1 -
Les Bernardin de Saint Pierre de la
politique internationale
A tenir pour
acquis que l'année politique s'achèverait en juillet, des
commentateurs pourtant renommés de la politique internationale
ont tenté de romancer la dernière giration de notre astéroïde et
de tout son chargement autour du soleil; et ils ont estimé que
cinq tropismes principaux leur permettaient de caractériser à
coup sûr les dernières cargaisons de Clio.
Selon ces fabulistes, primo, l'Allemagne aurait tout
subitement retrouvé son rang de grande puissance et ne s'en
laisserait désormais conter ni par les Etats-Unis, ni par la
France, ni par le reste de l'Europe; secundo, la Russie
inaugurerait non moins soudainement une idylle avec les
Etats-Unis; tertio, une Europe de roman rose inaugurerait
sans plus attendre une économie équitablement répartie;
quarto, la Chine serait effrayée par l'ascension de la masse
de ses travailleurs, qui la mettrait tout à coup sous la
tragique menace de revendications salariales désastreuses pour
ses exportations de produits à bas prix dans le monde entier;
quinto, les muscles des démocraties bucoliques auraient
grossi au cours de la nuit au point qu'une gouvernance désormais
spartiate du capitalisme mondial débarquerait dès potron minet.
Ce résumé de la
course béatifique de Paul et Virginie sur l'écliptique appelle
quelques réflexions à défaut desquelles l'anthropologie critique
manquerait du microscope d'une insectologie, tellement le recul
dont la science historique post-darwinienne disposera à l'égard
des classes dirigeantes du globe terrestre exige un diagnostic
plus précis de l'état du malade que celui des Bernardin de Saint
Pierre de la politique.
2 - Le microscope
des insectologues
Primo, nous
dit la loupe des connaisseurs, il n'est pas exact que
l'Allemagne aurait retrouvé le statut et le rang des peuples
porteurs de la tiare des Etats souverains. Mme Merkel excelle à
mettre en scène les qualités d'une ménagère économe et
disciplinée. Eduquée sévèrement en Prusse, cette fille d'un
pasteur charitable possède toutes les qualités des combattants
dont Frédéric-Guillaume avait automatisé les mouvements avant
tout le monde - la formation du soldat par la décomposition
méthodique des gestes du tireur était une innovation pédagogique
tellement révolutionnaire que, deux siècles plus tard, le
travail à la chaîne ne fera que l'appliquer à la mécanisation
chaplinesque de la main d'œuvre industrielle mondiale.
Mais un Etat de
quatre-vingt sept millions d'habitants n'est pas souverain si,
soixante cinq ans après sa défaite, son gouvernement et sa
population n'ont pas de bésicles sur le nez pour apercevoir les
deux cents bases militaires dont son vainqueur a fait de gentils
jardinets sur son territoire. Mme Thatcher n'était pas moins
confiturière que Mme Merkel, mais l'énergie avec laquelle elle a
imposé la guerre des Malouines à son pays endormi démontre
qu'elle portait le casque trans-culinaire des vrais Etats.
Le 20 novembre,
le Président Obama assistera au sommet européen de Lisbonne.
Avant vingt ans, les historiens de l'Europe de la honte
raconteront aux enfants des écoles que, pendant un siècle, la
civilisation de la raison aura reçu avec de grandes marques de
déférence le Président d'un pays dont les armées occupaient son
territoire et qu'en 2010, les Etats-Unis avaient achevé de
transformer l'Italie en porte-avions de l'empire par l'extension
de leurs bases de Vicenza et de Pise ; et que deux spectres, M.
Van Rompuy et M. Barroso, présidaient aux destinées du Vieux
Monde, l'un, un Belge dont le pays servait de quartier général
aux troupes d'occupation du vainqueur de 1945, l'autre, un
Portugais que la Maison Blanche avait porté à la tête de la
Commission de Bruxelles.
3 - Secundo,
tertio, quarto et quinto
Secundo, le
rapprochement faussement sentimental entre la Russie et les
Etats-Unis n'est qu'un marché de dupes, parce que toute alliance
de longue haleine entre une puissance moyenne et un grand empire
est un vaudeville qui ne fait jamais que masquer un instant la
subordination tragique ou ridicule du faible au fort. D'où il
résulte que l'intérêt bien compris et à long terme de la Russie
n'est pas d'occuper à titre provisoire un siège aimablement
accordé ou négligemment concédé par un maître, mais de
collaborer résolument avec les nations en ascension continue sur
la planète et de forger le monde de demain à leurs côtés.
Tertio, l'Europe des floralies et des léthargies de la
démocratie est trop corrompue pour forger sur l'enclume de
l'histoire une politique économique au marteau. On sait, depuis
l'Essai sur les mœurs des Germains de Tacite, que
notre continent se présente en ordre de marche au nord du Rhin
et qu'au sud de ce fleuve, l'art de vivre des peuples latins
favorise ou encourage les Lettres et des Arts. Quarto, la
Chine ne se trouve nullement en péril de mort, bien au
contraire, elle entre la tête haute dans la seconde étape de son
industrialisation intensive, qui la dotera du poids économique
proportionné à son immense population. Déjà, elle innove dans
des inventions ferroviaires en avance sur celles de l'Europe,
déjà elle rivalise avec Boeing et Airbus. Quinto, il est
inexact qu'un dirigisme à la main de fer aurait forcé la porte
de l'économie mondiale.
Karl Marx avait
tenté d'anéantir le cambriolage capitaliste, qui remonte à l'âge
de pierre et qui avait conduit le XIX e siècle à réduire les
masses au rang d'esclaves maigrement salariés. Mais à la suite
du renversement d'une certaine muraille à Berlin en 1989, il a
été démontré que l'astucieuse évangélisation de la jungle met
sur la paille les voleurs à leur tour, parce que, sitôt libéré
de toute entrave apostolique par l'illusion d'une victoire
définitive sur l'utopie, ce culte de prédateurs se rend plus
vorace que jamais, ce qui conduit à une anarchie où la pauvreté
de la mappemonde finit par ruiner les rois Midas . Tombé par
effraction entre les mains de Crésus, l'argent des banques se
précipite en bataillons serrés dans des opérations casse-cou.
Des calculatrices ultra rapides permettent aux spéculateurs
internationaux d'anticiper les crues du Pactole, tandis que la
production économique se délocalise vers des contrées
sous-développées où le prix de la main-d'œuvre aurait fait rêver
les rois de la finance du XIX siècle.
Puis
l'appauvrissement des classes moyennes et des prolétariats qui
résulte logiquement de ce système de vases communicants à
l'échelle du globe terrestre conduit bientôt à un chômage de
masse tellement exponentiel qu'il ne permet au capitalisme de
survivre que par des engrangements instantanés, mais désespérés
de bénéfices artificiels, notamment par le canal d'une
hypertrophie administrative qui métamorphose la bureaucratie
moderne en soupape de sûreté sans avenir d'une production vouée
à passer de la pléthore à l'asphyxie: seules des armées de
fonctionnaires fainéants permettent encore aux Etats de disposer
d'une masse de consommateurs protégés par leur inamovibilité
statutaire. Mais un régime économique miraculé de la sorte
glisse des euphories de la sottise dans la fiction byzantine
s'il s'imagine que des relations faussement providentielles
entre le travail et le capital conduisent au salut par la
candeur.
4 - Le nouveau
capitalisme
Comment conduire
la course d'un capitalisme acéphale vers un progrès de la pensée
logique auprès duquel celui de Karl Marx fera pâle figure, alors
que la bataille économique obéit désormais aux règles d'une
guerre impitoyable au profit des techniques dominantes - donc au
bénéfice d'inventions dictatoriales - si le conflit sans fin
entre des cerveaux souverains se trouve entre les mains de
quelques Etats seulement ? Car il faut à ces derniers se montrer
suffisamment instruits, étendus et peuplés pour financer à très
haut prix des exploits cérébraux aléatoires. Depuis longtemps,
la science a été retirée des mains des inventeurs solitaires du
XIXe siècle pour se rendre collective à grands frais et souvent
à fonds perdus. Mais distribuer des bénéfices titanesques d'un
type aussi inédit présente des difficultés de trésorerie dont le
passé n'offre aucun exemple, puisque les grandes entreprises
obéissent désormais à la vocation connaturelle au gigantisme qui
leur est imposé - sinon, comment résisteraient-ils à une
concurrence intercontinentale qui ne se combat qu'à la force du
poignet?
Du coup, la
séparation entre un monde de la production industrielle
autrefois protégée des bévues imprévisibles du destin et une
planète soumise aux flottements de la consommation de masse
obéit à des paramètres de la fatalité que les trois premiers
siècles de l'ère industrielle ignoraient. Aussi le capitalisme
aléatoire d'aujourd'hui se scinde-t-il entre une bulle
tumultueuse et séparée du monde du travail, d'une part, et des
populations à la fois tempétueuse et désespérées, désœuvrées et
laissées pour compte, d'autre part.
Mais la scission
dangereuse entre une fausse autonomie économique et une mer des
Sargasses se révèle bientôt fantasmagorique de surcroît, parce
que le volet bureaucratique du consumérisme international ne
nourrira que momentanément l'illusion selon laquelle le
capitalisme moderne serait plus viable que celui du XIXe siècle.
Dans le même temps, toutes les solutions vaporeuses ayant
trépassé dans l'évangélisme politique, il faudra acquérir une
science des arcanes psychogénétiques qui pilotent un genre
simiohumain auto-messianisé à titre factice. Faute de conquérir
une connaissance abyssale des ressorts et des engrenages d'une
espèce à la fois prédatrice et apostolique, non seulement nous
ne poserons jamais les prémisses féroces du problème, mais nous
demeurerons incapables de formuler les termes des équations
voraces à résoudre.
Dans un contexte
aussi carnassier, l'onirisme originel dont souffrent les
analyses eschatologiques, messianiques et caritatives
d'autrefois ne fait que brouiller les pistes encore plus,
puisqu'il faudrait commencer par se risquer à formuler des
règles du jeu cruelles à plaisir. Car si la pensée logique est
un fauve qu'on ne tient pas longtemps en laisse, encore faut-il
observer l'échiquier sauvage sur lequel elle déplace ses crocs
et les victimes qu'elle tente d'y dévorer.
5 - De la putréfaction des démocraties
Voici, pour
seulement commencer l'examen du système la loupe à l'œil, les
circonstances dramatiques qui ont permis à une anthropologie
critique encore dans l'enfance de faire du moins débarquer un
scannage relativement déstabilisateur des classes dirigeantes
mondiales dans la science historique traditionnelle.
La France se
trouvait alors dirigée par un certain Nicolas Sarkozy, lequel
s'était hissé à la présidence de la République avec la
complicité d'une presse qu'il avait circonvenue ou caressée avec
suffisamment d'adresse pour se gagner un instant son concours
tacite ou ouvertement bienveillant. Mais un chef d'Etat qui ne
voit pas dans quelle direction court le monde ressemble à un
astronome qui ignorerait dans quel sens la terre tourne sur son
axe.
Le premier
candidat sioniste de la France avait recouru à des méthodes de
séduction de type publicitaire forgées depuis peu et sur un
modèle tout provisoire par l'univers audiovisuel encore
inexpérimenté de l'époque, qui faisait seulement ses premières
armes vers la démocratie étêtée du XXIe siècle. De plus, ce
démagogue-né avait réussi à mettre à son service le parti qui
avait servi d'instrument électoral à son prédécesseur. Mais, en
réaliste au petit pied, il s'était convaincu trop tôt que les
démocraties traditionnelles étaient trépassées: jamais plus,
disait-il, le pouvoir politique ne serait coulé dans un moule
idéologique qui avait fait son temps dès lors que la scission du
suffrage des masses entre une classe dirigeante d'évangélistes
de la démocratie et une oligarchie de possédants était périmée
et que les moyens de communication modernes renvoyaient les
foules au rang d'un matériau à pétrir au gré de leurs nouveaux
maîtres. De même que l'Eglise du Moyen Age contrôlait heure par
heure la vie quotidienne des fidèles réduits à la passivité, de
même les techniques nouvelles retrouvaient le pouvoir des
clergés d'autrefois de rendre maniables les populations.
6 - D'une piste à
l'autre
M. Nicolas
Sarkozy s'était hâté d'acheter de nombreux hommes politiques du
parti adverse, lesquels, dans un premier temps, avaient tous
paru confirmer sur le champ la justesse de ses vues: car aucun
n'avait hésité un instant à troquer ses convictions doctrinales
pour un maroquin dans un gouvernement de demi bourgeois, de
profiteurs et de malfrats. Mais cette démonstration, pour
spectaculaire qu'elle eut été, s'était trop déroulée comme
l'éclair pour ne pas se révéler fragile et trompeuse.
Certes,
l'effondrement, en 1989, de la doctrine de l'abolition éternelle
de la propriété privée avait retiré leur principale arme vocale
et de prestige aux rêveurs d'une politique planétaire de la
justice sociale; certes, les nectars de l'Eden ne remplissaient
plus à ras bords les amphores de l'espérance, certes encore,
l'ambroisie de la foi avait tourné à l'aigre sur la terre. Mais
les régiments de praticiens tout neufs de la politique ne se
changent pas avec suffisamment de célérité en légions
chevronnées de gourmands et de corrompus du pouvoir, tellement
le lent naufrage des songes aux uniformes bien boutonnés du
passé ne prive pas les peuples et les nations des apôtres
anciens et expérimentés d'une liberté et d'une justice censées
descendues du ciel sur la terre.
Du coup, des
ministres à repaître au jour le jour, mais demeurés des
néophytes de la politique sur le long terme,ont commencé de
dilapider les fonds publics sans compter et à la petite semaine,
en apprentis et en enfants de chœur du pourrissement des Etats
par la tête; et leur prodigalité aveugle a permis aux
missionnaires anciens des idéalités de 1789 de faire consommer à
nouveaux frais le vieux picotin patriotique et démocratique de
la France, ce qui a fait souffler un instant sur leurs intérêts
de carrière demeurés tout piaffants, mais dans l'ombre, la brise
de leur vertu républicaine retrouvée. De plus, M. Sarkozy avait
bientôt dû rassembler derechef son parti sous sa bannière de
souverain d'une faction de passage, parce que la République des
caresses idéologiques faisait eau de toutes parts.
7- De l'échec de la
dissolution des idéologies
Le contexte
international citait toutes les classes dirigeantes de la
planète à comparaître devant un tribunal de Nuremberg des
peuples démocratiques. La magistrature suprême qu'exerçait la
morale de l'humanité avait été mise entre les mains d'un nouveau
président du tribunal, l'opinion publique mondiale. Alors que la
démocratie avait fait passer les peuples du statut de sujets à
celui d'interlocuteurs de l'Etat, M. Nicolas Sarkozy avait élevé
le CRIF au rang d'interlocuteur intérieur de la France au prix
d'un salut solennellement apprêté aux vertus censées
patriotiques dont cet organisme étranger ferait preuve.
Dans un tel
naufrage de la République, on ne pouvait plus lutter contre la
corruption démocratique par la promulgation de centaines de lois
qui auraient interdit aux ministres de s'acheter de coûteux
cigares de la Havane , de voyager en jets privés, de vendre à
bas prix des terres de l'Etat à leurs amis, de mettre leurs
épouses au service des plus grandes fortunes du pays, de remplir
les caisses du parti au pouvoir de dons reconnaissants des
riches soustraits à l'impôt par la grâce du prince, de réduire
le train de vie et le parc automobile des macrophages de l'Etat
ou de sous-louer leur appartement de fonction - l'assainissement
général d'une classe dirigeante n'est jamais l'œuvre du
législateur, mais du moraliste. Il fallait donner l'illusion
d'avoir retrouvé les vertus républicaines par miracle, il
fallait paraître régénérer précipitamment l'esprit civique au
sein des organes mêmes du pouvoir. Mais comment y procéder avec
l'appui frelaté des banques et de la haute finance? Tout cela
était, en outre, incompatible avec le feint assoupissement des
idéologies du passé; mais, dans le même temps, l'échec commun à
une stratégie de la dissolution des partis à une résurrection de
l'esprit civique faisait enfin débarquer sur le devant de la
scène la question anthropologique et philosophique de la
psychophysiologie des classes dirigeantes du monde entier.
8 - Les tyrannies
purificatrices
Certes, un court
instant, et pour la première fois depuis le second empire, le
séraphisme démocratique avait paru retrouver le souffle de la
purification jacobine; certes, pour la première fois également,
l'ascèse vertueuse semblait renaître de ses cendres; certes,
pour la première fois, en outre, l'alliance d'une démocratie de
l'espérance politique avec la frugalité et la simplicité d'un
Robespierre qui n'aurait pas souillé les idéaux de la République
du sang de la guillotine retrouvaient, le temps d'un clignement
de paupières, des couleurs rassurantes dans une vie publique en
lambeaux. Mais quel spectacle sans remède que celui d'un Etat
corrompu jusqu'à l'os - en province, la décentralisation
administrative avait replacé les régions sous la férule des
féodalités locales et l' appareil judiciaire se trouvait plus
que jamais entre les mains d'une République de notables - quel
spectacle de fin du monde que celui d'une France rendue exsangue
par les ambitions mercantiles et à courte vue des hommes
d'affaires, quel spectacle que celui de l'impuissance des masses
populaires à remonter sur le front messianique de 1789, quel
spectacle que celui de la chute des idéaux de la raison et de la
science dans l'avortement d'une gauche intellectuellement
épuisée et d'une nation contrainte au sauve-qui-peut cérébral!
Aussi le souvenir des hauteurs d'autrefois envahissait-il
quelques têtes. Qui s'était écrié sous la Terreur: "Une
nation n'a pas accompli sa tâche véritable quand elle a renvoyé
les tyrans et chassé les esclaves. Ainsi faisaient les Romains.
Mais votre œuvre à vous, c'est de fonder sur la terre l'empire
inébranlable de la justice et de la vérité?" Robespierre.
Qui avait dit: "Les Révolutions qui, jusqu'à ce jour ont
changé la face des empires n'ont eu pour objet qu'un changement
de dynastie ou le passage du pouvoir d'un seul à l'autorité de
plusieurs. La Révolution française est la première qui ait été
fondée sur la théorie des droits de l'humanité et sur les
principes de la justice"? Encore Robespierre.
Décidément, la
démocratie planétaire retrouvait le cœur saignant de l'histoire
du monde. Qu'en était-il d'un culte universel de la liberté et
de la justice, dès lors que non seulement les classes
dirigeantes de la terre entière demeuraient les bras croisés au
spectacle du blocus d'une ville de quinze cent mille habitants,
mais que le pourrissement de la République sur la scène
intérieure rappelait le dernier siècle de la République romaine,
où la tyrannie avait paru purificatrice aux yeux de tous les
citoyens. Loin de refuser l'empire, les provinces en avaient
salué l'avènement avec un enthousiasme patriotique unanime,
tellement elles en étaient venues à y voir la fin de leur misère
et le commencement de leur prospérité. Combien de cités avaient
élevé des autels et construit des temples en l'honneur de
Tibère, de Claude et des plus sanglants empereurs, parce que
tout valait mieux, à leurs yeux, que le brigandage organisé du
dernier siècle de la République ! On se méfiait du Sénat, on
connaissait la rivalité des chefs de la démocratie, l'arbitraire
des magistrats, l'impuissance des lois que défaisaient la
prévarication et l'argent.
9 - Le courage de poser la question
Mais l'ultime débâcle dans les faux-fuyants, les subterfuges et
les chevrotements d'une démocratie aux cheveux blancs faisait
également couler l' eau fraîche d'une nouvelle fontaine d'Aréthuse.
Les sciences humaines asthéniques de l'époque commençaient de
rêver d'une anthropologie moins cacochyme que celle du siècle
précédent et qui se voulait sainement ambitieuse de capter la
source jaillissante de l'histoire et de la politique. Quelle
était la question de fond que les Etats refusaient de se poser
depuis deux millénaires? Celle de savoir ce qu'il en était des
apories psychogénétiques auxquelles l'encéphale schizoïde des
éclopés de la zoologie se trouve livré de naissance, celle de
savoir quels types de classes dirigeantes vigoureuses ou séniles
une espèce scindée entre le réel et le songe se trouve
contrainte de placer à sa tête, celle de savoir pourquoi les
manchots de la terre et les infirmes du ciel font une espèce
ingouvernable par nature et par définition, comment leur
encéphale biphasé les fait osciller d'une contradiction à
l'autre, pourquoi le basculement perpétuel de leurs chromosomes
de la tyrannie à la décomposition illustre le génie prémonitoire
d'un Kafka, qui, le premier a mis en scène une allégorie de la
bancalité politique de la condition simiohumaine: la nouvelle
qu'il avait baptisée, par métaphore, La Colonie
pénitentiaire n'était-elle pas une illustration de
l'encéphale bipolaire du simianthrope ? Mais comment recueillir
une telle science dans les jarres d'une raison dégénérée?
En vérité
l'avenir tant des sciences humaines et que de celles de la
nature a toujours dépendu de circonstances favorables à leur
éclosion, puis à leur fécondation. La psychanalyse était issue
de la découverte ahurissante des névroses et la découverte des
névroses de la fin d'une littérature romantique née de l'échec
de l'épopée napoléonienne, la physique à quatre dimensions était
née des défis stupéfiants que la course de la lumière lançait
soudainement à la vieille géométrie d'Euclide, l'astronomie
copernicienne était né du naufrage de la science biblique dans
la logique de l'héliocentrisme, l'anthropologie critique était
née de l'ébahissement de ce que les questions logiquement
imposées à la postérité de Darwin par la science de l'évolution
ne fussent même pas soulevées. On s'interrogeait enfin sur les
motivations cachées qui avaient interdit à des sciences humaines
prétendument expérimentales d'en radiographier les méthodes à la
lumière du type de raison dont elles se réclamaient.
10 - Le vrai
théâtre du monde
Naturellement, M. Nicolas Sarkozy était inconscient de la place
que l'histoire de la pensée mondiale allait faire occuper à sa
médiocrité aux yeux de Clio. Il ignorait qu'il avait ouvert sans
le vouloir et sans seulement s'en douter une brèche immense dans
la connaissance historique et que le torrent des interrogations
demeurées longtemps souterraines et sans réponse allait
s'engouffrer de force et à son corps défendant dans les sciences
dites humaines. Car l'époque allait se trouver
intellectuellement fécondée sous le sceptre de l'agonie des
trois monothéismes causalistes hérités de l'antiquité. Est-il
heuristique, commençait-on de se demander au grand jour,
d'apprendre si l'homme raisonne seulement sur le modèle d'un
animal quelque peu perfectionné, si notre espèce est en mesure
de distinguer à ciel ouvert le réel du symbolique, si elle sait
ce que signifient à chaque époque les verbes penser et
comprendre - ce sont les plus fatigués du monde - alors que
les relations usées que les faits sont censés entretenir à titre
rationnel avec leur sens sont construites dans l'ombre et de
main d'homme et qu'une subjectivité inconsciente d'elle-même
sous le soleil se cache sous une signalétique convenue - celle
que les preuves que nous qualifions d'expérimentales sont
réputées mettre en place sous l'empire de notre logique. La
docilité de l'univers vient-elle remplir de la manne de ses
signifiants à elle les cases que notre encéphale causaliste leur
réserverait en sous-main et a priori?
Si les "signaux objectifs" que notre "raison" à trois dimensions
est réputée nous adresser ne sont jamais que les fruits des
prévarications de type euclidien auxquelles se livrent nos
mathématiques à trois dimensions avec les comportements
constants de la matière cosmique, il est temps d'ouvrir en ce
bas monde une deuxième boîte de Pandore de la logique , celle
qui rendrait compte de la corruption de notre vie politique.
Quel sens codé donnerons-nous au pourrissement généralisé des
Républiques, dans quel réseau de signifiants enserrerons-nous
nos démocraties, quels signaux nouveaux de l'humanité
ferons-nous monter sur les planches de l'Histoire si nous
n'apprenons à suivre le déroulement de la pièce sur une autre
scène que celle évoquée plus haut en cinq points et qui nous a
conduits à un scénario faussement angélique? Regardons enfin en
face les apories que révèlera nécessairement et en bonne logique
une anthropologie enfin résolument rationnelle, donc critique
par définition, osons donner aux sciences humaines l'ambition
d'observer au microscope les divers types de classes dirigeantes
que sécrète une espèce de dangereux éclopés de la zoologie. Et
d'abord, pourquoi le simianthrope se construit-il sur deux
modèles d'encéphales - l'onirique et le pragmatique?
Nous essaierons
de le comprendre le 29 août.
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