Regards sur le Proche et le Moyen Orient
Le Ministère de la
Culture et l'islam en France
Manuel de
Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 23 février
2013
"Interroger les
grands philosophes, c'est transformer
les questions qu'on leur pose en
instruments d'approfondissement de la
connaissance du genre humain."
Jaspers
Avertissement
Un demi siècle après
sa fondation par André Malraux, le
Ministère de la Culture est appelé à
débarquer sur la scène de la pensée
critique mondiale. C'est dans cet esprit
que, le 26 janvier 2013, je me suis
interrogé sur l'avenir cérébral de
l'islam national, tellement, trois
siècles seulement après celui des
Lumières, notre époque appelle le pays
de Descartes à occuper pour la seconde
fois le carrefour central de la planète
des stratèges de la raison. (Quelques
suggestions philosophiques aux penseurs
d'un islam en marche,
26 janvier 2013
Les 9 et
16 février, j'ai traduit et commenté le
premier rapport de l'Observatoire de
l'évolution de l'encéphale de notre
espèce paru à Pékin en octobre 2012.
Et maintenant, les Etats-Unis proposent
à l'Europe un "partenariat" dont la
finalité n'est plus seulement d'étendre
le bouclier de l'OTAN jusqu'aux
frontières de la Russie - laquelle ne
représente en rien une menace militaire
pour le Vieux Monde - mais de franchir
une étape sans doute décisive à ses yeux
de la course vers la vassalisation de
l'Europe de la culture.
Si Malraux
revenait, ces évidences géopolitiques
lui crèveraient tellement les yeux qu'il
inspirerait à la rue de Valois une
vision prophétique de l'avenir d'un
rationalisme français à féconder.
Serait-ce chose faite ? Pour la première
fois, un gouvernement de la Ve
République a évoqué "l'exception
culturelle française" face à
l'offensive américaine sur un double
front, industriel et commercial d'une
part, afin de renforcer encore davantage
l'emprise économique de la Maison
Blanche sur le Vieux Continent, culturel
d'autre part, afin de propager un
polyculturalisme acéphale, messianique
et conquérant à l'échelle du globe
terrestre. "Les Etats-Unis
continueront de propager la démocratie
et les valeurs américaines dans le monde
entier", a déclaré le mercredi
20 février le nouveau secrétaire d'Etat
américain, John Kerry. Le vice-ministre
russe des Affaires étrangères, Sergueï
Riabkov, lui a répondu que "la
prétention des Etats-Unis à incarner la
locomotive de la démocratie dans le
monde n'est pas justifiée, ce pays ayant
légalisé la torture au XXIème siècle".
Le vice-ministre russe a tenu à enfoncer
le clou et a précisé qu'aux USA "la
torture avait cessé d'être une violation
des lois pour devenir une pratique
judiciaire".
Dans les
futures retrouvailles de la France avec
la guerre multimillénaire de la pensée
rationnelle, l'ex- Allemagne de Kant et
de Hegel ne nous sera d'aucun secours en
raison du naufrage du vocabulaire de
tous les jours de cette nation dans un
salmigondis horrifique. On ne donne pas
une identité intellectuelle créatrice à
un peuple acharné à torturer la prose de
Goethe, de Schiller et de Nietzsche avec
des promenade, initieren,
inakceptabel, charmant, detaillieren,
goutieren, evacuieren, patrouillieren,
etc.
C'est dans cet esprit que je propose, ce
23 février, puis le 2 mars, un
approfondissement de quelques
centimètres de ma modeste réflexion
antérieure sur l'avenir de
l'intelligence et de la culture d'un
islam de la raison appelé à s'épanouir
sur le territoire de la France. Le 9
mars, j'en viendrai à une troisième
tentative de pesée de l'apport de la
Chine à une Europe dont il s'agit
d'ouvrir les fenêtres sur l'intelligence
de demain et de l'aider à retrouver son
rang de pédagogue de la lucidité dans le
monde.
Le texte
d'aujourd'hui et celui du 2 mars ont
pris la forme d'une lettre à Mme
Filippetti, Ministre de la Culture, mais
l'ensemble de mes analyses
anthropologiques et philosophiques
visent à suggérer aux pays émergents
quelques pistes en direction du nouveau
centre de gravité de l'universalité de
la raison mondiale vers lequel seul leur
propre génie peut les conduire.
Madame le Ministre de la Culture
1 - La
France de la raison et l'islam
Vous savez que
l'anthropologie critique est une
discipline philosophique dont la
vocation est d'observer l'identité
spécifique de notre espèce et de la
domicilier dans l'histoire du rôle
qu'elle persévère à se donner dans le
cosmos onirique que les religions lui
forgent de siècle en siècle. Le 26
janvier, je me suis demandé sur ce site
si un humanisme moins superficiel et
plus rationnel que le nôtre pourrait
s'armer d'un regard de l'extérieur sur
un animal dont le véritable habitat
s'appelle l'imaginaire. Vous savez
également que, le 2 février, mon
ambition est allée jusqu'à tenter
d'ouvrir un débat sur la nature de
l'encéphale d'une créature dont les
trois principales divinités encore en
charge de la représenter mentalement sur
notre astéroïde sont censées l'avoir
créée, mais dont chacune se proclame la
seule scénariste d'un cosmos arraché au
vide et au silence par ses cordes
vocales. Vous savez enfin que, les 9 et
16 février, j'ai fait connaître au monde
le premier rapport de l'observatoire
fictif de l'évolution de la cervelle de
cet étrange animal que la Chine est
censée avoir publié en octobre 2012.
Mais le Ministère de la Culture d'un
côté et celui de l'éducation de la
France de l'autre - la vocation propre à
ce dernier l'appelle à améliorer le
fonctionnement de l'encéphale national
du peuple de la raison - ces deux
Ministères à vocation mondiale, dis-je,
ne sauraient ignorer que trois millions
et demi de musulmans demeurent
viscéralement attachés à la pratique au
quotidien des traditions de leur
religion dans le pays de Descartes, de
Voltaire et d'un observateur de génie
des animaux politiques - j'ai nommé Jean
de la Fontaine. Ces deux Ministères
transcendantaux peuvent-ils oublier que
la fatalité conduira une phalange
d'avant-garde des disciples d'Allah et
de son prophète à violer l'interdit
coranique de "penser par soi-même" qui,
depuis 1882, aurait dû conduire le
peuple français à accoucher d'une classe
d'intellectuels voltairiens?
Madame le Ministre, j'ai confiance que
vous avez présent à l'esprit le
caractère inévitable du cours de
l'histoire qui contraindra les
générations nées de l'enseignement
public et obligatoire imposé à la France
par Jules Ferry à commettre un sacrilège
aussi prometteur et de remettre en
marche l'encéphale de l'humanité. Il
sera donc de la responsabilité de la rue
de Valois de se demander à son tour
comment le pays de Molière, de Rousseau
et du "Siècle des philosophes" va
déteindre sur la civilisation des
mosquées et comment des philosophes
d'origine musulmane enfanteront une
Europe nouvelle de la pensée critique.
2 -
L'avenir de l'homme européen
Supposons, Madame le Ministre que, sous
votre égide, la République laïque se
refusera à nier l'évidence que deux
civilisations dont les cosmologies
mythiques demeurent cérébralement
incompatibles entre elles - mais que
l'histoire a appelées à féconder
réciproquement leurs blasphèmes
respectifs - supposons que ces deux
civilisations iconoclastes présenteront
à l'observateur un spectacle réjouissant
du courage politique et culturel propre
à chacune et qu'elles appelleront les
plus hauts responsables de l' Etat
cogitant qu'on appelle la France à
inaugurer une réflexion anthropologique
promotrice - donc à appeler à la
rescousse le profanateur originel que
les Grecs appelaient Prométhée, "celui
qui pense en première ligne", comme
nous le rappelle l'étymologie de ce
patronyme. Si notre République de
l'héroïsme de la "raison" se souvenait
de ce que la "raison" est une valeur
prométhéenne, donc en progrès perpétuel,
la démocratie française éviterait de
souffrir du retard pathologique des
décadences qu'afflige leur régression
mentale; mais si penser, c'est peser
les pathologies de la raison elle-même,
les mythologies religieuses ne seront
plus les détentrices exclusives du refus
instinctif des peuples de courir les
risques de la réflexion.
Raison de plus, Madame, de vous demander
pourquoi un islam de serruriers de la
raison entend enfermer l'encéphale des
philosophes du Coran dans une cassette
fermée à double tour. Croyez-vous que la
République des droits de l'intelligence
parviendrait à comprendre les causes de
ce phénomène si la France laïque
refusait tout net de soumettre les
avocats apparents de la raison
scientifique actuelle à la critique du
grippage inconsciemment théologique
auquel ils soumettent à leur tour la
pensée scientifique contemporaine?
Si la
France des rois de l'intelligence, donc
de l'esprit critique qui inspire à la
fois la philosophie depuis Platon et les
Républiques laïques depuis 1789, si
cette France-là se révélait incapable
d'une analyse anthropologique des
présupposés irrationnels qui commandent
sa "raison" à elle et celle d'en face -
laquelle se veut inapte à toute
introspection autre que religieuse - si
une République engagée sur ce double
front depuis Montaigne battait
soudainement en retraite et se
condamnait à son tour à l'apathie
intellectuelle de la piété, la
civilisation occidentale n'aurait plus
d' avenir proprement cérébral. Mais
l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne voient,
eux aussi, des croyants musulmans
ficelés de génération en génération à la
lettre de leur religion se multiplier
sur leur territoire, alors que la
civilisation européenne, qui se plaçait
autrefois à l'avant-garde de la notion
d'entendement est tombée dans les
floralies d'un pan-culturalisme dont
l'acéphalie pathologique lui interdit de
fonder l'humanisme de demain sur une
connaissance trans-folklorique du genre
humain.
3 - Les premiers
embarras politiques de la culture
Madame, l'heure a
sonné pour le Ministère de la Culture de
découvrir le poids politique qui
l'attend, parce que, cinquante ans après
Malraux, qui se colletait encore avec le
"désert culturel" de la province de son
temps, notre époque appelle la rue de
Valois à occuper le carrefour
stratégique que la planète de la raison
lui a réservé. Depuis la Renaissance,
les agitations cérébrales des peuples
instruits et des peuples ignorants se
sont révélées la clé de l'histoire du
crâne de l'Europe. Il en résulte, j'y
reviens, que si la Ve République
décidait tout subitement de se rendre
aveugle au contenu et à l'ordonnancement
de la boîte osseuse de la civilisation
de la pensée scientifique, ce continent
passerait à jamais au large de toute
connaissance réfléchie du passé et de
l'avenir du monde. Mais un tel oubli ne
serait pas inédit: pendant près de
quatre siècles, la culture antique et
son mythe polythéiste ont vécu en bonne
intelligence avec un mythe monothéiste
en expansion continue dans l'empire
romain.
Mais
lorsque saint Ambroise prétendit
expulser manu militari la statue
de la déesse de la Victoire dont la
substance sacrée vieillissait lentement
dans l'enceinte auguste du Sénat, le
débat entre les deux théodicées s'est
soudainement placé au cœur de la
politique cérébrale d'un monde scindé
entre l'esprit et la matière; et le
concile de Chalcédoine de 451 a été
convoqué d'urgence par l'empereur
Marcien afin de tenter de porter remède
à l'animosité mortelle subitement
déclenchée entre les deux Olympes, l'un
à l'écoute des saintes oies du Capitole,
l'autre, moqueuse à l'égard de
l'anatomie des dieux auxquels les
gosiers de ces volatiles servaient de
micros et d'oracles.
Du coup,
le concile a jugé d'habile politique de
couper l'encéphale simiohumain en deux
tronçons et de légitimer chacun d'eux à
son aune. Aussitôt un compromis de type
déjà abusivement culturel a été
conclu en grande hâte entre les Célestes
en chair et en os des ancêtres et les
droits nouveaux dont la raison intrépide
de l'époque osait se réclamer: alors
qu'en 325, il avait été fermement décidé
que le squelette et la musculature du
Christ faisaient une divinité
psychophysiologique compacte et non
moins unifiée que la charpente de Zeus
ou de Mercure et que le statut céleste
de ce prophète était indivisible par
nature - du reste, ce dieu marchait sur
la terre d'un pas ferme et tous les
jours de la semaine, à l'exemple des
autres dieux en bonne santé - le concile
de 451 commettait "l'hérésie" inverse,
qui avait été expressément anathémisée
en 325, à savoir, que la personne du
Sauveur se trouvait maintenant scindée
en deux fractions impossibles à
raccorder: d'un côté, l'homme de
Nazareth n'était le Dieu unique en
promenade qu'à l'occasion des miracles
qu'il multipliait en solitaire et selon
son bon plaisir - il marchait sur l'eau,
il multipliait des pains, il
transformait de l'eau en vin, il
ressuscitait un mort. Mais alors comment
redevenait-il un homme ordinaire sitôt
qu'il tombait de fatigue ou se mettait
en colère contre les marchands du
temple?
4 - Le
coût des dieux en chair et en os
Le prix politique à
payer pour ce va-et-vient continu entre
l'homme et le dieu était exorbitant.
Comment la négociation théologique, d'un
côté, et la tractation politique, de
l'autre, allaient-elles maintenant
préciser le statut de leur séparation et
de leur confusion chez un spécimen de
notre espèce tellement unique qu'il
était bien le seul dont les entrailles
d'une Vierge fécondée par le verbe de
Jupiter eussent assuré le transit. S'il
fallait se résigner à le déclarer un
homme au plein sens du terme et de la
tête aux pieds, comment lui concéder
néanmoins que sa normalité se trouverait
allégée du poids du péché originel?
A partir
d'un impératif pastoral aussi
contraignant, il devenait impossible de
persévérer à se poser sur un mode
seulement expéditif et désinvolte la
question cruciale du sens qu'il fallait
attribuer à la quête multiséculaire et
frénétique de l'unité psycho-biologique
d'une créature semi divine et qu'on
déclarerait exemptée de la tare
immémoriale que vous savez. Or, ce type
de prodige théologique était fort
répandu: dans l'antiquité, qui élevait
au rang d'un dieu à cinquante pour cent
les mâles issus de l'accouplement de
Zeus avec une mortelle. Mais quid
si le sperme du ciel s'appelait
maintenant le "Verbe"? Que faire si le
statut miraculeux de la parole divine en
faisait un personnage autonome dans le
cosmos et néanmoins appelé à partager la
souveraineté globale du trio d'un
Jupiter scindé en trois personnes
distinctes?
5 - La France et
sa philosophie de la culture
La
France religieuse n'a évidemment pas
réussi à se doter d'une anthropologie
trans-géographique de la trinité
céleste, donc de la cohérence doctrinale
et psychique de l'Olympe d'une humanité
tripartite, alors que l'alliance de la
politique des Etats avec la cosmologie
mythique de l'endroit était encore aussi
indissoluble qu'aujourd'hui entre
l'Arabie saoudite et le Coran. Mais la
France issue de la Révolution de 1789
est-elle libre de scinder désormais
l'encéphale collectif de la République "une
et indivisible", elle aussi, sur le
modèle d'un concile de Chalcédoine de la
démocratie non moins universel que le
précédent? Si une laïcité tricéphale à
son tour devait demeurer la tête vide,
faute de science anthropologique des
théologies à trois branches - elle
devrait s'y employer depuis 1905 - elle
légitimerait tout ensemble, elle aussi,
et précisément à la manière de Symmaque
et de ses oies du Capitole face à saint
Ambroise, les droits métaphysiques d'un
sacré dûment réduit au culturel
d'une part, et ceux de la raison
raisonnante issue du siècle des Lumières
et de la Révolution française, d'autre
part. La Liberté est une déesse de la
pensée rationnelle ou n'est pas; et une
démocratie qualifiée de laïque, mais
privée de radiographies de l'encéphale
de l'humanité est condamnée à se vouloir
étêtée. A quel poison et à quelle
ambroisie de la raison et de la déraison
le peuple français actuel se trouve-t-il
livré?
Il résulte des
difficultés que rencontrent nos
spectrographies de la boîte osseuse des
descendants d'Adam que si l' Etat rendu
relativement réflexif à la suite de son
alliance de 1882 avec le Ministère de
l'éducation nationale, donc devenu
responsable, en principe, et depuis plus
de douze décennies, du destin
intellectuel de la nation de la raison,
si un tel Etat renonçait tout de go à sa
vocation originelle et à sa cérébralité
propre, il conduirait notre astéroïde à
un naufrage mental plus irrémédiable que
celui qui a englouti l'encéphale
simiohumain de 325 et celui de 451. Mais
comment lesdits Etats prétendraient-ils
détenir à bas prix les clés d'une raison
qu'ils auront discrètement catéchisée
d'avance, donc délégitimée en catimini,
eux aussi?
Depuis la Renaissance la raison et le
sacré semblaient cheminer de conserve.
Mais à la suite de l'engloutissement du
classicisme euclidien, qu'est-il advenu
des protocoles para-théologiques
inconscients et convenus qui commandent
en secret le champ de la raison
scientifique traditionnelle? Si la
République s'entêtait à ignorer les
ingrédients dont la ciguë nouvelle de
l'intelligence se compose, elle
s'enferrerait à son tour dans le refus
de penser propre aux cosmologies
mythiques; et l'on verrait deux poulets
à la tête coupée - l'Eglise d'une
laïcité sans cervelle et celle des oies
du Capitole retrouvées - courir côte à
côte à un dernier triomphe de la raison
semi-animale actuellement régnante.
6 - Votre
phalange macédonienne
Madame le Ministre,
je vous communique quelques
renseignements anthropologiques relatifs
à l'histoire commune de la raison
simiohumaine et des mythes sacrés, afin
de vous encourager à mettre sur pied au
sein de votre Cabinet une phalange de
quelques têtes bien renseignées sur les
secrets psychobiologiques de l'histoire
des théologies, donc décidées à mettre
l'encéphale du peuple français en
observation sous la lentille du
microscope électronique de la pensée de
demain. Cet instrument devra se montrer
en mesure de scruter les arcanes des
religions en tant que documents
cérébraux à décrypter.
Songez qu'un humanisme qui se donnera le
rang d'initié au décodage
psychogénétiques des neurones
multimillénaires d'une espèce dont la
boîte osseuse ne cesse de sécréter des
dieux, qu'un tel humanisme, dis-je,
prendra pour longtemps une grande avance
sur le crâne de toutes les autres
nations de la terre. Mais, dans le même
temps, comment le savoir de tels
spéléologues demeurerait-il tellement
superficiel qu'il refuserait de
disséquer la vie onirique d'un
ex-quadrumane à fourrure devenu
relativement "rationnel", comment, Mme
le Ministre, la France détoisonnée
renoncerait-elle à formuler les
principes d'une connaissance abyssale du
genre pseudo pensant, comment
s'opposerait-elle à la conquête de la
connaissance rationnelle de
l'inconscient politique qui pilote
l'argumentation théologique des
mythologies sacrées, comment ne
psychanalyserait-elle pas la "preuve
expérimentale" d'hier et d'aujourd'hui à
leur tour, si l'on "n'expérimente"
jamais des signifiants en tant que tels,
mais seulement des faits décorés ou
affublés des signes et des emblèmes de
leur signification nécessairement
anthropomorphique?
7 - Anthropologie
d'un cercle vicieux
Voici
donc quelques modestes suggestions de
nature à vous informer davantage de la
stratégie cérébrale qui pilote une
religion musulmane exilée de ses terres
d'origine et campée sur notre sol. Mais
pour comprendre la signification de ces
informations, donc les symboles
transterritoriaux auxquels ils
renvoient, il faut garder en mémoire que
la connaissance de l'inconscient de
l'histoire des religions demeure la
lanterne de Diogène de l'anthropologie
philosophique et de la politique. Au XIe
siècle, déjà, l'Europe avait fidèlement
reproduit, mais sans aucunement s'en
douter, le modèle de réflexion qui guide
l'islam contemporain sur notre
territoire. Un saint Anselme, par
exemple, confiait la charge de rendre la
foi des chrétiens "rationnelle" - donc
"signifiante" - à la "raison religieuse"
pratiquée en son temps. Une "raison"
théologisée d'avance et dans l'œuf par
la "raison" tautologique en usage dans
la foi était censée quaerere
intellectum, c'est-à-dire se mettre
en quête de la rationalité universelle
dont les dogmes de l'Eglise étaient
censés témoigner, puisque l'entendement
simiohumain de l'époque se trouvait pris
en main dès le berceau par le mythe du
sens que charriait une révélation
surnaturelle par définition .
C'est
pourquoi la fides quaerens
intellectum de saint Anselme et de
tout le Moyen Age prouvera le type
d'existence censée propre à "Dieu" à
partir d'un a priori solipsiste selon
lequel il "existerait", de toute
évidence, une divinité parfaite
puisqu'elle se révèlerait imparfaite par
définition s'il était seulement possible
à la créature de concevoir l'inexistence
objective de ce personnage, parce que,
dans ce cas, le concept même de
perfection se trouverait altéré au
point qu'il parviendrait à s'amputer, et
de sa propre autorité, de l'"existence"
nécessaire, donc inévitable, du
propriétaire de ladite perfection.
8 - La
justice démocratique en perruque
Avant
Einstein, toute la science occidentale
plaçait encore l'expérience sous le
projecteur d'une raison idéalisée
d'avance et fondée sur le même cercle
vicieux dont le joug de la théologie du
Moyen Age avait fait la pierre d'angle
de la doctrine de l'Eglise: on
appliquait à la politique et à
l'histoire intelligibilisées le
"principe d'existence" de saint Anselme,
puis de la raison cartésienne, son
élève. Car l'auteur du Discours de
la méthode prouvait, lui aussi,
l'existence "objective" de "Dieu" sur le
fondement confessionnel de la
substantification, donc de l'incarnation
de la cohérence interne qu'on attribuait
à un pur concept, à savoir le "principe
de perfection": un Céleste inexistant
demeurait aussi absurde aux yeux de
Descartes lui-même que de concevoir une
"montagne sans vallée".
Mais voyez, Madame, combien tout cela
concerne la nation française au premier
chef: la Démocratie, la République, la
Justice, la Liberté contemporaines sont,
elles aussi, censées exister par la
vertu des abstractions de 1789 qui les
auto-définissent dans un ciel de l'
esprit et dans les plus hautes régions
du mythe de la souveraineté du peuple;
et si, aujourd'hui encore, la cour de
cassation d'ici-bas résiste avec tant
d'opiniâtreté et pendant des décennies à
reconnaître l'iniquité évidente de la
condamnation d'un innocent en première
instance et en appel, c'est que le
prototype principiel grâce auquel la
justice temporelle prétend s'installer à
la fois dans l'arène de l'histoire et
dans l'air raréfié des abstractions
régnantes, ce prototype, dis-je, se
laisse aussi peu tirer l'oreille que
Dieu lui-même : comment réduirez-vous
des magistrats transporté en hermine
dans les airs et assis en souverains sur
les gradins du ciel de la Justice au
rang de confesseurs de la faillibilité
de leurs verdicts para-religieux?
9 - La
"raison" d'un animal onirique
La
"raison" dont le céleste archétype se
mord la queue demeure commune à la
Démocratie et à la Théologie. Elle
trouve son origine chez saint Augustin,
qui consacra vingt ans à démontrer, dans
sa Cité de Dieu, que le
Créateur est tellement parfait qu'il a
expressément voulu et sciemment organisé
la catastrophe effroyable du sac de Rome
en 410 par les barbares, qui allait
conduire l'empire à l'effondrement,
parce qu'il avait besoin de démontrer
définitivement et le plus
spectaculairement qu'il lui était
possible l'idée de derrière la tête qui
guidait sa perfection, à savoir,
la transcendance hallucinante de sa
raison idéale à lui et de sa politique
spécifique à l'égard de tout l'événementiel
qu'il contemplait dans sa totale et
irrémédiable contingence.
Le même Augustin
se moquera des théologiens naïfs de la
création du monde: pourquoi ces
malheureux oublient-ils de rappeler
qu'avant de créer le globe terrestre en
sept jours, le géniteur idéal du cosmos
a nécessairement créé un espace et un
temps idéaux? De même encore, Thomas
d'Aquin prouvera que les ressuscités ne
mangent ni ne boivent au paradis, parce
que, sans cela, et conformément aux lois
de la physique d'Aristote, ils
engraisseraient sans fin et
deviendraient ridiculement obèses. Mais
Jésus se fait cuisiner en toute
connaissance de cause des plats exquis
par des anges gastronomes, parce qu'il
lui faut prouver sans cesse aux autres
ressuscités et à l'école des
maîtres-queux du ciel qu'il est bel et
bien un immortel à la fois en chair et
en os et
parfait.
10 - L'islam et
la raison idéaliste de l'Occident
La
fides quaerens intellectum des
théologiens du Moyen Age s'est perpétuée
chez les intellectuels musulmans d'hier
et d'aujourd'hui, qui placent encore la
charrue avant les bœufs sur le même
modèle que saint Augustin, saint Anselme
et Descartes: la fausseté d'une
proposition est censée démontrée par le
seul rappel de la vérité absolue censée
avoir été dictée une fois pour toutes
par l'ange Gabriel à Muhammad dans le
Coran, par Jahvé à Moïse sur
le Mont Sinaï et par sa propre
inspiration de "fils de Dieu" au
crucifié.
Depuis
le XVIIIe siècle, l'anthropologie
philosophique et critique inverse
nécessairement une problématique
théologique fondée sur un acquiescement
préalable et irréfléchi aux présupposés
théologiques dont la théologie elle-même
est censée démontrer la vérité. Au lieu
de prouver l'existence du Zeus des Grecs
par l'autorité de l'Iliade
et de l'Odyssée, une
anthropologie ne devient scientifique
que si elle approfondit un humanisme
occidental demeuré tellement
superficiel, donc imparfait, qu'il ne se
demande pas ce que lui enseigne
l'auto-idéalisation de l'encéphale
simiohumain.
Madame
le Ministre de la France rationnelle, la
"raison simiohumaine" deviendra un objet
d'observation des arcanes pseudo-
séraphiques d'un animal onirique de
naissance, et la distanciation cérébrale
que la laïcité conquerra à l'égard des
documents anthropologiques qu'on appelle
des théologies s'inscrira nécessairement
dans la logique interne de la postérité
intellectuelle des découvertes de Darwin
et de l'un de ses premiers disciples, un
certain Sigmund Freud, qui a fondé ses
premières recherches sur une lecture
prospective de L'évolution des
espèces, paru en 1859. Le
Ministère de la Culture de la France
sera-t-il de son siècle ou prendra-t-il
le même retard que l'Eglise du XVIe
siècle sur l'héliocentrisme de Copernic?
11 - Socrate face
aux Etats d'aujourd'hui
J'évoquais plus haut l'heure où l'Etat
antique s'est vu contraint de débarquer
dans le débat théologique de l'époque
sur le statut psychophysique qu'il
fallait attribuer à l'encéphale biphasé
du genre simiohumain. A leur tour, les
républiques laïques sont appelées à
participer au questionnement
scientifique sur l'avenir mondial de
l'intelligence schizoïde de la
démocratie et des républiques encore
aussi couronnées des auréoles de leurs
idéalités que l'Eglise des apparitions
de Lourdes ou de Fatima. Mais il se
trouve que les Etats modernes ne
disposent encore en rien des
connaissances anthropologiques
nécessaires à leur devoir politique
d'apprendre à peser le statut biphasé
des cierges et des ex-votos cérébraux de
la Démocratie et de la République, alors
que notre siècle ne saurait, comme
l'empereur Marcien, se fonder sur la
prétendue solidité mentale d'un sceptre
langagier. Comment la France dépossédée
du totem de la Liberté va-t-elle
naviguer sur l'océan de sa propre
finitude? Socrate enseignait la
science de l'ignorance en tant que
telle; l'anthropologie critique initiera
la République vaporisée dans l'éther de
la Liberté à décoder son ignorance sur
le modèle du Théétète de
Platon. Sinon la France persévèrera à
tenir le violon de ses idéalités de la
main gauche et l'archet cruel de son
action pratique sur la terre de la main
droite; par exemple, elle continuera de
brandir le totem de l'égalité de la main
gauche et de doter les serviteurs de
l'Etat de privilèges de la main droite.
Il faudra apprendre à désemmêler à
nouveaux frais le brouillamini des
relations des idéalités avec le réel, de
l'Etat idéal avec l'Histoire, de la
République avec la vie quotidienne des
citoyens, de la logique scientifique
avec les comportements constants de la
matière, de la raison expérimentale avec
les routines de la nature et du
répétitif avec le cognitif. Pour cela,
la laïcité devra procéder à l'examen
critique du fonctionnement
inconsciemment théologique de la
"raison" encore abusivement qualifiée
d'"expérimentale" en usage dans un
univers dont la tridimensionnalité a
fait naufrage il y a plus d'un siècle.
De même
que la géométrie en circuit fermé
d'Euclide "vérifiait" la perfection des
axiomes en boucle à les faire énoncer
sans relâche aux redites et ritournelles
censées oraculaires de la nature, de
même que ses postulats tournant en rond
étaient censés constater et expliciter
d'un seul élan, primo,
l'évènement piétinant en tant que tel et
dans sa nudité, secundo
l'existence de l'ordre réputé inhérent
aux redites inlassables du cosmos, de
même la France politique fait confiance
à l'association magique de
"l'explicatif" avec le sempiternel: les
lois sont censées vérifier le règne de
la Justice, du Droit et de la Liberté,
mais ce type de vérité résulte seulement
de l'alliance infatigable des rites du
droit romain avec un ordre de l'univers
dûment légalisé d'avance par les trois
dieux uniques ; de même, encore, la
République "vérifie" les droits du
peuple souverain à l'école d'un suffrage
universel gonflé à l'hélium du mythe de
la Liberté.
12 - La
démocratie et le tragique
Il faut donc que l'Europe et la France
des idéalités s'interrogent côte à côte
sur l'infirmité des Etats censés
vérifier à la fois les évènements en
tant que tels et leur prétendu "sens
rationnel", donc leur interprétation
idéalisée et théologisée d'avance dans
l'inconscient apeuré d'un mythe social
protecteur. Puisque la simple
constatation de l'imperturbabilité
inexplicable des coutumes de la nature
se rendait ensuite loquace au sein d'un
cosmos censé se trouver piloté par des
zéphyrs verbaux, puisque la volubilité
attribuée à la "raison" secrètement
angélisée des physiciens reposait, en
réalité, sur le pouvoir de persuasion
qu'exerçait le profitable sur
l'encéphale d'un animal intéressé à
l'exploitation des redites muettes de la
matière, la démocratie ne pouvait
qu'enfanter son propre séraphisme
intellectuel et se mettre à l'écoute des
oracles angéliques du langage dont les
uns l'auréolaient de ses idéalités et
les autres des fourrages sacrés du mythe
de la Liberté.
Le prophétisable est rentable par
définition, de sorte que le succès
expérimental sans cesse ressassé
engendre en retour et nécessairement
dans l'inconscient scientifique de
l'animal la croyance en
l'intelligibilité en elle-même d'un
univers bipolarisé d'avance dans les
têtes. Si l'on approfondit la
spectrographie des relations
"angéliques" qui s'établissent entre les
intérêts vitaux que poursuit la "raison"
idéalisée et l'instinct de survie des
"autres animaux", comme disait Salluste,
on découvre que le scannage de
l'intelligence dite scientifique dans un
monde cru trimendionnel conduit à une
spéléologie de la solitude que les
théologies appelaient la "finitude". La
France redeviendra-t-elle le cœur de la
conscience rationnelle du monde?
Et
pourtant, il existe un chemin commun à
la conquête de la connaissance
rationnelle d'une espèce branchée sur le
prévisible et la conquête de la
connaissance anthropologique des
théologies; et puisque ces deux routes
du savoir conduisent au "sentiment
tragique de la vie" d'un José Ortega
y Gasset et à la réflexion
inconsciemment pré-anthropologique des
théologiens du néant, le rendez-vous de
l'Occident avec la tragédie grecque se
rapproche.
13 -
Un animal projectif
Vous
voyez, Madame le Ministre, que la France
de la pensée rationnelle de demain sera
celle d'un Ministère de la Culture
nécessairement responsable de la
contribution de la nation aux futures
conquêtes de la pensée mondiale, vous
voyez, Madame le Ministre, combien
l'Etat et la France d'aujourd'hui ont
besoin de mettre en place une cellule de
réflexion sur l'intelligence
simiohumaine actuelle, tellement seule
une histoire à visiter en spéléologue
nous éclairera sur les relations que les
nations entretiennent avec les mutations
progressives de l'encéphale de
l'humanité. Le concile de 1962 est
demeuré interne à l'Eglise catholique,
parce que les Etats laïcs ne se
jugeaient pas concernés par le
vieillissement ou la modernisation du
culte romain. En revanche, la France
démocratique est nécessairement devenue
l'actionnaire majoritaire du banco
titanesque auquel l'affrontement entre
un Occident au cerveau fatigué et un
islam ouvert à la pensée de demain
servira d'enjeu.
Mais il
ne s'agira pas d'une confrontation
stérile entre une foi chrétienne
vaporisée et majoritairement tombée dans
l'ignorance de son propre contenu
anthropo-théologique, d'une part, et
l'islam minoritaire des intégristes
français, d'autre part, mais d'une
chance philosophique féconde, pour
l'Europe entière, de décoder
l'inconscient religieux qui sous-tend la
"raison". Car l'islam de la pensée est
en marche; et l'examen psychobiologique
des religions sacrificielles - donc
revendicatrices du paiement tartuffique
d'un tribut de sang à la divinité de
l'endroit - ouvre un champ immense à une
interrogation commune à la science
historique, à la géopolitique et à
l'anthropologie philosophique. Le
prochain "concile de Chalcédoine" des
démocraties auto-idéalisées par la
tromperie de leur propre séraphisme
politique se demandera, comme celui de
451, ce qu'il en est des relations que
le cerveau humain actuel entretient avec
sa transcendance au monde dans un
univers oscillant entre ses meurtres et
ses concepts auto-angélisés. Notre
espèce est projective de sa
perfection rêvée depuis qu'elle se
croit observée de haut et de loin par un
animal à son "image et ressemblance".
Descartes disait : "Je pense, donc je
suis". A la semaine prochaine la
suite d'une si modeste interrogation sur
la question de savoir qui je suis quand
je pense.
Le 23 février 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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