obama n’est pas bonne pour Israël.
Ce soupçon n’est pas complètement dénué
de fondement. Ce dont Jimmy Carter a
fini par se rendre compte longtemps
après la fin de son mandat, il semble
que Barack Obama l’ait déjà compris
alors qu’il représentait le 13ème
district de Chicago au sénat de
l’Illinois. Quelles que soient les
causes tragiques et complexes qui ont
alimenté le rêve sioniste et la création
d’Israël, le récit palestinien
d’oppression et de négation coloniale
sous le joug d’un envahisseur brutal
n’est pas simplement un fantasme
antisémite irrationnel.
Nombre d’activistes
palestiniens-américains de Chicago
peuvent témoigner que le jeune sénateur
avait su les écouter. À l’époque, il
n’avait pas peur de se montrer
publiquement aux côtés de défenseurs
controversés de la cause palestinienne
comme l’éminent universitaire Rashid
Khalidi.
Certes, Obama n’est plus un simple
sénateur de l’Illinois. Comme c’est
souvent le cas chez lui, sa subtile
appréhension intellectuelle de la
situation ne se traduit pas toujours par
une inflexible volonté de mettre le
pouvoir qu’il détient au service de ses
convictions les plus profondes. En tout
cas, pas dans le cas d’Israël.
Obama est le président des États-Unis
par de l’Égypte ou de la Syrie. Il doit
tenir compte au jour le jour du puissant
mélange de sentiments bibliques,
d’émotions historiques, d’illusions
idéologiques, d’identification
imaginaire et de complexes
considérations économiques et
géopolitiques qui caractérise la
relation entre la première
superpuissance et son allié au
Moyen-Orient, un État-client qui jouit
d’une influence disproportionnée par
rapport à sa taille.
Les observateurs les plus sensibles à la
situation désespérée des Palestiniens
reprochent au président américain une
attitude excessivement timorée.
Inversement, les néoconservateurs
l’accusent d’être prêt à trahir Israël.
Défendant la rationalité de sa
rhétorique sur moyen-orientale face à
une audience radicalement
pro-israélienne, Obama déclarait
récemment que « les vrais amis doivent
se parler de façon honnête et sincère ».
On peut penser qu’Obama est loin d’être
suffisamment honnête et sincère avec les
défenseurs inconditionnels d’Israël.
Mais comme le soulignent les réalistes,
plus de sincérité et d’honnêteté autour
des mythes qui caractérisent l’adhésion
des États-Unis au récit sioniste dans sa
version extrémiste serait politiquement
suicidaire – du moins avant les
élections présidentielles de 2012.
La réaction enthousiaste au discours du
24 mai de Netanyahu devant le Congrès
illustre parfaitement le problème. Cette
harangue affligeante est un chef d’œuvre
de démagogie creuse et d’intransigeance
insensée : aucune négociation avec une
entité palestinienne au sein de laquelle
Hamas serait représenté ; aucun droit au
retour des refugiés palestiniens, fût-il
symbolique et ultra-limité ; contrôle
militaire israélien indéfini du Jourdain
; une Jérusalem indivise comme «
capitale unifiée d’Israël ».
Défiant ouvertement le président
américain, Netanyahu a aussi rejeté la
reconnaissance des frontières de 1967
comme base légale incontestable de toute
négociation. Sa performance pathétique
au Congrès visait clairement à prévenir
toute tentative ultérieure de faire
pression sur Israël et été accueillie
par vingt-neuf ovations debout.
Ce qu’aucun élu américain n’osera jamais
dire publiquement, l’historien militaire
israélien Martin Van Creveld
l’expliquait calmement quelques jours
plus tard : contrairement à la
justification par Netanyahu du caractère
soi-disant inacceptable des frontières
de 1967, Israël n’a pas besoin de la
Cisjordanie pour sa sécurité.
Il n’en avait pas besoin en 1967, quand
l’armée israélienne a écrasé tous ses
ennemis en moins de six jours; il en a
encore moins besoin aujourd’hui, alors
que sa position militaire est bien plus
solide. Et se cramponner aux Territoires
occupés n’aidera pas l’État juif à se
défendre contre des missiles balistiques
syriens ou iraniens.
Ce dont Israël doit avant tout se
défendre, c’est du risque de se
transformer en État d’apartheid
incapable de subsister autrement que par
le biais d’une répression massive,
insiste Van Creveld. Il faut abandonner
la Cisjordanie, y compris la majeure
partie de la Jérusalem arabe ; faute de
quoi, ajoute ce chercheur juif fort
respecté, « je conseillerais fortement à
mes enfants et à mon petit-fils d’aller
vivre dans un pays moins aveugle et
moins obtus ». Bref, toutes les
plaisanteries ont une fin.
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