Regards sur le Proche et le Moyen Orient
L'Europe et
l'islam en attente de leur avenir
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 25 mars
2012
Introduction
I -
Le piège du nihilisme raisonné
L'Islam
est demeuré une civilisation
principalement religieuse, l'Occident
est devenu une civilisation
essentiellement scientifique et
philosophique. L'avenir de
l'intelligence mondiale dépend des
relations que ces deux modèles
d'encéphales entretiendront entre eux
tout au long d'un siècle de transition -
le nôtre. Si l'Islam et l'Occident
devaient persévérer à camper sur leurs
territoires respectifs, le simianthrope
deviendrait une espèce irrémédiablement
dichotomisée par la scission de sa boîte
osseuse entre le savoir expérimental,
d'un côté, qui rendra le monde
faussement intelligible, et le rêve
théologique, de l'autre, lequel tente
depuis des millénaires d'affubler le
cosmos d'une signification ridiculement
anthropocentrique.
Mais dans
le cas où le genre humain continuerait
d'osciller entre l'illusion religieuse
et le mutisme des sciences, il n'y aura
jamais de civilisation unifiante et en
marche sur tous les fronts, puisque les
sciences dites humaines cesseront de
tenter de décrypter les secrets de la
double subjectivité collective qui
pilote les évadés de la zoologie. Alors,
non seulement les mythes religieux
s'obstineront à camper sur leurs
positions et refuseront de jamais
apprendre à se connaître elles-mêmes,
mais elles s'interdiront également de
commettre le sacrilège opposé, celui de
prendre l'offensive et de décoder la
subjectivité cachée, qui commande les
constructions théoriques de la science.
Car les huissiers de
la nature chapeautent leurs constats de
la volubilité imaginaire qu'ils
attribuent aux routines de la matière.
Ce blocage biface du "Connais-toi"
témoigne d'une naïveté commune aux deux
camps et conduira nécessairement
l'humanisme mondial à une stérilité
asphyxiante, puisque l'anthropopithèque
renoncera à éclairer des feux de sa
raison ses épouvantes les plus
irraisonnées et ses exorcismes les plus
originels.
II - Le retour de Socrate
Si les
théologies et les théories scientifiques
se révèlent toutes deux des
ensorcellements du cosmos qui s'ignorent
en tant qu'exorcismes un gouffre plus
effrayant encore attend les évadés
susdits de la zoologie, celui-là même
qu'un spéléologue athénien découvrit il
y a vingt-cinq siècles. Car cet
audacieux disait à la fois que
l'ignorance est la source de tous les
maux et qu'il est impossible de jamais
la vaincre, mais qu'il est du moins à
notre portée de la connaître en tant que
telle et de dénoncer les ruses et les
recettes qui permettent non seulement à
sa majesté, l'illusion, de se convaincre
de posséder le savoir, mais en outre de
se donner l'illusion de construire des
preuves légitimantes, alors que
celles-ci tirent de leur raisonnements
mêmes d'ignorants leurs prétendues
démonstrations de la " vérité ".
Cette découverte
sacrilège a commandé la planète de la
pensée occidentale; elle la commandera
encore demain. Car si les instruments de
la preuve sont les enfants de la
problématique erronée qui les sous-tend
il faudra se demander d'où elles
surgissent, ce qu'elles s'efforcent de
cacher sous leur armure et comment elles
se sont construites sur des
falsifications persuasives. De plus, si
le destin du "Connais-toi" se révèle
l'avenir de la lucidité, peut-être
l'islam des rites et l'Occident du
blasphème se trouvent-ils d'avance et
côte à côte sur le seul chemin qui
donnera une dimension ascensionnelle à
la civilisation mondiale de la pensée
socratique retrouvée.
III - L'effraction
Il était
inévitable que le premier chimpanzé
détoisonné regarderait autour de lui
avec effarement et se donnerait des
interlocuteurs imaginaires afin qu'ils
disent à cet abasourdi comment il doit
se vêtir, comment il s'entretiendra en
public ou en tête à tête avec ses
tuteurs, ses guides et ses protecteurs
et surtout comment et à l'aide de quels
instruments, il devra abattre les
animaux de boucherie dont le ciel lui
aura ordonné de se nourrir.
Par
bonheur, le ridicule peut jouer un rôle
épistémologique inespéré s'il condamne
deux civilisations à approfondir le
génie qui appartient en propre à l'une
et à l'autre et à ne jamais quitter le
sentier qui les conduit toutes deux vers
leur sommet. Ce n'est pas à comparer
leurs vêtures, leurs nourritures et
leurs contes de fées que la civilisation
occidentale et la civilisation musulmane
marcheront vers l'humanité pensante de
demain, ce n'est pas à l'école et à
l'écoute de leurs rites, de leurs
coutumes et de leurs prières qu'elles
paieront d'audace et relèveront le défi
de leur solitude partagée dans le
silence et le vide de l'immensité. Il
est stérile de comparer entre eux des
enchantements de magiciens et absurde de
mettre des livres pour enfants entre les
mains des adultes. La querelle sur la
viande casher et la viande Halal nous
renvoie à la batrachomyomachie d'Homère
Quel sera
le premier exploit de la bête lucide,
vaillante et dérélictionnelle à laquelle
la nature a donné un premier regard sur
sa minusculité et sur ses promesses de
grandeur? Celui du courage intellectuel
de se demander pourquoi les dieux sont
des assassins aux narines gourmandes et
pourquoi ils demandent à leurs créatures
de leur apporter, à titre de pénitence,
des cadavres parfumés de leurs
congénères ou des carcasses
odoriférantes de bestiaux. Ce courage-là
ressortit à l'introspection olfactive.
C'est par la porte de cette profanation
des encens que nous allons tenter
d'entrer dans le christianisme à
l'écoute de l'islam et dans l'islam à
l'écoute du christianisme. Bonne chance
aux cambrioleurs de l'inconscient
religieux, bonne chance aux voleurs du
feu sacré, bonne chance aux auteurs
coupables de l'effraction socratique.
1 - La
démocratie sacrificielle
En 1762,
Grimm raconte: "A neuf heures, le
prêtre paraît pour exhorter sœur Marie,
qui a déjà été crucifiée une fois et qui
s'en souvient. Les cicatrices sont bien
fermées et à peine apparentes. On la
couche sur la croix, elle dit qu'elle a
peur; on voit qu'elle retient ses
larmes: elle souffre cependant avec
courage qu'on lui cloue les mains. Au
second clou et au second coup de marteau
elle dit: "Assez ". On n'enfonce pas le
clou plus avant. Les clous bouchent la
blessure ; on ne voit point de sang
couler." (Correspondance de
Grimm, Paris, Longchamps et
Buisson, éditeurs, 1815, t. III, p. 144)
Pour tenter de comprendre l'itinéraire
cérébral des civilisations fondées sur
la coalescence indissoluble qu'elles ont
établies entre les ferveurs de leur foi
et les meurtres sacrés dont se
nourrissent leurs autels, il faut tenter
d'expliquer les raisons secrètes pour
lesquelles, dans un premier temps, la
pensée musulmane contemporaine paraîtra
encore plus désarmée que le culte
sanctificateur d'une potence et
s'éclairera tardivement à l'école des
sacrilèges qu'une politologie chrétienne
du sacrifice ouvrira au décryptage
anthropologique des assassinats
cultuels.
Certes,
le mythe sacrificiel de la croix en est
venu à rendre un culte barbare à un
gibet. Cette religion sanctifie une
victime torturées à mort et qu'elle
hisse sur une montagne de plus modeste
proportions que celles des Incas. Il
s'agit d'exécuter une victime unique,
mais fructueuse. Elle sera suavement
trucidée sur l'offertoire d'un sang
déclaré invisible - les globules rouges
sont censés se cacher sous du vin - et
d'une chair tapie sous du pain. De plus,
la brebis humaine sera célestifiées sur
un propitiatoire de Jupiter qu'on
appelle un Golgotha. Mais, de son côté,
l'islam massifié par ses moutons en
chair et en os demeure immergé dans des
pratiques sacrificielles
multimillénaires, donc tributaires,
elles aussi, de la gestuelle d'un cruel
égorgement. Car le troupeau bêlant est
censé symboliser l'innocence de
l'animal, ce qui rend sa sottise plus
précieuse. On voit que, d'une montagne à
l'autre, le logiciel psychique qui
commande les sacrifices sanglants n'a
pas changé d'un iota: l'offrande d'une
victime maculée par le péché serait
moins onéreuse, mais également moins
payante, parce que l'idole s'est sentie
outragée par un crime politique
gravissime - et le plus outrageant de
tous - celui de la désobéissance à son
autorité. L'oblation sanglante répare le
sacrilège de l'insoumission à un maître.
2 - Une histoire
de créanciers et de débiteurs
Et
pourtant, contrairement aux apparences,
la foi musulmane se révèle plus
civilisatrice que le gibet des bouchers
enrubannés de la sainteté chrétienne,
puisque Muhammad se garde de revendiquer
le statut de fils d'une divinité. La
juge-t-il peu améliorée à l'école de la
torture édifiante à laquelle elle soumet
sa propre progéniture? Lui reproche-t-il
de se défausser sur les tortionnaires
qu'elle a chargés de la rembourser sans
relâche. Pense-t-il que cette
contradiction rend l'idole aussi
schizoïde que ses racheteurs?
Décidément, l'offrande d'une brebis
vivante, mais sur des propitiatoires
symboliques n'est plus le rite sauvage
et masqué sous les dentelles de la
charité, mais déjà l'expression d'un
génie politico-religieux de haut vol.
Certes,
au VIIe siècle, l'auteur du Coran
n'était pas en mesure de réfuter les
rituels immémoriaux de l'immolation
marchandisée à laquelle les clergés juif
et chrétien demeuraient viscéralement
attachés et dont le sacrifice
d'Iphigénie était déjà un témoin
mémorisé tardivement. Il fallait ruser
avec les commerçants du cadavre d'un
Christ à enrubanner des raisonnements
d'une scolastique qui faisait ses
premiers pas. Muhammad a tenté de faire
passer le simianthrope d'un seul bond du
paléolithique au sacré trans-sacrificiel.
Pour cela, il fallait métamorphoser le
croyant en un prêtre assermenté de sa
propre ouverture de cœur, il fallait, à
l'image du père de famille des juifs,
commémorer la sortie de "l'Egypte des
rites", il fallait substituer une
offrande non cadavéreuse à l'assassinat
dit "satisfactoire", donc saignant, il
fallait abolir l'égorgement réputé
fécond d'une offrande immolée à une
divinité acharnée à se faire rembourser
sa créance.
3 - Les tueurs
d'un Dieu des tueurs
Au cours
des trois premiers siècles, le
christianisme n'était pas encore
entièrement redevenu un trafic rémunéré
par le "boucher du ciel" que
dénoncera Pascal. Certes, le Christ des
Eglises ne deviendra jamais un
accusateur véhément et un dénonciateur
éloquent de la barbarie de son tyran de
" père ". Il fallait un poète, Isaïe,
pour faire vomir de dégoût le Jahvé des
ancêtres.
Dès les
conciles de Nicée en 325 et de
Chalcédoine en 450, les chrétiens
avaient écartelé la victime ensanglantée
du Golgotha. Les uns s'en étaient
partagé les morceaux avec avidité, les
autres échouaient à la protéger de ce
déchiquetage. Depuis lors, les chrétiens
déchirent allègrement leur Isaac entre
l'homme et le dieu (voir mon Et
l'homme créa son dieu, Fayard,
1984). Plus d'un quart de siècle après
ma modeste Histoire de
l'intelligence (Fayard 1986), la
démocratie planétaire continue de
s'ensauvager à l'école de sa dichotomie
entre ses idéaux et sa chair. On ne voit
ni observateurs de la bipolarité
cérébrale dont souffre la civilisation
mondiale, ni procureurs rappeler aux
rescapés des ténèbres les paroles
foudroyantes d'Isaïe: "Qu'ai-je à
faire de la multitude de vos sacrifices?
dit l'Eternel. Je suis rassasié des
holocaustes de béliers et de la graisse
des veaux. Je ne prends point plaisir au
sang des taureaux, des brebis et des
boucs. Quand vous venez vous présenter
devant moi, qui vous demande de souiller
mes parvis? Cessez d'apporter de vaines
offrandes: j'ai horreur de l'encens, des
nouvelles lunes, des sabbats et des
assemblées; je ne puis voir le crime
s'associer aux solennités. Mon âme
hait vos nouvelles lunes et vos fêtes;
elles me sont à charge; je suis las de
les supporter. Quand vous étendez vos
mains, je détourne de vous mes yeux;
quand vous multipliez les prières, je
n'écoute pas: Vos mains sont pleines de
sang." (Isaïe, 1, 11-15)
Pour
acquérir une connaissance critique, donc
anthropologique des garrots et des
chaînes d'une Liberté amputée de sa
transcendance et couverte des broderies
d'une laïcité superficielle, il faut
faire subir une métamorphose radicale
aux mythes sotériologiques d'hier et
d'aujourd'hui. On ne les scrutera dans
leur invalidité native qu'à leur retirer
les vêtements sacerdotaux dont un animal
livré aux mirages de ses meurtres
profitables s'est astucieusement habillé
. Car cette bête a appris à proclamer "
sauveur " le crime respendissant dont
elle se nourrit; et elle perpétue de
siècle en siècle ses remboursements
sanglants au maître de belle taille
qu'elle s'est donné dans le ciel. Pour
comprendre ce phénomène psychique et son
enracinement dans la biologie, il faut
apprendre à observer de l'extérieur les
trois dieux d'assassins.
4 - L'étal des
démocraties
Diderot
fait parler en ces termes le poète du
XIIe siècle Saadi, qu'il travestit en
moine chrétien: "Je n'avais jusque là
prêché que fort peu et pour m'essayer
dans de petites bourgades seulement. Là
je pouvais sans crainte de faire rire
évoquer respectueusement le voyage de la
jument Borak dans le ciel lunaire; je
pouvais, sans offenser personne, faire
descendre de quel ciel il me plaisait
chacun des versets du Coran; je pouvais,
sans crainte que personne le trouvât
mauvais, allonger et élargir à mon gré
le pont qui mène en enfer; je pouvais
entasser des miracles et des figures de
l'enthousiasme et du merveilleux,
délirer, crier, et me tenir bien sûr de
la crédulité et de l'admiration
publiques. " Et puis il y avait les
vengeances de Dieu : "Je les peignais
redoutables, je les peignais
inévitables, je me souvenais avoir
entendu dire à mes maîtres :'Mon fils,
faites craindre Dieu, le prêtre n'est
pas honoré lorsque le Dieu n'est pas
terrible'." (Correspondance de
Grimm, t. III, p. 252-253)
Si la
légitimité vengeresse que s'attribue
tout pouvoir sommital reposait seulement
sur les verdicts les plus terribles que
les dieux de la peur charrient sur les
champs de bataille de leurs créatures,
si le sang sacré faisait seulement
donner de la voix aux immolations
guerrières que réclament les patries, si
l'assassinat cultuel chargé de changer
les autels des chrétiens en fontaines de
leur rédemption enseignait seulement que
le genre simiohumain et ses dieux sont
des tueurs stipendiés, on ne saurait
comprendre pourquoi le meurtre d'un seul
spécimen divinisé grossit également le
fleuve immense du salut démocratique et
de ses carnages. Car la médiation d'un
sang et d'un meurtre messianisés
gonflent également les idéalités
sotériologiques dont le monde moderne a
fait son pain du ciel. C'est dire que
nous ne réfuterons les trucidations
béatifiques que pratiquent les fidèles
de la croix depuis deux millénaires que
si nous démontrons que la République
dite libératrice se proclame à son tour
un étal récompensé par les prébendes
sanglantes que la dévotion démocratique
réclame de ses fidèles depuis plus de
deux siècles.
5 - L'histoire
des deux brebis
Au plus profond de l'inconscient de
l'histoire et de ses rituels meurtriers,
il s'agit de substituer au couperet
émoussé des religions les couperets
mieux affûtés d'une Liberté de
rédempteurs armés jusqu'aux dents. Mais
le tribunal fatigué des ancêtres nous
colle encore à la peau quand nous
remplaçons seulement le monarque du ciel
mourant des chrétiens par une République
aux couteaux fraîchement aiguisés sur la
meule des "droits de l'homme". Les
sauvages du ciel d'autrefois se sont
épuisés, les épurateurs modernes sont
des sotériologues, des sacrificateurs et
des convertisseurs ardents à faire leurs
preuves sur la scène mondiale d'un dieu
plus récent - la Liberté.
Et voici
l'autre brebis des hémiplégiques de
l'évolution: depuis 1789 nous nous
trouvons appesantis de deux moutons du
sacrifice. Ils pèsent lourd dans nos
bras. Regardez: celui que nous clouons
sur la potence qui l'attend impatiemment
au Moyen Orient, regardez celui que nous
réservons à notre patriotisme
républicain. Il va falloir radiographier
le double égorgement auquel se livre le
vivant saintement bipolarisé que nous
sommes à nous-mêmes depuis le
paléolithique. Comment satisfaire un
ciel à la fois assassin et racheteur?
Comment scanner le Dieu biphasé et au
couteau en les dents que nous peignons
en pied chaque fois que nous dressons
notre propre portrait dans les nues?
Rude tâche que de radiographier les
personnages célestes et leur copie ici
bas; par chance, le souverain-payeur du
ciel et ses sosies campés sur leurs deux
jambes devant leurs autels tiennent le
même poignard entre leurs mains.
Voyons
comment le spécimen le plus dispendieux
de notre oblation à fonds perdus d'un
cadavre à notre idole meurtrière et
salvifique a changé d'offertoire, voyons
quels précieux profits nos carnages
démocratiques nous rapportent. Si nos
Républiques sont demeurées
sacrificielles en tapinois et sans trop
oser se l'avouer, c'est qu'elles se sont
armées d' une ignorance à toute épreuve,
et cela précisément afin de se cacher
plus aisément à elles-mêmes les ressorts
pithécanthropologiques d'une espèce
rendue cultuelle jusqu'à l'os. Essayons
de cueillir les fruits les plus amers,
donc les plus heuristiques du nouvel
"arbre de la connaissance", celui que
Darwin a planté dans le jardin de l'
évolution poussive de notre boîte
osseuse.
6 - L'inconscient
sacrificiel du simianthrope
Supposons un instant que les millénaires
du Dieu tueur n'eussent modifié en rien
les gènes du simianthrope mi-céleste et
mi-terrestre que nous appelons encore
notre géniteur, supposons un instant que
notre espèce, née criminelle par un
verdict d'en-haut, fût demeurée
obstinément oblative de son propre
cadavre sur ses offertoires, supposons
un instant que le véritable bénéficiaire
de ce genre entêté de cadeau se trouvât
seulement démasqué davantage à l'école
des carnages perpétrés par la déesse
Liberté.
Supposons un instant que, sous le sacre
de son vocabulaire de la justice, la
République fût demeurée au service d'une
idole aussi tueuse que l'ancienne,
supposons un instant que la France fît
seulement semblant d'avoir renoncé à son
rôle d'escamoteur sacerdotal du crime
proclamé "racheteur" des chrétiens,
supposons un instant que cette
magicienne du salut démocratique feignît
seulement d'avoir renoncé par serment
aux sortilèges patelins de l'immolation
rémunérée des évangiles, supposons un
instant que la hotte de la rédemption
eût seulement apporté son avoine à une
démocratie aux entrailles cléricalisées,
supposons un instant que ce régime
viscéralement sacerdotal se fût
seulement donné la dévote apparence
d'avoir mis fin aux sacrifices sanglants
dont nos trois monothéismes s'alimentent
dans leurs souterrains.
Dans ce
cas, il nous faudra observer le
tabernacle des idéalités impies que le
simianthrope pseudo-séraphique aura
simplement subrogées à l'autel meurtrier
d'Isaac ou d'Iphigénie; dans ce cas, il
nous faudra fonder la "vie spirituelle"
de la démocratie verbifique sur une
trucidation que nous qualifierons
benoîtement d'ascensionnelle à Gaza et
en Cisjordanie. Car nos massacres
béatifiques de moutons ne sont nullement
demeurés symboliques, que je sache.
7 - Le Verbe
odorant de la démocratie…
Encore
une fois, la question la plus pressante
qui se pose aux anthropologues du
christianisme, aux vigies de l'islam et
aux sentinelles de la démocratie
mondiale est celle de savoir si les
dévotions impérieuses que propose
maintenant à la gourmandise
sacrificielle des citoyens une raison
rendue plus tartuffique que jamais, si
ces dévotions, dis-je, quoique jugées
gustatives sur les autels que nous
dressons à nos idéalités pourront se
métamorphoser en "pain spirituel", comme
disaient feu les mystiques, par la
médiation odorante d'une démocratie
sanctifiée par son propre concept.
Dans le
cas où, à l'instar de toutes les
religions de l'encens, la démocratie
nous enfermait, elle aussi, dans
l'enceinte d'un sacrifice seulement
stipendié et angélisé a nouveaux frais,
mais toujours au bénéfice d'une idole
meurtrière, que nous appellerions la
Liberté, il nous faudra rendre nos
rituels électoraux plus convaincants que
ceux dont usait la raison dévote des
ancêtres. Sinon, nous persévèrerions à
sanctifier le tribut malodorant que nous
payions subrepticement autrefois, celui
du sang "racheteur", donc cléricalisé,
donc payant des chrétiens et que les
démocraties sacrificielles réclament de
nous au nom de leur gibet. Ce tribut-là,
nous en acquittons le montant depuis le
paléolithique, mais c'est celui de la
torture; et nos trois dieux de la
torture continuent de se le partager
dans leurs souterrains. Décidément,
Isaïe nous apprendra à démonter pièce
par pièce le moteur infernal de la
politique et de la guerre.
La semaine prochaine, je ferai cuire ces
victuailles à feu doux et j'essaierai
d'en faire monter le fumet aux narines
de la démocratie sacrificielle mondiale.
Si la déesse de la Liberté et de sa
compagne, la torture, en reniflaient les
effluves sur la terre, nous verrons bien
si les autels dédoublés du sacrifice ont
quelque chose de plus à nous apprendre.
Le 25 mars 2012
Reçu de l'auteur pour
publication
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