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Opinion

L'Iran, l'islam et la géopolitique du sacré II
L'avenir philosophique commun de deux civilisations
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 18 septembre 2011

La visite de M. Erdogan en Egypte, en Tunisie et en Libye a été un grand succès diplomatique. La synergie entre Le Caire et Ankara esquisse un pilotage partagé de la Renaissance arabe. Mais il ne sera pas facile à la Turquie de légitimer a posteriori l'abandon de son soutien à la seconde flottille de la paix en échange de promesses évidemment fallacieuses d'Israël de présenter des "excuses" pour l'assassinat de neuf passagers du Mavi Marmara. De toutes façons, l'extrême droite du gouvernement de M. Benjamin Netanyahou ne lui laisse aucune marge de manœuvre. Il est donc fort ridicule de demander à Tel-Aviv des concessions protocolaires , puisqu'elles ne feraient que retarder l'heure fatale où Israël devra se résigner à mettre les vraies cartes sur la table - je rappelle que jamais l'existence même d'Israël ne deviendra légitimable aux yeux du droit international public et des principes de 1789. Le "choc des civilisations" se jouera sur ce terrain-là.

Dans ce contexte, la religion musulmane se situera au cœur du débat politique du seul fait que toute mythologie sacrée ne demeure crédible qu'aussi longtemps qu'elle explicite sa vraie nature, celle d'un traité des fondements politiques de l'humanité, donc comme une clé de l'histoire du monde: s'il n'est pas de l'ordre politique de préciser les origines, la nature et les attributs d'un chef mythique du cosmos et du globe terrestre, alors je veux être pendu. En revanche, les contours d'un dialogue sur les hauteurs entre une démocratie française potentiellement cogitante et l'islam pensant de demain se précisent sous nos yeux du seul fait que la philosophie occidentale est devenue une infirme et que si les civilisations ne se fécondaient pas en altitude, tout dialogue entre elles en serait frappé d'avance de stérilité, parce qu'on n'enfante rien de sommital entre des interlocuteurs inégaux.

Comme dans le texte précédent, j'ai essayé d'expliquer ce que l'Occident potentiel aura de vivant à apprendre d'un islam en devenir.

Voir : - L'Iran, l'islam et la géopolitique du sacré 1 , 11 septembre 2011


1 - Le divertissement pascalien
2 - " Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas " (Malraux)
3 - L'avenir spirituel de la laïcité
4 - Les fondements trans-religieux de la démocratie
5 - Le mythe de l'incarnation et l'anthropologie politique
6 - Comment fonder le démocratie sur une "théologie" de l'incarnation des peuples de la Liberté?
7 - Le chaos théologique anglais et la raison politique française
8 - Un Dieu des enfants
9 - Demain, l'islam et nous

1- Le divertissement pascalien

Quel rôle spirituel et à l'échelle du monde un islam massifié et ritualisé par sa foi, mais désireux de se libérer des chaînes du déclin proprement politique dont ses liturgies le menacent encore jouera-t-il sur la scène des nations dites ascendantes? D'un côté, la religion musulmane entend perpétuer la tradition d'un guidage et d'un protectorat du monde qu'exerçait l'universalité de son monothéisme, de l'autre, comment scinder le ciel entre l'administration ensanglantée d'un cosmos hérissé de glaives et un culte platement gestionnaire des patries dans la paix? La houlette du souverain de l'immensité endort saintement les destins nationaux dans les versets apaisants du Coran, mais comment précipiter dans l'épouvante posthume des insectes désireux de cesser de vrombir dans l'infini?

La science politique nous démontre que les régimes démocratiques vivants sont les seuls à revendiquer le sacrilège d'affronter le tragique de l'Histoire dont souffre une espèce désormais privée de gare d'arrivée. Mais un astéroïde microscopique et qui se sait inexorablement voué à disparaître après quelques milliards de girations endormies autour d'une étoile engendrera nécessairement une titanesque collision cérébrale entre une espèce de plus en plus consciente de se trouver condamnée à l'extermination sur un obscur satellite du soleil d'une part, et d'autre part, les idéaux privés de félicité céleste, mais proclamés éternels que brandit un mythe euphorisant, celui de la Liberté.

L'évidence que l'Histoire est un personnage frappé d'une surdité, d'un aveuglement et d'un mutisme originels est demeurée peu répandue parmi les humains, parce que les mauvaises nouvelles n'ont jamais bénéficié d'une écoute favorable. C'est pourquoi un animal privé d'un terminus reposant auprès d'un souverain du cosmos exorcisera plus mollement ses déconvenues cosmologiques que le croyant zélé ne glorifiera son immortalité sous le soleil bienveillant de sa divinité. En 1943, le peuple russe a entendu avec soulagement le "petit père des peuples" feindre tout soudainement de légitimer à nouveau la pharmacopée mythologique qui avait été réfutée à grands cris par la révolution bolchévique: il s'agissait, pour ce tragédien improvisé de sa patrie pieusement réveillée, de redonner en toute hâte aux armées en déroute le moteur céleste d'un civisme à nouveau saintement fondé sur un récit fabuleux. Mais, depuis 1989, c'est nonchalamment que l'ex-empire des Tsars est retourné aux narrations d'un culte tranquillisant et qui ne convient qu'aux époques où un géniteur onirique du cosmos distribue gentiment ses analgésiques de routine et ses dévotions de confort à toute la population.

Quant à la France de 1919, qui avait héroïquement refusé de célébrer un Te Deum de gratitude à un "Dieu" des enfers encore terrifiants elle se veut si indifférente, désormais, aux vaccins de la foi que son renoncement aux croyances roboratives des ancêtres atteint maintenant quarante pour cent de la nation, ce qui n'a engendré chez les Français aucune conscience effrayée de leur solitude dans le néant. Tout le monde a oublié que le christianisme adore un tueur céleste à vous donner froid dans le dos, personne ne se souvient du monstre spécialisé dans le rachat par l'assassinat de ses victimes isolées sur un îlot errant dans l'immensité. Pourquoi les incroyants d'aujourd'hui ont-ils l'esprit ailleurs ? Parce que la gestion triviale de leurs tracas quotidiens leur donne bien davantage de soucis que leur panique d'entrailles ne jetait les vénérateurs d'autrefois le front dans la poussière. Pascal tentait encore de terroriser l'"homme sans Dieu" de son temps - et maintenant, seule une lucidité indifférente au secouriste céleste a survécu parmi les derniers fidèles d'un accusé des nues désormais jugé par contumace - chacun sait que le bourreau impunissable a quitté à jamais les rescapés de son déluge. Faut-il en conclure qu'une démocratie à la fois laïcisée et hébétée par l'heureux dépérissement du tragique religieux des ancêtres courrait vers le "divertissement" des dormeurs que stigmatisait l'auteur des Pensées? Nullement : les Anglais ont toujours cru les yeux fermés aux chimères divertissantes d'une religion de la platitude des jours et de l'irréflexion la plus sautillante sur la mort dont leur monarque du moment leur dictait le décervellement: "Quelle question typiquement continentale", disait Churchill à sa fille atteinte par le démon du doute religieux censé cancériser l'Europe depuis la fin du XVIIe siècle.

2 - "Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas" (Malraux)

Le réveil politique et intellectuel du monde arabe est ressuscitatif, mais cette résurrection soulève la question, existentielle s'il en est, de l'avenir spirituel d'une planète angoissée de se trouver privée d'envol. Le monothéisme assoupi des théologies fondées sur la torture posthume du genre humain avait placé le feu des épouvantes éternelles sous le joug d'une mythologie de juristes d'un ciel spécialisé dans les châtiments sacrés. Mais le divin européen entre dans une zone de turbulences spirituelles dont les péripéties paradisiaques ou infernales demeurent imprévisibles, parce que nous nous demandons si l'islam retombera dans la géhenne qu'elle partage avec les chrétiens ou si - plus rapidement et à moins de frais que nous - elle cherra dans le confort intellectuel béatifiant et dans la paresse cérébrale des îles britanniques. Le catéchisme concentrationnaire semble être devenu anachronique dans l'univers des dévotions fatiguées, mais une religion paresseuse - chacun se contente d'y vaquer aux offices du dimanche les plus divers et les plus ennuyeux - demeurera-t-elle en vie? Comment une humanité virtuellement pensante cesserait-elle soudainement et à jamais de se poser la question taraudante de la nature et du sens de son existence?

Décidément, notre espèce endormie se révèle cérébralement schizoïde. C'est à ce titre qu'elle est potentiellement susceptible de tomber la tête la première dans une léthargie inguérissable. Que faire d'une dichotomie mentale qui remonte au paléolithique? Mais les épaves de l'éternité de leurs ossements que nous étions hier encore pourraient tomber rapidement dans un autre abîme, celui du ridicule si la croyance des ancêtres venait à se perpétuer selon laquelle nos cercueils transporteraient nos os et notre chair mêlés dans la piteuse immortalité des squelettes dont notre âme et notre charpente étroitement confondues bénéficiait autrefois.

C'est dire qu'un monde qui aura déserté les pâturages du fantastique sacré devra se demander ce qu'il adviendra des rites que broutait le "spirituel" d'autrefois. Car si l'avenir commun à l'islam cogitant de demain et à une démocratie enfin arrachée à son sommeil intellectuel faisait du moins tomber dans l'oubli le pan le plus risible du fantasmagorique - celui du mythe grotesque de la résurrection des corps - le coup d'envoi serait donné à une réflexion plus sérieuse sur le véritable avenir que les millénaires réservent à "l'intelligence spirituelle" au sein des démocraties laïques.

La faculté de penser dont bénéficie notre espèce est-elle en attente d'un destin ascensionnel à nouveau prometteur et notre raison assoupie mérite-t-elle de nourrir derechef une espérance intellectuelle défendable, ou bien sommes-nous définitivement tombés dans les marécages de l'opinion publique où tous les hochements de tête se valent, faute de balance à peser les têtes dotées d'un centre de gravité?

3 - L'avenir spirituel de la laïcité

Quand une religion tombe dans l'infantilisme généralisé, on oublie bien vite que son livre d'images, quoique doré sur tranches, posait des questions tenaces et que celles-ci ne méritent en rien de se trouver disqualifiées par la sottise immémoriale des réponses apprises dont les encéphales démunis se parent depuis notre passage dans une zoologie de type théologique. Ce sont les interrogations demeurées virtuelles du polythéisme qui ont basculé dans la légende selon laquelle un gigantesque propriétaire du cosmos aurait rassemblé les dieux d'autrefois sous sa houlette. Son monopole s'est, du reste, hâté de se diversifier à nouveau en trois figures gigantales. Le monothéisme nous a seulement livrés à des théologies radicalement incompatibles entre elles, tellement la barque d'un monothéisme décompartimenté ne tenait pas la mer. Nous jouissons donc du rare privilège d'interroger un ciel supposé monolithique, mais où trois moribonds tressautants essaient de faire bonne figure sur leur radeau à la dérive; car tous trois échouent visiblement à se regarder droit dans les yeux. C'est pourquoi un vrai bouddhiste disait : "Si tu rencontres le Bouddha sur ta route, tue-le : l'Eveillé est en toi".

Que se passerait-il si nous entrions dans une civilisation favorable au réveil de la raison et dont la "vie spirituelle", comme disaient les Anciens, reposerait sur la conviction la plus heuristique de toutes, celle de l'inexistence des "dieux au miroir", des dieux spéculaires, des dieux extérieurs à la conscience? N'étaient-ils pas désopilants, nos Célestes, à se contorsionner en vain dans l'étendue? Mais pourquoi leurs tombes sont-elles devenues le levain d'une angoisse qui dévore leurs anciens adorateurs de l'intérieur? C'est ce qu'il importe d'examiner à l'école de l'itinéraire commun à un monde arabe inquiet de perdre sa boussole dans le ciel et à un Occident dépité de voguer sur une barque qui fait eau de toutes parts; car l'islam et le christianisme courent vers un rationalisme tridimensionnel et de type démocratique, lequel, de toutes façons ne pourra éviter de se poser la question cruciale de la nature d'une "vie spirituelle" authentique qui nourrirait les éveilleurs de la Liberté.

4 - Les fondements trans-religieux de la démocratie

Pour bien comprendre les raisons simianthropologiques pour lesquelles ce ne sera pas une foi musulmane ritualisée et massifiée, donc encore en attente d'un approfondissement de sa ferveur spirituelle, qui courra au secours du peuple palestinien, mais seulement les élites intellectuelles des démocraties et de l'islam, il faut observer qu'à l'instar de la Grèce antique et de la République romaine, la Révolution française a scellé une alliance indissoluble entre l'éveil de la liberté politique et l'éveil d'un patriotisme cérébralisé et qui a porté les nations sur les fonts baptismaux des idéalités. Mais l'universalité du "vrai" s'armera-t-elle de l'acier froid des concepts et du filet aux mailles trop larges de l'abstrait? C'est dans l'étonnement que la nation de l'an II a découvert que la souveraineté de principe des peuples libres et fiers d'avoir fait tomber les chaînes de la royauté demeure désincarnée si elle n'a pas conquis, dans le même temps, le rang fécondant qui définit, en droit, les Etats présents en chair et en os sur la scène du monde et si elle n'a pas appris à défendre l'indépendance des nations dotées d'une ossature et le poignard à la main.

La guerre est l'enclume sur laquelle le droit international dote d'un corps les patries ambitieuses de se rendre reconnaissables à l'école de l'alliance de leur liberté avec la vaillance de leur squelette. Le courage et la grandeur des démocraties physiques en appelle à l'onction inaugurale d'une liberté dont les morts à la bataille de Salamine se sont changés en trophées civiques. La démocratie fait du soldat un citoyen mémorable. C'est pourquoi un peuple qui n'aura pas été baptisé dans le sang de ses morts ne connaîtra pas l'héroïsme du citoyen et du guerrier confondus.

5 - Le mythe de l'incarnation et l'anthropologie politique

C'est dire que le printemps arabe ne deviendra démocratique qu'à l'heure où il aura bâti des monuments aux morts; et si toutes les nations durables se sont légitimées non point à l'école de leurs dieux, mais sur l'enclume des peuples en armes, la Palestine ne conquerra sa liberté qu'à l'heure où la solidarité des peuples arabes aura trouvé sa source dans le culte de toute la jeunesse musulmane pour la souveraineté d'une nation décidée à défendre son territoire les armes à la main. Mais pour cela, il faudra que les masses du Coran aient abandonné leur indifférence philosophique et religieuse pour le destin terrestre des croyants. La démocratie territorialise le sacré. En 1789, les monarchistes s'inquiétaient de l'état d'esprit nouveau d'une armée qu'inspirait de plus en plus la foi en la nation au détriment du culte de la monarchie. L'islam marocain défend encore d'un même cœur le Maroc et la sacralité du roi.

Il va donc falloir se demander où va passer le mythe politique de l'incarnation. Car s'il s'agit de fonder la spiritualité moderne sur une démocratie privée de ciel et de monarque, comment va-t-elle se donner un corps? L'anthropologie critique enseigne que le maître chosifié de quelque manière, que les peuples se donnent dans le ciel, donne, en réalité, à sa souveraineté cosmologique l' étroit assujettissement de ses fidèles à sa personne pour assise, alors que la fatalité qu'il est censé piloter dans l'Histoire échappe entièrement à sa gouvernance - il feint seulement d'avoir prise sur le fabuleux dont il s'est donné l'armure dans ses écrits, et toujours à son seul profit politique. C'est pourquoi, depuis les Grecs, la démocratie se veut rationnelle en ce qu'elle a vocation de briser les verdicts aveugles de la fatalité religieuse et du mythe écrasant de la "nécessité" (anankè). Mais, encore une fois, où est-il, le "corps du roi" qui fait de la démocratie un personnage historique?

Si le "spirituel" qui arme ce régime politique n'aura d'autre support que l'individu en tant que tel, encore faudra-t-il fonder le règne propre à "l'intelligence spirituelle" du peuple tout entier sur la souveraineté de l'intelligence proprement humaine. Comment cela, sinon par la démonstration de ce que le citoyen sera en charge d'assurer à la place du roi le volet anthropologique du pouvoir des Etats et des nations que les religions appellent l'incarnation?

6 - Comment fonder le démocratie sur une " théologie " de l'incarnation des peuples de la Liberté?

Pour l'instant, le printemps arabe s'est engagé sur des chemins divers, mais tous censés se trouver téléguidés d'une main ferme par un Allah saisissable et déchiffrable, de sorte que, paradoxalement, l'islam se révèle plus proche des promesses spirituelles de la démocratie incarnée que le christianisme, qui s'est déchargé en toute hâte sur un homme-dieu passif et souffrant de la responsabilité individuelle des peuples et des nations. Il vaut mieux se priver d'un médiateur de l'incarnation que de lui demander de prendre notre prochain sur ses épaules. Mais pour l'instant, l'islam libéré de la théocratie absolue et la démocratie privée de "théologie" du peuple souverain flottent ensemble dans un no man's land anthropologique.

Aussi, faute de supports corporels du fardeau spirituel, la révolution tunisienne n'a-t-elle fait que précipiter hors des frontières du pays un peuple sans chef et livré à la misère, la révolution libyenne n'a-t-elle fait qu'armer le monarque local contre sa propre nation, la révolution syrienne n'a-t-elle fait que livrer le peuple aux bouches à feu d'un croyant accoutumé aux cannonades par son père. Quant au peuple d'Arabie Saoudite, il se tait sous la férule d'un Allah pétrolier. Quel est l'itinéraire de la " vie spirituelle " dans tout cela et quelle est le route de la raison dans ce réveil si la démocratie moderne n'a pas de clé de l'alliance du spirituel avec les corps qui seule fait d'une mythologie de l'incarnation l'assise anthropologique du sacré?

Certes, le Maroc a tenté de soulever le vrai problème des relations de la politique avec la religion; mais il a seulement mis davantage en lumière la cruelle évidence qu'il existe une incompatibilité intellectuelle insurmontable entre un islam encore tout entier asservi au ritualisme de masse qu'enfantent les dieux demeurés extérieurs à la conscience d'une part et la liberté à la fois partiellement désacralisée et dangereusement décérébralisée des démocraties rationalisées à la seule école du profane. Les dirigeants du printemps marocain demandent rien de moins au roi que de conduire un impossible attelage: comment Louis XVI aurait-il inauguré en toute naïveté une monarchie constitutionnelle, comment aurait-il candidement substitué les principes d'une révolution laïque et préparée par les rationalistes du XVIIIe siècle aux droits et aux règles d'un pouvoir dynastique nécessairement ancré dans une théologie physiciste?

Tout cela ne fait pas difficulté pour un cerveau anglais: quand le Parlement promulgue une loi, le roi cautionne sa validité proprement religieuse, donc la légitimité de droit divin qu'elle est censée charrier en raison de la solidité du cordon ombilical réputé raccorder la monarchie au créateur. Mais comme la législation d'un Etat dit démocratique et pourtant demeuré théocratique dans son fondements mythologique sort exclusivement des mains profanes des représentants du peuple, c'est maintenant la législation du peuple seul et désarrimé du créateur qui charroie la pertinence religieuse attachée aux monarchies et qui précipite le mythe de l'incarnation du sacré dans un chaos théologique sans remède. Car l'autorité qu'est censé exercer dans le temporel un ciel soudainement réputé immanent au suffrage universel, cette autorité orpheline de l'absolu ancien s'époumone en vain à se substituer au sceptre vermoulu des dynasties tenues depuis des siècles pour les tentacules d'un Olympe.

7 - Le chaos théologique anglais et la raison politique française

Le coup d'Etat intellectuel d'une démocratie qui remplace la stabilité mentale des dynasties mythiques par les flottements d'un corps électoral erratique rend bancale une couronne britannique incapable de jamais retrouver le cordon ombilical rompu entre le ciel et la terre. Une monarchie qualifiée de constitutionnelle et qui, dans le même temps se voudrait cohérente dans l'ordre religieux devra se livrer à la tâche impossible d'élaborer une confession de foi fondée de force sur l'inspiration doctrinale qu'il lui faudra attribuer aux peuples en tant que tels et qui leur serait miraculeusement innée, ce qui est irréalisable par nature et par définition dans l'ordre politique et dans l'ordre religieux confondus, parce que si vous ne sacralisez pas une élite sacerdotale séparée de la masse et censée ancrée solitairement dans le surnaturel par les bons soins de la divinité attentive à se doter d'une garde rapprochée, donc fondée sur une révélation particulière, jamais vous ne parviendrez à piloter ni une orthodoxie soustraite à l'examen et au bénéfice d'une nation en chair et en os, ni à légitimer une autorité à la fois temporelle et supra humaine que la divinité de l'endroit sera logiquement chargée d'exercer en toute souveraineté sur des masses décalées à l'égard de sa transcendance. Mais alors, comment briser le moule anthropologique du sacré incarné et de type ecclésial, comment fonder le spirituel sur un citoyen censé devenu le dépositaire exclusif du verbe divin, donc sur la liberté politique? Les démocraties semi rationnelles et superficielles d'aujourd'hui demeurent privées à la fois de l'intelligence tribale autrefois attribuée à l'idole et de l'intelligence abyssale du politique simiohumain qu'attend le monde décérébré du pithécanthrope d'aujourd'hui.

8 - Un Dieu des enfants

Cette situation tourne à la caricature du mythe politique qu'on appelle une religion quand les fourmis du merveilleux sortent en masse de leur trou et courent sous le soleil en phalanges serrées. Le muezzin les fait accourir à toutes jambes cinq fois par jour. Comment un culte qui culmine dans l'agenouillement collectif des peuples aux pieds d'un "commandeur des croyants" déifié , comment une foi bâtie sur la prosternation idolâtre de l'individu devant un souverain du ciel et de la terre étroitement emmêlés, comment une mythologie qui associe la sainteté à la servitude s'accorderait-elle avec les monarchies constitutionnelles du Danemark, de la Suède, de la Hollande ou de l'Angleterre?

Mais un pouvoir tout terrestre et entièrement passé du côté des seuls représentants d'un suffrage universel privé de carrure spirituelle, donc de souffle, n'est jamais qu'un autre infirme. D'un côté, un sacré intronisé du bout des lèvres par le culte du ciel de l'endroit n'est qu'un livre d'images à l'usage d'un Dieu des enfants, de l'autre, une démocratie qui ne sait comment incarner le Dieu Liberté manque de l'assise anthropologique qui rend viable la politique. Comment élaborerons-nous une anthropologie critique en mesure de rendre compte de la cohérence politique et de la logique interne qui régissaient les théologies construites sur des idoles? Comment ferons-nous passer la démocratie par l'ordalie d'une unification cérébrale et "spirituelle" des nations capables d'incarner leur Liberté? Comment fonderons-nous une démocratie élévatoire et initiée aux guerres de la raison ascensionnelle de demain? Comment cuirasserons-nous la démocratie du sacre d'une liberté montante, comment ferons-nous du peuple souverain un acteur conscient sur une scène internationale? Le cerveau du simianthrope demeure irréparablement biphasé. L'identité schizoïde dans le miroir de laquelle la démocratie contemple sa couronne cérébrale armera-t-elle le citoyen d'un sceptre bicéphale ou bien la France accèdera-t-elle à la connaissance de la portée anthropologique du statut bifide des théologies? Car voici l'unique démocratie au monde à s'incarner dans son armée le jour de la célébration de l'avènement de la République, voici l'unique nation qui se casque d'une théologie démocratique de l'incarnation de son esprit, elle qui a doté sa République de bras et de jambes le 14 juillet, parce que, depuis 1789 , le Dieu mort dit à la France vivant : "A toi de montrer ton ciel en chair et en os, à toi de t'élever au rang du Christ de la Liberté que tu es à toi-même devenu." Décidément, la théologie détient le secret anthropologique de la politique et le mythe de l'incarnation en est la clé de voûte. Mais alors, encore une fois, comment une République parvient-elle à s'incarner?

9 - Demain, l'islam et nous

Quand la France saura pourquoi le soldat-citoyen s'élève au rang de symbole et de garant d'un peuple dont le bonnet phrygien se veut la couronne et la tiare, quand la France saura à quel titre le citoyen occupe le trône du chef spirituel de la nation, quand la France saura que ce roi n'est pas né le 14 juillet 1789, mais l'année de la décapitation du monarque intronisé par le ciel de l'époque, les Français auront été rendus seuls responsables de l'incarnation de leur patrie dans l'histoire. Au nom de quelle auréole du "spirituel" la France se trouvera-t-elle alors assermentée, au nom de quelle transcendance chapeautera-t-il sa raison et sa justice? Le sceptre actuel de la souveraineté d'un citoyen idéal et pourtant incarné ne connaîtrait -il pas encore un traître mot de la généalogie du sacré qui ancrera enfin un "vrai Dieu" au cœur de la politique? Dans ce cas, comment l'humanité deviendra-t-elle ascensionnelle à l'école d'une "théologie" de sa Liberté?

A nouveau, l'islam de la pensée se profile à l'horizon de la démocratie, à nouveau l'islam engagé nous rappelle que l'universalité de la raison prospective ne sera pas l'apanage exclusif de la spiritualité critique des démocraties de demain. Tous les musulmans ascensionnels que je connais, je les vois debout sur la même brèche que la France de l'esprit, tous combattent au risque de leur vie en Palestine ou ailleurs, parce que l'humanité est à l'école de l'incarnation de sa propre transcendance. Encore une fois, comment se fait-il que la seule religion qui se soit donné un dieu en chair et en os soit également celle qui se détourne le plus de son prochain? Parce qu'il est facile de déserter le champ de bataille pour glorifier une victime passive, il est facile de se décharger des devoirs de la politique afin d' imiter un obéissant divinisé, il est facile d'en appeler à un dieu en chair et en os afin de mettre sa carcasse à l'abri. L'islam et la France sont en charge de dresser ensemble leur véritable incarnation dans l'histoire.

C'est ce que nous examinerons dimanche prochain à l'école de la radiographie anthropologique d'un verbe fameux, le verbe exister.

Le 18 septembre 2011

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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