L'un après
l'autre, les Présidents de la Ve République ont tenu à apposer
leur sceau sur l'histoire du génie de la France. Voilà qui est
révélateur de la place qu'une civilisation occupe dans le
déroulement de sa propre histoire. Nos chefs de l'Etat ont-ils
voulu imiter les empereurs romains qui, de Jules César à
Constantin, ont tenu à parer une civilisation sur le déclin de
ses monuments les plus colossaux? Il est plus étonnant encore
que les préfigurateurs des Vespasien, des Hadrien, des Trajan de
l'Europe finissante aient illustré l'histoire de la Gaule
sommitale à l'école de la tournure d'esprit propre à chacun
d'eux.
Le Général de Gaulle avait compris que la France des provinces
était demeurée un désert culturel; et il avait trouvé, en
l'auteur de la Condition humaine, le barde qui
rêverait de semer le territoire de la nation de capitales
intellectuelles et littéraires. Un demi-siècle plus tard, Lyon,
Marseille, Bordeaux, Lille ou Strasbourg sont bien loin de faire
figure d'Athènes régionales; mais toutes les nations du monde
ont fait place à un Ministère de la culture au sein de leur
gouvernement. Sans doute aurait-il mieux valu les armer d'un
Ministère de la création, tellement il était fatal que toute
l'entreprise de déprovincialiser des territoires endormis par
les siècles courait le danger de tomber dans le piège prévu et
dénoncé par André Malraux de confondre la culture avec
l'instruction publique et l'intelligence des grandes œuvres avec
l'idée que les Etats se font de l'éducation nationale.
Georges Pompidou
a su éviter cette glissade: le centre qui porte son nom
permettait à l'Etat de s'associer jour après jour aux alliances
qu'une mémoire sans cesse menacée par la scolarisation des
savoirs conclut avec les aventures périlleuses de l'art, de la
littérature et de la pensée. Ce pacte de l'audace et de la vie
avec la profondeur de vues d'un grand homme d'Etat répondait à
l'esprit d'un lauréat du concours général, d'un amateur de
poésie et d'un connaisseur de la langue de Périclès.
Puis, M. Giscard
d'Estaing sut tirer le meilleur parti de son aristocratisme
naturel et de sa vocation de Ministre des finances : le musée
d'Orsay d'un côté et l'ampleur accordée au Centre national des
Lettres de l'autre permirent à l'Etat d'honorer les grands
peintres impressionnistes tout en préservant les Verlaine et les
Rimbaud de notre temps de périr sur une paillasse. Quel progrès
qu'il fût permis à Socrate de s'acheter un manteau en hiver,
alors qu'à Athènes, seuls quelques amis généreux du premier
martyr de la raison y veillaient.
Puis, M. François
Mitterrand comprit le premier que si Vespasien avait construit
le Colisée afin de tenter d'effacer de la mémoire de Rome la
souillure des Néron, des Claude, des Caligula, des Othon, des
Vitellus, le tour était venu, pour l'Europe mourante, de donner
dans le pharaonique purificateur. Le grand Louvre, la Très
grande Bibliothèque, l'Opéra de la Bastille, les tours de la
Défense ont fait entrer la France dans le titanesque qui préside
aux funérailles des civilisations.
Puis M. Jacques
Chirac a fait sonner les cloches du soir aux oreilles des
apprentis de la décadence: le musée du Quai Branly fait appel
aux tribus antérieures à l'apparition de l'écriture, de la
pensée philosophique, des sciences abstraites et des équations;
et il a demandé aux derniers feux de notre éternité d'éclairer
une exposition de fétiches et de totems qu'une pluie de sorciers
jaillis du fond de leurs forêts sont venus protéger des mauvais
esprits. La dérive de la culture européenne vers la muséographie
allait se poursuivre jusqu'à la caricature avec M. Nicolas
Sarkozy , qui a projeté de mettre l'histoire de la France sous
vitrine.
Il est significatif que les étapes de cette chute répondent au
lent trépas des exploits de la plume: le Général de Gaulle, M.
Pompidou, M. Giscard d'Estaing et M. Mitterrand étaient des
familiers de l'encrier. Il suffit de lire une page de l'auteur
des Mémoires d'espoir pour comprendre que cet
homme-là a forgé sa trempe sur l'enclume de l'écriture. M.
Chirac fut le premier Président de la République étranger à
l'art d'écrire. Mais M. Nicolas Sarkozy fait débarquer
l'inculture dans la démagogie jusqu'à mettre le passé de la
nation en bandes dessinées.
2 - A
quel niveau donner la parole à Clio ?
Mais voyez la justesse de l'adage selon lequel "à quelque
chose malheur est bon": de nombreux historiens ont signé un
appel vibrant d'indignation, afin de tenter de conjurer une
profanation de l'intelligence de Clio et M. Thomas Legrand a
aussitôt compris sur France Inter qu'il s'agissait d'une affaire
d'Etat. Exposer le contenu d'une discipline rationnelle dans un
livre d'images à l'usage des enfants des écoles est de l'ordre
du sacrilège culturel. Mais si le malheur n'était bon qu'à
redresser des erreurs, l'adage ne serait pas à double tranchant.
Sa fécondité sera de rappeler que, depuis plus de deux siècles,
la science historique mondiale tente en vain de se rendre "trans-événementielle",
comme elle dit et qu'elle ne se demande même pas ce qu'il faut
entendre par l'adjectif "trans-événementiel", tellement il
faudrait recourir au regard et à la réflexion d'une autre
discipline, la philosophie, pour seulement se poser sérieusement
la question. A quelle profondeur sera-t-il permis à la science
de la mémoire d'apprendre à penser son savoir s'il lui est
interdit de déserter le récit, donc l'anecdotique et le notarial
que la chronologie sème nécessairement sous ses pas ? Mais
quelle occasion providentielle, si je puis dire, de poser la
question du statut et de la méthode de la science historique du
XXIe siècle!
M. Nicolas Sarkozy - aux innocents les mains pleines - permet
jusqu'à nos historiographes, mémorialistes et chroniqueurs de
monter sur leurs grands chevaux et de donner un coup de balai
dans l'infantilisation outrancière d'une science qui, d'Hérodote
à nos jours, a écrit l' histoire de l'esprit moyen du genre
humain. Quels objets exposera-t-on à la Maison de l'histoire
de la France? Si l'on inaugurait une Maison de
l'histoire du christianisme, on verrait, d'un côté, les
héritiers d'Erasme et de Voltaire exposer de pleins paniers de
la sainte épine, un cargo de morceaux de la vraie croix, des
pots de lait de la sainte Vierge durcis à souhait et des piles
de suaires de Turin, pour ne rien dire d'une rangée de fioles du
sang de saint Janvier, dont on sait que Naples en produit une
chaque année et à date fixe sous les yeux d'un notaire dûment
assermenté.
Mais si cette exposition de l'histoire de la foi se trouvait
placée entre des mains pieuses, on y trouverait, certes, et pour
mémoire, des ciboires en or massif du XIVe siècle, des crucifix
sertis de pierreries et des tiares de saints pontifes d'un poids
considérable, mais également le texte authentique de l'Edit
de Nantes signé de la main d'Henri IV et de son
abolition paraphée par Louis XIV, une copie conforme de la
Bulle Unigenitus, des cuirasses et des lances
chargées d'illustrer la sainte ardeur des croisés, des éditions
précieuses de la Cité de Dieu de saint Augustin,
de l'Imitiation de Jésus-Christ ou du
Discours sur l'histoire universelle de Bossuet. Et puis,
le Génie du christianisme de Chateaubriand
n'est-il pas une brillante récapitulation et une superbe
exposition de la fécondité culturelle du mythe chrétien?
Après tout, si
cette exposition comprenait la liste des chefs d'œuvre de la foi
qui, de saint François de Sales à Claudel, se trouvent édités
dans la Pléiade, on ne voit pas pourquoi une maison de
l'histoire de la France qui exposerait côte à côte le couteau de
Charlotte Corday et le texte de la proclamation des droits de
l'homme et du citoyen ne passerait pas pour un conte de nature à
nourrir les vertus républicaines et l'esprit patriotique des
citoyens.
3 - Le
vol d'Icare de la science historique
Mais la question
devient dangereuse, donc féconde, si l'on se demande quels
trésors inestimables de l'intelligence et de la méthode une
histoire qualifiée de trans-événementielle oppose aux gamineries
si, comme il est dit plus haut, il est plus difficile qu'on ne
pense de survoler des enfantillages des huissiers.
S'il est une
nation que son histoire appelle plus que toute autre à mettre en
question la méthode historique superficielle et routinière dont
le monde entier fait usage un siècle et demi après les
Tocqueville et les Bonald et un siècle après les Hippolyte Taine
ou les Mommsen, c'est bien la France, puisque, depuis 1789,
l'histoire de la Révolution s'écrit encore dans l'esprit
eschatologique de l'histoire sainte des modernes, selon laquelle
le nouveau Royaume du salut serait celui dont le concept de
Liberté a accouché au forceps de la guillotine ou dans un esprit
conservateur inconsciemment nostalgique du droit divin.
Prenons
l'exemple de François Furet, dont l'essai
La fin d'une illusion, prenait le contrepied de
l'illustre essai de Freud de 1926 intitulé L'Avenir d'une
illusion. Un tel titre préfigurait une philosophie du
trans-événementiel de type anthropologique, puisqu'il était
suggéré, du moins implicitement, qu'il fallait tenter de scruter
de haut et de loin ce que le genre humain a dans la tête afin
d'apprendre à préciser ce qu'il faut appeler une "illusion" à
l'échelle de l'histoire universelle. Toute l'aventure du
christianisme était-elle celle d'une illusion du singe
détoisonné? Pouvait-on écrire l'histoire entière de la Grèce et
de Rome à la lumière de l'illusion selon laquelle il existerait
des dieux tantôt ripailleurs sur leur Olympe, tantôt courant par
monts et par vaux? La philosophie de l'illusion que professait
François Furet lui permettait, certes, d'entrer dans les
tourments psychiques et sociaux d'une bourgeoisie qui avait
accouché de la Révolution afin d'accorder généreusement ou de
feindre de concéder la "liberté" au peuple. Mais, dit Furet,
cette classe sociale de bonne foi a découvert trop tard qu'elle
avait seulement conquis le droit et le pouvoir de s'enrichir
sans frein, ce qui la mettait dans un porte-à-faux tragique ou
tragi-comique avec son évangélisme politique inné, appris ou
récité. Et maintenant la foi nouvelle en une justice universelle
appelée à changer de parure religieuse et à se convertir en une
soif fort peu évangélique de rivaliser avec le roi Crésus jetait
une classe politique d'enfants de chœur ou de malins commerçants
dans le désarroi des saintetés désabusées.
A partir de ce
diagnostic, François Furet aurait pu tenter de faire débarquer
une pesée critique de la condition simiohumaine actuelle dans
une science historique en quête d'un élargissement de son
horizon intellectuel et philosophique et rédiger une histoire de
la Révolution française inspirée par une contemplation des
apories psychobiologiques qui caractérisent et paralysent depuis
toujours les rescapés des ténèbres.
4 -
L'échec de l'école de François Furet
Comment articuler
le récit vaudevillesque et au jour le jour des évènements avec
le regard d'aigle que les anthropologues du séraphique et du
sanglant portent sur les ressorts ultimes d'une espèce
dichotomisée par le grossissement catastrophique de sa boîte
osseuse ? En vérité, la réécriture trans-événementielle de la
Révolution française inaugurée par l'école des Annales et par
ses continuateurs a libéré la science historique nationale du
finalisme parareligieux et rédempteur de Michelet, mais
seulement afin de la laisser aussitôt retomber dans l'ornière de
l'interprétation dite conservatrice ou progressiste.
Le malheureux destin de la science
historique serait-il de la mettre dans un porte-à-faux insoluble
entre le journal de bord et l'eschatologie laïque ? Certes, il
fallait éviter les périls liés à la droite politique, qui
pouvaient reconduire le pays à une tyrannie consubstantielle aux
monarchies théocratiques; et il fallait non moins tenter de
conjurer les dangers que la gauche de l'époque faisait courir
aux nations tentées de reprendre à leur compte l'évangélisme
politique dont on sait qu'il conduit au débarquement de Clio
dans l'utopie. La dictature soviétique avait guidé les peuples
jusqu'aux portes dorées du paradis à la fainéantise
bureaucratique et au culte d'une "liberté" de fonctionnaires
repus. Comment éviter qu'une population d'enfants trompés
accouche d'une classe dirigeante dont la puissance reposera sur
la sacralité d'un suffrage universel illusoire, comment
interdire à un peuple d'enfants de se nourrir du ciel qu'il est
devenu à lui-même sous les couleurs de la "liberté" au pays
d'Alice, comment congédier les légions serrées de serviteurs
stipendiés de l'Etat et de garde-chiourme, bref, comment écrire
une histoire sans illusion du genre humain si l'illusion est
inscrite dans les gènes de notre espèce?
L'école de
François Furet est irrémédiablement datée par la nécessité de
son temps de sortir du rêve marxiste, ce qui aurait pu enseigner
aux historiens en quête d'une trans-événementialité le
fonctionnement du cerveau simiohumain - science qui leur aurait
été bien utile , comme la suite n'allait pas tarder à le
démontrer, puisque, dix ans seulement après la mort de François
Furet, l'histoire mondiale devient inintelligible aux
professeurs d'histoire privés d'une anthropologie des mythes
sacrés et d'une radiographie du messianisme démocratique.
5 - Le
quinquennat de Nicolas Sarkozy exposé à la Maison de l'histoire
de la France
Comment les "vrais historiens" d'aujourd'hui interprèteront-ils
le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy sur le mode trans-événementiel,
comment conquerront-ils l'intelligibilité du temps des peuples
et des nations sur des chemins transcendants au quotidien et de
telle sorte qu'ils ridiculiseront, n'en doutons pas, la mise
sous vitrine de trois années de l'histoire de France dans un
musée de l'anecdotique. Mais que se passerait-il s'ils se
heurtaient in fine aux impasses méthodologiques liées à
la science historique elle-même et en tant que telle?
En 2010, François
Furet, irait du moins jusqu'à observer la loupe à l'œil
l'histoire de la Ve République du point de vue de l'évolution
des démocraties présidentialisées. Car, d'un côté, ce type d'
Etat tente en vain de contrebalancer l'incompétence sur la scène
internationale des assemblées parlementaires dont la médiocrité
municipale conduit les nations à une décadence irrémédiable, de
l'autre, ce régime ne tarde pas à céder au glissement du
président vers un autoritarisme étroit et stérile. Mais une
analyse anthropologique de ce genre de dérive se verra
condamnée, elle aussi, à restreindre le champ d'investigation
d'une science historique dont la logique interne conduira
fatalement la science de la mémoire à découvrir que l'homme
appartient à une espèce ingouvernable, ce qui interdit, en fait,
tout véritable enseignement de ce savoir au sein des
civilisations encore semi-rationnelles de notre temps et
incapables de combattre les formes modernes de la démagogie.
L'enseignement
officiel de l'histoire dans les écoles est la catéchèse dont la
raison laïque a revêtu la chasuble Chaque année, ce ne sont pas
les ministres de l'éducation nationale, mais les chefs de
gouvernement en personne qui se rencontrent afin de convenir
entre eux de la manière dont l'histoire ad usum Delphini sera
rédigée. Il s'agit d'"harmoniser" les manuels scolaires qu'on
fera lire aux enfants afin de les béatifier à l'école de la
démocratie, de la "liberté" et de la "justice". Le mythe de la
délivrance a seulement changé de tiare et de crosse. Mais si le
nouveau clergé rivalise avec l'ancien, qu'est-ce que l'illusion?
Qu'est-ce que le "trans-événementiel" dont la science historique
a fait son pays de Canaan? Depuis les origines, cette discipline
porterait-elle des vêtements trop grands pour elle? Mais si, à
force de grossir, elle fait éclater ses coutures, comment la
faire maigrir sans la réduire à un squelette et comment la faire
engraisser sans lui faire changer de domicile? Quel est l'enclos
de l'histoire proprement dite en ce début du IIIe millénaire?
6 -
Nora, Gauchet, Ozouf
Prenons trois
exemples de la course entravée de la science historique
contemporaine vers la trans-événementialité de sa réflexion et
de sa méthode.
M. Pierre Nora a
une conception institutionnalisée conservatoire et sagement
gestionnaire de l'histoire: Clio dispose, pense-t-il, de
monuments, de musées et de lieux de stockage du passé de la
France. Le trésor public de sa discipline est la masse des
archives. Pour piloter la mémoire de la nation, il faut une
droiture d'esprit ennemie des combinaisons terre à terre de la
politique au jour le jour. A ce titre, Pierre Nora reproche au
Président de la République un "péché originel" daté et localisé:
au début de 2009, il a lancé un débat sur l'identité nationale à
seule fin de combattre la recrudescence, dangereuse pour la
majorité, du crédit électoral accordé au Front National par une
fraction hérétique de la population.
Mais le débat sur
la méthode historique et sur la profondeur de la connaissance du
passé et du présent à laquelle l'historien doit tenter d'accéder
ne passe pas par le chemin des remontrances naïves de Clio aux
hommes politiques en général et au chef de l'Etat en
particulier, parce que le premier regard trans-événementiel sur
l'histoire enseigne que la perversion cérébrale naturelle aux
hommes d'action leur interdit de se soucier de la vérité
scientifique en tant que telle, mais seulement de son utilité
pratique. Pis que cela, non seulement ils pèsent le vrai sur la
balance de l'utile, mais ils proclament que l'utile dit le vrai
et doit lui imposer sa balance.
Qu'en est-il, en revanche, de la question de l'identité
nationale soulevée mal à propos et dans un esprit démagogique
par M. Nicolas Sarkozy? S'il s'agit de peser l'identité
musulmane, il faut commencer par rappeler que le concept même d'identité
religieuse est un fruit de l'humanisme européen post
renacentiste et que les relations que le croyant s'imagine
entretenir avec son idole sont de type théologique, donc
objectives à ses yeux, donc soustraites par nature à un examen
nécessairement subjectif de leur contenu. De même, si vous
demandez à une conscience catholique, protestante ou juive, ce
qu'il en est de leur "identité religieuse", elles ne
comprendront pas de quoi vous leur parlez puisqu'elles
nourrissent des relations "objectives" avec un démiurgeet
qu'elles échappent, elles en sont convaincues, à la pesée du
concept subjectif d' "identité doctrinale" qui ne répond en rien
à un univers mental dont le contenu mythique est immuable et
défini par des dogmes révélés.
Mais sitôt que la
science historique tente de faire un pas hors de son enceinte
événementielle, il lui est rappelé qu'elle est narratrice,
descriptive et huissière par nature et qu'il faudrait changer la
nature même de cette discipline pour parvenir à lui poser la
question, artificielle à ses yeux, de sa trans-événementialité.
Lui serait-il cependant possible de traiter des relations que
l'identité religieuse entretient avec les identités nationales?
Nenni : elles sont étroitement confondues dans l'inconscient
collectif. Comment expliquer à l'école des historiens
l'association de la terre de France avec une mythologie sacrée
de Clovis à nos jours ? Cette tâche est du ressort d'une
anthropologie étrangère, ici encore, à l'outillage mental de
l'historien depuis Homère.
Passons à la méta-événementionnalité de Marcel Gauchet, qui se
fonde sur la notion de "démocratie administrative". Il
faudrait se demander quelle est la généalogie du concept de "civilisation
administrative" et à quelle étape de la croissance, de la
maturation et du déclin des nations et des empires il convient
de situer leur chute dans l'"âge administratif" qui précède leur
trépas - sinon vous n'aurez pas de regard surplombant sur
l'espèce dont il s'agit de peser l'historicité, et vous ne
sauriez remonter à la source des aventures et des avatars d'un
animal au cerveau schizoïde. Ici encore, le concept prétendument
trans-événementiel de "démocratie administrative reste en rade,
faute d'une analyse de son sens qui entraînerait la science
historique hors de la clôture de l'événementiel au sens laïc du
terme.
Que dit Mme Mona Ozouf, la seule historienne
qui soit allée beaucoup plus loin que Furet dans la
compréhension des fondements théologiques de la Terreur et qui a
esquissé un parallèle entre l'épuration robespierriste et la
purification sacrée.
-
Discours
d'outre-tombe sur l'islam - Un orateur de 1797 s'adresse à
l'Assemblée Nationale de la Ve République,
9 mai 2010
Ici encore, nous
nous heurtons aux frontières d'une science historique privée
d'anthropologie critique; si nousprenons le risque de faire une
seul pas dans cette direction, nous spectrographierons
l'évolution de la boîte osseuse de l'animal dichotomique dont un
historien anglais, E. M. Dodds, disait qu'elle était la seule à
vivre sur le mode biphasé, donc dans deux mondes à la fois.
Quelle est la fonction de la trans-événementialité à l'égard de
son propre corps qui dote le simianthrope bipolaire de son
destin historique dans le spéculaire ? Quels sont les poumons et
la respiration d'une espèce auto-orchestrée par ses songes?
7 - A
quelque chose malheur est bon
Essayons de faire
sortir l'histoire du quinquennat de M. Nicolas Sarkozy du musée
de l'histoire de la France qu'il entend inaugurer et, pour cela,
situons sa présidence dans un trans-événementiel qu'il est
interdit d'évoquer officiellement, celui qui place la nation sur
une planète politique dominée par un empire dont on sait que ses
prétoriens quadrillent le globe terrestre de plus de mille
garnisons et places fortes depuis soixante-cinq ans et que sa
flotte de guerre sillonne nuit et jour tous les océans de la
mappemonde. L'école de François Furet n'a accédé en rien à une
vision planétaire de l'histoire de la France et de l'Europe de
son temps. Mais si elle s'y était essayée, comment ses
successeurs écriraient-ils l'histoire des illusions actuelles de
M. Nicolas Sarkozy, sinon par la mise en évidence que si le
parlementarisme de la IIIe et de la IVe Républiques n'étaient
pas à l'échelle de l'histoire du globe terrestre du début du XXe
siècle, le présidentialisme français de la Ve ne l'est pas
davantage, et cela du simple fait que, dans tous les cas de
figure, le suffrage universel ne saurait porter au pouvoir une
classe dirigeante ambitieuse de prendre à bras le corps les
problèmes politiques qui se posent à la planète des démocraties
messianisées par le mythe de la Liberté.
Mais en quoi l'adage selon lequel "à quelque chose malheur
est bon" est-il à double tranchant, comme il est rappelé
plus haut et comment la scolarisation et la mise en images de
l'histoire de la France à l'école des idéaux de 1789
renvoie-t-elle le Ministère de la culture aux albums de Tintin ?
Pour comprendre le contenu de ces albums, il faut se demander
comment la science historique française parviendrait à se rendre
réellement trans-événementielle dans ses méthodes mêmes de
réflexion. Car si nous n'approfondissons pas la notion
fondamentale d'illusion, nous renoncerons purement et simplement
à l'enseignement de l'histoire réelle dans les écoles de la
République.
8 -
L'avenir du trans-événementiel
D'un côté, la
mort du marxisme a fait croire que le capitalisme était viable
pour avoir terrassé l'utopie politique, alors que les défauts de
ce régime économique se sont tellement aggravés à l'école de sa
fausse victoire sur des songes d'origine évangélique que le
désastre attendu, celui du naufrage des espérances
para-religieuses de l'humanité, dépassera de loin l'échec de
l'industrialisation intensive du XIXe siècle, qui n'a pas
compris que le machinisme ne pouvait progresser sans une refonte
radicale de la civilisation mondiale du profit.
La science
historique du XXIe siècle est donc condamnée à devenir trans-événementielle
à l'école d'un apprentissage sacrilège des impasses
psychobiologiques auxquelles le capitalisme financier et
bancaire conduira un globe terrestre à la dérive - ce qui nous
contraindra inexorablement à fonder la véritable science
historique sur des bases anthropologiques, donc en mesure de
scanner les apories qui paralysent de naissance les fils de
Darwin et de Freud.
Le second volet de l'adage selon lequel "à quelque chose
malheur est bon" est le suivant: grâce à Tintin et à son
histoire illustrée de la France, les historiens qui ont protesté
contre les couleurs scolaires du héros de Hergé seront condamnés
à se dire que leur propre histoire du monde demeure, elle aussi,
radicalement inintelligible, et cela tant par nature que par
définition, puisque les croyances religieuses d'un milliard et
demi de chrétiens et d'autant de musulmans demeurent, pour
l'heure, soustraites à toute explication proprement historique
et scientifique. A la rigueur, Thucydide, Tite-Live, Tacite ou
Suétone pouvaient se passer de comprendre les secrets cérébraux
d'une espèce qui, depuis cent mille ans seulement, offrait des
sacrifices coûteux à des êtres imaginaires afin de leur acheter
le sauvetage de leur propre viande et d'obtenir leur appui ou
leur secours sur les champs de bataille.
Mais à partir du
1er siècle, comment prétendre comprendre réellement,
c'est-à-dire sérieusement les évènements historiques proprement
dits si l'encéphale énigmatique d'une humanité prématurément
qualifiée de pensante offre soudainement à une idole trans-événementielle
son propre fils en chair et en os à immoler sur les offertoires,
et cela en échange d'un "rachat" événementiellement intéressé de
la masse de ses créatures, et si le montant de la rançon à
acquitter au pays de Cocagne de la trans-événementialité de
l'Histoire se veut sanglant au point de passer par la
manducation et la digestion du corps de la victime et de la
potion de son hémoglobine ? Pourquoi les fidèles se
réunissent-ils pieusement autour du propitiatoire du trans-événementiel
qu'ils appellent le transcendant? Puis, à partir du XVIe siècle,
la guerre entre les mangeurs et les buveurs d'un côté, et les
consommateurs contrits d'un symbole de leur foi de l'autre a
écrit l'histoire rédemptrice et sanglante du genre humain à
l'école des carnages du sacré. Que vaut une science historique
mondiale qui, depuis un demi millénaire demeure bouche bée
devant une espèce semi animale et trans-événementielle de ce
type, que vaut la Muse d'une mémoire coite et pétrifiée de
surprise face à l'histoire non décryptée du simianthrope trans-événementiel?
Et maintenant
Allah, Jahvé et le Dieu trinitaire se révèlent plus que jamais
les vrais ressorts de l'histoire trans-chronologique du monde,
tandis que nos historiens prétendument devenus trans-anecdotiques,
eux aussi ne comprennent goutte à un spectacle indécodable à
leurs yeux.
9 - Conclusion
Décidément le musée de l'histoire de la France est une sottise
tellement providentielle, si je puis dire, qu'elle met les
historiens contemporains au pied du mur. Ou bien ils avoueront
sous la torture des évènements les plus spectaculairement
indéchiffrables que leur discipline est demeurée une infirme et
qu'elle demeurera à jamais inguérissable, de sorte qu'il faudra
la remiser au garage, tellement on ne saurait raconter
indéfiniment aux enfants des écoles des évènements censés
compréhensibles aux adultes; ou bien on renonce à dévider la
trame du récit pour entrer en apprentissage des derniers secrets
du genre simiohumain. Mais alors, les deux tranchants du malheur
en glorifierait le couteau, puisque Socrate renverra dos à dos
un Etat inculte et ses scribes illettrés pour demander aux
Athéniens de reprendre le chemin du "Connais-toi".
Qu'est-ce à dire? Que la notion de trans-événementialité n'est
autre que la forme nouvelle qu'a prise la quête du sens dont le
sacré assurait autrefois le service. En ces temps reculés, un
géniteur du cosmos avait enfanté l'univers, et, depuis lors, sa
bienveillance pateline conduisait d'une main ferme la masse de
ses fidèles habiter un royaume des félicités éternelles et
posthumes, tandis que, de l'autre, il expédiait d'un geste
rageur ses opposants bouillir dans sa chambre des tortures
souterraines. Sur tous les cadrans solaires du chef on lisait: "Omnia
creasti, nec minore regis providentia" (Ta prévoyance a
créé toutes choses et elle les gouverne avec une non moindre
prévoyance).
Qu'est devenue la question du sens? Le ciel offrait son trône à
une science historique mollement couchée dans la chaise à
porteurs d'une théologie. C'est à la science post-darwinienne et
post-euclidienne qu'il appartient désormais de répondre
partiellement à une interrogation mythologique. Mais encore
faut-il que l'historien poursuive jusqu'à son terme le chemin de
la connaissance rationnelle du temps humain que seul le regard
de l'extérieur de l'anthropologie critique peut lui faire
connaître; et pour cela, son champ d'investigation doit aller
jusqu'à se demander comment et à quelle fin l'encéphale d'un
animal condamné à se colleter seul avec le vide et le silence de
l'immensité sécrète les personnages fantastiques qui lui
serviront de guides imaginaires. Si Clio refuse connaître le
fabuleux mental qui pilote le simianthrope et sur lequel il
prend appui, libre à elle. Mais, dans ce cas, ce sera
délibérément qu'elle occupera un fauteuil dans l'histoire en
images que la République des songes lui aura aménagé ; et ce
fauteuil, jamais elle ne le validera scientifiquement, parce
qu'un aveuglement volontaire n'est pas légitimable aux yeux de
la raison et du savoir. C'est cela la leçon à tirer du futur
musée de l'histoire de la France: les adultes apprennent à
prendre leur véritable mesure au spectacle des nains.
Vivent l'ignorance et la sottise de la République en images si
l'humanité du XXIe siècle devait apprendre sa véritable histoire
dans le miroir de ses totems.
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