Les défis de l'Europe
Dernières
nouvelles de la nef des fous
Le ballet des catastrophes
Manuel de
Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 20 avril
2013 Au bal masqué des
nations, les orages qui vont déchirer
les dernières voilures et briser le
grand mât de Clio annoncent le naufrage
imminent de la nef des fous qu'on
appelle l'histoire. Cinq étapes de cette
ultime tempête illustreront la force des
vents : l'effondrement des institutions
de la Ve République, la débâcle du bon
sens, la production artificiellement
coûteuse de l'énergie électrique, la
chute de la civilisation européenne dans
les décombres de son ultime utopie,
l'explosion du tonneau de poudre du
capitalisme mondial et l'engloutissement
des démocraties semi pensantes dans le
gouffre du messianisme et de la
sotériologie israéliens.
I -
L'effondrement de la Ve République
A - Les
capitaines au long cours et les
caboteurs
A l'instar de la IIIe République, la IV
était décédée d'une maladie mentale
connue depuis Périclès, celle de la
chute des démocraties dans la cécité
sans remède des classes dirigeantes
triées à l'école d'un suffrage populaire
sous-informé. Le champ de vision dont
dispose ce type d'élite politique ne
saurait dépasser l'horizon national.
Aussi le Général de Gaulle et André
Malraux avaient-ils vainement tenté de
tracer la ligne de flottaison d'une
République qu'ils rêvaient de rendre
relativement pensante. Il suffisait,
pensaient-ils, de confier le gouvernail
de ce genre d'Etats à un capitaine
habile à éviter les cabotages municipaux
et le patrouillage au ras des côtes.
Mais comment dénicher un explorateur des
abîmes si le mode de sélection des
pilotes exclut les choix pertinents?
Comme on demandait au Général quel vide
s'étendrait sous les yeux de tout le
monde sitôt qu' il aurait quitté la
barre, il avait répondu laconiquement
que ce ne serait pas le vide, mais le
trop-plein.
B - On cherche la
charrue de Cincinnatus
Mais ce capitaine au long cours n'avait
prévu ni la soudaineté de l'irruption
dans la coque des flots déchaînés, ni la
largeur de la brèche, ni le grouillement
des vigies inexpertes qui envahiraient
le pont. Effarée par le spectacle du
désastre, la démocratie de village avait
embarqué à bord une foule de conseillers
municipaux plus dépassés par les
évènements que jamais. Pendant un
demi-siècle, la Ve République avait joué
les Athènes de façade, mais le sceptre
du pouvoir législatif censé représenter
la souveraineté du peuple était tombé
entre les mains d'un parti censé
omniscient et qui avait progressivement
réduit les députés au rang de spectres
et de fantômes de la nation de 1789.
Les nains les plus ambitieux et les plus
ardents à s'asseoir sur le trône d'une
République des Pygmées ont bien vite
compris qu'il leur suffisait de mettre
dans leur poche les médiocres alliés du
Président - c'est-à-dire la majorité
d'un troupeau docile aux volontés du roi
du moment - pour métamorphoser les élus
en moutons de Panurge. L'Etat semi
monarchique entraînait les bêlants à
l'assaut de la démocratie elle-même,
mais celle-ci n'était plus qu'une
forteresse privée de vrais défenseurs.
Puis, de nombreux
prétendants à la main de la Pénélope des
modernes qu'on persévèrerait à appeler
la démocratie ont occupé l'arène des
chefs de clan florissants et des meneurs
heureux. Mais ces Lilliputiens
plantaient leurs banderilles dans
l'échine d'un peuple proclamé souverain
par convention de langage. Du coup la
petite troupe des élus s'est divisée
entre divers gangs de ferrailleurs et de
maffieux dont chacun tentait de
s'asseoir sur les coussins du carrosse
qui le transporterait à la magistrature
sommitale.
Quant les flibustiers ambitieux eurent
commencé d'occuper les créneaux d'une
Assemblée nationale réduite à faire feu
à blanc sur ses propres membres, puis à
tirer à balles réelles sur une France
titubante, l'étripage démocratique
auquel le Général de Gaulle avait tenté
de porter un remède aussi olympien
qu'inefficace est réapparu au grand jour
d'une citoyenneté décérébrée; et il
s'est bientôt révélé inutile de remplir
de scalpels acérés la trousse des
chirurgiens de la République - la marée
déversait sur tous les rivages des
masses de cadavres d'électeurs péris en
haute mer. Alors les médicastres
auxquels Hippocrate avait cru enseigner
du moins les rudiments de la politique
se sont amassés dans les cales bondées
et autour des écoutilles.
Puis, quelques instants d'ensablement de
Clio ont suffi à faire oublier la
profondeur de l'abîme sur lequel
flottait le navire. Mais comment d'une
nation balancée par une trompeuse brise
de mer ferait-elle surgir des flots une
élite politique puissamment cuirassée? A
l'heure où un peuple se trouve vent
debout dans la tempête, comment imposer
à tout le monde la carrure d'un chef
d'Etat expert en ouragans? Et puis,
comment mettre ensuite à la retraite le
guerrier méritant? On cherchait en vain
le Cincinnatus qui se laisserait
docilement renvoyer à sa charrue après
six mois seulement d'une dictature
vertueuse. D'où la dissolution accélérée
de l'Etat gaullien d'un côté et, de
l'autre, la dislocation un peu plus
lente de la démocratie parlementaire.
Deux
cent soixante ans après la publication,
en 1753, du Discours sur
l'inégalité parmi les hommes, la
question de la stature des chefs d'Etat
quittait les rivages du bucolisme
politique pour débarquer à nouveau frais
dans l'histoire des tempêtes.
II - La débâcle de
la production d'électricité et "
l'animal rationale
"
En 2011, une épouvante planétaire avait
pris la relève de celle de Tchernobyl
trente ans auparavant: au Japon, l'atome
corseté dans de gigantesques réacteurs
avait brisé son enceinte d'acier et de
béton et menaçait de désintégrer le
globe terrestre. L'effroi était tel que
le genre humain songeait à retourner à
la production de l'électricité coûteuse
d'autrefois, qui exigeait la mise sous
pression de la vapeur d'eau dans
d'immenses cuves alimentées au charbon,
au pétrole, au gaz, aux marées, au vent
ou à la chaleur des rayons du soleil.
Alors un enfant de quinze ans avait levé
le doigt dans la classe et avait fait
remarquer fermement à son instituteur
que les locomotives d'autrefois
n'étaient que des cocottes-minutes
ambulantes et que l'énergie dégagée par
la vapeur d'eau artificiellement
emprisonnée et chauffée dans un
habitacle d'acier était d'une puissance
infiniment supérieure à celle que
dégageait le charbon destiné à porter
l'eau à ébullition. Il serait donc
raisonnable, disait-il, de demander au
réseau électrique existant ou à des
générateurs alimentés par une fraction
seulement de la puissance dégagée par la
vapeur comprimée de produire du courant
en circuit fermé. Bien plus,
ajoutait-il, avec une assurance
cartésienne, l'écart entre la puissance
exploitable de la vapeur ligotée, d'un
côté et, de l'autre, les calories
dégagées par le gaz, le pétrole ou le
charbon appelés à servir du combustible
hors de prix, cet écart, disait-il,
pouvait se trouver augmenté, puisqu'il
suffisait de renforcer la résistance des
parois des réservoirs à la fission pour
porter la puissance d'expansion de la
vapeur d'eau à la limite de compression
à partir de laquelle l'eau cesse de
bouillir.
Certes, l'énergie électrique produite ne
s'élevait qu'à 30% de celle de
l'ébullition de l'eau, alors que les
locomotives du XIXe siècle
transformaient l'intégralité de la
pression de la vapeur en force mécanique
et motrice. Mais ajoutait l'adolescent,
si, de toute évidence, la puissance
d'expansion dégagée par la vapeur
confinée ressortit aussi peu à la
physique de Joule que celle de la
puissance de dilatation fantastique de
l'eau gelée et si, par conséquent,
l'énergie dégagée dépasse infiniment
l'énergie consommée, un champ
d'expérimentation nouveau s'ouvrait aux
physiciens. Du reste, les Chinois
amélioraient l'isolation des réservoirs
et la rentabilité des turbines. Mais les
grands groupes de pression industriels
et politiques ont fermé les yeux et se
sont bouché les oreilles, tellement leur
souci n'était en rien de produire de
l'électricité à bas prix et de protéger
l'économie mondiale du coût exorbitant
de la production de courant, mais
seulement d'engranger d'immenses
bénéfices.
On sait que, sitôt divulguée sur notre
astéroïde, cette constatation a
contribué au "lancemen" de
l'anthropologie critique de l'Ecole de
Paris, qui démontrait en vain et depuis
des années que l'humanité appelle
intelligence le degré de déraison semi
animale auquel elle a accédé ; et,
depuis lors, les sciences humaines n'ont
cessé de progresser en direction de la
question centrale de savoir quels tests
il fallait imaginer pour démontrer que
les singes évolutifs sont demeurés des "
animaux pseudo rationnels .
III -
L'effondrement de l'Europe politique
La victoire à la Pyrrhus des lobes
cérébraux moyens de l'époque avait
gangrené les neurones du Vieux
Continent, mais, comme il est dit plus
haut, la carène ensablée avait permis à
une science nouvelle, l'anthropologie
critique de prendre son élan. On avait
commencé d'observer que le propre des
petits esprits est de se rendre plus
vaporeux que les encéphales solidement
construits, puis de grandir dans un air
artificiellement raréfié, et enfin de
s'auto-gigantifier dans un état
d'apesanteur apparent. C'est ainsi que
l'Europe supranationale des Bernardin de
Saint Pierre de la démocratie mondiale
s'est bien vite délitée en une
exposition de moutons de bergerie; et
comme la Grèce et la Suède, l'Italie et
l'Allemagne, l'Espagne et la Finlande ne
pouvaient ni marcher à l'unisson sous le
soleil, ni partager le même ameublement
cérébral, il s'est révélé impossible à
Voltaire de rendre compatibles entre
elles les boîtes osseuses des peuples
agenouillés devant leurs autels
respectifs et condamnés à demeurer
inintelligibles les uns aux autres.
Il est bientôt apparu au grand jour que
l'Europe demeurerait inapte à rassembler
ses provinces et que la politologie
officielle, donc superficielle qu'on
enseignait encore sans l'étiquette d'une
prétendue science dans les écoles et les
universités ignorait tout de la
psychobiologie qui fonde l'identité des
peuples et des nations. On s'imaginait,
par exemple, qu'une île pouvait
débarquer sur un continent avec armes et
bagages et partager le destin maritime
inscrit dans ses gènes avec des nations
arrimées de naissance à la terre ferme.
Mais Jules César s'était bien vite enfui
de l'Angleterre. Puis Agricola, le
beau-père de Tacite, puis Claude, puis
Domitien étaient allés chatouiller un
instant les habitants de la Grande
Bretagne à seule fin de s'assurer, au
retour, les triomphes faciles d'une
éloquence de harangueurs sur le forum.
Au XIe siècle, les troupes de Guillaume
le Conquérant étaient devenues anglaises
des pieds à la tête en moins de deux
générations. Puis Charles Quint,
Napoléon, Hitler s'étaient cassé les
dents sur des indigène construits sur un
autre modèle. Sitôt que l'Europe avait
vu l'eau entrer à flots dans sa coque
éventrée, l'Angleterre avait rappelé une
fois de plus à tout le monde qu'elle
était une île et qu'elle entendait le
rester, parce que les îles n'ont d'autre
cervelle, complexion et musculature que
celles dont la mer ceinture l'autonomie,
l'isolement et la fierté.
Pourquoi ni les analyses
pré-anthropologiques d'Hippolyte Taine,
ni celles du comte de Keyserling
n'ont-elles été prises au sérieux par
une Europe vouée à la superficialité de
ses sciences humaines, sinon parce que
les démocraties se laissent désosser par
l'abstrait qui leur avait donné leur
essor.
IV - L'explosion
du capitalisme mondial
Le diagnostic évangélisateur de Karl
Marx était exact, mais le remède
ressortissait à la rêverie
parathéologique: depuis la construction
dans les airs de la cité idéale de
Platon, l'utopie politique illustrait la
tournure d'esprit séraphique
qu'empruntaient fatalement les trois
principaux mythes de la délivrance et du
salut attelés, depuis deux millénaires,
à la tâche de hisser l'histoire dans les
plus hautes régions de l'atmosphère.
Mais, cette fois-ci, le désastre s'était
inscrit dans la logique interne qui
commande l'histoire angélisée de
l'humanité.
Certes
on s'était mis en devoir d'afficher
toute la rigueur d'esprit dont
témoignent les démonstrations de la
géométrie d'Euclide. Mais il était
évident, primo que si un
machinisme d'automates étendait sa
mécanique à la planète tout entière,
secundo, que si l'expansion sans
frein de la production sur ressorts des
biens de consommation courante ne
rencontrait plus d'entraves en raison de
la rapidité des transports et de la
suppression des frontières et des
douanes, tertio, que si le coût
du travail demeurait inégal d'un
continent à l'autre, quarto, que
si les uns entendaient exporter des
marchandises à vil prix et les autres en
produire d'invendables par définition,
on verrait le chômage ronger de
l'intérieur l'économie des pays riches
et les conduire à un effondrement
accéléré.
Alors, les industriels, ces rapaces que
Balzac appelait des loups cerviers,
n'hésiteraient pas à rentabiliser leur
production à l'école des Tamerlan du
monde moderne; et ils vous
transporteraient en toute hâte leur
outillage tant mécanique qu'humain vers
les contrées lointaines et grandes
ouvertes à leur avidité. Alors, la
pauvreté prendrait un visage nouveau sur
toute la mappemonde, puisque le globe
terrestre se rendrait plus acéphale que
jamais pour la seule gloire des empires
en ascension d'un côté et pour la seule
débâcle des Crésus de l'autre; et la
misère ravagerait les économies
coûteuses au profit des terres où
suaient des esclaves.
Jamais la logique des géomètres n'avait
connu de si beaux syllogismes sur les
planches d'un théâtre aussi vaste,
jamais des raisonnements plus
impeccables n'avaient rencontré des
abscisses et des ordonnées plus sûres de
la trajectoire de leur dialectique sur
tout le globe terrestre.
V - La démocratie
de Tartuffe
Le glaive forge-t-il la loi sur
l'enclume de l'histoire ou la loi
fait-elle plier l'acier des épées? Pour
l'apprendre, observons la cinquième
catastrophe qui a englouti la nef des
fous de l'époque et qui est résultée de
la conservation dans le formol des
idéalités de la démocratie. Jusqu'alors,
les guerriers changeaient leurs
conquêtes en fleurons de la mémoire du
monde, tandis que les vaincus
moisissaient dans la honte de leur
gloire perdue. Mais à la suite des
carnages planétaires de 1914 à 1918,
puis de 1940 à 1945, les Etats-Unis
avaient pris, dans le monde entier, la
tête des démocraties artificielles et
assuré la domination du sceptre
planétaire de la liberté; et l'on avait
vu le droit international quitter sa
condition piteuse de bagnard de
l'histoire universelle pour brandir le
mythe de la légitimité de sa tiare au
seul profit d'un empire étranger.
Du coup, l'histoire de la planète
s'était soudainement chapeautée du
diadème de la loi et de la morale censés
guider un astéroïde réputé au service
d'une justice universelle. Mais, dans le
même temps, il aurait fallu préciser le
statut d'un peuple flottant dans le
néant, alors que la population
palestinienne demeurait privée d' Etat,
parce qu'Israël n'avait pas seulement
fait main basse sur ses terres, mais
ficelé et bâillonné l'Amérique tout
entière; et le géant d'outre-Atlantique
s'était trouvé scindé entre deux songes
de l'humanité incompatibles entre eux,
celui du Gulliver garroté de la
démocratie et celui d'un empire armé
jusqu'aux dents. Comment feindre de
combattre la colonisation sur toute la
terre et, dans le même temps, légitimer
les conquêtes d'Israël au Moyen Orient?
La démocratie mondiale avait enfanté son
pendant: un Tartuffe planétaire lui
servait de sosie.
VI - Le naufrage
de la conscience morale
Néanmoins, le 29 novembre 2012, le
malheureux peuple nazaréen porté par la
civilisation de la Liberté, de la
Justice et du Droit sur un brancard
avait été déposé tout saignant dans
l'enceinte de l'Assemblée des Nations
Unies, afin qu'un mode de conservation
dans l'alcool fût réservé à l'agonisant:
le mourant sur sa civière serait
expressément qualifié d'Etat réel, lui
disait-on, mais son acte de baptême ne
figurerait pas sur le registre des Etats
vivants et respirants, le demi-trépassé
serait proclamé un Etat souverain, lui
disait-on, mais on l'éborgnerait au
préalable, il serait pleinement reconnu
pour un Etat en droit international, lui
disait-on, mais l'oeil qu'on lui
laisserait demeurerait mi-clos, on le
saluerait comme un Etat en chair et en
os, lui disait-on, mais on légitimerait
son occupation par des troupes
étrangères en rangs de plus en plus
serrés, il serait libre, lui disait-on,
mais on le laisserait crier dans le
désert.
Du coup, la coque du navire qui, depuis
1945 était censé fonder l'ordre mondial
sur le triomphe d'une conscience morale
bénie par le ciel et d'un droit
international environné de fauves
rugissants, donc sur une victoire
colossale du Beau, du Juste et du Bien
sur les animaux sauvages, a subi une
éventration plus béante que les
précédentes; et l'Eden des barbares de
la Démocratie a vogué avec une brèche si
grande ouverte dans sa carène que le
paradis juridico-politique qui avait
paru s'installer un instant sur l'astre
des carnassiers a commencé d'engloutir
sous les flots le Titan de 1945 et de
délégitimer son jardin des Hespérides
sur toute la terre habitée.
-
Obama assis
entre deux selles - La raison
prophétique et la raison pratique
,
13 avril 20133span>
CCertes, on avait vu les diplomates de
cent trente huit Etats sur cent
quatre-vingt treize tomber dans les bras
les uns des autres à l' annonce que la
Palestine avait été retirée du tombeau
et conviée à entrer dans son éternité;
mais à quoi bon conquérir la
demi-légitimation d'une nation qu'on
maintiendrait en bas âge, comment passer
d'une croissance difficile à la
maturité?
VII - Le
débarquement de la pensée
Alors, une fois de plus, l'histoire de
la raison du monde a connu un
bouleversement copernicien de la
problématique qui régnait jusqu'alors
sur les ressorts et les rouages des
fuyards de la nuit animale; car si
l'Algérie, la Tunisie, le Liban, le
Cambodge ou le Vietnam français, ou bien
l'Egypte et l'Inde anglaises, ou bien le
Panama américain n'avaient pas connu de
quarantaine au purgatoire des peuples
privés de souveraineté - s'ils avaient
passé sans embûches du rang de colonies,
d'ethnies et de tribus muettes à celui
de nations - quel statut fallait-il
attribuer aux condamnés à passer par un
sas, celui des candidats bloqués
durablement dans une auberge à mi-chemin
entre leur mutisme et la place
pharaonique que le droit leur reconnaît
sur la scène internationale?/p>
C'était
la question de la légitimité des droits
politiques du genre humain lui-même et
sur toute la terre que soulevait la
léthargie locale d'un droit
international frappé de paralysie au
Moyen-Orient. Car Israël entendait
maintenant recouvrer les terres d'où les
Pompée, les Vespasien et les Titus
avaient fini par les chasser par la
force des armes, il y avait deux
millénaires de cela, parce que leurs
ancêtres avaient refusé aussi bien de
payer le tribut que les autres peuples
vaincus payaient rubis sur l'ongle à
l'occupant romain que d'adorer les
statues de bois , de pierre ou de fer
des dieux du vainqueur dans leur temple
- ils prétendaient que leur Zeus à eux,
un certain Jahvé, avait perdu bras et
jambes en cours de route, mais nullement
aux fins de se vaporiser dans
l'impuissance des décorporés, mais, tout
au contraire, afin de rendre redoutable
une musculature invisible. L'Ancien
Testament était devenu l'anneau de Gygès
d'un chef de tribu et d'un roi de la
guerre enfin soustraits à tous les
regards.
Mais si
les hommes scellent avec des cailloux,
des végétaux, des animaux et des statues
des alliances à la fois charnelles et
insaisissables, il fallait changer non
seulement le tableau de bord du sacré,
mais tout l'échiquier de l'imaginaire
dans l'histoire, afin de doter la
politologie mondiale de l'ossature
anthropologique d'une connaissance
abyssale des ressorts psychophysiques de
notre espèce; et il devenait cruellement
évident, primo, que les rescapés
des ténèbres sont des plantes appelées à
plonger leurs racines à une grande
profondeur dans le sol et, secundo,
que jamais la civilisation musulmane,
vieille de quatorze siècles, n'acceptera
qu'un peuple d'Allah fût réduit à une
horde errante et seulement de passage.
Du coup,
c'était le retard proprement
scientifique de la géopolitique moderne
qui devenait la cinquième catastrophe
dont j'ai rappelé la valse: il fallait
faire progresser la connaissance des
rouages d'une espèce de détoisonnés
rebelles à l'examen des arcanes visibles
et invisibles de leur séjour sur la
terre. Pour la première fois, la
politologie mondiale avait pris
rendez-vous avec une histoire de
l'intelligence. (La Bibliothèque
nationale annonce la numérisation par
ses soins, de mon Une Histoire de
l'intelligence, Fayard 1986 et
de quelques autres.)
C'est alors seulement qu'une
géopolitique bâtie sur une anthropologie
vaillante, donc enfin bâtie sur une
connaissance rationnelle de la
spécificité cérébrale des semi-évadés de
la zoologie a pu faire ses premiers pas
sous l'os frontal de la civilisation
européenne. Mais pour seulement tenter
de s'engager sur ce territoire jamais
défriché, il fallait unifier au
préalable les scissions encéphaliques
énumérées ci-dessus.
Ce que je tenterai d'expliciter le 27
avril.
Reçu de l'auteur
pour publication
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