Théopolitique, la laïcité face aux
mythes religieux
Comment piloter le
sacré ? (suite)
Révolution au Saint Siège: le Poverello
sur le trône de Saint Pierre
Manuel de
Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 23 mars
2013 "
On ne peut
apprendre la philosophie, on ne peut
qu'apprendre à philosopher."
E Kant
"
Il passe en Asie, en Afrique,
partout où il pense que la haine
soit la plus échauffée contre le nom
de Jésus. Il prêche hautement à ces
peuples la gloire de l'Evangile, il
découvre les impostures de Mahomet,
leur faux prophète. Quoi! ces
reproches si véhéments n'animent pas
ces barbares contre le généreux
François. Au contraire, ils admirent
son zèle infatigable, sa fermeté
invincible, ce prodigieux mépris de
toutes les choses du monde : ils lui
rendent mille sortes d'honneurs.
François, indigné de se voir ainsi
respecté par les ennemis de son
Maître recommence ses invectives
contre leur religion monstrueuse;
mais, étrange et merveilleuse
insensibilité! Ils ne lui témoignent
pas moins de déférence et le brave
athlète de Jésus-Christ ne pouvant
mériter qu'ils lui donnassent la
mort : sortons d'ici, mon frère,
disait-il à son compagnon, fuyons,
fuyons bien loin de ces barbares
trop humains pour nous, puisque nous
ne les pouvons obliger ni à adorer
notre Maître, ni à nous persécuter,
nous qui sommes ses serviteurs."
Bossuet, Panégyrique de
saint François d'Assise,
Pléiade, p. 279
"C'est
la douceur surnaturelle des plus
grands saints, qui ont toujours en
réserve de désarmantes risettes,
qu'ils distribuent tout autour
d'eux, aux tyrans comme aux enfants,
aux crocodiles comme aux agneaux;
c'est la douceur avec laquelle saint
François exhortait les poissons du
lac Trasimène à remercier Dieu pour
avoir eu la bonne idée de créer de
l'eau; c'est la douceur des martyrs
chrétiens qui souriaient aux lions
lorsqu'ils se jetaient sur eux en
rugissant pour les dévorer."
René Pommier,
Etudes sur Le Tartuffe,
Eurédit, 1994, p.86
1 -
Les racines
anthropologiques du refus de penser
Pour
tenter d'escalader le mont Carmel de la
religion des droits de l'homme, il faut
se demander au préalable si le concept
de raison agit sur la politique et si la
politique agit en retour sur la liberté
de ce personnage. La semaine dernière,
la pesée de la signification
anthropologique de l'abdication de
Benoit XVI m'avait conduit à observer,
sans surprise excessive, que l'encéphale
des démocraties schizoïdes fonctionne,
peu ou prou, sur la même scolastique du
concept-roi que celui de l'Eglise de la
délivrance fonctionne sur la scolastique
du "Verbe de la Délivrance". Mais
si les idéalités forgées sur l'enclume
des abstractions dévotes sont aussi
lourdes à porter que la croix du salut
par la torture d'un innocent, la
première tâche de la pensée impie sera
de tracer l'enceinte d'une linguistique
sacrilège. Quelle sera la signification
proprement simiohumaine d'un évènement
déclaré religieux si le monde moderne
manque précisément de toute
interprétation anthropologique du
religieux?
Demandons-nous donc si le débat, vieux
de vingt-cinq siècles, sur l'existence
ou l'inexistence d'un Jupiter
objectivable, donc concevable dans sa
cohérence spécifique, si ce débat,
dis-je, va se trouver soumis à la pesée
politique au sein des démocraties dites
laïques et quel sera le poids, aux yeux
des Etats ascensionnels, d'une
démonstration blasphématoire aux yeux du
monde entier de ce que ni le ciel des
idéalités, ni celui des chrétiens ne
sont partie prenante dans l'élection
d'un pape sur cette terre. Un Jupiter
privé de domicile fixe, mais qui
"existerait" par magie dans l'espace ne
se serait pas rendu coupable
d'imprévoyance et ne serait pas tombé
dans une sottise aussi condamnable que
d'appeler un vieillard égrotant à
diriger son Eglise de 2005 à 2013. Mais
alors, le Zeus de la Liberté a-t-il
commis librement la même faute avec
l'élection manquée de Jean-Paul 1er, qui
se trouvait, lui, à deux pas du
sépulcre, ce qui a contraint son
successeur à tenter de colmater
précipitamment la brèche d'une
discontinuité impardonnable dans la
texture de l'histoire du ciel et de la
terre confondus et de se donner en toute
hâte le nom de Jean Paul II?
Mais la question ne sera jamais
seulement posée, et la raison de ce
silence est fort simple: la foi n'est
pas près de se fonder pour un sou sur
une théologie, mais seulement sur le
besoin irrépressible de tout
simianthrope en voie de cérébralisation
d'entendre une parole d'autorité
descendre d'en-haut. On ne prive pas un
enfant de la parole surplombante d'un
éducateur chargé d'enseigner de
génération en génération une obéissance
jugée plus nécessaire à l'intéressé
qu'au pédagogue.
2 - Les sciences
humaines et la démocratie
La
seconde question posée par la recherche
de la signification
anthropologique d'une foi religieuse et
d'une foi démocratique toutes deux
vaporisées - l'une au ciel, l'autre à
l'odeur des brûle-parfums du langage que
profèrent les idéalités - la seconde
question, dis-je, sera de s'interroger
sur l'étoffe rapiécée dont usent les
sciences humaines au sein des
démocraties. On y voit ces disciplines
boitiller aussi péniblement que dans
l'Eglise. Elles se trouveront donc
contraintes, soit de persévérer dans
leur volonté soigneusement camouflée
d'ignorer les raisons pour lesquelles
l'Eglise ne se trouvera nullement
ébranlée par la réfutation aux yeux du
monde entier du mythe de
l'infaillibilité du Saint Esprit, soit
d'avouer leur volonté masquée de fuir,
elles aussi, l'arène de la pensée
terrorisante dont la logique tient les
rênes. Car il est certain que la foi
religieuse ne se demandera pas un seul
instant quelles sont les prérogatives et
les apanages qui demeureront intactes
entre les mains d'un Zeus
spectaculairement dépossédé de tout
pouvoir sur le cours de l'histoire et
livré sans défense aux volontés
souveraines de sa propre créature. De
même, personne ne se demandera ce qu'il
advient de la nouvelle Trinité, composée
de la souveraineté du peuple, de celle
de son bras droit, le suffrage universel
et de celle de la liberté d'une nation
dont le flambeau de l'esprit serait
celui de la raison; car le territoire de
ces trois souverains se trouve occupé
par cinq cents bases militaires de
l'étranger depuis soixante-huit ans.
Mais cela même fera débarquer à nouveaux
frais l'audace du XVIIIe siècle dans la
politique mondiale, parce que la
vassalisation accélérée de l'Europe
livrée à une scolastique de la Liberté
posera aux sciences humaines la même
question axiale qu'au cours de deux
mille ans du monothéisme chrétien, à
savoir quelle est la nature des
relations que la bête loquace entretient
avec un maître de la vérité et de la
justice censé domicilié hors de sa boîte
osseuse.
3 - Qu'est-il
arrivé à Zeus ?
On
remarquera que, jamais encore, le refus
déclaré des Etats démocratiques de
confier à la raison et à l'intelligence
des philosophes la "chasse au trésor"
qu'on appelle la vérité n'avait
pris des proportions aussi tragiques que
de nos jours: certes, en 410, un saint
Augustin profondément ébranlé par le sac
de Rome avait consacré vingt ans de sa
vie à tenter d'enregistrer, de
comprendre et d'interpréter les
métamorphoses soudaines du statut
cérébral d'une divinité bien connue de
tout le monde et qu'on avait supposée
cogitante.
Mais
comment prendre acte à la seule école de
Clio du peu de solidité de la cervelle
du Dieu solitaire des chrétiens ? Ou
bien le ciel se montrait impotent dans
l'histoire comme dans la politique et
toute la terre habitée passait au grand
large de son prétendu géniteur, ce qui
demeurait une folie inconcevable aux
yeux de l'humanité du IVe siècle, ou
bien il fallait montrer un courage
philosophique sans exemple pour se ruer
à l'assaut d'une pensée ecclésiale
demeurée tragiquement infirme et se
demander quelles raisons secrètes et
sans doute difficiles à décrypter, même
à l'école d'une audace intellectuelle
sans pareille, avaient bien pu conduire
la sagesse nécessairement infinie et
l'omnipotence tenue pour indubitable du
Créateur à précipiter dans le néant le
sceptre de sa propre dialectique, alors
que, selon le récit de la Genèse,
chaque ligne de ses écrits témoignait de
son attention soutenue et bienveillante
au sort de ses malheureux sujets, donc
au destin de Rome et des Romains. Et
puis, comment faire comparaître devant
le tribunal, donc citer à la barre le
terme-clé de providence, qui
signifie "savoir d'avance",
donc veiller au grain en navigateur
averti, si les décisions du ciel
n'étaient pas mûrement réfléchies? Car
sur tous les cadrans solaires, on lisait
un passage bien connu des Psaumes:
Omnia creasti, nec minore regis
providentia (Ta prévoyance a créé toutes
choses; et c'est avec non moins de
prévoyance que tu gouvernes (regis)
le monde).
4 - " Les
civilisations répondent à un défi"
(Toynbee)
Que se
passerait-il si le cerveau effaré du
genre simiohumain actuel ne refusait
plus obstinément de se demander ce que
signifierait penser avec une
droiture héroïque, donc s'interroger
avec vaillance sur le fonctionnement et
le statut de la boîte osseuse d'un Zeus
censé en bon état de marche sur notre
astéroïde? Dans ce cas, la décision
inconsciemment iconoclaste de Benoît XVI
du 28 février 2013 de déposer le fardeau
du créateur du monde déclencherait un
renouveau inouï de la pensée rationnelle
mondiale, tellement la pesée d'un
entêtement aussi viscéral à se bander
les yeux produirait, en retour, un
déclic résurrectionnel instantané au
sein des sciences dites humaines. Car la
planète entière des aveugles et des
sourds volontaires se trouverait mise en
demeure de peser la vocation
intellectuelle inaliénable, mais
inachevée de ces disciplines - celle qui
leur ordonne de faire tomber sans cesse
les chaînes de leur
auto-ensommeillement.
Mais, depuis deux millénaires, de
nombreux évènements théologiquement
anti-dormitifs à souhait n'ont cessé de
jalonner l'histoire du christianisme
doctrinal; et aucune catastrophe deil
est dit plus haut, ce genre n'a jamais
réussi à ordonner soudainement au genre
simiohumain de se priver de la cuirasse
que sa cécité cérébrale lui a forgée.
C'est pourquoi, comme le renoncement
dévot de Benoît XVI à exercer sa charge
en raison de son mauvais état de santé
ne commencera nullement de persuader
Adam de la nature anti léthargique de
toute vocation intellectuelle
authentique. Mais, encore une fois,
qu'en sera-t-il de l'Europe de la pensée
si elle se trouve subitement placée
devant le double spectacle de sa
vassalité politique et de son refus
viscéral d'observer et de comprendre
comment ses trois dieux uniques ont
vassalisé son encéphale depuis deux
mille ans?
Encore une fois, quels sont les démentis
au mythe de la Liberté qui, depuis la
Guerre du Péloponnèse au Ve siècle avant
notre ère jusqu'à l'occupation
américaine de l'Europe portera notre
espèce à observer Zeus d'un œil averti
et à peser sur une balance sûre les
fausses conquêtes de la religion
démocratique?
5 - Le latin
crypté de la foi religieuse
C'est pourquoi l'analyse du contenu
psychopolitique de la déclaration
d'abdication en latin de Benoît XVI est
si riche d'enseignements
anthropologiques.
Certes,
l'idiome de l'Eglise est l'œuvre du
transcripteur de l'allemand élégant de
Benoît XVI. Il s'agit sans doute d'un
Celte - peut-être le Cardinal Torrens -
qui a calqué son latin sur le tour
d'esprit des Gaulois. Traduire: "Je
déclare renoncer" par "Declaro
renuntiare" change le latin en une
copie hilarante du français.
Declarare s'emploie principalement
au passif dans le sens où nous disons
qu'une maladie s'est déclarée. Un
consul "declaratus" est un consul
désigné, mais non encore entré en
fonction.
Quant à
renuntiare, on ne le trouve dans
l'acception de renoncer que dans
le latin d'église. Tous les bons auteurs
rattachent renuntiare à
nuntiare, qu'on rencontre dans
nonce, nonciature, annonciation,
etc. Renuntiare, c'est
annoncer avec force et insistance.
Cicéron dirait: "Depono officium",
je dépose ma charge", ou "Decedo
de officio", je me retire, ou
plus simplement "Abeo", je
m'en vais. C'est également
transcrire un gallicisme en latin
d'Eglise que de traduire "Je suis
bien conscient", par "Bene
conscius sum". S'il existait un
latiniste au Vatican, il n'aurait pas
introduit trois bene et deux
ex corde dans un texte d'une
quinzaine de lignes.
Mais le
piège inverse peut également se refermer
sur les Celtes, parce que le français du
XVIIe siècle s'est si soigneusement
calqué sur le mot à mot des meilleures
tournures en usage dans le latin
classique qu'on parle un bon français à
bien copier le latin. Venir à
composition se dit venire ad
compositionnem, infliger une
peine, se dit infligere poenam,
non sans cause se dit non sine
causa, consister en se dit
consistere in, tenter la fortune
se dit tentare fortunam,
donner l'occasion se dit dare
occasionem, la loi agraire se
dit lex agraria, vivre dans
l'abondance se dit vivere in
abundantia, se conformer à la
volonté se dit se conformere
ad voluntatem, etc.,etc.
On ne
saurait donc en vouloir à l'excès aux
Gaulois de la Curie romaine d'ignorer le
latin des auteurs classiques, tellement
il arrive à ces étrangers de tomber
juste. De plus, le christianisme est
tellement incompatible avec l'esprit
réaliste, juridique et guerrier des
Romains qu'il a fallu relexicaliser le
latin. Le dernier auteur à la fois latin
et chrétien est saint Ambroise, un
ancien préteur. On lui doit d'avoir fait
revenir la religion du gibet récompensé
à la pratique des sacrifices humains
antérieurs à Scipion l'Africain - on
sait que ce saint a exposé le cadavre
providentiel de son frère Satyrus en
offrande payante et de bonne odeur sur
l'autel de l'Eglise de Milan. Dans un
tel contexte, que signifie
l'incapacité physique de Benoît XVI à
servir plus longtemps le Grand
Sacrificateur dont l'arbre de vie est
une potence de bois sec, mais bien
rémunérée?
6 - L'incapacitas
de Benoît XVI
Depuis Ambroise, le ciel immolateur des
chrétiens romains est devenu un produit
d'importation du polythéisme le plus
primitif, mais caché sous le voile d'une
spiritualité partiellement fondée sur le
symbole et l'allégorie. Aussi le ciel
nouveau est-il plus revanchard que celui
de Zeus. Il tient comme à la prunelle de
ses yeux à se faire rembourser le
préjudice qu'il a subi et qu'il juge
immense : l'idole se fait payer sans
relâche un tribut d'un montant
inépuisable à seule fin de tenter
d'effacer à ses propres yeux la dette
titanesque du péché originel.
Le terme
d'incapacitas a donc un sens
physique. Il n'a été introduit que
tardivement dans une religion romaine
pourtant à nouveau fondée sur
l'immolation d'un être humain à une
divinité. Aussi, incapacitas
n'a-t-il fait son apparition dans le
latin qu'avec Rufin (env.350-411) et
seulement au XVIIe siècle parmi les
Gaulois, où il n'a pris
qu'accessoirement le sens figuré
d'empêchement politique. Mais que
signifierait l'incapacité
corporelle de payer son dû à une idole
qui vous tend avec une insistance de
rapace une escarcelle à remplir à ras
bords et jour après jour? Car,
naturellement, le paiement censé
acquitté sur le Golgotha au profit d'un
gibet éternel n'est qu'un leurre matois.
Le banquier de l'immortalité de votre
squelette est un marchand madré: il se
fera rembourser sa dette de siècle en
siècle et il y faudra le charcutage à la
fois honni et revendiqué d'un innocent
aux mains pleines. En latin classique,
la capacitas renvoie au contenu
d'un récipient à remplir. La
capacitas des gladiateurs désigne
leur poche stomachale - en ce sens,
Cicéron se demande s'il existe dans son
esprit (in animo) une sorte de
réservoir (capacitas).
Mais,
encore une fois, la pesée des
perversions de la grammaire et de la
syntaxe du latin ecclésial en appelle à
une anthropologie de l'alliance du sacré
avec l'anatomie: quelle est la
signification physique du langage de la
foi chrétienne et de l'espérance
démocratique confondues si l'expression
"selon son essence spirituelle" (secundum
suam essentiam spiritualem…), que
Benoît XVI applique à la spiritualité
chrétienne dans son ensemble signifie
que la parole cléricale repose de la
tête aux pieds, si je puis dire, sur la
métaphysique grecque, laquelle sous-tend
la parole divine depuis Platon, donc sur
un discours essentialiste qui jure avec
l'esprit romain. Mais il s'agit de
conjoindre le vocabulaire proprement
humain à celui du ciel, l'un charnel,
l'autre abstrait. Impossible de
métamorphoser le pontificat romain en un
office vaporeux et dont l'origine, la
nature et la finalité émaciées
transcenderaient les charpentes et
rompraient le cordon ombilical censé
élever le mythe de l'incarnation de
Jupiter au rang de médiateur patenté
entre l'absolu et le contingent,
l'insaisissable et le temporel. Toute la
théologie de François est d'enraciner le
christianisme dans le réalisme et de le
"déplatoniser".
7 - Le platonisme
chrétien
Pour comprendre la dimension résolument
supra terrestre de l'essentialisme grec
et les causes anthropologiques de
l'infiltration de la pompe byzantine
dans la spiritualité occidentale, donc
pour interpréter le conceptualisme
platonicien qui compénétrait à la fois
la théologie de Benoît XVI et une foi
catholique demeurée fort concrète sous
les ailes d'ange artificiellement
greffées dans son dos, il faut revenir à
Rufin et au rôle qu'occupe ce séraphin
dans l'histoire de la langue d'un salut
platonisé.
Après de longues études à Rome aux côtés
de saint Jérôme, qui sera promu, un
millénaire plus tard, au rang de
traducteur officiel, donc sanctifié de
l'Ancien Testament et du Nouveau, ce
citoyen de la classe moyenne a passé le
reste de sa vie à Jérusalem et à
Césarée, parce que sa connaissance du
grec, perfectionnée auprès de saint
Jérôme, lui permettait de traduire dans
la langue toute pratique des Romains les
textes les plus abstraits d'un
christianisme devenu métaphysique au
contact de l'Orient des derniers
hellénistes. On doit à Rufin la
traduction latine de la théologie
extatique de Grégoire de Naziance, ailée
de Grégoire de Nysse et asexuée
d'Origène. Tous trois croyaient que les
"idées pures" habitaient un monde
invisible et insaisissable. Le concept
avait même précédé la création de
l'univers: le petit artisan désarmé et
aux bras courts de la Genèse louchait
constamment en direction de ces déesses
verbales afin de s'assurer qu'il
enfantait un monde bel et bien calqué
sur les lumières surnaturelles des
abstractions les plus transcendantales
et que sa copie ne comportait aucune
erreur dans le trait - on sait que, dans
la caverne du grand maïeuticien de la
transcendance grecque, l'éclat des
idéalités divines les plaçait hors de la
vue des prisonniers alignés derrière un
petit mur et enchaînés à leurs bancs par
les pieds et par le cou - donc,
symboliquement, face à une
inaccessibilité radieuse.
8 - Théologie et
politique de la sexualité
C'est
pourquoi il faut entendre dans le sens
d'Origène la phrase ésotérique du
traducteur officiel de la Curie, le
Celte qui écrit Hoc munus secundum
suam essentiam spiritualem (Cette
fonction spirituelle en son essence).
Mais tout le texte catholique
artificiellement platonisé retrouve bien
vite le mythe rassurant et consolant de
l'incarnation de la vérité céleste: la
fonction papale (munus) rattrape
l'humain par ses basques. On sanctifiera
l'histoire pontificale au galop de
l'expérience, puisque les "essences"
censées incapturables se verront
néanmoins conviées à s'exprimer à
l'école des contingences du temporel et
du contingent providentiellement
récupérés. Le canal secourable de
l'action et de la parole pontificales
suffiront à y pourvoir. Pour François,
le salut se construit péniblement au
sein d'une Eglise des pauvres asservie
au train des jours, pour Benoît XVI, une
théologie dichotomisée entre Rome et
Constantinople posait un problème
insoluble.
Mais si
l'Europe des croyances religieuses ne se
faisait pas une idée ultra platonisée
des fondements ultimes de la raison
occidentale et des "essences" sur
lesquelles la foi trouve son appui le
plus stratosphérique, Benoît XVI aurait
pu écrire que la fonction pontificale (munus)
serait spirituelle en sa contingence et
dans le modeste apprentissage qui
l'asservit à la terre - Hoc munus
spirituale …- François rappelle
qu'un pontificat n'est sanctifié que par
délégation expresse et partielle de la
grâce de Zeus. Qu'en sera-t-il, en
conséquence, du "souffle spirituel"
censé inspirer le Vatican pas à pas si
le sacré en exercice ne constitue jamais
le divin par nature? Origène (185-251)
avait si peu "incarné" le ciel à ses
propres yeux et son platonisme était
tellement ardent à prendre son vol qu'il
s'est castré afin d'échapper autant que
possible à l'animalité d'un corps
terrestre dont la sexualité présentait
l'image la plus repoussante et la plus
scandaleuse aux yeux des chrétiens
appelés à flotter dans les plus hautes
régions de l'atmosphère.
Les
quatre évangiles portent également
l'empreinte indélébile de l'alliance de
la piété grecque avec le séraphisme.
Mais Rome voyait dans la chasteté du
prêtre une arme de la politique. Quand
Grégoire VII ordonna le célibat au
clergé en 1074, il n'avait en tête
qu'une stratégie - celle de Lyautey, qui
disait qu'un soldat marié perd la moitié
de sa valeur sur le champ de bataille,
parce qu'on ne court pas au martyre avec
femme et enfants. Et pourtant Grégoire
VII disposait d'une théologie du "péché
de chair" toute prête à servir et qui
n'attendait que l'occasion d'armer une
Eglise de guerriers de la foi qu'Ignace
de Loyola fondera en 1540. On lit dans
Mattieu 19,12 : "Il y a des eunuques
qui se sont faits eux-mêmes eunuques
pour le royaume des cieux", et dans
Marc, 9,43, "Si ta main est pour toi
une occasion de chute, coupe-la".
9 - La
théologie des Tartuffe de la "raison"
Quelle est la signification
anthropologique de l'idée de pureté et
de chasteté qui conduit un ciel
platonisé à la castration de son clergé
aux ailes d'ange? La piété asexuée
installe la foi dans un empyrée de la
sainteté dont Molière se montrera le
plus génial des pré-anthropologues, mais
Stendhal ne le lui cède en rien : son
récit des années de Julien Sorel au
séminaire de Dijon demeure un morceau
d'anthologie. Mais si la foi est un
eunuque, elle intéresse plus que jamais
la science historique, la politologie et
la philosophie modernes, parce que la
castration cérébrale de l'humanité n'a
cessé de se situer au cœur de la
géopolitique.
Certes, la chasteté est liée à
l'apparition d'une espèce qui se
voudrait trans-animale. Elle était déjà
un signe de la pureté religieuse dans
Homère - les prêtresses demeuraient
vierges leur vie durant et leur chute
dans les "tentations de la chair" était
tellement pécheresse qu'elle était
châtiée par la peine de mort: elles
avaient souillé Artémis, Athéna et même
Aphrodite. Mais le monothéisme chrétien
est la première religion qui ait fait de
la sexualité un péché universel et qui
ait massifié l'alliance d'origine
psychobiologique de la foi avec la
continence - c'est pourquoi la question
du statut du sexe faible se situe au
cœur du conflit actuel entre l'Occident
laïcisé et l'islam polygame, donc au
centre de la réflexion politique
mondiale sur les droits respectifs de la
raison profane et de la raison
religieuse.
10 - Le
tartuffisme du cercle vicieux
Le 3
décembre 1999, le Cardinal Ratzinger
publiait dans le Monde un
article qui se voulait "philosophique",
donc critique, mais dans lequel le
théologien allemand réaffirmait
l'alliance indéfectible du christianisme
avec une "raison" élevée au rang
d'instance charitable et compatissante.
Mais toute théologie est condamnée à
fonder sa philosophie de la raison sur
le tartuffisme dont elle dote la notion
même de raison. Car la foi ne
cherche pas la vérité, elle déclare la
posséder déjà, de sorte qu'elle se
contente d'en vérifier les applications
dans le temporel. Le tartuffisme de la
raison trouve donc son assise
anthropologique dans la tautologie,
c'est-à-dire dans le cercle vicieux
auquel elle se condamne à recourir: on
sait que l'introspection auto-glorifiante
de la raison tartuffique est née avec
saint Augustin et que Jean-Jacques
Rousseau est allé déposer de nuit le
saint manuscrit de ses Confessions
sur l'autel de Notre-Dame.
Dans sa
lettre à "Messieurs le Doyen et
docteurs de la sacrée faculté de
théologie de Paris", Descartes
décrit en ces termes le tartuffisme dont
s'affuble la logique elle-même : "Et
quoi qu'il soit absolument vrai
qu'il faut croire qu'il y
a un Dieu, parce qu'il est ainsi
enseigné dans les Saintes Ecritures et,
d'autre part qu'il faut croire
les Saintes Ecritures parce qu'elles
viennent de Dieu […] on ne saurait
néanmoins proposer cela aux infidèles,
qui pourraient s'imaginer que
l'on commettrait en ceci la faute que
les logiciens nomment un cercle."
[ J'ai analysé l'article du
Cardinal Ratzinger dans Le
Monde daté du 28
décembre 1999; mais un quotidien
ne permet pas d'évoquer, même
succinctement, le contenu
tartuffique du séraphisme
platonicien qui sous-tend la
rationalité religieuse de
l'Occident, alors que le
soubassement angélique du cercle
vicieux n'est autre que le
fondement anthropologique de
toute la mystique chrétienne de
l'Orient et de l'Europe "rationalistes".Le
cercle vicieux présente le
visage dévot d'une logique qu'il
a reçue préempaquetée en
coulisse par la foi.]
Voir:
Le
christianisme et l'avenir de la
raison européenne, Réponse à Mgr
Ratzinger,
28 décembre
1999
11 - Une
théologie de la famille
Cette
digression apparente était nécessaire
pour poser la question décisive de
l'avenir d'un humanisme occidental dont
le choix théologique du conclave a
démontré la signification politique et
la portée anthropologique. Car si
l'Occident se laisse convertir,
subjuguer et asservir à l'écoute naïve
de l'apostolat démocratique américain,
c'est exactement sur le même modèle de
la candeur qu'il s'était laissé façonner
par l'apostolat chrétien pendant deux
mille ans : même propagande bénisseuse,
même chapeautage angélique et
condescendant des vassaux, même
séraphisme mondialisé, même soumission
des peuples à l'autorité confessionnelle
d'une raison de convertisseurs, même
protectorat messianique, évangélique et
rédempteur, même cécité semi volontaire,
même détermination semi consciente de
détourner les yeux du vainqueur armé
d'outre-Atlantique, mêmes prosternations
devant la sainte face, ici d'un Dieu
crucifié, là d'une Liberté qualifiée de
rédemptrice, de salvifique et
d'eschatologique: la démocratie
planétaire est si bien devenue la
nouvelle Eglise universelle que jamais
une laïcité rendue myope à l'école même
de la "raison" tartuffique qui la
désarme, ne sauvera l'Europe d'Orgon de
sa chute dans l'abîme de la servitude.
On attend le Molière de la démocratie
américaine qui dira, avec l'auteur de
Tartuffe: "C'est une
grande atteinte aux vices que de les
exposer à la risée de tout le monde."
Mais une
"spiritualité" qui fait débarquer le
ridicule de l'angélisme démocratique et
son illogisme dans la politique de la
planète de Tartuffe renvoie non
seulement à une psychanalyse du
séraphisme parental dont toute la
théologie platonico-chrétienne porte
l'empreinte, mais à une psychanalyse des
idéalités contrefaites qui apposent le
sceau du concept scolastique de
liberté sur une géopolitique de
l'abstrait absolutisé. Le tartuffisme de
la raison démocratique a remplacé celui
de la foi.
-
Le
Ministère de la Culture et
l'islam en France 2
, 2 mars 2013
-
Le
Ministère de la Culture et
l'islam en France,
23 février 2013
12 -
L'inconscient carcéral du sacré
Benoît
XVI a, du reste, explicité en ces termes
la désespérance qui frappe toute raison
terrestre: "L'enfer, c'est le désert
de l'absence de Dieu". Mais
l'épouvante qu'éprouve un humanisme
d'enfant de chœur, l'épouvante de voir
s'éteindre les idéalités protectrices
que la démocratie et la foi tant romaine
qu'orientale idolâtrent en commun, cette
épouvante, dis-je, appelle une
spectrographie des masques du langage
qui permettent aux fidèles de fuir
vertueusement le réel, à savoir le
silence et le vide de l'immensité. Les
modernes se prosternent devant des
concepts dévots qui les protègent en
retour, comme ils se prosternaient hier
devant le mythe d'un Dieu des
immolations les plus sanglantes du
meurtre sacrificiel, donc les plus
rassurantes, parce que les plus
dépensières.
Le premier psychanalyste abyssal tapi au
plus secret de la religion du salut
crucificateur n'est autre que Blaise
Pascal, dont toute la théologie de
l'alliance de la torture édifiante avec
l'épouvante pieuse renvoie au symbole
focal de la panique d'entrailles qui
s'empare jour et nuit des habitants
d'une île déserte dont le "boucher
obscur" de la mort assassine de
génération en génération toute la
population. On voit à quel point le
petit rationalisme qui auto-angélise
l'Occident met, en réalité, "le fardeau
sur les épaules d'Autrui", c'est-à-dire
sur celles de la divinité torturante en
personne. La démocratie sacrificielle et
l'Eglise du gibet sauveur offrent le
spectacle de la même dérobade devant le
culte du meurtre religieux qui sert de
moteur au sacré dans l'histoire. La
dérobade de Caïn se révèle donc
également une auto-immunisation d'Abel.
C'est à ce titre qu'elle fait appel au
vaccin d'une foi superficielle,
décérébrée et fondée sur le tartuffisme
du cercle vicieux, ce qui permet aussi
bien à l'anthropologue du sacré qu' au
psychanalyste des théologies et de la
démocratie confondues de descendre de
conserve dans les arcanes de la bête
discoureuse.
On voit
à quel point l'interprétation de la
signification qu'illustre le refus
de penser le tragique et le meurtre
auxquels la condition simiohumaine est
livrée renvoie à une panique de type
dérélictionnel, celle d'une espèce
paralysée des quatre membres par la
terreur de se risquer sur le territoire
du "Connais-toi" des bourreaux.
13 - Pathologie
de la terreur
C'est
pourquoi l'épouvante religieuse de
Benoît XVI - celle dont témoignait un
pontificat hanté par la déréliction du
pécheur - se gardait bien de jamais
faire appel principalement au secours du
père assassin, mais seulement au Christ
et à sa mère. Le Nazaréen miraculé
faisait figure de calmant suprême de la
foi, de "vaisseau" (navis) à
rendre navigable aux moindres frais et à
en mettre le gouvernail entre les mains
des petits enfants, de cataplasme des
apeurés et de leur Eglise, de vaccin
chargé d'exorciser le tragique et le
terrifiant au sein d'une histoire
universelle prise en étau entre un
paradis patelin et un bourreau dont la
sainte justice s'exerce à l'école des
tortures éternelles. Mais à quel point
l'effroi religieux de Benoît XVI le
lovait dans le cocon d'une thérapeutique
de l'angoisse, on peut le mesurer à
l'aune de la divinisation ultra
médicamenteuse de la maternité de Marie,
qui permet à la théologie catholique de
retrouver la déesse-mère des Anciens -
celle d'une vierge immortelle dont Jean
Paul II a puissamment contribué, lui
aussi, à assurer la promotion au sein
d'un salut maternisé.
Mais
pour qu'un pape dont la réputation était
celle d'un savant en théologies se
réfugie dans la cellule familiale dont
la doctrine officielle lui offre l'abri,
et cela au point de déclarer tout de go
aux cardinaux rassemblés par une
occasion aussi solennelle que celle de
son abdication qu'ils supplient Marie de
les assister de sa "bonté
maternelle" - sa materna bonitas
- dans le choix du prochain protagoniste
de l'histoire universelle, pour qu'un
pape infantilisé à ce point par une foi
terrifiée en oublie la tâche immense qui
attend son sucesseur - celle de paraître
guider le plus virilement possible un
milliard deux cent millions de chrétiens
désarçonnés par l'interruption médicale
d'un pontificat - quel trait de lumière
sur les causes ultimes de la
perpétuation, siècle après siècle, d'une
débilité doctrinale bien éloignée de la
sagesse et de la fermeté des vieux
Romains.
En 2005, au lendemain de la mort de Jean
Paul II, Benoît XVI n'a-t-il pas annoncé
aux fidèles rassemblés dans la chapelle
Sixtine qu'à l'arrivée en chair et en os
de Jean-Paul II sur le seuil du paradis
des corps, la charpente du Christ était
venue l'accueillir et que, par une
faveur plus exceptionnelle encore, sa
mère biologique avait daigné accompagner
le squelette de son fils sur le pas de
la porte de bois toujours vert du
royaume de l'éternité. L'Eglise des
enfants du paradis tourne de siècle en
siècle les pages d'une histoire mise en
images à l'intention d'une humanité
appelée à demeurer en bas âge.
14 - Le chef des
exorcistes
Mais un pape ne saurait tomber dans une
débilité mentale de ce calibre par le
seul effet d'un dérangement cérébral
dont le diagnostic ressortirait
exclusivement à la démence. Ici encore
comme le soulignait René Pommier,
l'effroi religieux n'est pas
pathologique au sens asilaire du terme.
[René
Pommier,
Etre girardien ou ne pas
être, Shakespeare expliqué par
René Girard, Editions
Kimé, 2013]
Ecoutons
Gabriel Amorth, l'exorciste en chef
d'une Eglise de la terreur infernale et
des tortures éternelles aux yeux de
laquelle Joseph Ratzinger a "élargi
le front du combat contre Satan dans les
cas de possession diabolique, mais
également dans tous les cas de troubles
mentaux causés par le démon, qui
représentent quatre-vingt dix pour cent
des cas." On imagine avec quelle
rapidité une humanité terrorisée jour et
nuit par le démon, lequel peut s'amuser
à vous "faire marcher sur les murs ou
ramper sur le sol comme un serpent",
vous précipite, dans le puits sans fond
de l'ignorance et de la stupidité du
Moyen Age.
Mais si
l'anthropologie critique observe le
meurtre et la peur au cœur du genre
humain, on mesure le défi qui attend
François - et l'on doute que le
Saint-Siège soit armé pour élever la
raison spirituelle au rang d'un ange du
courage et du rire. Je rappelle au
passage qu'il existait autrefois une
multitude de sorcières chevauchant leur
balai et qu'elles ne se voulaient ni ne
se disaient des victimes du démon: au
contraire, c'était à leurs propres yeux
et librement que les malheureuses
avaient conclu un pacte à frais partagés
avec Lucifer. Aussi ne se
laissaient-elles ni soigner, ni guérir,
ce qui les conduisait tout droit à une
crémation dont elles ne contestaient en
rien les fondements théologiques. Les
cendres de la dernière "sorcière" et
pécheresse - Anna Göldi - ont été
dispersées à Glaris en Suisse le 17 juin
1782. Mais, en 1768, Voltaire se
résignera à célébrer ses Pâques en
grande pompe, parce qu'il ne voulait
pas, disait-il, que son corps fût jeté à
la voirie. S'il avait été jugé au nom de
la loi et s'il avait refusé de se rendre
coupable de connivence avec Lucifer,
comment ce relaps et renégat n'aurait-il
pas été reconnu pour un ensorcelé
volontaire?
Mais en
ce début du IIIe millénaire, une
anthropologie pseudo scientifique et
apeurée refuse encore tout net de
penser vraiment le sacré, donc de
peser avec courage la finitude d'une
condition humaine semi cérébralisée et,
de ce fait, d'interpréter (deuten)
la signification para zoologique
de son infirmité mentale. Il en résulte
que, pour longtemps encore, les sciences
dites humaines demeureront condamnées à
une stagnation anthropologique sans
remède. Mais une philosophie de
rebouteux patentés qui, de Platon à
Kant, a rarement tenté de faire entrer
l'Occident dans une problématique de
guerriers de la lucidité, une
philosophie étrangère à l'examen du
fonctionnement semi animal de la boîte
osseuse des évadés inachevés de la
zoologie, une philosophie qui ne se
donne pas le cerveau humain actuel et
celui de Zeus en spectacle n'observera
jamais la bête en quête de sa "raison".
L'infirmité de la boîte osseuse qui
gangrène parallèlement la théologie
pastorale romaine et l'idéologie
démocratique en dit long sur la tâche
qui attend l'anthropologie critique.
15 - François et
Benoît
A partir de ce mois de mars 2013, le
seul fait que la civilisation mondiale
présentera à l'humanité le spectacle
d'un pape en exercice et d'un autre "à
la retraite" modifiera profondément la
topographie de la réflexion
anthropologique et philosophique sur les
religions et sur la nature de leurs
paysages mentaux, ce qui permettra à une
raison tombée en léthargie de rallumer
le flambeau du Siècle des Lumières
enseveli sous la cendre du mythe inerte
de la Liberté. Par bonheur, une
démocratie irrationnelle est un carré
rond ; et si la raison ne devenait pas
contemplative et méditante, donc mieux
éclairée que celle dont le comique de
Voltaire, le bucolisme de Renan ou le
pansexualisme de Freud allumaient les
bougies, elle ne découvrirait pas
pourquoi elle est devenue un carré rond.
L'Occident attend l'avènement d'une
raison branchée sur une intelligence
plus spirituelle et plus ascensionnelle
que celle de la foi corsetée et confite
en dévotions qui a conduit au naufrage
de la pensée dans les démocraties
verbifiques. Seule une foi privée, ici
des cierges de la piété ecclésiale, là
de ceux d'une République de l'abstrait
sera en mesure d'observer le genre
simiohumain à l'école et à l'écoute
d'une spectrographie des nouveaux
déguisements des sacrifices de sang,
Souhaitons que la politique mondiale
deviendra un champ d'observation
privilégié du Dieu intérieur auquel
Isaïe a fait dire son abomination pour
ses bouchers et ses charcutiers.
C'est
dire également que la pesée de
l'animalité spécifique des dieux
d'autrefois exigera la fabrication d'un
télescope dont le miroir géant livrera
au regard les reptations d'un animalcule
jeté sur un astéroïde aussi
microscopique que lui-même et dont
l'encéphale sécrétait des totems à son
image et ressemblance. Quand les
théologies seront devenues des documents
anthropologiques de première force, la
raison isaïaque photographiera des
insectes en leurs offrandes les plus
sauvages, celles de leurs propres
congénères immolés sur leurs autels. A
ce titre, la raison de demain se voudra
un projecteur dont la vocation sera
d'observer les exorcismes qui
permettaient à la bête sacrificielle de
conjurer le spectacle de sa solitude
dans l'immensité et à en déposer le
fardeau sur les épaules de Zeus.
On voit que le spectacle de deux papes
condamnés tantôt à se regarder en chiens
de faïence, tantôt à converser
familièrement, tantôt à s'écouter et
même à se consulter réciproquement,
tantôt à se disputer le sceptre de leur
infaillibilité à l'école des François et
des Benoît, tantôt à lutter dans l'arène
de leur image mondialisée, tantôt à
assister au combat entre leurs effigies
cultuelles, tantôt à se tendre des
pièges théologiques, tantôt à se lier
les mains dans l'intérêt supérieur de
l'Eglise, tantôt à chercher la
controverse entre les Anciens et les
Modernes du meurtre de l'autel, tantôt à
l'éviter, on voit, dis-je, que ce
théâtre suspendu entre le ciel et la
terre favorisera la conquête de son
surplomb à la pensée ascensionnelle de
demain. Quand la lumière de
l'intelligence se sera substituée aux
agenouillements d'une raison longtemps
prébendée par des idoles et condamnée à
payer tribut à sa bestialité cachée, le
passage du sceptre du "spirituel" des
mains des théologiens d'un meurtre sacré
à celles d'Isaïe fera, du feu de la
raison contemplative des prophètes, le
Saint Siège de la foi.
le 23 mars 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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