Kadhafi résiste ?
Qu'importe, ses heures sont comptées sur le boulier de Chronos.
Des nababs dans la pourpre s'étonnent de l'assaut des fourmis
grouillantes autour de leurs sceptres ? Qu'est-ce que cela si
cette dramaturgie se donne les sables du désert, l'étendue des
eaux et la danse des jours et des nuits pour témoins!
Nous sommes entrés dans une épopée où des
millions de spectateurs escaladeront des monticules afin
d'oublier la stratégie qui la dirige. On écoutera des pleurs, on
déplorera des trépassés, mais l'histoire est une canonnade
depuis que Zeus a fait parler sa foudre dans Homère. Il y a
belle lurette que nos trois dieux uniques rivalisent en vain
avec le poète qui a réduit leurs flèches à une maigre
artillerie.
2 - Le
nouvel échiquier de l'histoire
Et pourtant, l'anthropologie critique garde
la tête froide. Il s'agit, pour elle, de tenir les rênes de
l'attelage d'une main ferme. Afin de raison garder, cette
discipline se contente de remarquer que la mutation que
déclenchera le "printemps arabe" sur l'échiquier des nations
permettra aux mémorialistes et même aux chroniqueurs de faire
entrer les péripéties du destin de la pensée dans le récit des
huissiers du globe terrestre. Mais pour cela, il ne suffira pas
de raconter l'alternance entre les époques de paix et celles des
grands massacres. Certes, Thucydide aurait pu démontrer les
conséquences parallèles de la défaite navale d'Athènes à Aegos
Potamos et sur le champ de bataille de la philosophie et de la
littérature de la Grèce; certes encore, le débarquement du
monothéisme dans le monde romain aurait pu faire naître une
école d'historiens attentifs à la métamorphose de la tonalité et
de la tournure d'esprit de la langue latine entre saint Ambroise
et son élève, un certain saint Augustin.
Mais, depuis
1789, la Révolution française ouvre un champ plus vaste aux
narrateurs. Cet évènements cosmique aurait dû permettre de
tisser conjointement la trame des évènements guerriers et celle
d'une métamorphose cérébrale de la France, puis de coudre
ensemble ces deux étoffes, tellement la proclamation du culte de
la "déesse raison" en 1793, assortie de celui d'un "Etre
suprême", rattachaient l'identité proprement historique à
l'identité astrale des peuples et des nations; car ce type de
relations entre la vie onirique et la vie au jour le jour du
genre simiohumain répond à un modèle d' "existence" fort
différent de celui dont les enregistrements se limitent à
d'étroites connexions entre tel ou tel événement historique et
telle ou telle œuvre de l'esprit.
La Confession d'un enfant du siècle sonnait, pour
le poète, l'heure du retour des "noires araignées" de la
monarchie, mais de tels jeux du destin ne bouleversaient pas
encore la carte entière de la culture mondiale, tandis que la
Révolution française a greffé la planète mentale que le genre
humain est à lui-même sur une toile et une trame nouvelles du
récit historique. Il en sera de même de la fécondation ou de
l'avortement de l'alliance de l'islam d'hier et de demain avec
un Occident cérébralement à bout de souffle.
La signification
d'une histoire conjointe des Etats et des encéphales en sera
modifiée. Si la rencontre qui se prépare entre l'histoire
narratrice et celle des têtes se révélait racontable, il
deviendrait aussi décisif de décrire le cheminement souterrain
des grandes civilisations que de raconter les péripéties de
l'histoire événementielle ; mais les collisions entre
l'immatériel et le concret obéiraient à des interprétations
nouvelles du destin de l'intelligence humaine.
3 -
Demain, l'Europe et l'islam
C'est dans cet
esprit qu'il convient d'évoquer les difficultés politiques et
culturelles qui entraveront et féconderont tout ensemble le
dialogue de demain entre une Europe condamnée à un examen de
conscience et à une auto-critique des principes et de la
pratique de la démocratie mondiale d'une part et la civilisation
musulmane à naître, d'autre part, celle qui appellera les grands
penseurs arabes à féconder à nouveau de leur génie le capital
spirituel épuisé de l'Occident. Mais, pour que cette double
ouverture se produise, un monde arabe à ressusciter et une
Europe à bout de course devront apprendre à scanner à nouveaux
frais le vieil encéphale d'une espèce fatiguée, tellement les
apories natives qui accablent la condition simiohumaine
attendent de se trouver radiographiées. Demandons-nous donc
quelle problématique générale commandera l'évolution parallèle
d'un monde islamique appelé à redevenir pensant et un Occident
menacé d'un naufrage cérébral définitif.
Premièrement, la
progression des deux civilisations ne deviendra simultanément
prospective que si une spectrographie anthropologique inédite
nous aide à décrypter le rôle que le "peuple élu" entend
s'accorder dans le monde d'aujourd'hui. Observons les tentatives
opiniâtres de son jeune Etat de loger sa magistrature
théologique au cœur de la réflexion rationnelle sur le destin
politique et philosophique des civilisations laïques. On cherche
les secrets totémiques de l'espèce simiohumaine, parce que la
rencontre biblique de l'Europe vassalisée d'aujourd'hui avec le
génie endormi de l'islam passera par un décryptage de la
fécondité scientifique de tous les grands mystiques, y compris
de ceux d'Israël.
- Le printemps arabe, l'Europe et
l'islam, 10 avril 2011
4 - La
chute de l'empire colonial européen et la démocratie israélienne
Résumons la situation, donc la nouvelle
distribution des cartes imposée à l'issue de la seconde guerre
mondiale. En raison d'un triomphe partagé, mais précaire des
Etats-Unis et de la Russie marxiste, ces deux empires du salut
se sont discrètement entendus pour déposséder la France et
l'Angleterre du poids de leurs colonies. L'un de ces apôtres
brandissait les principes universels du messianisme
démocratique, l'autre la délivrance - non moins eschatologique -
du prolétariat sur les cinq continents, l'un évoquait la
planétarisation de l'économie, du commerce et de la finance,
l'autre un collectivisme évangélisateur, l'un se vantait de
fonder le règne de sa vertu sur l'extension de sa puissance
militaire à tout le globe terrestre, l'autre se nourrissait de
l'ambition para-religieuse de substituer au péché hérité des
origines de l'humanité l'éternité d'un royaume de la vertu dont
la métaphysique placerait sur toute la mappemonde les
travailleurs du temporel sous le protectorat et le guidage
assurés d'une classe sacerdotalisée par l'utopie. Mais alors,
quel rôle l'encéphale messianique d'Israël allait-il jouer dans
la lente résurrection d'une Europe souveraine et dans l'accès du
monde arabe aux démocraties censées se fonder sur la "pensée
rationnelle" depuis la séparation de l'Eglise et de l'Etat en
1905?
Pour l'instant, le peuple juif se croit démocratique, et l'on
sait que cette illusion politique a envahi entièrement son cœur
et son esprit. Elle résulte de ce que cet Etat en expansion par
la force des armes depuis 1947 élit un parlement au suffrage
universel, de ce que divers partis s'y affrontent, de ce qu'une
presse sioniste des pieds à la tête ne se permet que quelques
embardées isaïaques, de ce que le gouvernement est soumis aux
verdicts des députés. De plus, cette définition toute formelle
de la démocratie se trouve validée depuis la Grèce antique.
Certes, Athènes, que Périclès qualifiait d' "éducatrice de
toutes les cités grecques", se montrait souvent non moins
implacable le glaive à la main que Lacédémone. Mais Lysandre
ayant fait assassiner trois mille marins athéniens à la suite de
la bataille d'Aegos Potamos en -405, Plutarque écrit: "Les
Argiens ayant massacré quinze cents de leurs propres citoyens,
les Athéniens firent apporter des sacrifices d'expiation afin
qu'il plût aux dieux de détourner du cœur des Athéniens une
tentation si cruelle." (Œuvres morales,
ch.XIV, cité par Montesquieu, L'Esprit des lois,
Livre VI, chap. XII). Le vote populaire serait donc vertueux et
civilisateur par nature.
5 - Les
tourments de conscience d'Israël
Mais la France et
l'Angleterre impériales avaient habillé leur corps électoral à
la fois en démocraties des droits de l'homme et en puissances
coloniales. Quant à la légalisation de la torture, elle n'a
nullement disqualifié, que je sache, la définition séraphique de
leur Etat aux yeux des citoyens américains. Aussi le blason et
l'écusson angéliques de la "seule démocratie du Moyen Orient"
semblent-ils aller comme un gant aux conquérants de la
Cisjordanie et aux affameurs d'un million et demi d'habitants à
Gaza. Israël n'a-t-il pas débarqué en Palestine à la suite d'une
autorisation du ciel des démocraties ? Depuis lors, la naissance
virginale de cet Etat fait croire dur comme fer au " peuple élu
" qu'il bénéficie d'une bénédiction du ciel de la démocratie
mondiale aussi définitive qu'éternelle et que le droit
international actuel l'autorise expressément à étendre sans fin
son territoire au détriment de celui de ses voisins.
Et pourtant,
Tel-Aviv hésite à soutenir le "printemps arabe" par la force des
armes, parce que, d'un côté, la capitale de l'Etat juif se
demande en secret et dans l'angoisse si le droit de remettre la
main sur son enceinte mythique d'il y a deux mille ans ne serait
pas en contradiction évidente avec la définition même du régime
démocratique, tandis que, de l'autre, elle se rassure à l'école
des "promesses de son baptême": n'est-elle pas née sur les fonts
baptismaux de la révolution de 1789, se dit-elle, et ne
doit-elle pas sa légitimité insoupçonnable à la bénédiction que
ce régime lui a accordée à la suite de sa victoire sur le
nazisme? Mais si le monde entier se convertissait à la
démocratie immaculée de l'Occident et si les peuples arabes se
plaçaient à leur tour sous ce nouvel étendard de l'absolu,
Tel-Aviv n'aurait-il pas des soucis à se faire pour défendre son
statut de berceau sacré de la démocratie post-coloniale?
Telle est également la raison pour laquelle
Israël soutient de ses vœux la révolte du peuple iranien ou
syrien: ces Etats ne sont-ils pas théocratiques dans l'oeuf,
donc hérétiques par nature? Le peuple de l'étoile de David
s'imagine qu'aussi longtemps que ses ennemis brandiront le Coran
ou la charia, il n'aura rien à craindre d'eux sur le long terme,
puisque la Liberté démocratique est fournie par le baptême
démocratique et que son rituel s'est rangé à jamais aux côtés
des fils d'Abraham. On voit que les vrais moteurs de l'histoire
de la planète sont mythologiques par nature et que si Clio
ignorait les secrets du mode de propulsion liturgique de notre
espèce, elle regarderait le genre humain de nulle part.
6 - Dieu
et la théologie de la fatalité
Mais telle est
précisément l'erreur mortelle des théologiens et des pères
fondateurs de l'Etat hébreu: sitôt que les peuples arabes se
seront ralliés aux principes de l'orthodoxie démocratique, ils
se révèleront des adversaires beaucoup plus inflexibles d'Israël
que les mollahs. Pourquoi cela ? Parce qu'à l'instar des deux
autres dieux uniques, Allah ne cautionne jamais que les verdicts
d'une fatalité à laquelle il est censé présider. C'est que le
malheur est toujours tenu pour le fruit des verdicts d'un
"Créateur", c'est que la miséricorde du ciel fait toujours
alliance avec la passivité pieuse des peuples vaincus, c'est
que, du temps de sa jeunesse et de son omnipotence, le Dieu des
chrétiens bénissait, lui aussi, la victoire et la défaite, le
bonheur et les larmes, la vie et la mort. Une idole qui ne
bénirait pas les défaites de sa créature paraîtrait sans cesse
vaincue à ses côtés sur les champs de bataille. Le ridicule
militaire tue même les Olympes. Aussi Allah ne règnera-t-il sans
partage sur la terre que si ses jugements suivent pas à pas ceux
de Histoire dévote qu'il est censé rédiger jour après jour.
C'est pourquoi Montesquieu a tort d'écrire que "dans les pays
mahométans, la religion regarde la victoire ou le succès comme
un jugement de Dieu". (Esprit des lois, L.V,
Pléiade, p. 296). Car une divinité chrétienne qui ne serait pas
construite sur le même modèle se révèlerait non seulement
inutilisable dans l'ordre politique, mais quitterait aussitôt le
banc d'essai de l'histoire du monde. Rien de tel avec la
démocratie: la liberté bafouée est une rebelle intraitable, et
rien n'arrête sa révolte qu'elle n'ait renoué avec ses
triomphes.
Aussi la démocratie est-elle une reine des
songes dont le sceptre a bouleversé la définition et la nature
du ciel de l'humanité et dont le tribunal a soumis tous les
peuples oniriques de la terre au culte de l'indépendance des
nations. Israël n'aura pas d'ennemis plus sévères que les
principes inexorables de 1789 - et ces rêves-là ne laisseront
jamais ni acheter, ni corrompre leurs hosties. Il est vain
d'espérer qu'un royaume des valeurs qui se suiciderait s'il se
reniait descendra au tombeau de sa propre volonté - jamais le
sacré, qu'il soit idéaliste ou religieux, ne quitte de son plein
gré l'histoire qui l'a enfanté. C'est pourquoi, de son côté, le
sacré tombé de la bouche de Jahvé demeurera aussi inflexible que
celui dont la France a fait entendre la voix en 1789.
7 -
L'apprentissage de la parole publique
C'est à l'écoute de ces deux oracles
confondus qu'il faut observer les premiers pas de la démocratie
égyptienne, tellement ils ont illustré les apories universelles
dont la condition simiohumaine se révèle tributaire. D'un côté,
le pouvoir d'Etat se trouve provisoirement entre les mains de
l'armée et de la classe demeurée théologique de la nation ; et
ces deux autorités ont immédiatement ouvert le canal de Suez à
un couple de gentils navires de guerre, puisque seulement
d'école. Mais le traité léonin qui contraint l'ex-empire des
pharaons à vendre son gaz à Israël avec quatre-vingt dix pour
cent de réduction sur le prix mondial a été remis en cause dans
la foulée; puis le passage entre l'Egypte et la ville-martyre de
Gaza a été rouvert sans tarder, quoique partiellement. Pas de
doute, la démocratie des Pyramides a le toupet de juger que la
conquête de la Cisjordanie biblique et la dépossession du peuple
palestinien des terres de ses ancêtres sont incompatibles avec
la résurrection politique du monde arabe, ce qui contredit
radicalement les écrits vétéro-testamentaires d'Israël, qui
soutiennent mordicus le contraire.
Mais, dans le
même temps, l' Etat égyptien a aussitôt proposé et obtenu de la
bible nouvelle, celle du suffrage universel, des modifications
doctrinales de la constitution antérieure du pays telles que le
peuple du Nil se trouve d'ores et déjà dépossédé des pouvoirs
d'une Constituante profanatrice, ce qui ne lui laisse pas le
temps de former une classe dirigeante dûment informée des
principes civiques qui inspirent l'orthodoxie des idéaux de la
démocratie. Aussi longtemps qu'il demeure dépourvu des oracles
d'un Parlement, le pouvoir du peuple n'est jamais qu'un leurre
pieux, tellement une souveraineté qui n'aura pas passé par
l'épreuve d'une instance délibérante ne conduira jamais qu'aux
ochlocraties pilotées dans les coulisses par les grands sorciers
de la démagogie.
8 -
L'exemple de la France
Voyez le peuple
français : il n'est parvenu à culbuter une monarchie de droit
divin réhabilitée par Waterloo que quinze ans plus tard, en
1830. Puis le trône de Louis-Philippe n'a été renversé qu'en
1848 ; puis la candidature du prince Napoléon à la présidence
d'une République enfin censée sortir des limbes a été
plébiscitée dans la foulée; puis le coup d'Etat de 1852 a été
approuvé par les masses populaires dûment consultées. Que vaut
la Pythie qu'on appelle le suffrage universel s'il couvre les
trônes des lauriers de la Liberté?
L'Egypte des
oracles du peuple semble reproduire le scénario dicté par le
concept même de démocratie depuis Périclès: car la rue arabe n'a
pas encore ouvert les yeux sur la politique étrangère des vrais
Etats. Quand ils auront été partiellement dessillés à l'école
d'une pédagogie patiente - celle d'une République qu'on aura
relativement laïcisée - on ne verra pas pour autant un suffrage
universel informé des arcanes de la politique internationale
débarquer sur la scène d'Isis et d'Osiris: ce n'est pas le
peuple français, mais le Général de Gaulle, qui a libéré le
territoire national des bases militaires pharaoniques de
l'étranger qui y campaient depuis dix-sept ans; et, en 2011, ni
le peuple allemand, ni le peuple italien ne demandent le départ
de l'occupant, alors que le mur de Berlin est tombé il y a près
de vingt-deux ans. Quant à l'intervention du 19 mars 2011 contre
le Président Kadhafi en Libye, on a vu la France et l'Angleterre
peiner sous le sceptre subitement retrouvé de l'OTAN. Comment
ces deux pays parviendront-ils à redonner sa souveraineté perdue
à une Europe qui ne veut plus de cette couronne, tellement la
démocratie dite des "droits de l'homme", n'est pas celle du
sceptre des nations?
L'incapacité
naturelle des peuples de la "Liberté" d'ouvrir les yeux sur la
politique réelle, celle qui se déroule à l'échelle de la
planète, puis l'incapacité parallèle des dirigeants des
démocraties sur la scène internationale de les ouvrir sur les
besoins domestiques des masses populaires, cette double
incapacité va se trouver illustrée à l'occasion de l'accès
titubant du monde arabe aux idéaux universels de la démocratie.
C'est que
l'espèce humaine produit rarement des cerveaux doués pour un
combat sur deux fronts. Il faut un Pierre le Grand pour couper
les barbes sur tout le territoire et pour étendre les frontières
de la Russie les armes à la main. La junte du Caire tient-elle
entre ses mains les doubles rênes de la grandeur de l'Egypte et
des attentes du social?
9 - La
démocratie et l'éloquence
Mais trois
facteurs peuvent modifier le cours fatal de l'échec de la
politique extérieure des démocraties. Le premier est l'explosion
démographique: la moitié de la population de l'Egypte rassemble
une jeunesse ardente et bien décidée à prendre en mains le
destin du pays. Le second est l'information instantanée et armée
d'ubiquité qu'internet et l'image télévisée fournissent aux
néophytes. Le troisième est le rétroviseur de la durée : les
nouvelles générations ont appris les péripéties de la "Grande
Révolution" sur les bancs de l'école. Il est significatif que la
fraction informée de la jeunesse du Caire ait aussitôt détecté
le piège dans lequel la Révolution pouvait tomber dès ses
premiers pas si la coalition de l'armée et des islamistes
parvenait à enterrer d'avance une assemblée constituante qui
servirait d'arène à l'apprentissage d'un débat public et
juvénile, donc du champ d'expérimentation d'une éloquence arabe
encore en attente de ses armes.
Si toute
démocratie vivante en appelle au talent littéraire des
Démosthène et des Cicéron, c'est parce que ce régime est fondé
sur une absurdité originelle et impossible à terrasser
définitivement, celle d'accorder au plus grand nombre l'autorité
de discerner et de défendre la "vérité", alors que les foules
sont toujours et fatalement des réservoirs inépuisables de
l'ignorance et de la sottise confondues. Le sceptre de la raison
à brandir dans une mêlée confuse s'appelle l'art du discours, le
surgissement héroïque de la pensée critique, qui est toujours
solitaire, s'appelle l'art du discours, la folie généreuse de
confier à des martyrs de l'esprit de justice, et à des guerriers
de l'intelligence le destin plein de bruit et de fureur du genre
humain s'appelle l'art du discours. Si une oligarchie ardente
devait allumer le flambeau de la logique et de la dialectique
dans le tohu bohu de la jeunesse du Caire, elle déclencherait
une dramaturgie aux turbulences bien connues et dont il est
vital que les péripéties s'inscrivent dans une connaissance
réfléchie des leçons que l'Europe a retenues de 1789 à 1989.
Car si le génie
de l'éloquence écrit la véritable histoire des démocraties de
Lysias ou d'Isocrate à Mirabeau ou à Danton, cette même histoire
est également celle de rhéteurs dont, depuis vingt-cinq siècles,
la parole caricature grossièrement, mais efficacement l'art de
la parole argumentée. Aussi, depuis Périclès, le pouvoir
populaire est-il tout entier livré aux deux faces opposées du
discours, celui de la raison, qui est sobre et lucide et celui
des flatteurs, qui excelle à tromper une intarissable ignorance.
En Europe,
l'Eglise est longtemps demeurée le seul théâtre de l'éloquence.
Puis la Révolution s'est révélée trop passagère pour donner
naissance à un art de la parole publique digne de faire entrer
la République dans la haute littérature Enfin, le régime
démocratique est devenu présidentiel, ce qui a réduit les
parlements à des chambres d'enregistrement. Si l'Egypte forgeait
une démocratie de la raison sans tomber dans la médiocrité
notabiliaire, elle servirait d'exemple au premier régime de la
Liberté capable d'escalader les sommets du pays montagneux qu'on
appelle l'Histoire.
10 - La
démocratie mondiale à l'épreuve d'Israël
Et voici que l'avenir d'Israël s'esquisse et
se précise sous le guidage des deux chefs de file du monde
arabe: l'Egypte et la Turquie. La main de fer d'Ankara a fait
alliance avec la mémoire tenace de l'ex-empire ottoman. Les deux
Etats entendent bander la plaie purulente de la démocratie
mondiale: la ville saignante de Gaza. Une initiative commune du
Caire, d'Ankara et de la Ligue arabe a tenté de soumettre la
région à une zone d'exclusion aérienne. Elle s'est aussitôt
heurtée au veto de la France de Nicolas Sarkozy - mais personne
n'accordait une grande portée à ce ballon d'essai, parce que
tout le monde savait qu'une initiative diplomatique mondiale
bien plus redoutable pour Tel-Aviv se dessinait pour le mois de
septembre, que la majorité écrasante des membres de l'Assemblée
générale des Nations Unies allait reconnaître la souveraineté
d'un Etat palestinien, que le territoire d'Israël se trouverait
ramené aux frontières de 1967 de cet Etat, que le peuple hébreu
revêtirait aux yeux du monde entier la casaque de l'occupant
d'une nation souveraine, que l'illégitimité de l'expansion
ininterrompue de ce pays depuis 1947 se trouverait dûment
constatée aux yeux du droit international public.
Face à une menace
aussi mortelle pour son peuple, quelle sera la parole de Jahvé?
On suggère, que face au verdict de l'éthique de tout le genre
humain, il autoriserait la seconde flottille de la paix à entrer
dans le port de Gaza, on insinue même que les Nations Unies
seront appelées à prêter la main aux libérateurs et à s'opposer,
par les armes au besoin, aux guerriers qu'Israël enverrait
combattre les sauveurs d'une vaste population d'affamés, on va
jusqu'à laisser entendre que toute la Cisjordanie serait
évacuée, on murmure que les juristes iraient jusqu'à prétendre
que le glaive de la justice serait remis entre les mains des
habitants de Jérusalem et qu'après tout, le désir de ravitailler
une ville réduite à la famine serait un devoir universel de
l'humanité.
11 -
L'homme, cet inconnu
Mais l'anthropologie critique se rit des naïfs apprêts des
consciences chatouilleuses. Elle enseigne que la nature et les
enjeux du conflit ne ressortissent pas aux combinaisons des
chancelleries et que les mois à venir condamneront la
politologie moderne à accoucher d'un regard nouveau sur
l'histoire et sur la politique des évadés partiels de la
zoologie. Nos diplomates professionnels ignorent que notre
espèce s'est enracinée dans un monde à califourchon entre le
temporel et le surréel. Pourquoi le sacré se révèle-t-il
indéracinable, pourquoi a-t-il resurgi en Russie après de
soixante-dix ans de mise en couveuse, pourquoi cinq millions de
musulmans français demandent-ils à la République de la raison de
respecter l'irrationalité de leur conscience et de leur foi
religieuse, pourquoi l'homme s'est-il ancré dans l'au-delà,
pourquoi les descendants d'un primate à fourrure logent-ils leur
tête dans les nues, alors que, d'Epicure à nos jours, notre
connaissance des délires célestes d'un ex-bimane toisonné a
suffisamment progressé pour nous permettre de radiographier les
souverains mythiques que nous colloquons dans le vide et le
silence de l'immensité?
Voici que le monde se trouve condamné à un approfondissement
vertigineux de sa science, demeurée si infirme, des idoles qui
assiègent son pauvre encéphale. Mais il se trouve qu'Israël est
le seul peuple de la terre dont la démence sacrée noue sa
cervelle à la surréalité d'un sol. Un juif n'est pas ficelé à la
Judée sur le même modèle qu'un Français à la France ou un
Anglais à son île. Il s'agit d'une alchimie théologique que les
évènements à venir mettront enfin en pleine lumière, et cela de
telle sorte qu'il ne sera plus possible ni aux historiens
bi-dimensionnels de notre temps, ni aux psychologues et
psychanalystes d'un inconscient censé mesurable au cordeau, ni à
nos politologues à l'usage de bipèdes à mettre en cage, ni aux
éducateurs scolaires, ni aux pédagogues assermentés de 1789 de
prétendre que le genre simiohumain appartiendrait à une espèce
bien connue.
12 - Une
démocratie de l'apocalypse
En automne, le vote évoqué ci-dessus de la quasi unanimité des
Etats membres de l'organisation des Nations Unies se heurtera au
mur d'acier du veto des Etats-Unis, dont Israël a obtenu, le 4
décembre 2010, qu'ils s'opposeront systématiquement à toute
tentative de la démocratie mondiale et de la conscience
universelle des délégitimer ses conquêtes d'hier, d'aujourd'hui
et de demain. Alors le duo, vieux de soixante cinq ans, de
Washington et de Tel-Aviv, s'achèvera sur une comédie
saisissante, puisqu'on y verra un Président des Etats-Unis
métamorphosé en polichinelle ridiculement asservi au sceptre de
Jahvé. Du coup, le théâtre du monde verra deux acteurs monter
sur les planches, Goliath armé de sa massue et Israël de sa
fronde. Ces deux personnages feront un couple d'inséparables,
tandis que le reste de la planète entrera en révolte, mais
tombera également dans la "crainte et le tremblement"
décrit par un certain Kierkegaard.
Car jamais Israël ne lâchera prise; quand cet Etat menacera le
monde entier de l'entraîner dans son suicide, nos gentils
humanistes enverront-ils les huissiers assermentés de la
démocratie planétaire constater que l'identité véritable du
genre humain a été falsifiée sur nos registres de l'état-civil
et que nous y avons enregistré les spécimens d'une espèce
inconnue à elle-même? Quand le rideau se levera sur le premier
acte de l'histoire réelle du monde, Jahvé enverra, Tsahal
saccager la Cisjordanie et mettre la Judée à feu et à sang.
Alors l'anthropologie critique susurrera aux oreilles des
sciences humaines endormies dans l'oubli d'une certaine potence:
"Apprenez donc à ouvrir l'œil sur Adam et ses gibets. Sachez que
ce modèle de notre espèce se croit expulsé d'un Eden. Depuis
cette catastrophe originelle, il boit son propre sang de
génération en génération et mange sans relâche sa propre chair
sur ses autels."