1 - Le Conseil
constitutionnel et la philosophie de
l'Etat
L'institution que
vous incarnez est sans doute la plus
révolutionnaire que le droit public ait
jamais placée au cœur des Etats
civilisés. Jamais les législateurs du
monde antique n'avaient songé à confier
à des juristes éminents la surveillance
et le contrôle au grand jour du pouvoir
législatif et du fonctionnement
constitutionnel des démocraties, afin de
protéger de l'intérieur les nations des
atteintes de la maladie chronique qui
les menace depuis l'invention des cités
- j'ai nommé la tyrannie.
Ne nous
y trompons pas, c'est le despotisme que
vous avez vocation de combattre, c'est
du despotisme que vous avez le devoir de
préserver les Etats. Rendons hommage au
Président Giscard d'Estaing qui, le
premier, a compris que la souveraineté
des peuples représentés par leurs élus
au suffrage universel peut conduire à
des formes insidieuses de la tyrannie si
les principes mêmes de Liberté,
d'Egalité et de Fraternité en viennent à
masquer l'arbitraire des Etats sous un
vocabulaire convenu et falsifié par
l'affichage même des dévotions
politiques. Au cœur de la "défense et
illustration" des apanages du
citoyen, votre autorité réelle est celle
d'un haut conseil des civilisateurs.
C'est à ce titre que je vois en vous un
aréopage de philosophes de l'Etat et
l'oracle le plus écouté d'une République
de la justice. Si Voltaire revenait
parmi nous, je ne doute pas qu'il
jugerait plus pertinent de vous adresser
ses Lettres philosophiques
qu'à l'Angleterre en laquelle le siècle
les Lumières voyait la cité de la
Liberté.
2 - Le
Conseil constitutionnel et les mots de
la raison
Il n'est pas de
preuve plus irréfutable de vos devoirs
de philosophes de la politique et de
votre mission de pédagogues des Etats
démocratiques que l'étroitesse des
relations que vos prérogatives
constitutionnelles vous commandent d'
entretenir avec la seule autorité qui
puisse égaler la vôtre, celle de la
langue française. Vous avez vocation
d'en défendre les apanages, parce que
vous savez que le devoir impérieux de
l'intelligence française est de
sauvegarder le sens des mots de la
raison. Le génie national veille sur le
trésor du cœur et de l'esprit de la
France, celui de la droiture de la
pensée. Le langage en est le garant.
Dès le Moyen Age la logique française
s'est taillé un empire redoutable au
cœur même de la théologie. Mais quel
était l'objet des droits de la pensée
rationnelle au sein de la scolastique de
haut vol et de ses syllogismes, sinon la
dignité théologique qu'il convenait de
concéder aux victoires de la pensée sur
le mythe? Le réel ressortissait-il aux
oracles du langage universel, donc au
sceptre de l'abstrait ou à la
connaissance focalisée sur le singulier
? Dans ce dernier cas, comment les mots,
qui sont collectifs, donc sociaux par
définition, saisissent-ils la
spécificité de Pierre, de Paul ou de
Jean? A votre tour, vous avez à
répondre, mais en juristes, à une
question de philosophie des langues, à
votre tour, vous avez à trancher entre
les nominalistes d'un côté et les
défenseurs des temples des concepts, de
l'autre.
En vérité, ce n'est
pas la première fois que la chouette de
Minerve tournoie au-dessus de vos têtes.
C'est seulement de justesse que vous
n'avez pas eu à prendre les armes pour
défendre la langue française contre les
agressions du pouvoir exécutif d'un Etat
démocratique qui entendait réformer
l'orthographe par décret et qui n'en a
été empêché que par les philosophes du
vocabulaire, qui sont montés au créneau
pour demander au gouvernement comment il
allait distinguer ver, vert, verre,
vair, vers, ou erre, ers, air, ère,
haire, aire et hère. Cette fois-ci, la
guerre que la philosophie mène depuis
Platon sur le champ de bataille de la
nature et de la portée de la parole vous
demande de traiter d'une question de
vocabulaire dont dépend rien de moins
que la précision du tracé de la
frontière qui sépare le pouvoir
politique au sein des démocraties d'un
côté, de l'arbitraire des dictatures de
l'autre.
3 - Le mot
mariage
Il n'est
pas de pouvoir plus décisif aux yeux des
tyrans que celui de changer la
définition, donc la signification et le
contenu des mots. Vous avez à croiser le
fer aux côtés de Littré au chapitre du
sens légal du terme de mariage,
qui renvoie à mari. Mais les
termes les plus usités de la langue du
droit se sont souvent transportés dans
les rituels de la loi et sont devenus
quasiment liturgiques. Vous avez donc à
décider de l'usage commun et public du
mot mariage: le maire qui
célèbrera une union conjugale et qui
demandera aux futurs conjoints:
"Monsieur X, consentez-vous à prendre M.
Y pour époux", "Madame Y, consentez-vous
à prendre Madame Y pour épouse",
réfutera-t-il tous les dictionnaires et
renverra-t-il le Robert et
le Larousse dans les
cordes?
Mais
voyez comme la définition rigoureuse des
mots du droit intéresse l'ordre public
et la paix civile: si vous ne défendez
pas l'autorité que les linguistes
exercent sur les vocables, ce sera un
ridicule de comédie que vous introduirez
dans la langue de Rabelais, de Molière
et de Jean de la Fontaine, ce sera la
littérature tout entière qui menacera de
vous percer de son épée sur le pré. Une
fois de plus, c'est du pouvoir politique
que l'Etat entend exercer sur la langue
française qu'il est question; et
l'arbitre n'en est pas l'exécutif, mais
l'Académie française. Car le
gouvernement n'a pas étendu le
terme de mariage aux homosexuels
et aux lesbiennes, il en a radicalement
changé le contenu. On ne verse pas le
vin nouveau dans de vieilles outres.
4 - L'ironie de
la raison
Mais, vous
direz-vous, un chef d'Etat compétent,
donc réfléchi, est-il autorisé par la
Constitution à proposer la promulgation
d'une loi à l'Assemblée nationale et au
Sénat - donc au peuple souverain - s'il
n'a pas longuement soupesé la pertinence
de son argumentation de juriste, de
grammairien, d'historien et de
philosophe de la nation dont il prétend
diriger le destin et la pensée au milieu
des récifs? De même que les dieux
rendaient fous ceux qu'ils voulaient
perdre, la démocratie rend fous ceux qui
ouvrent des brèches dans sa coque et
veulent faire couler le navire en haute
mer. A ceux-là, les dieux mettent le
sceptre des promesses électorales les
plus délirantes entre les mains , ce qui
les frappe, en retour, d'une démence
dont la philosophie souligne les méfaits
depuis vingt-cinq siècles : comme vous
le savez, cette discipline proclame, par
la bouche de Socrate, que l'ignorance
est le pire de tous les maux.
Mais votre haut conseil de la langue
française se trouve comme jamais devant
une étendue déserte. Je vous convie à
l'occuper paisiblement, tellement elle
offre une surface plane et propice aux
conquêtes de la dialectique. Vous n'avez
pas de logiciens redoutables à vaincre
en duel, vous n'avez à réfuter que des
sophistes. Voyez comme les dieux
s'apprêtent à vous accorder la victoire,
voyez comme ils remettent entre vos
mains le poison que vous donnerez à
boire à vos contradicteurs. Car cette
coupe contient un venin plus mortel que
la ciguë, celui d'une ironie à laquelle
la France doit sa victoire sur la
sophistique, puis sur la scolastique.
Vous incarnez le haut conseil de la
raison française; et vous serez nourris
à vie au Prytanée des démocraties si
vous usez de l'arme de l'ironie qui, la
première, a perverti le discours de la
logique et a feint de la faire dérailler
afin de mettre la sottise cul par-dessus
tête. L'ironie ne fait pas rire à gorge
déployée: son alliance avec l'humour
demande à la vérité d'agrémenter
l'erreur d'un sourire afin de réveiller
le bon sens endormi de l'interlocuteur
d'un coup d'épaule un peu rude.
Ou bien, vous
déclarez avec une gravité d'acteur
comique que l'exécutif est un humoriste
dont le pouvoir sur la scène va jusqu'à
changer le sens des mots de la langue
française aux yeux des badauds, ou bien
vous dites que les sortilèges des
ironistes ne sont pas davantage inscrits
dans la Constitution que ceux des
magiciens et qu'il faut que la loi les
accorde ou les refuse expressément à
l'Etat et les grave en toutes lettres
dans la Constitution, faute de quoi vous
ne sauriez vous déclarer compétents.
Cette ironie-là, je vous jure qu'elle
crépitera sur l'agora.
5 -
L'humour et la loi
Vous
vous enquerrez donc gentiment auprès des
apprentis-sophistes de l'Etat sur les
points suivants: primo, les
conjoints du même sexe seront-ils soumis
"toutes les obligations nées de
l'union conjugale", comme le veut la
loi; secundo, bénéficieront-ils
du droit accordé quelquefois aux mineurs
par le procureur de la République de
convoler en justes noces avant l'âge
requis; tertio, en cas de
divorce, l'un des conjoints fera-t-il
valoir des droits de garde de l'enfant
adopté plus pertinents que ceux de
l'autre; quarto, dans le mariage
de deux lesbiennes, celle qui aura
éventuellement confié à ses entrailles
la gestation d'un fœtus sera-t-elle
animée d'un instinct maternel supérieur
à celui de l'autre et bénéficiera-t-elle
d'une préférence; quinto,
l'enfant parvenu à l'âge adulte
pourra-t-il se retourner contre ses
géniteurs fictifs et leur demander des
comptes, comme Mme Agacinski le
soutient; sexto, qu'arrivera-t-il
en cas de défaut d'intention
matrimoniale réelle de l'un des
conjoints, ce qui demeure une cause de
divorce (1ère chambre civile, 1er juin
2011, pourvoi n° 0967805 BICC, n° 750 du
1er nov. 2011); septimo,
qu'adviendra-t-il des contrats de
mariage dans le cas où l'un des
conjoints n'aura obtenu le mariage que
pour mettre la main sur la fortune de
l'autre, ce qui donnera accès à une
action en nullité du riche adolescent
victime d'un séducteur.
L'ironie
ne tue pas, mais, comme le disait
Molière, "on supporte la
répréhension, non la raillerie".
Vous êtes le cerveau socratique de la
République; et ce sommet est tellement
philosophique dans son fondement même
que votre argumentation recourra à
l'ironie qui a donné à la dialectique le
masque hilare des condescendances de la
raison.
6 - La solitude
philosophique de la France
Mais le
territoire nouveau ouvert à votre
intelligence philosophique n'a jamais
connu une extension aussi soudaine et ne
vous a jamais placés davantage à un
carrefour de la réflexion sur les
civilisations qu'à l'heure où vous
devrez vous interroger sur la fatalité
qui fait soudainement basculer les
sociétés dans l'irrationnel et les
contraint à rompre subitement avec le
bon sens, comme il est arrivé bien
souvent dans l'histoire des autels.
Souvenez-vous seulement du prodige qui a
changé en un instant en sang réel le vin
de la messe et le pain de l'autel en
viande absente de l'étal des bouchers.
Ce phénomène cérébral a fait proclamer à
Bérenger au XIe siècle que les chrétiens
étaient devenus une "troupe de sots"
- et seule l'odeur du bûcher l'avait
contraint à se rétracter.
Mais
vous n'aurez à défendre les dogmes
ahurissants d'aucune Eglise de la folie,
parce qu'au début du XVIe siècle, Erasme
se réjouissait déjà de ce que la plupart
des préceptes du décalogue ne reposent
que sur nos "lumières naturelles"
et de ce qu'aucun Etat rationnel ne
défend le vol, la fraude ou
l'assassinat. Il est donc évident que le
sacre du ciel vient seulement sanctifier
après coup les verdicts du bon sens et
leur donner a posteriori
l'autorité qui en augmentera le prestige
de tout le poids attaché à une
révélation divine.
Mais
c'est ici que votre vocation de
philosophes de la République fait
alliance avec votre vocation politique
la plus haute au sein de la nation. Car
d'autres Etats n'ont pas encore
entièrement quitté l'âge théologique de
la politique A ce titre, ils croient
combattre les restes d'une Eglise du
Moyen Age qui leur colle encore aux
chausses et mener un combat de la
laïcité. Et ces malheureux honnissent à
ce point les arguments théologiques
marqués du sceau de l'infaillibilité du
ciel que le mot mariage continue
de répandre un fâcheux parfum
d'orthodoxie à leurs narines.
Vous vous trouvez
donc placés au carrefour le plus décisif
de l'histoire de la pensée rationnelle
de la France. Car vous avez à démontrer
au monde entier qu'on ne fait pas perdre
le nord à la raison d'un peuple parti
d'un si bon pas et qu'au contraire, ce
peuple prendra, une fois de plus, une
grande avance sur la cervelle de la
planète, parce qu'il sera seul à
défendre les droits réels de la raison.
Ne craignez pas la solitude provisoire
de la France cartésienne, car ce sera
pour des motifs fort étrangers aux
guerres du passé auxquelles la raison a
dû se livrer que vous vous trouverez
placés à l'avant-garde de la pensée
philosophique de ce siècle. Sachez que
l'intelligence humaine n'a pas attendu
les combats tardifs de la raison des
théologiens et leurs jeux avec le
langage pour rendre toute seule des
verdicts assurés. Si d'autres peuples
ont gardé des béquilles et s'ils ont
besoin de combattre les lumières
naturelles de la raison pour mieux
combattre, pensent-ils, les prodiges
langagiers des théologiens, votre
isolement n'en sera que plus fécond,
parce qu'une intelligence dont les
victoires ne précèdent pas celles de
l'avenir n'est jamais qu'une théologie
déguisée.
Mais voyez à quel
point la philosophie vous conduit comme
par la main à une réflexion
d'anthropologues sur les exploits des
sorciers de la parole, puis voyez
comment votre anthropologie
d'avant-garde pilote votre intelligence
nouvelle de la politique et de
l'histoire de la France. Car si la
raison la plus élémentaire du genre
humain se trouve ébranlée jusque dans
ses fondements à l'heure où la caution
biblique ne vient plus lui prêter son
acier et si le chaos mental succède
fatalement aux délires de l'orthodoxie,
ce sera l'infirmité de la condition
cérébrale des évadés de l'Eden qu'il
vous appartiendra d'apprendre à peser,
et cela sur une balance qu'il vous
appartiendra de fabriquer. La science
politique de ce siècle radiographiera la
cervelle d'une espèce débarquée dans les
Républiques de la pensée il y a deux
millénaires et demi seulement - et vous
voici plus que jamais des apprentis du
guidage de la boîte osseuse de la
nation.
7 -
Psychobiologie des identités collectives
Vous voici sur le chemin de l'initiation
de votre science politique du siècle
dernier aux découvertes de
l'anthropologie philosophique, donc
critique, du XXIe siècle, vous voici
conduits dès vos premiers pas à l'examen
clinique et psychobiologique d'Adam et
d'Eve qu'un verdict de la nature a
rendus inaptes à la reproduction de
l'espèce. Que vous enseignera votre
documentation? Lisez seulement André
Gide et vous apprendrez, premièrement,
que les homosexuels sont la proie de
désirs subits et incoercibles,
secondement qu'ils ne tombent amoureux
que fort rarement, troisièmement qu'ils
n'ont aucune envie de se marier et
encore moins d'avoir des enfants
fictifs. Que démontrent les sociologues?
Que la proportion des homosexuels
concernés par la loi proposée avec tant
de tapage à l'approbation solennelle du
peuple français et à son Assemble
nationale est tellement infime qu'elle
relève de la psychanalyse de leur
enracinement inconscient dans le passé
religieux du monde.
Tout se passe comme
si deux millénaires de la foi en une
religion qui avait inscrit le mariage au
nombre de ses sacrements avait gravé
dans les gènes et rendu héréditaire le
besoin de quelques spécimens de se
réfugier dans le berceau d'une éthique
transcendantale fort étrangère aux
humains de l'antiquité. Sparte
réprouvait l'homosexualité, mais ne la
combattait pas; et Athènes aurait fourni
à Aristophane la plus désopilante de ses
comédies s'il avait pu mettre en scène
un Socrate ardent à se marier avec
Alcibiade ou avec Xénophon et d'adopter
des enfants aux fins de fonder le
simulacre d'une famille conforme à un
modèle sacré.
C'est ici que votre réflexion de
philosophes de la démocratie,
d'anthropologues de la politique et de
penseurs de la République vous conduit
une fois de plus à vous documenter sur
les réflexes collectifs et innés qui
commandent le grégarisme animal: les
espèces rassemblées en troupeaux
rejettent avec violence de leur sein les
spécimens immédiatement reconnaissables
à leur odeur étrangère à celle de la
collectivité et résolument prisonnière
de son propre parfum. La cruauté innée
du groupe à l'égard des individus
allogènes à ses narines se manifeste dès
l'enfance.
C'est
pourquoi il est bien évident, aux yeux
de l'unanimité des psychanalystes, des
psychologues et des pédagogues, qu'une
exclusion brutale et instantanée
frappera dès les bancs l'école les
malheureux dont les "parents" seront
deux hommes ou deux femmes Au reste le
terme de "parents" renvoie à
parere, accoucher. Mais jamais vous
n'aurez affaire à un peuple dont la
moitié ou la majorité de la population
serait composée à titre psychobiologique
d'homosexuels et de lesbiennes. Ce sera
donc l'identité de masse sécrétée par
les espèces animales ou humaines qui
vous contraindra à défendre le sens des
mots de la langue française, tellement
l'idiome d'une nation n'est jamais que
le parfum dans lequel le genre humain
respire sa propre odeur.
8 - La danse des
mots
Vous avez dit parfum
? Quel est le parfum qu'une minorité de
dix pour cent de la population fera
respirer à l'organe olfactif d'une
majorité de quatre-vingt dix pour cent
si, depuis la plus haute antiquité, les
progrès de la connaissance scientifique
du genre humain se heurtent à la triple
ignorance des masses, de leurs élites et
de leurs clergés?
Car, encore une
fois, si la langue, donc l'encens
naturel d'un peuple n'appartient pas au
législateur, si les mots d'une nation
échappent à l'autorité des Etats, si la
parole est une enceinte interdite aux
tyrans, comment se fait-il que, jusqu'à
présent, les despotes débaptisaient les
vocables à leur bénéfice, et cela au
point que l'iniquité empruntait les
vêtements de la justice au profit d'un
seul homme, tandis qu'aujourd'hui, on
voit la torture reconquérir sa
légitimité collective dans les
procédures pénales sanctifiées par les
idéaux de la démocratie et d'abord aux
Etats-Unis? Ce n'est plus seulement le
tyran isolé aux côtés du bourreau, c'est
la loi elle-même qui reçoit maintenant
le renfort inquisitorial de l'opinion
publique d'une nation enflammée et
ardente à hisser la hampe et le drapeau
d'une falsification vertueuse des mots
au Capitole des dévotions démocratiques.
Jamais
encore la piété d'un tyran n'avait
imaginé de se donner pour blason une
définition auto-sanctifiante de la
torture judiciaire. Il fallait dorer cet
écusson-là pour que le terme de
mariage change de pavois et qu'un
vocable bénédictionnel s'arme de la
cruauté de blanchir l'achat et la vente
des enfants sur le marché d'Uranus.
Que nous apprend le législateur des
décadences dans une civilisation où la
Liberté se pare des vêtements de la
torture judiciaire? Que jamais des
"décrets d'application" ne remédieront
aux carences psychobiologiques dont
souffrent des lois contraires à la
nature.
9 - Une
République schizoïde
Mais une odeur tenace se propage et
s'infiltre dans les fissures de
l'édifice qu'on appelle l'Etat de droit:
on dit que vous vous trouveriez pris en
étau entre deux républiques, deux
peuples, deux visages du suffrage
universel, deux légitimations
électorales. Le peuple français s'est
montré logicien à donner une majorité
parlementaire au Président de la
République qu'il a élu, mais comment un
chef d'Etat en mesure de se servir d'un
Parlement en monarque de l'exécutif
demeurerait-il longtemps sur son trône
face à la majorité des citoyens si la
vie politique de la nation entraîne des
fluctuations tumultueuses et ne cesse de
creuser un fossé entre des députés
changés en légionnaires du Président de
la République et une opposition qui
verra une aubaine dans la scission
interne du suffrage universel entre la
rue et le Capitole?
Ce serait donc en
vous-mêmes que vous oscilleriez, dit-on,
entre, d'un côté, une allégeance
tentatrice à un exécutif puissant et
attractif, mais fractionné et, de
l'autre, votre devoir de réprimander et
même de morigéner au besoin un
législatif armé d'un monopole artificiel
de prétoriens de la gauche; et votre
inclination naturelle sera grande et
dangereuse à laisser son casque pseudo
parlementaire à un Etat dans lequel
l'exécutif sera devenu le maître absolu
du législatif. Pris entre ces deux feux,
ajoute la rumeur, vous seriez allés
jusqu'à déclarer que vous n'auriez pas à
empiéter sur les prérogatives du
législatif, comme si le vrai législateur
n'était pas précisément un Conseil
chargé de tenir d'une main ferme un
Parlement menacé de devenir l'otage
résigné des gouvernements successifs.
Qu'en est-il de la constitutionnalité
d'une loi qui s'exercerait sur le
contenu même des mots de la langue
française, si, de son côté, le Conseil
ignore la nature et l'étendue de ses
pouvoirs et se dépossède de son autorité
constitutionnelle sur le langage? En
l'espèce, comment trancheriez-vous au
chapitre du devoir de l'Etat de protéger
l'enfance des effets pervers du chaos
juridique introduit dans le code civil
si vous ignorez la psychophysiologie de
l'homosexualité? Mais, de son côté, le
gouvernement ne souffre-t-il pas de la
même carence intellectuelle, puisqu'il
prétend qu'il n'existe pas de difficulté
en droit à légiférer souverainement sur
l'homosexualité, et cela même au prix
d'une falsification du vocabulaire du
français, donc d'une intrusion
intolérable de l'exécutif dans le champ
de compétence des linguistes?
Il vous faut donc étudier l'histoire des
relations que le langage entretient avec
la raison. Apprenez à peser la
constitutionnalité des lois en
éducateurs informés au sein d'une
civilisation des sciences et du droit.
Dites-vous bien que si la presse et les
journaux avaient existé à l'heure de la
promulgation de l'édit de Caracalla, le
monde de l'époque aurait applaudi la
générosité et le grand cœur d'accorder
subitement et pleinement la citoyenneté
romaine à la population entière de
l'empire - mais il vous appartiendra de
savoir, en anthropologues et en
pédagogue, que cet édit s'est révélé un
dissolvant radical de la citoyenneté
qu'il croyait protéger.
10 - Votre
lucidité géopolitique
Il vous faut donc vous demander ce qui
se passerait si votre arrêt prenait
place sur l'échiquier étriqué où campe
la raison politique de la décennie à
laquelle vous appartenez. Supposons que
vous décidiez d'afficher non seulement
votre appartenance, mais également votre
soutien actif à la problématique qui
régionalise le droit public et le réduit
à une peau de chagrin au sein d'un Etat
scindé entre deux sceptres du peuple
souverain, celui des prétoriens au
service du roi et celui de la rue. Dans
ce cas, il vous sera néanmoins
vigoureusement suggéré de plonger votre
regard sur les verdicts implacables que
les historiens de demain prononceront
sur votre courage politique. Car vos
juges éclaireront nécessairement les
évènements actuels à la lumière d'une
géopolitique qui, d'ores et déjà, vous
crève sans doute les yeux.
Comment ne sauriez-vous pas que Clio se
montrera ahurie qu'un chef du
gouvernement italien aura pu défendre
devant le Parlement de son pays la
légitimité de l'extension continue de la
base américaine de Vicenza sur les
terres de Cavour et de Garibaldi sans
qu'aucun parti politique et aucun
journal de la péninsule n'aient relevé,
même avec ironie le douloureux outrage
infligé à une nation ridiculisée de
cette façon face au monde entier. Car
l'appel d'un gouvernement démocratique à
respecter le devoir des vassaux de
conserver intact leur trésor le plus
précieux, la confiance de leur maître,
est une infamie politique.
Mais vous savez également qu'avant vingt
ans, les gardiens de la mémoire et les
vigies de la réflexion politique sur
cette planète souligneront qu'une
Allemagne bâillonnée par l'incrustation
de deux cents forteresses de l'étranger
sur son sol pouvait développer à plaisir
son industrie et son commerce avec la
Russie et la Chine, mais qu'elle n'était
jamais qu'un géant entravé par son
ancrage dans le monde anglo-saxon, parce
qu'aucune nation n'est libre de ses
mouvements et ne peut prendre des
initiatives réelles sur la scène
internationale avec des menottes aux
mains et des chaînes aux chevilles. Vous
savez non moins pertinemment que, dans
vingt ans, l'Europe sera devenue le
moteur technologique de la Russie, de la
Chine, de l'Inde, de l'Amérique du Sud
ou qu'elle se trouvera asservie sans
espoir de retour.
11 - Lisez,
lisez, lisez…
Voyez comme votre vocation de
civilisateurs souffre de la
régionalisation du regard que la France
et l'Europe portent sur la mappemonde.
Quel est le sens de votre vocation de
civilisateurs, donc de hauts témoins et
d'agents assermentés d'une intelligence
politique étendue à la planète si, pour
cela, vous devez conquérir le savoir et
le rang de penseurs de l'histoire?
Sachez que la philosophie est la seule
discipline de la raison que sa mission
appelle, de génération en génération, à
ouvrir le champ du regard sur la
problématique et la logique internes qui
régissent un astéroïde de moins en moins
parcellisé.
Lisez
donc à livre ouvert ce qui se trouvera
imprimé noir sur blanc et page après
page dans les livres scolaires du monde
entier, lisez que tous les enfants de la
terre apprendront qu'en 2013, vous aviez
la possibilité juridique et politique de
porter un regard souverain sur
l'astéroïde entier de votre temps et de
placer la question qui vous était posée
dans la perspective ascensionnelle des
verdicts que prononcera l'histoire,
lisez que la question de confier
l'éducation des enfants aux disciples
d'Uranus posait la question de la
vitalité des civilisations et que notre
astéroïde se divisera entre les esprits
qui auront refusé le joug de la
servitude et ceux qui se seront couchés
devant l'empire d'un moment, lisez que
la distinction entre les sexes appellera
la virilité et la féminité des nations à
se donner des témoins de la vie et de la
mort des intelligences, lisez que la
science politique fera alliance avec
Clio et qu'une anthropologie plus adulte
que la nôtre enseignera aux politologues
que si l'on peut former d'héroïques
phalanges macédoniennes avec des
homosexuels, jamais on ne recrutera des
armées de mignons, lisez que le désir
d'un mari est féminin par nature et
celui d'avoir des enfants encore
davantage - c'est pourquoi l'on voit
cette institution régresser au fur et à
mesure de l'évolution de la notion de
famille, qui s'accompagne désormais
d'une dissolution et d'une perte
d'autorité progressives du "chef" de la
femme et des enfants, comme on disait
autrefois. Mais pourquoi voit-on les
mâles fuir le mariage à toutes jambes et
les homosexuels s'y précipiter en masse?
Lisez
Malaparte après André Gide pour
apprendre que si Alexandre, Jules César,
Frédéric II ou Galba étaient bisexuels
ou homosexuels, c'est qu'il existe deux
espèces de mâles, les super-virils et
les efféminés et que la hiérarchie
interne au mariage hétéro-sexuel se
reproduit dans des conditions qu'il vous
appartient de connaître en législateurs
avertis. Comment occuperiez-vous à bon
escient la fonction de gardiens de la
République sans conquérir le rang de
philosophes de l'Etat et de penseurs de
la démocratie?
Mais quelle occasion, pour le haut
conseil de la raison de la France, de
tracer la frontière entre la démocratie
et la tyrannie par un arrêt qui
précisera le statut juridique de la
langue de la Liberté!
Le 27 avril 2102
Reçu de l'auteur
pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
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