Décodage anthropologique en direct de
l'histoire contemporaine
Andres Behring
Breivik et l'anthropologie critique
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 30 septembre
2012
Introduction
Au XVIIIe
siècle, les Voltaire et les Diderot
incarnaient l'avant-garde de la raison
et de l'intelligence sur notre
astéroïde. Que diraient-ils aujourd'hui
d'un grippage de la pensée et de la
philosophie mondiales qui réduit les
armes de guerre contre la religion
musulmane à l'ignorance et à la sottise
de quelques caricaturistes? Comment se
fait-il que l'esprit critique de la
civilisation de la science ait dégénéré
au point qu'il ne nous reste que
quelques dessinateurs ridicules, comment
se fait-il que le culte de la "liberté
d'expression" paie tribut à la
vulgarité et à l'infantilisme au point
d'interdire le combat contre l'inculture
et la bêtise, tellement le respect de la
"tolérance" met désormais la faiblesse
d'esprit elle-même à l'abri des offenses
de la raison? Si le siècle des Lumières
avait combattu le christianisme avec les
armes de Charlie Hebdo,
non seulement la censure ecclésiastique
mais les tribunaux de la Sainte
Inquisition auraient encore de beaux
jours devant eux.
Mais puisque l'on n'a
trouvé aucun écrivain et aucun
philosophe pour traiter de la question
centrale des relations que toutes les
religions entretiennent nécessairement
avec le meurtre sacré qui les fonde et
qu'on appelle le sacrifice, je
consacrerai deux analyses successives au
cas Andres Behring Breivik, alors qu'il
s'agissait d'une occasion à saisir pour
une prise de conscience de la condition
simiohumaine à la lumière d'une
anthropologie transcendantale.
Car ce
n'est pas de la Norvège et de sa culture
qu'il s'agit, mais de l'immense et
féconde postérité, politique et
philosophique de la révolution
littéraire inaugurée avec Antigone
et Oedipe-roi de Sophocle,
Crime et Châtiment de
Dostoïevski, La Guerre et la Paix
de Tolstoï, La Colonie
pénitentiaire de Kafka, Le
Voyage au bout de la nuit de
Céline, qui ont situé le meurtre au cœur
de la politique et de l'histoire.
Certes, la pensée
rationnelle du XVIIIe siècle s'était
encore limitée à une guerre rieuse ou
sarcastique contre les superstitions
cultuelles les plus sottes et les plus
cruelles dans lesquelles la théologie de
l'immolation rédemptrice des chrétiens
était tombée depuis plus d'un
demi-millénaire. Mais au XXIe siècle,
s'il se trouvait que la mythologie
doctrinale fondée sur l'assassinat de
l'autel exigeait encore une réfutation
calquée sur l'ironie superficielle de
Voltaire, la planète de la raison
demeurerait paralysée pour longtemps
encore, tellement les armes de la pesée
philosophique des offertoires et des
propitiatoires sont devenues celles
d'une radiographie anthropologique des
théologies demeurée viscéralement
oblatives. Mais Platon ne réfutait-il
pas déjà le comique cérébral des
sophistes de Zeus par le ridicule dont
il couvrait ces précurseurs de toute la
scolastique sur le théâtre de l'histoire
des meurtres sacrés?
C'est dire
que le XXIe siècle conduira à un
approfondissement vertigineux de la
connaissance des arcanes zoologiques de
la condition simiohumaine; c'est dire
que les actrices de vaudeville qu'on
qualifie abusivement de "sciences
humaines" seront reléguées dans
l'astronomie de Ptolémée; c'est dire que
le cœur de la civilisation de la pensée
logique a commencé de battre avec le
coup d'envoi d'un humoriste athénien,
celui d'un "Connais-toi" sans
frontières.
Mais pour que
l'anthropologie critique se donnât
l'ambition de porter un regard de
l'extérieur sur deux meurtriers
associés, Dieu et Caïn, encore
fallait-il que se produisît un évènement
exemplaire - l'apparition d'un tueur de
masse dont le meurtre se révèlerait un
décalque parfait de l'identité
saintement dédoublée du génocidaire du
Déluge, dont on sait que la justice se
scinde entre les exigences d'une charité
censée infinie et la sauvagerie réputée
équitable des tortures éternelles
auxquelles il soumet les récalcitrants à
son autorité politique et morale.
Du coup,
toute radiographie luciférienne du
cosmos des assassins devient heuristique
à souhait ; et la démonstration de la
férocité cachée des religions angéliques
contraint l'humanisme craintif et timide
de l'Occident à une levée d'écrou de ses
prisonniers - à savoir les interdits qui
frappent encore de nos jours l'analyse
anthropologique donc sacrilège de Caïn
et de son double céleste. La mise en
lumière de la logique séraphique qui
commande les massacres sacrificiels
d'hommes et d'animaux illustrera les
apories politiques qui condamnent
désormais notre humanisme d'enfants de
chœur à percer la cuirasse du sacré. Le
scannage du tueur para biblique Andres
Behring Breivik me permettra de soulever
la chape de plomb de la peur qui
paralyse la connaissance socratique de
l'identité réelle des évadés
bien-pensants de la zoologie?
1 - Salut à la
Norvège
On sait que le procureur près la cour
d'assise d'Oslo a plaidé la folie, donc
l'irresponsabilité pénale d'un assassin
de soixante dix-sept de ses compatriotes
et que les jurés populaires ne l'ont pas
suivi dans sa clémence. Comme la corde,
la hache et la guillotine se trouvent
évidemment reléguées au musée dans un
pays aussi définitivement civilisateur
que la Norvège et qu'en outre aucun
criminel n'y subit une peine
d'emprisonnement d'une durée supérieure
à vingt et un ans, ce sera dès la
quarantaine et jusqu'à la fin de ses
jours que la jeunesse de ce pays
rencontrera sur les trottoirs de la
capitale un citoyen purifié par le
paiement rubis sur l'ongle et pour solde
de tout compte de sa dette à ses
concitoyens. Mais si, depuis l'abolition
de l'écartèlement et de l'estrapade, les
progrès de la civilisation des
expiations carcérales ne coûtaient pas
cher en frais rédempteurs tarifés, il y
a longtemps que les vengeurs du Beau, du
Bien et du Juste montreraient les crocs
des lions de la démocratie. Et puis,
rien ne saurait faciliter davantage
l'approfondissement de la science
anthropologique que le compagnonnage des
descendants parfumés de Caïn que nous
appelons l'humanité avec un pseudo
pourfendeur de la démocratie qui croit
combattre le salmigondis culturel
mondial de notre temps par l'assassinat
purificateur.
2 - La sainteté
du vengeur divin
La preuve idéale de ce que l'humanité ne
se laisse civiliser qu'à l'odeur de
l'encens que sa crinière répand sur son
parcours est précisément construite à
son tour sur le modèle griffu du divin,
de sorte que le Dieu unique et ses
foudres ont tout simplement pris un
immense retard sur les senteurs de la
justice d'Oslo. La meilleure preuve en
est fort connue : on sait que la bête à
la fois tueuse et fleurie que nous avons
substituée aux boys scouts de l'Olympe
de nos pères et que nous avons installée
en ermite de son éternité dans le vide
de l'immensité a noyé la masse de ses
créatures le plus charitablement qu'il
était possible, à l'exception d'un
certain Noé au sauvetage duquel je dois
d'entretenir mes lecteurs de la
connexion séraphique et luciférienne qui
relie le tueur Andres Behring Breivik au
génocidaire sacré dont nous saluons les
saints nettoyages mais qui s'est mis
tellement à la traîne des effluves que
répandent ses créatures rachetées qu'il
en reçoit siècle après siècle des leçons
de justice en retour; et puisque le
tortionnaire céleste que Pascal appelait
le " boucher obscur " n'en finira jamais
de me faire bouillir à petit feu ou à
gros bouillons dans ses marmites
souterraines, je salue la hauteur de
vues et l'esprit d'équité d'un pays dont
les tribunaux se montrent moins
infatigables à mon égard que celui du
grand exterminateur dont deux
millénaires n'ont pas suffi à assouvir
la vengeance à l'égard de sa chétive
créature.
On me reprochera sans doute de livrer le
cyclope divin aux sacrilèges et aux
blasphèmes d'une anthropologie critique
dont on connaît l'indocilité. Mais à qui
la faute si les dévots béatifiés par
leur propre obéissance se ruent sur
leurs hosties comme les fauves sur leurs
proies, à qui la faute si l'on brûlait
tous vifs, il y a deux siècles encore,
les impies dont l'œil évangélique
jugeait pestilentiel le plus illustre
des massacres sacrés dont l'humanité ait
conservé la mémoire.
3 - Remerciements
M. Andres Behring Breivik n'est l'auteur
que d'un Déluge miniaturisé, mais ses
crimes se sont révélés non moins
dévotement vengeurs que ceux du
génocidaire insatiable de la Genèse. De
plus sa célèbre hécatombe mettra à sa
disposition un meublé de trois pièces
dans une aile spécialement aménagée des
Bastille que la Norvège réserve aux
criminels d'un renom exceptionnel. Ce
sera donc dans la prison la plus
confortable de ce pays d'avant-garde
qu'il me faudra mettre sous clé
l'illustre Dieu inassouvi de Caïn. Dans
la première chambre, le microscopique
imitateur norvégien du Titan de la mort
dormira sur les deux oreilles, dans la
seconde il se livrera à des exercices de
gymnastique et de musculation
solitaires, mais utiles à la
conservation de sa santé tant physique
que mentale, dans la troisième il se
livrera à l'étude minutieuse de mon
anthropologie admonestative.
Je remercie le gouvernement norvégien de
m'avoir procuré un élève aussi studieux
et dont les simianthropologues les plus
connus de la planète m'envieront le
privilège d'observer les performances;
car il s'agit bel et bien du spécimen le
plus représentatif du genre simiohumain
et de ses idoles les mieux apprêtées,
donc de l'insecte dont les tentacules
théologiques se laissent radiographier
en laboratoire. Mais je m'empresse de
rassurer les spécialistes sur la
précarité des prérogatives qui me sont
accordées. M. Andres Behring Breivik ne
sera que le cobaye sur lequel une
science nouvelle des neurones de Caïn et
de ses descendants vérifiera les
paramètres de son savoir et de sa
méthode. La théopolitique expérimentale
attendait une courroie de transmission
emblématique de la problématique
générale qui l'inspire. Il lui manquait
un vérificateur d'exception,
c'est-à-dire une bestiole à projeter sur
l'écran géant des expiations qu'on
appelle le péché originel.
4 - La ciguë de
la connaissance
L'anthropologie d'avant-garde que je
tente de déposer sur les fonts
baptismaux d'une simianthropologie
universelle attendait un document
tellement paradigmatique qu'il
permettrait enfin à cette discipline de
filmer l'histoire de notre espèce d'un
côté et, de l'autre, ses ramifications
cérébrales dans le ciel d'un tueur-né.
Il s'agit de soumettre à l'examen des
spécialistes du sacré un tableau unifié
du champ entier des carnages sacrés et
profanes d'ici bas et de leur
illustration amplifiée dans la théologie
des représailles éternelles d'un
justicier absolu, ce qui autorisera
cette science à tracer une frontière
nouvelle entre l'animalité de la
créature et celle du Dieu qui la
dédouble. Certes, il est sacrilège de
mettre en parallèle - et à la lumière
d'un comparatisme périlleux -
l'évolution de l'éthique respective du
singe locuteur et des mastodontes
sanglants que sécrète son encéphale.
Mais le petit génocidaire d'Oslo nous
conduit tout droit et comme par la main
à la question cruciale de savoir à quel
instant le simianthrope est censé avoir
quitté définitivement le règne animal
pour devenir le tortionnaire gigantal
qui lui servira de modèle et qu'il
vénèrera de siècle en siècle. L'heure
aurait-elle sonné à l'horloge de
l'évolution où l'homme commencera de se
colleter, lui aussi, en carnassier
solitaire avec un vide terrifiant?
5 - Les cruautés
de la ruche et du nid
Il faut savoir que le gouvernement
norvégien a pris grand soin de mettre en
place une équipe de rivaux résolus de ma
discipline: l'illustre captif sera
examiné sous toutes ses coutures et
retourné cent fois sur le gril de la
civilisation mondiale d'aujourd'hui. Un
peloton de pédagogues chevronnés pèsera
sa démence, sa normalité ou sa
responsabilité restreinte sur la balance
de la prudence du ciel norvégien ; et à
titre préventif, mes confrères tenteront
pieusement de réintégrer mon malade dans
la communauté confessionnelle et civique
du pays. Mais il s'agira, en réalité, de
le conditionner à nouveaux frais et sur
le même modèle d'individu supposé trans-zoologique
et bien connu de notre temps, il s'agira
de le faire couler derechef dans le
moule d'un Adam répertorié dans nos
herbiers. Bref, on demande en catimini à
mon laboratoire de remettre discrètement
mon scalpel dans sa trousse. Mais on me
lance un défi redoutable, et qu'on se
garde bien de m'avouer ; car loin
d'observer l'abeille ou la guêpe avec
les yeux souverains de la ruche ou du
nid, on sait que mon laboratoire s'est
spécialisé dans l'observation, la loupe
à l'œil, des cruautés de la ruche et du
nid. Il y faut une autopsie des insectes
les plus représentatifs des dards dont
ils sont armés sur la terre et dans
l'éternité.
Car si vous observez Caïn avec les
gentilles bésicles du Dieu de Caïn sur
le nez, vous le verrez avec les yeux
béatifiés de la Norvège, donc avec les
lunettes de la conscience auto
sanctifiante de la piété protestante,
tandis que si vous observez le tueur
réfléchi sur la rétine de Caïn, vous
aurez des surprises, dont la première
sera de faire progresser le
"Connais-toi" d'un certain buveur de la
ciguë de la connaissance.
6 - L'animalité
de Dieu
Dès ses premiers pas, je ferai de mon
tueur sanglant le plus socratique des
auxiliaires de la mort, afin qu'en
retour il initie ses éducateurs
démocratiques au démontage des saints
ressorts et des engrenages dévots de la
théopolitique d'un gibet sur lesquels
les semis évadés de la zoologie ont été
construits par la nature, puis affûtés à
l'épreuve de leurs potences. Alors
seulement, le nid de guêpes deviendra la
balance sur laquelle notre espèce
s'exercera à la pesée du Caïn céleste et
de son sosie parmi nous. Quand nous
connaîtrons les arcanes de l'animalité
partagée de Dieu et de sa créature - ces
deux-là se révèleront de mèche - et il
faudra bien qu'ils avouent sous le
bistouri du chirurgien ce qu'il
adviendrait de leur éthique en
indivision s'ils quittaient le règne
animal d'un commun accord et la main
dans la main. Mon spécimen norvégien
nous conduira donc à la découverte des
secrets de l'évolutionnisme darwinien.
Aussi vaut-il la peine de coucher sur la
table d'opération les documents
anthropologiques à disséquer qu'on
appelle des théologies ; car seule cette
audace-là d'une raison encore à venir
nous permettra d'observer sous
anesthésie l'humanité enfermée dans le
bloc opératoire du sacré.
7 - Le microscope
inconnu
La question posée à la psychobiologie
mondiale des mythes religieux par le
spécimen inachevé de simianthrope
célestiforme qu'illustre mon monstre
norvégien exige la construction d'un
microscope inconnu. Car la lentille de
l'anthropologie classique observait avec
assurance les traits censés séparer de
tous les autres le seul animal devenu
bavard. Et qu'enseigne pourtant la
logique la plus élémentaire de
l'évolutionnisme, sinon qu'une bête
provisoirement mise au piquet entre
l'espèce qu'elle voudrait déserter et
celle dans laquelle elle rêve d'entrer
ne saurait, dans le même temps,
prétendre avoir d'ores et déjà débarqué
dans la seconde un chapelet à la main.
Il est donc irrationnel de s'imaginer
qu'une ossature et une boîte crânienne
qui auront seulement changé quelque peu
de forme et de voilure seront devenus
ceux d'un homme achevé. Au contraire,
une bête rendue locutrice par un miracle
neuronal répondra à un modèle zoologique
dont la spécificité demeurera
entièrement à décoder; et toute la
difficulté de ce déchiffrement sera
précisément de tracer les sillons qui
seuls nous permettront de constater
qu'une bête propulsée sur le chemin qui
la conduit du connu à l'inconnu aura
subitement débarqué avec armes et
bagages parmi les anges et les
séraphins. Qu'en est-il de l'identité à
décrypter du Caïn céleste et de son
émule lilliputien sur la terre?
8 - L'identité du
simianthrope
Le simianthropologue averti constatera
que tout bimane phonétisé par le langage
articulé se construit nécessairement son
identité sur le socle de diverses
signalétiques collectives, donc sur les
solfèges codés qui lui serviront
d'assise psycho-cérébrale. Le sens
proprement simiohumain du monde se
révèlera tantôt inné tantôt sécrété en
cours de route par l'encéphale sonorisé
du groupe. Les référents identitaires de
cet animal demeureront néanmoins
instables et changeants sur le cadran de
son évolution cérébrale: les époques,
les climats et la géographie changeront
sans cesse de poids sur les plateaux de
la balance.
M. Andres Behring Breivik se présente
sous la lentille du simianthropologue en
spécimen frustré de l'usage et du
maniement quotidien des signes convenus
qui rendaient sa nation et son peuple
reconnaissables entre tous. Ce phénomène
est fort connu. Les historiens de
l'époque byzantine l'ont décrit depuis
longtemps. Quand les identités
collectives se mélangent à l'extrême, on
tombe dans les brouillaminis d'une
décadence dont le naufrage de la
civilisation grecque nous a fourni
l'exemple le plus illustre.
9 - Une laïcité
acéphale
Les fjords glacés et les soleils
couchants du grand nord sont-ils les
signaux du trépas prochain de la
civilisation de la pensée critique et le
premier pas de ce naufrage sera-t-il
l'interdiction universelle de disséquer
les dieux déguisés en porteurs de la
casaque des cultures? Comme les
religions sont les souveraines de
l'encéphale simiohumain et de la logique
embryonnaire dont cet animal s'est armé
depuis sa sortie partielle de l'Eden de
la zoologie, il est devenu évident qu'à
cadenasser les Célestes dans leurs
empyrées originels, on exterminera toute
science et toute philosophie
prospectives notre astéroïde et que les
mesureurs de mon petit génocidaire
réduiront son hérésie à un grain de
sable. Car il est plus incontestable
encore qu'en déclarant intouchables la
foule des religions qui se pressent aux
portes du ciel, l'éthique culturelle de
la planète d'aujourd'hui s'interdit
expressément non seulement un
approfondissement de la connaissance
rationnelle de l'homme et de son
histoire, mais des radiographies
anthropologiques de la tiare de
l'auto-bénédiction glorieuse qu'Adam se
pose sur la tête.
Une pensée laïque sans contenu
philosophique est une outre vide. Le
combat contre l'infantilisme
philosophique et scientifique de
l'Eglise ne redeviendra donc fécond que
si la raison laïque apprend à décrypter
la pauvreté de son propre regard, donc
la superficialité de sa connaissance du
genre humain. On ne lutte pas contre une
mythologie si l'on a chu soi-même dans
des superstitions langagières. La
laïcité sans tête de la France actuelle
croit tourner à son propre avantage un
culte des idéalités dont elle n'a pas
découvert les racines anthropologiques.
10 - Le meurtre
de masse
Puisque la rage meurtrière que
l'engloutissement des relais
identitaires du genre simiohumain de
l'endroit a soudainement inspirée à mon
spécimen norvégien répond à une fureur
exterminatrice calquée sur les ressorts
psycho-cérébraux de l'orchestrateur
benêt du Déluge, nous devrons apprendre
à observer la sottise du simianthrope
dans le miroir universel que nous tend
sa théologie du salut et des châtiments.
Alors seulement nous découvrirons la
solitude d'une colère qui devrait nous
frapper d'un étonnement heuristique. Car
sitôt que cet animal dispose de l'accord
unanime de ses congénères dans le
brandissement de la signalétique qui lui
permet de s'identifier à un ciel et de
s'y localiser, il se rue sur les
hérétiques sans faire de quartier et les
extermine jusqu'au dernier.
Prenez l'assassinat sacré de la saint
Barthelemy. Quelle était la nature de la
bataille théologique entre deux
signalétiques de la foi chrétienne qui
se déchiraient en ce temps-là sur toutes
les places publiques de l'Europe de Caïn
et du Dieu de Caïn ? Les uns arguaient
mordicus que le meurtre perpétré par les
paroles réputées effectivement
trucidatoires du prêtre face à l'autel
de la messe procuraient aux fidèles les
cellules de chair et l'hémoglobine d'un
cadavre à mâcher et à boire dans un
esprit apostolique, tandis que les
malpensants de l'époque soutenaient, la
tête sur le billot, que le repas
sanglant n'était que le signe et le
symbole d'une immolation originelle à la
fois honnie et providentielle; car elle
était censée avoir sauvé notre espèce
tout entière du trépas. Depuis lors, il
fallait confesser que nous nous
trouvions transportés en bloc au paradis
de notre immortalité.
Que la victime du sacrifice
convertisseur fût corporelle ou figurée,
des armées de bêtes parlantes se
trouvaient alors engagées sur le champ
de bataille d'une guerre à mort pour la
"défense et illustration" de leur
migration massive vers le paradis perdu
d'Adam et Eve et retrouvé à l'école
d'une potence miraculée. On allait tous
retrouver l'innocence d'une créature
rachetée in extremis par une crucifixion
délivrante et sauvage. Il ne fait pas
l'ombre d'un doute que les deux
identités salvifiques jugeaient
sanctifiants et rédempteurs les
massacres nécessaires au sauvetage d'une
éternité posthume conquise au forceps de
la torture. Du reste, le pape de la
charité avait fait graver une médaille
en or massif afin de célébrer dignement
les retrouvailles de la créature
rescapée du péché originel par le
meurtre indispensable à la rédemption
universelle de l'humanité.
11 - La rencontre
des sciences humaines avec Caïn
On voit que l'animalité spécifique du
simianthrope immortalisé par un gibet
repose sur des symboles sanctificateurs,
donc sur des signes et des emblèmes de
sa survie dans une béatitude accordée à
titre du paiement d'un tribut et que les
attaches cérébrales et psychiques qui
ficellent cet animal à des mondes
imaginaires et fantastiques pose à la
simianthropologie la question la plus
pressante de toutes, celle de savoir si
notre sainteté peut se déficeler de ses
repères dans un au-delà surnaturel ou si
un désenchaînage aussi sacrilège
précipite la simianthrope dans une
déréliction tellement désespérée que ses
tentatives d'une guérison blasphématoire
déclencheraient une saint Barthelemy
sanglante par semaine.
Cette
aporie médicinale est d'autant plus
tragique aux yeux de la
simianthropologie expérimentale que la
paix conclue en Irlande entre les
catholiques et les protestants date de
quelques années seulement et que le
massacre récent de centaines de milliers
de Tutsis par leurs congénères, les
Hutus, démontre à quel point les signes
et les symboles dont s'arment les
diverses identités collectives entre
lesquelles le simianthrope se divise ne
se laissent nullement parquer dans les
diverses théologies du sacrifice bien
saignant entre lesquelles cet animal se
partage: le champ entier de la politique
- donc du profane - s'allie à son tour
aux vastes territoires livrés de la
purification de type immolatoire afin de
conduire notre espèce à de gigantesques
étripages expiatoires - donc nettoyeurs
- auxquels il ne manque que le remède
lustral d'une liturgie chargée d'en
sacraliser le meurtre.
12 - Le
débarquement de Caïn dans les sciences
humaines du XXIe siècle
On voit
également l'immense portée
simianthropologique de la décision de la
cour d'assise d'Oslo de déclarer M.
Andres Behring Breivik sain d'esprit,
donc responsable de ses actes et
pleinement coupable pour ce motif-là. Si
la solitude de son crime avait été
déclarée démente, donc innocente aux
yeux de la loi et soustraite au lavage,
la masse des individus dont notre espèce
se compose aurait joui longtemps encore
d'une tranquillité cérébrale et morale à
l'abri de tout nettoyage, parce que les
deux questions les plus abyssales, celle
de l'universalité de Caïn le meurtrier
et celle de l'étroite connexion de ce
héros biblique avec sa copie dans le
ciel des trois monothéisme n'auraient
pas eu l'occasion de débarquer dans une
connaissance anthropologique de la
fonction de lessivage qu'exercent les
meurtres expiatoires. Mais nos sciences
humaines dans les limbes sont demeurées
tellement irrationnelles qu'elles
demeurent amputées d'avance de toute
analyse méthodique de l'espèce tueuse de
naissance: l'humanisme mondial se
regarde encore avec les yeux angéliques
de la ruche et du nid.
Décidément, nous découvrons un peu tard
qu'à peine évadés partiellement du règne
animal, nous avons installé un
génocidaire "à notre image et
ressemblance" dans le ciel. Le tueur
d'Oslo n'est donc qu'un prototype
normal de la piété des prétendus
fuyards de la zoologie; et il devient
grotesque, le spectacle de leur cécité
que nos sciences humaines nous
présentent dévotement , elles qui
persévèrent à passer sous silence la
question de la nature meurtrière des
idoles que sécrètent pieusement des
tueurs-nés. C'est dans les crimes de ses
dieux que le simianthrope se dédouble
saintement; et il ne se doute pas un
instant de la vocation viscéralement
assassine des masques d'anges et de
séraphins derrière lesquels il cache son
vrai visage depuis des millénaires.
Qu'en est-il de ce jumelage sacré si
l'abolition de la peine de mort mettra
sans cesse sous les yeux des Norvégiens
le Caïn aux yeux bandés que l'humanité
est demeurée à elle-même?
C'est l'examen de cette question
délicate que vous attendez de la plume
de votre serviteur la semaine prochaine.
?
Reçu de l'auteur
pour publication
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