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Opinion

Le mythe de l'équilibre nucléaire mondial
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 16 mai 2010

A l'occasion de sa visite d'Etat de trois jours en Chine, M. Nicolas Sarkozy a redit que la bombe iranienne mettrait l'équilibre mondial en danger. Il existerait un stabilisateur universel de la planète dont la vocation naturelle serait de garantir un équilibre durable sur tout le globe terrestre, il existerait un vocable magique, l'équilibre, dont les vocalises symboliseraient un statut réputé fixe et légitime en soi des peuples et des nations censées appelées à se pétrifier dans une arène internationale fossilisée.

Cette sacralisation de l'immobilité politique appelle une réflexion sur le totem verbal d'équilibre, parce que l'histoire se moque bien des piquets théologiques de la parole, parce que Clio passe au large des dogmes qui jalonnent le langage des chancelleries, parce que Clio ne connaît que des gouvernements momentanément vissés à leur charge et dont la vocation de défendre des intérêts nationaux pérennes est aussi inébranlable que les réseaux de l'action sont changeants par nature.

1 - La notion d'équilibre
2 - Du déséquilibre tripode au déséquilibre quadripode
3 - Les hommes d'Etat en Pygmées
4 - Les quintuplés de saint Matamore
5 - Notre embryon d'encéphale
6 - Les arpents de Jahvé
7 - Du statut cérébral et du statut corporel des Etats
8 - Le plateau le plus lourd
9 - Une terreur de l'an mil en miniature
10 - La réfutation des songeries sacrées
11 - M. Ahmadinejad et la sagesse de la Perse
12 - L'avenir de l'Iran

1 - La notion d'équilibre

Tout pouvoir d'Etat est au service des ambitions constantes des peuples lancés au milieu de récifs aux proportions sans cesse variables. Le concept même d'équilibre est un exorcisme sonore. En revanche, il est possible d'observer une succession de micro déséquilibres dont l'enchaînement, hasardeux par définition, sécrète le mythe d'une continuité qu'on couronne des lauriers d' un destin.

Comment chaque instant d'une nation s'y prend-il pour se revêtir de l'étoffe d'une permanence fascinatoire? Comment les détenteurs d'une autorité politique transitoire cèdent-ils fatalement à la tentation de croire et de faire croire qu'ils maîtrisent et baptisent la durée? Comment se fabriquent-ils des ligatures aux fils d'or afin de se cacher que tout pouvoir est amphibologique, donc incapable par nature de contrôler un fleuve capricieux?

Observons un instant comment les Etats craignent de laisser paraître l'évidence qu'ils roulent sur les flots d'un siècle menacé par les turbulences de l'abîme. Afin de se rassurer et de rassurer la population sur les défis que leurs sceptres éphémères lancent à des gouffres grands ouverts, ils prétendent que les évènements transcenderaient la précarité effrayante d'un Chronos toujours parcellisé, émietté, dispersé, donc insaisissable. Aussi ne gouverne-t-on qu'à feindre de tracer des sillages rassurants. Mais puisque le capitaine ne dispose d'aucune carte marine qu'il lui suffirait de consulter pour tenir d'une main souveraine un ferme gouvernail, puisque ce roi des flots a les yeux bandés et se trouve à la merci du cyclone qu'on appelle l'Histoire, cherchons quelques ports d'attache dûment repérés et demandons-nous si la notion même d'équilibre ne serait pas un conjurateur de la peur et l'expression d'un effroi.

2 - Du déséquilibre tripode au déséquilibre quadripode

Hubert Védrine confessait que la fameuse "communauté internationale", dont il est convenu d'invoquer l'oracle n'existe que dans les imaginations. Mais supposons un instant que l'équilibre serait un contrôleur durable de la navigation des Etats sur "l'océan des âges" du vieil Hugo; supposons un instant que nous suivrions le cours d'une rivière si bien balisée que ses rives connaîtraient le lit dont elles bornent le creux. Dans ce cas, la France de 1958 n'aurait eu qu'à bien se tenir; car l'équilibre du monde de l'époque exigeait qu'elle renonçât sur l'heure et sans se faire tirer l'oreille à une arme pécheresse, et cela au nom d'un "intérêt général" toujours sanctifié par l'actualité; car la prolifération d'une foudre locale se présentait déjà sous les traits d'une menace mortelle pour la survie même de la planète des simianthropes.

Naturellement, la France gaulliste a sagement commencé par se doter de l'apocalypse mécanique, puis elle a signé sans rechigner davantage le fameux traité de ligotage universel de saint Matamore; et elle n'a rien demandé de plus que de profiter au passage du monopole d'une apocalypse mythique dont l'Angleterre, Etats-Unis et la Russie étaient encore seuls à se partager l'outrance. Il est donc évident que l'arme nouvelle de l'irénisme mondial de la France remplaçait seulement le déséquilibre tripode du pacifisme antérieur par un déséquilibre quadripode aussi provisoire que le précédent, mais non moins saintement ambitieux de tenir le sceptre d'un Jupiter solitaire.

Non seulement la France née de la Résistance avait conquis sans coup férir le rang d'un vainqueur à part entière de la guerre, parce que Churchill redoutait l'enchaînement ultérieur de l'Angleterre à une hégémonie américaine dont son pays avait déjà rudement subi le joug tout au long du conflit, mais, quelques années plus tard, le Général de Gaulle avait été discrètement aidé par un général anglais francophile, qui avait mis gentiment la France sur la piste de la découverte du déclencheur de la bombe atomique, dont le principe était simple à souhait et qu'on devait au Dr Teller, mais dont la simplicité même défiait les cerveaux compliqués de nos plus brillants polytechniciens.

Dans une Europe où elle passait désormais pour triomphante, la France faisait coup double, parce que ce continent jusqu'alors tout entier privé de la foudre théologale sortait de l'étau qui l'enserrait entre le feu atomique anglo-saxon et celui de l'ex-empire des Tsars. A s'armer à son tour du brandon de l'excommunication majeure des modernes, non seulement le Général de Gaulle faisait changer de statut géopolitique au Vieux Monde tout entier, mais il s'assurait l'exclusivité du rang d'un Etat efficacement mythifié par l'absurde dans cette partie du globe, puisque les vaincus de la dernière guerre, l'Allemagne, l'Italie et le Japon se trouvaient condamnés pour longtemps à s'interdire l'accès aux simulacres du fantastique.

Pour un nouveau déséquilibre pseudo militaire, c'en était un, et de taille; mais sa dimension même dissimulait l'évidence qu'il ne s'agissait néanmoins que d'une secousse tellurique modeste, donc d'un ébranlement limité du royaume de l'apocalypse onirique. Cet édifice para religieux était déjà tellement fissuré sur toutes ses façades que cette brèche supplémentaire se rendait seulement un peu plus visible que les précédentes. Et pourtant un tremblement de terre appelé à cacher les lézardes d'un bâtiment déjà vacillant est intéressant à observer, parce que le découpage arbitraire du globe terrestre en cinq continents seulement révélait un déséquilibre qui n'avait pas suffisamment attiré l'attention des géographes et qui allait enfin alerter quelques vrais hommes d'Etat.

3 - Les hommes d'Etat en Pygmées

En vérité, il n'y avait pas encore de scène sur laquelle la bouffonnerie guerrière simiohumaine et ses représentations délirantes pouvaient se produire. Le nucléaire onirique anglo-saxon avait été bâti sur la consubstantialité des jumeaux accotés aux rives de l'Océan Atlantique ; mais le nuage des peurs irraisonnées qui montait des steppes de Russie allait faire débarquer l'Asie dans l'aréopage des géants de la mort simulée. L'astéroïde des jeux auxquels une espèce semi animale se livre avec son propre trépas entrait dans les brumes d'un déséquilibre mental dont la source ne se trouvait plus dans les embarras et les feintes des trois premiers Jupiter, déjà tout empêtrés dans leurs éclairs inutiles, mais dans la montée en puissance du cinquième continent.

Il allait devenir d'un ridicule criant que l'Asie fût censée s'étendre de la frontière polono-russe à Vladivostock, de la Sibérie à la Chine, de Pékin à New-Delhi et du Pakistan au Moyen Orient sous prétexte que des géographes en chambre avaient décrété, trois siècles auparavant que le globe terrestre se présenterait pré-découpé à jamais entre cinq continents.

A partir de l'instant où cinq acteurs nucléaires montaient sur les planches d'un théâtre tout frémissant des fariboles du suicide - la Russie, la Chine, l'Inde , le Pakistan et Israël - que penser du découpage d'une terreur jouée sur les planches d'un théâtre contrefait, que penser des acteurs tout affairés à se masquer en scène, alors que leur négligence antérieure à l'égard d'un cinquième continent informe, immense et insaisissable les réduisait tous à un rang secondaire? Le globe oculaire de l'Occident des Cyclopes commençait de se focaliser sur l'autre versant d'une terre plus déséquilibrée que jamais, mais vers laquelle l'histoire véritable avait commencé de courir à toute allure au cours de la guerre précédente et à laquelle l'ascension retardée du Japon de Hiro Hito et de la Chine de Mao Tse Dung avait servi de prélude.

En politique, la courte vue des nains qui se prennent pour des hommes d'Etat ne les rend pas immédiatement suicidaires; car si leur regard s'étend trop loin et se fixe sur un horizon inaccessible, l'histoire poussive leur rend le service inattendu de mieux les ficeler à leur chariot, tandis que seule une vaine postérité vient jeter sur la tombe des géants les lauriers d'une gloire paresseuse et déjà à demi effacée.

4 - Les quintuplés de saint Matamore

Mais si un pygmée d' homme d'Etat se livre du moins au vertige passager d'une réflexion d'anthropologue en herbe sur la notion d'équilibre politique, il se demandera quelle est la myopie propre aux théologiens de l'auto extermination nucléaire. Pourquoi jugent-ils maintenant à ce point périlleux le faux équilibre dont souffre le Moyen Orient qu'ils croient le voir accoucher de rapports de force mortifères entre un Iran satanique et un Israël séraphique? En quoi la dissémination passagère de cinq Zeus nucléaires asiatiques entre cinq apocalypses aussi oniriques les unes que les autres assurerait-elle la sécurité de la planète tout entière, tandis que la seule entrée du Lucifer de Téhéran dans le club des saints interdirait la paix universelle et la stabilisation éternelle de la folie du monde? Que signifie la notion même d'équilibre politique entre cinq épouvantails florissants en Asie si l'elixir de la foudre placée entre les mains des élus occidentaux est tout aussi vain et si personne n'ose plus brandir l'innocence nucléaire sur la tête des pécheurs?

En vérité la France avait bien davantage bousculé le faux équilibre de la terreur bicéphale qui régnait encore sur le monde au milieu du siècle dernier que ne le pourra jamais le Prométhée iranien quand son heure sera venue d' escalader benoîtement l'Olympe déjà fatigué des apocalypses asiatiques. La question posée à l'homme d'Etat de stature moyenne - celui dont la vue n'est frappée ni d'une myopie inguérissable, ni d'une presbytie qui le propulserait dans la stratosphère - n'est-elle pas de se demander du moins où se cache l'acteur en chair et en os qui semble avoir façonné le misérable entendement du genre simiohumain sur toute la terre habitée? Comment s'appelle-t-il, l'auteur comique auquel nous devons le chef d'œuvre du rire que l'on sait? Quel exploit sans exemple de la plume que de meubler comme en se jouant le microscopique encéphale de notre espèce de tant de billevesées hilarantes que toutes les nations censées saines d'esprit appellent maintenant le dieu des armées à éviter une explosion de la mappemonde qui, à les entendre, résulterait fatalement d'un Iran enfin campé à armes égales face à Israël!

Mais toute réflexion anthropologique sur un point aussi énigmatique conduirait nécessairement l'homme d'Etat à se poser une question plus littéraire encore que toutes les précédentes. Car, se dirait-il, cent quatre vingt dix nations ont signé un traité selon lequel les huit propriétaires actuels de la bombe à vaporiser le simianthrope prononceraient le vœu solennel et irrévocable de s'en défaire progressivement, donc avec une lenteur intéressée, tandis que tous les autres candidats à d'éternelles dévotions jureraient promptement et la main sur le cœur que, pour leur part, ils ne mangeront pas une miette de la pomme que leur tend le Démon tentateur des modernes.

On voit, hélas, que la réflexion de fond à laquelle même un homme d'Etat de petit calibre se trouve conduit se révèle simianthropologique par nature et par définition, donc du ressort d'une radiographie du singe semi pensant, puisque l'apocalypse est un concept né dans l'arène verbale des religions du salut. Mais l'homme d'Etat en apprentissage de sa tête n'en est pas quitte pour autant avec sa minusculité cérébrale. Car, de leur côté, cent vingt huit Etats refusent tout net de se ruer tête baissée dans une fantasmagorie militaire de ce genre et s'indignent haut et fort de ce qu'à elles seules, l'Amérique et l'Europe se présentent sous les traits faussement iréniques de la sainte "communauté internationale" invoquée par M. N. Sarkozy et moquée par M. Hubert Védrine.

5 - Notre embryon d'encéphale

Mais voyez comme ce jeu de tric trac ne va pas tarder à se compliquer encore davantage: certes, le Brésil et la Turquie voient si loin dans les nœuds de la sottise du monde qu'ils ont pris la tête d'un combat de la raison trans-animale de demain afin de tenter d'ouvrir les quinquets du singe tétanisé. Mais comment se fait-il que M. Barack Obama ait semblé voir clair dans ces ténèbres, comment se fait-il qu'il ait même tenté de dessiller les yeux de ses congénères sur tout le globe terrestre, comment se fait-il que l'univers musulman tout entier soit ensuite demeuré pétrifié de surprise au spectacle du naufrage de la lucidité d'un Président des Etats-Unis pourtant un instant arraché à son sommeil et comment se fait-il que M. Nicolas Sarkozy ait pu lui asséner des mois durant que l'Iran incarnait le serpent de la Genèse? Pour que l'hôte de l'Elysée n'ait pas été vigoureusement rabroué, il faut évidemment que la notion bêtasse d'équilibre universel invoquée par le Président actuel de la République française ne l'ait pas fait assez vertement remettre à sa place. Du coup, nous voici conduits comme par la main non seulement à la question de l'équilibre des forces entre Israël et le reste du globe terrestre, mais à celle de l'équilibre actuel des forces entre la raison et la folie, l'intelligence et la sottise, la lucidité et la cécité du simianthrope aux yeux bandés.

Car si Israël s'est rendu le maître de l'encéphale de la moitié du genre simiohumain et si, dans l'état présent du cerveau de cet animal, la portion de sa masse rendue semi réflexive n'est pas encore devenue suffisamment prédominante pour imposer ses clartés partielles aux spécimens demeurés plus aveugles dont elle se trouve encore majoritairement composée, la vérification expérimentale audacieuse d'une hypothèse aussi risquée se trouvera à portée de main de la minorité résolument pensante qu'on voit germer au sein de tous les autres peuples et de toutes les autres nations de la terre; car la majorité d'une espèce encore plongée dans les ténèbres croit dur comme fer qu'il sera possible de fonder un Etat souverain qui se partagerait souverainement une seule capitale, puis qu'Israël recevrait souverainement les descendants des habitants qu'il a expulsés il y a soixante trois ans et dont le nombre atteint maintenant quelque cinq millions et demi de personnes, puis qu'Israël s'amputerait souverainement de tous les territoires qu'il a conquis les armes à la main depuis 1948.

Comment se fait-il qu'il demeure impossible à la minorité devenue relativement cogitante sur une planète gentillette de convaincre la multitude de ce que la démocratie mondiale perdrait à jamais tout fondement éthique de sa politique si elle cédait à la folie sans remède de prétendre légitimer un Etat sur le fondement de la validation religieuse et de la sanctification éternelle du vol du territoire de son voisin? Mais M. Nicolas Sarkozy ne joue-t-il pas sur le velours de l'hérésie, lui qui bâtit toute sa politique sur l'apologie et même sur le panégyrique du déséquilibre le plus sacrilège de tous? Car il béatifie le blasphème selon lequel l'inégalité des cerveaux entre lesquels les spécimens actuels des évadés de la nuit animale se partagent, serait irrémédiable au point qu'Israël aurait été élu par un Jahvé de la raison et de l'intelligence pour occuper à jamais les terres d'une population cérébralement retardée.

On voit que la critique psychogénétique de la boîte osseuse de notre espèce demeure au-dessus des capacités cérébrales de l'homme d'Etat de stature moyenne. Mais ce phénomène n'est pas nouveau. Depuis trois mille ans, l'humanité se divise à des degrés divers entre les cerveaux mythologiques et les cerveaux alertés. De nos jours encore, cinq cent millions de simianthropes croient manger de la chair à la fois réelle et divine et boire un sang tout ensemble sacré et physique sur les autels qu'ils dressent à leur idole, tellement la découverte de la séparation entre la matière et le symbole, la substance et le signe, les corps et les métaphores n'a pas encore triomphé dans le tabernacle cérébral qui couronne notre espèce; et gardons-nous d'oublier que ces distinctions depuis longtemps familières aux physiciens n'a débarqué sur la place publique qu'au XVIe siècle et encore, tout partiellement chez Luther et seulement un peu plus complètement chez Calvin. Aussi la question de savoir si Israël est un personnage physique ou mental continue-t-elle de diviser les chancelleries.

6 - Les arpents de Jahvé

Ce blocage cérébral du simianthrope originel se vérifie plus spectaculairement que jamais à l'heure où le globe oculaire de la malheureuse espèce à laquelle nous appartenons nous divise entre les quelques individus qui voient clair comme le jour la situation politique réelle qui s'étale sous leurs yeux grands ouverts en Israël et l'immense multitude qui jette sur ce spectacle le voile d'un double mythe religieux, tantôt le démocratique, dont la sacralité confuse et fractionnée prétend légitimer la dépossession de ses terres d'un peuple vieux de plusieurs millénaires, tantôt le biblique, qui invoque, droit dans ses bottes, le cadeau dûment enregistré par les ancêtres qu'une divinité primitive leur aurait fait il y a quatre mille ans. Mais, dans le même temps, la minorité cérébralisée de la planète voit que seul un regard de l'extérieur sur l'encéphale schizoïde d'une espèce demeurée semi animale conduira un jour la raison politique mondiale à une analyse psychobiologique en mesure d'éclairer du dehors les notions d'équilibre et de déséquilibre cérébral qui égarent le singe dichotomisé sous son os frontal.

Quand M. Nicolas Sarkozy se sait et se veut l'instrument et l'otage d'Israël, quand il approuve l'ultime stratégie de Jahvé d'attaquer la Syrie afin de contraindre, par ce détour, l'Iran à se porter au secours de Damas, il ignore entièrement la psychogénétique à laquelle l'histoire du monde obéit et qui situe le conflit du Moyen Orient sur l'échiquier de la simianthropologie critique; car il invoque l'équilibre qu'il croit détecter sous un déséquilibre politique qu'il ne voit qu'au premier degré - celui qui se contente de peser et de calculer les forces militaires respectives d'Israël et de l'Iran - alors que le déséquilibre abyssal à considérer est celui qui frappe une matière grise scindée entre le réel et le mythe et qui pilote encore un animal à la fois embryonnaire et germinatif, donc suspendu de naissance entre son ciel et ses songes, sa terre et ses mythes, ses dieux et ses arpents. C'est pourquoi l'homme d'Etat d'aujourd'hui n'est encore que l'instrument inconscient et passif de l'histoire qu'il croit guider ; et c'est pourquoi la postérité dira de lui qu'il a passé au grand large des promesses cérébrales de son temps.

7 - Du statut cérébral et du statut corporel des Etats

Comment l'encéphale du singe onirique et celui du singe éveillé vont-ils donc entrer en collision ? Selon un modèle constamment expérimenté dans le passé. Pour l'instant, on voit remuer les lèvres des participants aux pseudo négociations ouvertes au Moyen Orient et qui permettent seulement aux deux parties de cacher leurs songes théo-politiques sous un vain babillage. Mais l'heure sonnera fatalement où l'on verra les vraies pièces du dossier débouler sur la table. Que se passera-t-il quand on se pincera et se tâtera au spectacle des enjeux sur lesquels on fermait obstinément les yeux? Car les faits retireront sans pudeur leurs vêtements sacrés et se montreront tous nus dans l'Eden: les faits, les faits, les faits…

Alors l'Israël biblique ne parviendra plus à nier qu'il ne veut à aucun prix entendre parler d'un partage de Jérusalem ni rendre un seul arpent des saints territoires qu'il a conquis sur l'ordre de Jahvé - et encore moins accueillir des réfugiés impurs - alors que, de leur côté, les Palestiniens comprendront, mais un peu tard, que les murailles de Jéricho ne tomberont jamais devant les Josué bavards de la démocratie mondiale. L'anthropologie critique est une prophétesse des évidences: elle annonce le débarquement d'un grand prodige de la raison parmi les aveugles et les sourds, à savoir qu'on se demandera jusque dans les chancelleries aux mains jointes par quel miracle de l'histoire Israël campe en ces lieux et pourquoi ce pseudo Etat se promène en long et en large sur le territoire d'autrui, et comment ses chromosomes ont franchi tous les obstacles placés sur leur route pour faire débarquer sur la planisphère un pays installé exclusivement dans les têtes depuis deux mille ans.

Une science historique encore tellement ignorante des arcanes psychobiologiques des peuples qu'elle ne sait comment un Etat parvient à passer de son statut cérébral à un statut corporel fatalement voué à s'évanouir après quelques années de vaine figuration sur les planches, une telle science des nations demeurera infirme aussi longtemps que l'anthropologie historique ne lui aura pas enseigné à calculer la durée des nations malades de leurs songes. Certes, le reste du monde ne lancera ni tanks, ni cavalerie, ni phalanges macédoniennes à l'assaut des murailles d'un Etat dont le fantôme aura paru s'incarner un instant. Mais bientôt le monde entier se demandera comment une fiction devenue musculaire résisterait au désaveu, au mépris et à la fureur de la portion de l'humanité qui s'obstine à distinguer le ciel de la terre.

8 - Le plateau le plus lourd

Et pourtant, une théorie générale des relations tempétueuses que l'humanité entretient avec la moitié onirique de son encéphale - donc les Etats avec le royaume des songes qui les coiffe - commence de dessiner ses contours. Car bien avant Israël, le christianisme s'était, lui aussi, divisé entre ses prédateurs des arpents du ciel de ceux des labours. Longtemps, longtemps la mystique du salut par la potence a glorifié les guerriers qui montaient à l'assaut de l'absolu les mains nues. Certes, la doctrine officielle de l'Eglise ne pouvait manquer d'alléguer que le croyant ne saurait s'installer même à demi dans le royaume de Dieu de son vivant sans l'aide discrète, mais indispensable du souverain du ciel; mais cette restriction mentale résultait seulement de ce qu'il fallait se garder de paraître empiéter sur les prérogatives d'un propriétaire des nues qui feindrait de se laisser bousculer.

Le christianisme n'en a pas moins conquis de vastes territoires la croix dans une main et l'épée dans l'autre - et cela tout le temps que sa puissance temporelle lui en a fourni les moyens. Quelques anthropologues en ont conclu qu'Israël serait un plus doux prédateur de la Judée que de la Jérusalem céleste. Mais leur balance s'est trompée dans la pesée des exploits respectifs des encéphales mi-célestes et mi-terrestres du singe bipolaire; car la dichotomie cérébrale de l'espèce semi réflexive révèle que le plateau le plus lourd est toujours celui du temporel et qu'Israël ne fait qu'obéir à la règle qui commande les exploits d'un animal schizoïde de naissance.

9 - Une terreur de l'an mil en miniature

A quel moment l'erreur religieuse apparaît-elle en tant qu'erreur? On sait que les fausses sciences se trouvent réfutées par des démonstrations logiques et expérimentales confondues. C'est pourquoi il a fallu attendre les observations astronomiques de Tycho Brahé pour se livrer aux calculs nécessaires à la mise en évidence définitive de l'héliocentrisme. Puis, la physique copernicienne a provoqué une protestation durable des esprits religieux - mais la physique mathématique a toujours le dernier mot, tandis que les erreurs religieuses ne périssent jamais pour avoir été réfutées, mais seulement parce qu'elles se dissolvent lentement dans l'oubli. Jamais l'Eglise réduite par des calculs à enterrer l'astronomie de Ptolémée ne renoncera pour autant à l'arme de l'excommunication majeure, par exemple, ou à quelqu'autre mythe dont l'emploi politique tombe seulement et toujours peu à peu en désuétude.

Il en sera de même du machiavélisme nucléaire. Mais pourquoi les Etats ne proclameront-ils jamais sans vergogne, eux non plus et à la face du monde qu'il ne s'est jamais agi d'une arme militairement utilisable, mais d'une copie mécanique maladroite de l'épouvante religieuse posthume? Parce que les erreurs sacrées ne résultent pas d'une insuffisance des instruments physiques du savoir, mais d'une sottise effrontément calculée. Aussi, jamais des Etats démocratiques pourtant censés fondés sur des victoires spectaculaires de la raison et de la science prométhéennes n'admettront qu'elles auront feint de partager pendant près d'un siècle la croyance en l'efficacité sur le terrain d'un mythe guerrier de type vétéro-testamentaire et que la civilisation de la Liberté aura habilement conduit à une régression cérébrale simulée, le Prince nouveau exploitant l'inconscient atavique des peuples et des Etats les plus modernes.

C'est pourquoi l'Iran ne parviendra pas à convaincre les Machiavel de leur propre sottise d'honorer publiquement et toute honte bue le vœu faussement dévot de l'amputation volontaire auquel ils se sont engagés par serment sur les autels de la démocratie mondiale. Les grandes puissances n'ont-elles pas juré solennellement d'immoler le nucléaire biblique sur les offertoires de la nouvelle piété politique du monde? Hélas, il est aussi difficile de proclamer qu'une arme terrestre est inutilisable pour cause de stupidité que, pour l'Eglise, d'avouer la sottise du gigantesque simulacre de l'excommunication majeure et, dans le même temps, les titanesques florentins de la politique nucléaire sont aux abois. Ne confessent-ils pas d'ores et déjà qu'ils ne seront jamais en mesure de décourager les petits candidats de conquérir à leur tour une foudre aussi imaginaire que benête aussi longtemps que, de leur côté, ils se vanteront bruyamment de la conserver au frais sous leurs hangars coûteux?

10 - La réfutation des songeries sacrées

Telle est l'aporie simianthropologique à laquelle l'esprit thermonucléaire est livré dans un monde où Zeus n'escalade plus qu'un Olympe de centrifugeuses inutiles. Mais les écailles tomberont désormais des yeux des fidèles à l'école des seules décennies. Personne n'a réfuté ni ne réfutera la foudre de Grégoire VII. Mais si Benoit XVI s'avisait de recourir au sceptre de l'excommunication majeure qui armait le bras de ses lointains prédécesseurs, le monde entier éclaterait d'un rire homérique, parce que la longévité des songeries sacrées s'est considérablement raccourcie. Aussi le problème psycho politique que le mythe nucléaire pose à M. Ahmadinejad est-il du ressort de la simianthropologie européenne. Les progrès de cette science nouvelle ne rencontreront pas les mêmes difficultés à vaincre les lenteurs de l'histoire que Voltaire ou Diderot à réfuter l'excommunication majeure du XIe siècle, puisque, les mythologies sacrées se laissent maintenant terrasser à l' école des raisonnements implacables des philosophes, tellement la chute de leur démence dans la honte a pris un rythme précipité.

M. Ahmadinejad est le premier chef d'Etat rationaliste qui ait pris le risque politique de proclamer publiquement et depuis plus de deux ans que l'arme thermonucléaire n'est pas militaire. On feint de ne pas l'entendre. Mais les mythes ne sont plus durs d'oreille à perpétuité: dans un lustre à peine, Clio va recouvrer l'ouïe.

11 - M. Ahmadinejad et la sagesse de la Perse

Une nation de soixante quinze millions d'habitants ne saurait se retirer toute seule de l'arène de la terreur mythologique dans laquelle l'humanité esquive les cornes épointées d'un taureau de plus en plus indocile à foncer dans le leurre. Le devoir politique de tout gouvernement de la Perse est d'attendre patiemment qu'on débusque le malin qui feint de se cacher derrière le chiffon rouge. Bientôt la lente évolution de l'encéphale théopolitique du simianthrope permettra à l'Iran de se rallier à un progrès tardif de la boîte osseuse de l'humanité qu'il ne lui appartient nullement de précéder aveuglément et à son évident détriment. Aucun Etat digne de ce nom ne saurait jeter les fausses armes de son siècle avant les Goliath et les Tartuffe de leur folie. La sagesse la plus élémentaire, et aussi, sa dignité lui ordonnent d'attendre que le soleil des Copernic succède à celui des Ptolémée.

Cette question n'est pas tellement prématurée qu'elle peut le paraître. Le 3 mai 2010, M. Ahmadinejad s'est donné à nouveau le luxe d'exposer, sans danger immédiat pour son pays et devant l'aréopage complet de l'Assemblée des Nations Unies la cécité anthropologique à laquelle le monde se trouve actuellement livré. Certes, la presse et la radio françaises se sont contentées de relater que le malheureux avait "prononcé une diatribe contre les puissances nucléaires" et que huit délégations vertueuses, dont l'américaine, l'anglaise, la française et l'allemande, ainsi que M. Ban ki Moon avaient quitté la salle avec des mines hypocritement outragées. Mais M. Ban ki Moon est néanmoins revenu en séance avant la fin du discours sacrilège! Les mêmes médias ont également oublié de souligner que ce chef d'Etat a été applaudi à tout rompre par les autres démocraties et que la petite Suisse elle-même a osé déserter sa neutralité pour condamner l'immoralité des grands Etats qui menacent les petits de les pulvériser.

En vérité, le discours du 3 mai n'était que le premier étage de la fusée dont le second allait place M. Ahmadinejad et l'Iran sur orbite planétaire. Le 17 mai, Téhéran réunira un sommet des pays du G15. Bien que non membres de ce mouvement dit des "non alignés", et fondé par dix-huit Etats en 1989, la Turquie, la Syrie et le Qatar seront présents aux côtés du Brésil, du Vénézuéla, de l'Algérie, du Sénégal, du Zimbawé, du Sri Lanka, de l'Indonésie, de l'Egypte, de l'Inde, du Kénya, du Nigeria. Dans le même temps, la Russie et la Chine ont renouvelé leur refus de toute sanction économique contre Téhéran.

Si une Allemagne et une France gaullistes se voulaient les moteurs de l'émergence du monde des non-alignés de demain, quel nouvel équilibre succèderait au déséquilibre actuel! Au lieu de cela, le déséquilibre européen est devenu un monstre heptapode: on y compte sept chefferies dont aucune ne sait sur quel pied danser. Primo, la Commission de Bruxelles, qui voudrait piloter les budgets des Etats-membres sans leur proposer une politique planétaire commune; secundo, un président du Vieux Monde qui ignorait que le carrousel dees présidences tournantes n'a pas été aboli par le traité de Lisbonne et qui attendait un aimable coup de fil de M. Barack Obama ; tertio, une Espagne qui a échoué à faire venir le Président des Etats-Unis autour de vingt-sept tasses de thé; quarto, une Mme Ashton qui entend engager huit mille diplomates pour représenter une Europe sans vocation et sans destin sur la scène internationale; quinto et sexto, un président de la banque centrale du Vieux Monde et un président de l'eurogroupe privés de toute initiative politique à l'échelle mondiale; septimo, un couple franco-allemand dont l'un lorgne vers la Pologne, la Russie et la Chine et l'autre voit sans broncher Israël réduire sa politique arabe en cendres.

Souvenons-nous de la flotte pantagruéline qui fit escale en l'île Tohu-Bohu et en celle de Médamothi, qui signifie "nulle part" en grec . Quand entendrons-nous l'oracle de la dive bouteille conclure avec Rabelais: "Lors trouvâmes tous nos navires au port"?

12 - L'avenir de l'Iran

Quel entr'acte inattendu de la pensée politique de la France que celui où la nation de Montaigne et de Descartes aura qualifié d'équilibre mondial les deux gigantesques déséquilibres de la planète bancale d'aujourd'hui. D'un côté, et en pleine paix, l'Allemagne et l'Italie demeurent occupées respectivement par deux cents et par cent trente sept gigantesques places fortes américaines, de l'autre, Israël vient de faire voter par la chambre des représentants du peuple américain et à la barbe de M. Barack Obama - qui aura dû feindre de s'y associer - un crédit de deux cent cinquante millions de dollars supplémentaires afin de protéger le " peuple élu " des trois monstres du Loch Ness censés le menacer, la ville exsangue de Gaza, le Hamas et le Hezbollah. Voilà une équation tellement déséquilibrée que le culte de l'équilibre dont M. Nicolas Sarkozy est censé témoigner renvoie la pensée logique mondiale dans les cordes, mais conduit l'anthropologie politique française à l'examen des jeux de l'encéphale simiohumain avec les puissants et les faibles.

Car le retard mental de l'Europe permet à l'Iran de prendre une singulière avance sur la boîte osseuse bancale de la planète du XXIe siècle puisque Téhéran s'adresse à des aveugles et à des sourds d'un côté, mais de l'autre, à la portion éveillée de l'humanité. On attend la plume française qui racontera la suite des Lettres persanes. Usbeck écrirait que la prise de conscience de la scission psychogénétique entre les cerveaux d'avant-garde et les cerveaux théologiques a d'ores et déjà débarqué en force sur la scène internationale, que que la bombe de la stupidité sera jetée à la ferraille sans un mot et que la nouvelle et éphémère excommunication majeure aura ressemblé à la précédente en ce qu'elle s'se sera trouvée mise hors d'usage elle aussi pour n'avoir été utilisée qu'une seule fois.

- A propos de la bombe nucléaire de l'Iran, Esquisse d'une théorie générale de l'inconscient religieux du cerveau des démocraties, 21 septembre 2009

Mais quelle expérience sur le vif que ce raccourci de l'histoire simianthropologique d'une foudre décédée! Le christianisme n'avait fait débarquer sur la terre le cerveau schizoïde de l'humanité que pour deux ou trois décennies. La bible des chrétiens raconte elle-même la brève folie du prétendu règne du royaume de Dieu à Jérusalem. La mise en scène littéraire du mythe par les Cervantès, les Swift et les Voltaire a produit des chefs-d'œuvre qu'on lit encore dans nos écoles. Puisse le génie de la planète des écrivains de demain ressusciter le songe suicidaire qui n'aura enflammé les fous qu'un petit siècle seulement.

Publié le 16 mai 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/


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