Car
l'auteur de Candide écrit
noir sur blanc qu'un chef d'Etat réduit
au rôle d'apprenti de l'histoire et de
la politique à la seule école de la
succession des évènements sera un crétin
que seul l'exercice du pouvoir
informera, mais trop tard, des qualités
cérébrales que requiert l'interprétation
des circonstances au jour le jour.
Autant dire que nous devons nous
demander, toutes affaires cessantes, ce
que l'expérience des affaires a appris à
M. Nicolas Sarkozy depuis quatre ans
qu'il est entré en charge et dont il
ignorait le premier mot; et nous serons
conduits par la main à une méditation
métaphysique sur les relations que le
temps vécu entretient avec le savoir
réfléchi. Mais dans ce cas, notre tâche
la plus ardue sera de découvrir comment
le peuple français élira jamais des
gouvernements savants. S'ils sont
ignorants par nature et par définition
avant leur entrée en fonctions, il
faudra attendre patiemment qu'ils
s'instruisent quelque peu à l'établi; et
comme leur savoir ne saurait précéder
leur maigre expérience, nous serons
longtemps à errer en boiteux sur la
scène du monde. Mais les philosophes
prétendent que, par nature,
l'intelligence prend de l'avance sur
l'expérience et que l'histoire n'est
jamais qu'un faible d'esprit qu'il faut
pousser l'épée dans les reins afin qu'il
finisse par honorer les rendez-vous que
la logique du monde aura donnés à ce
traînard. De son côté, un auteur anglais
que Voltaire fut le premier à admirer
disait que le monde est "une histoire
pleine de bruit et de fureur racontée
par un idiot". Il nous faudra donc
nous demander comment l'Europe naissante
pèsera et soupèsera le jugement commun
de Voltaire et de Shakespeare.
Un suffrage universel privé du flambeau
de la vérification a posteriori des
aptitudes des aveugles et des sourds
comptera sur les doigts les logiciens
dont les raisonnements rigoureux seront
censés conduire des régiments de
candidats trop modestes au chapitre de
leur génie naturel à se persuader tout
de suite que gouverner, c'est prévoir et
que précéder les verdicts en rangs
serrés des sots, c'est déjà faire usage
d'un grain de raison.
2 - Les embarras
philosophiques du suffrage universel
Je me souviens de la
mimique de François Mitterrand à la
lecture du résultat des élections
présidentielles qui lui donnaient la
victoire. La foule des ignorants qui
dansaient autour de lui était convaincue
que cet homme-là disposait de quelque
connaissance de la philosophie des
existentialistes sartriens, qui disaient
que "l'existence précède l'essence",
donc l'expérience la pensée. Dieu seul,
disait-on, voit les essences en esprit
et bien avant leur bienheureuse
collusion avec les substances, puisqu'il
a pris modèle sur des idées pures qu'il
regardait du coin de l'œil avant de
créer le monde à l'"image et
ressemblance" de la virginité des
concepts. Mon hypothèse s'est vérifiée
sans tarder : un masque césarien et
calqué sur celui du ciel de la
démocratie est tombé sur le visage hier
jovial du démagogue, et j'ai vu le
maître du peuple de la Liberté succéder
à son flatteur, j'ai vu la foule
respectueuse du silence et de la gravité
soudaines du candidat le métamorphoser
en souverain intronisé dans l'univers de
la foi. Je me suis alors demandé si la
fascination qu'exerce le monarque de la
croyance républicaine résultait de la
descente subite sur sa tête de la tiare
et de la châsse de l'expérience ou si
c'était l'auréole de l'intelligence
conceptuelle de l'histoire et de la
politique que le suffrage universel
faisait soudainement flotter sur son
crâne auguste.
Vingt-six ans plus tard, tout le monde a
pu constater de visu une autre
transfiguration merveilleuse, celle d'un
candidat que le peuple avait introduit
par surprise à la cour. A peine élu, M.
Nicolas Sarkozy a couru au temple du
Fouquet's, où il a fêté son
intronisation somptueuse dans le luxe et
la liesse d'un joueur heureux d'avoir
décroché à la force du poignet le gros
lot qu'on appelle la France; et, dès le
lendemain, ce batailleur honorait sur le
yacht d'un milliardaire de ses amis
l'onction populaire dont la République
l'avait revêtu. Etait-ce dans l'euphorie
du néophyte que son intelligence
l'appelait à plier sous le faix des
devoirs attachés à sa charge ou bien se
prélassait-il dans l'appréhension et
l'angoisse d'un homme inexpérimenté et
condamné à s'initier si tard aux arcanes
du monde? Est-il encore temps, la
cinquantaine passée, de retourner sur
les bancs de l'école et d'apprendre dans
les manuels scolaires les secrets les
mieux gardés des Etats et des nations?
Mais si la
démocratie est une coquette ou une
courtisane qui attend de ses soupirants
trente ans d'apprentissage de l'art des
fleuristes de composer des bouquets, on
comprend que seule l'expérience de tant
de siècles de combats dans l'arène du
temps enseignera à l'homme d'Etat
quelques rudiments du métier des
Talleyrand et des Vergennes.
3 - Guérit-on de
l'esprit de servitude ?
Et pourtant, l'adage
de Voltaire ne soulève pas encore la
question philosophique de savoir si
l'inexpérience des élus du peuple sur la
scène internationale est le pédagogue
réservé aux imbéciles guérissables. Leur
éducation à l'école de leurs échecs leur
permettra-t-elle de se passer toujours
des armes de la raison et de
l'intelligence, ou bien, tout au
contraire, la pratique ouvrière des
affaires change-t-elle l'artisan des
sots assis à son établi en formateur des
experts de l'ignorance politique et des
spécialistes futurs de leurs désastres?
Autrement dit, la connaissance des
ressorts des catastrophes de la bêtise
est-elle un maître habilité à vous
introduire dans les coulisses du théâtre
du monde et de vous asseoir à la table
des grands? Dans ce cas, une science des
expériences exemplairement désastreuses
suffira-t-elle à former un chef d'Etat
ou bien demeurera-t-elle inapte, à la
manière des joueurs d'échec sans talent
et qui n'apprendront rien de se faire
battre mille fois par un grand maître?
M. Nicolas Sarkozy n'a pas tiré de ses
revers des conclusions universelles et
réfléchies sur le noble jeu, bien au
contraire: quatre ou cinq rebuffades de
M. Barack Obama ne lui ont rien
enseigné, et pas même qu'à servir un
plus puissant que soi, il ne vous paiera
jamais de retour, mais qu'il tiendra
toujours les services que vous croirez
lui avoir rendus non seulement pour des
preuves d'un esprit d'allégeance inné,
mais pour le sceau d'une servitude à
exploiter au mieux.
Mais peut-être
l'homme d'Etat privé de réflexion
naturelle et de connaissance rationnelle
de la politique et de l'histoire du
monde tirera-t-il du moins des
conclusions savantes des malheurs de ses
prédécesseurs immédiats, puisqu'il ne
partagera en rien la responsabilité des
fautes dont il lui appartiendra
seulement de gérer les conséquences.
C'est ainsi qu'à la suite de l'attentat
du 11 septembre 2001 contre le World
Trade Center de New-York, on a vu au
grand complet le peloton des chefs
d'Etat ignorants que la démocratie
mondiale hisse au pouvoir prendre à la
lettre l' article du traité de
l'Alliance atlantique de 1949 rédigé à
l'intention des enfants de chœur de ce
temps-là, selon lequel les Etats
signataires courront les armes à la main
et sans perdre un instant au secours
d'un seul d'entre eux qu'un petit
méchant aura agressé. Sans doute
l'Amérique avait-elle obéi à ce modèle
de la modestie politique, et cela non
point seulement depuis 1949, mais
également en 1944. Résultat: quand le
Pygmée américain fut vilainement
assailli par le géant de Kaboul, les
sept nains de Blanche Neige se sont rués
sur les lieux.
M.
Sarkozy a-t-il tiré les conclusions de
l'affligeant spectacle que les
Etats-nains de l'Europe avaient présenté
en 1991, quand leur metteur en scène les
avait angéliquement alignés sur le
perron de la Maison Blanche à la suite
de la première guerre du Golfe ? A-t-il
tiré a posteriori la leçon de
l'humiliant théâtre des Etats qui se
sont précipités au secours de l'empire
américain attaqué par le Titan de Bagdad
en 2003, puis se sont trouvés réduits à
battre piteusement en retraite aux côtés
du géant vaincu?
4 - Le savoir
précède l'expérience
Voltaire ne nous
raconte pas ce que l'expérience de
l'histoire enseigne aux imbéciles de la
politique. En l'espèce, ces derniers
auraient dû apprendre qu'il existe une
différence immense, tant de condition
que de taille, entre, d'une part, les
Etats moyens courant à toutes jambes et
tout essoufflés aux côtés d'un géant
afin de paraître partager ses victoires
et, d'autre part, les Etats souverains
qui se prêtent main forte librement et
sans arborer la livrée d'aucun d'entre
eux dans des guerres défensives
communes. Mais en 2008, M. Nicolas
Sarkozy a stupidement couru en
Afghanistan, où il a augmenté le nombre
de nos supplétifs, alors que la
situation avait entièrement changé sur
le terrain ; et maintenant, il promet
gentiment à un empire étranger en
déconfiture que la France suivra pas à
pas la retraite d'Alexandre, afin de ne
pas offenser par quelque réticence sa
participation pleine et entière à la
Bérézina d'un maître pourtant en
perdition sur tous les champs de
bataille.
Il ne suffira donc pas de rappeler aux
hommes d'Etat inaptes par nature que les
imbéciles n'apprennent jamais que par
l'expérience de leurs fautes; encore
faut-il se demander ce qu'ils
apprendraient de leurs erreurs dans le
cas où l'expérience parviendrait à leur
enseigner quelque chose; car il faut
déjà oser recourir à son intelligence,
si faible qu'elle soit demeurée, donc
apprendre quelque peu à "penser par
soi-même", comme disait Voltaire, pour
seulement s'apercevoir ensuite de ce
que, depuis 1945, la démocratie
européenne s' est auto-vassalisée de la
tête aux pieds et qu'elle a servi
complaisamment de domestique à un empire
d'au-delà des mers.
Le premier devoir de
tout Etat souverain le contraint à se
défendre tout seul contre un agresseur.
Il y va de son intérêt le plus
essentiel, parce que sa dignité sur la
scène internationale passe par la
démonstration de sa confiance en ses
armes. S'il appelle un autre Etat à son
secours, c'est qu'il en est réduit à
l'extrémité de reconnaître son
impréparation à la guerre, donc son
impuissance à remporter la victoire sans
l'aide d'un tiers. Dans ce cas, il doit
savoir qu'il paiera cher son infirmité.
Bien plus : si le secouriste au grand
cœur se présente en artisan exclusif ou
principal de l'issue triomphale du
conflit, il en récoltera sans partage
les lauriers; et il vous asservira de
surcroît et pour longtemps à une
victoire remportée à son seul avantage.
Or, rien
ne dit à quel moment l'expérience de
l'homme d'Etat médiocre sera
suffisamment avancée pour le faire
accoucher d'une philosophie entière de
l'histoire et de la politique. Pis
encore : il se peut fort bien qu'il
n'aura rien compris à l'école de ses
propres cogitations, parce que la raison
véritable précède les évènements et les
connaît toujours d'avance, comme il est
démontré depuis la parution de l'Introduction
à la médecine expérimentale de
Claude Bernard en 1865, qui a
définitivement établi que l'hypothèse
scientifique précède toujours
l'expérience, dont le rôle subalterne se
réduit à la vérifier.
5 - L'opinion
publique devient un interlocuteur
politique
Mais le génie
politique de Voltaire n'a pas fini d'en
appeler à la réflexion de l'homme d'Etat
et de l'historien au chapitre des
relations que l'expérience entretient
avec la raison et avec l'intelligence.
Car tous les Etats démocratiques du
monde se trouvent à la veille d'assister
à une expérience comparée de
l'intelligence propre à l'opinion
publique actuelle et de celle qui
appartient aux gouvernements. Jamais
encore notre astéroïde n'avait assisté à
un spectacle aussi hallucinant que celui
du blocus d'une ville de dix-sept cent
mille habitants par un Etat
microscopique, jamais encore le temps
des hommes n'avait présenté sur la scène
un drame aussi éloquent aux yeux de
toute l'humanité assise les bras croisés
au balcon de l'Histoire. Le scénario
s'était préparé en plein jour - une
flottille de secouristes entendait
accourir toutes voiles dehors et pour la
seconde fois sur les lieux du sinistre.
Quelle occasion nouvelle d'observer les
relations que les Etats entretiennent
avec deux personnages soudainement aussi
embarrassés l'un que l'autre,
l'expérience et l'intelligence!
Athènes se trouvait livrée à la déroute
de son modèle économique, financier et
bancaire, mais elle pouvait encore
sauver la mémoire de sa grandeur de
génitrice de la démocratie mondiale ; la
terre entière se demandait si elle
prendrait rendez-vous avec son passé
glorieux et avec son avenir à nouveau
grand ouvert. Mais quel spectacle que
celui de la cité de Périclès domestiquée
aux côtés de l'Europe asservie, quel
spectacle que ce double vasselage sous
le joug de la Judée, quel spectacle que
celui de l'opinion publique indignée par
l'étalage de la servitude de la planète,
quel spectacle que celui du débarquement
des peuples en colère et décidés à
prendre la haute main sur l'histoire de
l'éthique du monde, quel spectacle que
celui du déshonneur de tous les
gouvernements de la terre!
Mais que faire d'une Grèce dégénérée et
qui n'était demeurée une démocratie
qu'en apparence, que faire d'une tribu
bicéphale dans laquelle le clan des
Papandréou et celui des Karamanlis
exerçaient alternativement un pouvoir
marqué du sceau d'une médiocrité à deux
visages, le vaincu d'un instant sachant
que l'usure rapide du vainqueur fera
basculer le suffrage du peuple à l'école
d'un éternel va et vient. Le temps d'une
absence bien calculée permet à nos
jumeaux d'assurer l'aller et retour du
pendule. Et pourtant, jusque dans
l'oubli de la grandeur d'autrefois de la
nation, on peut imaginer une dernière
oscillation du battant du métronome
qu'on appelle l'histoire.
6 - Le
naufrage d'Athènes
"Athéniens, un trop
long asservissement à l'empire du
Croissant a brisé nos intelligences et
asservi nos âmes au glaive de
l'étranger. Mais souvenez-vous de la
levée de l'Europe de la raison et de la
pensée du XIXe siècle: nous devons à
Londres, à Paris, à Rome, à Madrid, les
retrouvailles de notre patrie avec sa
souveraineté et la résurrection de notre
Etat sur la scène du monde. Un Byron, un
Shelley, ont été les porteurs de la voix
de la Grèce. Nous devons à des poètes
venus d'ailleurs la renaissance de notre
génie.
" Et maintenant, Athéniens,
abandonnerons-nous à son sort malheureux
une Europe asservie, laisserons-nous
sans voix la civilisation de la liberté
que nos pères ont apportée au monde,
affamerons-nous aux côtés des barbares
une ville de dix-sept cent mille
habitants ou bien, du plus profond de
l'abîme dans lequel notre lassitude nous
a précipités, appellerons-nous la
mémoire de nos morts à renaître dans nos
cœurs et les descendants de Salamine à
délivrer l'Europe de ses chaînes, nous
laisserons-nous réduite à la cendre et à
la poussière, alors que le destin nous
donne rendez-vous pour la dernière fois
de notre histoire? Songez Athéniens, que
Pékin, Tokyo, New-York, Londres,
New-Delhi, Berlin, Paris, Moscou, Buenos
Aires ont les yeux fixés sur l'Acropole;
songez que toutes les nations du monde
font de nous les derniers témoins du
trépas ou de l'éternité d'Athéna.
" Longtemps nous sommes demeurés les
pédagogues du monde et les guides de
toutes les cités civilisées, et
maintenant la Judée se fait l'artisan de
nos propres funérailles parmi les
sauvages. Sachez, Athéniens, que jamais
elle ne se trouvera effacée de la
mémoire de l'humanité, la honte de notre
démocratie si nous assistions en
complice et sans voix au blocus d'une
immense cité, songez, Athéniens, que
nous ne sommes plus seulement les
témoins hallucinés d'une infamie:
l'Europe et Israël nous demandent de
renier nos héros, l'Europe et Israël
nous demandent de faire taire le génie
de la Grèce."
7 - Le retour en
Ithaque
" Mais vous n'avez
pas le choix, Athéniens. Autant la
mémoire de la Grèce paraissait
éternelle, autant la souillure et
l'abaissement de notre nation seront
ineffaçables, parce que les peuples
profanateurs de leur gloire rendent la
trace de leur chute plus indélébile que
celle de leur ascension à l'immortalité.
Vous vous trouvez à la croisée des
chemins de la civilisation mondiale.
Souvenez-vous que la grandeur passée de
notre nation est un trésor sans prix,
souvenez-vous de ce qu'il y a davantage
d'humiliation à le perdre que de mérite
de l'avoir arraché à la nuit,
souvenez-vous, Athéniens, que vos
descendants seront jugés de siècle en
siècle à l'aune de votre seule
génération, parce que le destin aura mis
entre vos mains le casque, la lance, et
le rameau d'olivier d'Athéna aux yeux de
toute la terre habitée. La déesse vous
demande de préserver les attributs
éternels de l'esprit de votre salissure
dans la vassalité.
" Mais il y a plus,
Athéniens: un dieu nouveau est descendu
il y a quatorze siècles sur la terre et
les fidèles de son ciel sont plus riches
de l'avenir du monde que les Perses de
Darius et de Xerxès. Que nous
demandent-ils? Qu'un peuple de leur dieu
retrouve son Ithaque, qu'un peuple de
leurs frères entende la voix du retour.
. Athéniens, j'attends de vous que vous
lanciez le pont de l'Hellade vers
l'avenir du monde, j'attends de vous que
vous preniez en mains le gouvernail du
retour d'Ulysse dans ses foyers,
j'attends de vous que vous redeveniez
l'avant-garde de l'humanité."
8 - Vous ne
demeurerez pas seuls longtemps
" Mais ne croyez pas
que vous demeurerez seuls longtemps,
parce que l'Europe asservie à la Judée
et au Nouveau Monde s'est lancée dans
une double aventure, l'une et l'autre
plus folles et plus dangereuses que
celle de Darius et de Xerxès. La
première est celle des esclaves qui vous
demandent de violer le droit
international, qui n'autorise en rien un
Etat de Union européenne à retenir par
la force dans l'un de ses ports les
navires d'un allié. Le chef d'Etat
dégénéré que vos suffrages ont porté au
pouvoir met la Grèce au ban du droit
international public. Mais, du coup, son
illégitimité est pleine et entière; et
vous êtes en droit non seulement de le
destituer, mais de le citer à
comparaître pour haute trahison devant
nos tribunaux. De plus, les peuples que
notre gouvernement a lésés vont saisir
la cour de justice et Athènes sera
condamnée pour insulte et outrage aux
principes de la démocratie.
" Secondement, le traître à notre
civilisation qui vous gouverne a fait
valoir qu'il craignait qu'Israël fît
couler le sang des matelots étrangers
venus pacifiquement alimenter les
affamés de Gaza. Le rameau d'olivier
d'Athéna n'est ni appelé à protéger des
tueurs, ni à fuir devant eux. Notre
gouvernement ne macule pas seulement le
droit international, il foule aux pieds
la morale internationale. Voilà
pourquoi, mes chers concitoyens vous
n'êtes pas seuls, voilà pourquoi,
Athéniens, les armes de l'intelligence
et celles de l'expérience sont de votre
coté."
9 - La Pythie est de retour
Hier encore, de nombreux gouvernements
se disaient de bouche à oreille: "Voici
que l'opinion des peuples se change
soudainement en un acteur de grand poids
sur le théâtre de l'histoire. Si nous la
laissons jouer le premier rôle sur les
planches, comment défendrons-nous les
prérogatives de théâtre qu'il appartient
aux Etats de se partager entre eux?
Est-ce à l'opinion publique de
s'installer aux commandes du globe
terrestre? Est-ce aux peuples de
s'emparer du gouvernail de la
mappemonde? Est-ce à la rue qu'il
appartient de régner en reine sur
l'éthique de l'humanité ? Nous sommes
les monarques que le suffrage populaire
a placés au timon des affaires. Jamais
nous ne nous laisserons déposséder de
l'obéissance qui est due à nos
sceptres."
D'autres
s'exclamaient: "Nous autres, les
gouvernements, resterons-nous les bras
ballants au spectacle de cette tragédie?
Alors, les peuples cesseront de croire
aux bienfaits et aux vertus dont se
vante la démocratie dans le monde
entier. Quelle autorité
conserverions-nous sur nos concitoyens
si nous nous déconsidérions aux yeux du
droit et des lois? Allons-nous périr
sous les décombres d'une civilisation,
qui avait fait de la Liberté sa
lanterne?"
Mais les penseurs et les peseurs de la
politique, eux, tenaient un discours de
l'intelligence et de la logique; et leur
raison racontait d'un trait la
succession des évènements qui allaient
inévitablement se dérouler sous les yeux
des lecteurs de Voltaire. "Ce que
l'expérience elle-même va démontrer,
disaient-ils, notre dialectique le
contemple avec une certitude déductive
égale à celle qui accompagne les
démonstrations de la géométrie; car
aucun peuple au monde ne saurait
prétendre défier ensemble les lois de la
morale et celles de la logique, aucun
peuple ne saurait prétendre occuper
conjointement son ciel au nom de Jahvé
et ses terres par la force de son
glaive, parce que les gloires de ce
bas-monde et celles des dieux se sont
définitivement séparées. L'espérance de
les associer est devenue contraire aux
lois de l'histoire et aux contraintes de
la politique depuis Titus et Vespasien.
Comment une
démocratie ennemie des principes de la
justice et du droit légitimerait-elle
aux yeux de la conscience universelle
l'expulsion par la force, soixante trois
ans auparavant, de sept cent cinquante
mille paisibles habitants de leur pays,
comment un Etat du XXIe siècle
bénéficierait-il à l'usure du droit à
l'expansion guerrière sans fin, alors
que notre astéroïde s'est converti à la
décolonisation? Aussi, de Rabat à Tunis,
du Caire à Damas, de Ryad à Sana, quatre
cent millions d'Arabes arrachés au
sommeil se réclament-ils de la
démocratie. Jamais l'intelligence
politique ne s'est vue contrainte à ce
point de précéder l'expérience. La
pensée est visionnaire, la pensée
connaît le cours fatal de l'histoire
parmi les aveugles et les sots. Eh bien
écoutons cette Pythie raconter la
comédie aux cent actes divers qu'on
appelle le destin.
10 -
Les premiers pas de l'intelligence
politique
Dans un premier
temps, tous les gouvernements tenteront
de fonder en droit et de proclamer
souverain l'Etat palestinien dont les
Nations unies avaient annoncé la venue
en 1947. Alors l'horizon paraîtra un
instant s'élargir, mais vainement, parce
qu'un peuple microscopique, démilitarisé
et condamné à qualifier ses résistants
et ses libérateurs de terroristes
échouera à se présenter réellement et
durablement sur la scène internationale.
Puis l'échec de sa légitimation truquée
fera croire quelque temps aux rêveurs
invétérés à la possibilité de fonder sur
cette terre une nation fantasmatique et
toute formelle. Mais le constat de la
quadriplégie native d'un Etat tout
imaginaire commencera d'ouvrir les yeux
des expérimentateurs les plus bornés; et
leur intelligence, même condamnée à
demeurer embryonnaire, se trouvera
éclairée d'une minuscule lueur, mais
suffisante pour leur permettre de
comprendre qu'il n'y aura jamais
d'Etat-fantôme sur la terre.
Alors nous nous trouverons à un tournant
décisif de la réflexion des descendants
de Voltaire; car ils méditeront à
nouveaux frais sur les pouvoirs et les
devoirs respectifs de l'expérience et de
l'intelligence politique. Qu'en est-il,
se demanderont-ils, du pilotage conjugué
de l'histoire sous la responsabilité des
Etats d'un côté et de l'opinion du monde
entier de l'autre? Certes,
penseront-ils, les peuples sont
longtemps demeurés à la traîne; certes,
se diront-ils, les gouvernements
exerçaient une manière de monopole du
guidage de l'humanité. Mais, depuis la
Révolution française, les foules ont
progressivement pris le dessus, parce
que la presse et l'image ont commencé de
mettre l'histoire des nations en prise
directe avec les évènements.
Or, les
Etats se trouvent à un tournant décisif
des relations que l'opinion des peuples
entretient avec leurs gouvernements,
parce que ces derniers peinent et
piétinent à rivaliser avec
l'instantanéité de l'information dont
bénéficient les masses. L'image
télévisée, portée pour des voix, tiendra
en mains les leviers tant mécaniques que
cérébraux du destin. Du coup, la notion
même d'expérience politique se
trouvera bouleversée.
L'homme d'Etat habitué à prévoir les
évènements à l'école et à l'écoute de sa
réflexion jouissait de l'avantage de
connaître d'avance les voies et les
chemins coutumiers que la cécité
naturelle du genre humain empruntait
nécessairement. Il était évident, par
exemple, que la France ne se résignerait
pas à se trouver dépossédée à jamais de
l'Alsace et la Lorraine, il était
évident, par exemple, que l'utopie
édénique des marxistes se heurterait tôt
ou tard à la nature peu évangélique de
ce bas monde, il était évident, par
exemple, que l'Amérique triomphante de
1945 tenterait de déglutir
démocratiquement les proies que tout
souverain se réserve dans le sillage de
ses victoires et dont une religion de la
délivrance et du salut par la candeur
des citoyens était censée expérimenter
les rédemptions.
En revanche, Israël rétrécit de plus en
plus le champ du prévisible et du
probable traditionnels dont la lucidité
d'un chef d'Etat chevronné disposait
autrefois. Les abîmes de l'imprévisible
se sont ouverts tout grands; et la
réflexion sur les relations nouvelles
que l'expérience entretient avec
l'intelligence étend les horizons de la
mort. D'un côté, les peuples poursuivent
leur lente et patiente progression sur
le chemin de l'autorité inattendue que
leur omniprésence médiatique leur
accorde, de l'autre, un astéroïde
rapetissé par l'ubiquité soudaine de
l'information se transforme en un tapis
volant. Jamais encore des flottilles de
secouristes n'avaient menacé de
s'emparer de l'histoire du monde et cela
précisément en raison de l'échec de leur
entreprise sous le regard indigné de
tous les peuples de la terre, jamais
encore les Etats n'avaient risqué à ce
point de perdre les restes de leur
autorité morale, donc le fondement même
de leur légitimité aux yeux du genre
humain tout entier désillusionnés et
soupçonneux à bon escient.
11 - La course
vers le tragique
Mais, dans le même temps, la méditation
des grands hommes d'Etat sur la notion
même d'expérience se heurte à son tour à
des obstacles nouveaux et inconnus
jusqu'à ce jour. D'un côté, comment les
gouvernants du monde entier
confesseraient-ils leur inexpérience et
leur cécité, donc leur culpabilité
pleine et entière, eux qui découvrent
qu'ils ignoraient la nature même du
tragique de l'histoire? Car même si, en
1947, Israël n'a nullement obtenu
l'assentiment réel d'une majorité de la
sottise à l'assemblée des nations unies,
même si la prévarication, la corruption
et le chantage ont permis au peuple élu
d'acheter les voix de l'inexpérience au
sein de l'Assemblée des nations unies de
l'époque, le temps est un maçon qui
cimente l'erreur politique et la durcit
au point de la rendre incassable.
Si les fautes les
plus évidentes de l'humanité pouvaient
se trouver effacées à l'école des
confessionnaux de la sottise des Etats,
si l'histoire pouvait laver les taches
des gouvernants à l'écoute de leurs
repentirs, si l'innocence se retrouvait
immaculée au sortir de l'enfer dans
lequel son inexpérience l'a précipitée,
les religions reviendraient elles aussi,
et publiquement, sur leurs décisions
doctrinales et leurs miracles les plus
déments, et l'on verrait la folie des
dogmes sacrés se trouver réfutée en un
tournemain. Mais il est impossible
d'effacer les ravages cérébraux que
l'alliance du ciel et de la terre a
cultivés des siècles durant. On ne
comble pas d'une pichenette trois
millénaires des sillons que l'erreur a
creusés dans les têtes. Aussi Israël
fait-il remarquer, moqueusement au
besoin, que son Etat existe en chair et
en os et que sa terre est inscrite au
cadastre des nations. Comment gommer les
fautes de grammaire de l' histoire du
ciel et de ses arpents confondus.
12 -
L'expérience, cette inconnue
C'est
ainsi que la réflexion sur l'adage de
Voltaire dévoile une face inconnue de la
mémoire du monde; car il est inutile de
souligner que "les imbéciles
n'apprennent que par l'expérience"
si nous ne savons plus ce que
l'expérience future réservera à la
planète et si l'auteur de Candide
nous demande maintenant de conduire
l'esprit prophétique à une réflexion
anthropologique sur la notion même
d'expérience historique.
Et voici que les apories de la raison
politique viennent à point nommé
dessiner les contours cérébraux du
tragique de demain. Que nous apprend
l'intelligence politique à venir? Que
s'il est impossible aux chefs d'Etat de
jamais combattre efficacement des dogmes
religieux redoutables avec le secours de
raisonnements mieux ajustés que ceux
auxquels un peuple doit ses triomphes
dans un ciel conquérant, il sera plus
difficile encore de combattre un Etat
illégitime avec les arguments calibrés
du droit international public, parce
qu'aucun Etat de ce monde ne se met à
l'écoute des juristes de la démocratie
onirique.
Il est donc demandé
aux hommes d'Etat de demain non point de
laisser en friche la question de la
nature de l'intelligence proprement
politique de l'humanité, mais d'éclairer
les relations futures de la raison avec
l'expérience à laquelle Israël
contraindra le monde à s'initier. Car
nous savons tous qu'Israël ne renoncera
jamais au messianisme dont la
spectrographie anthropologique demeure
cachée dans nos laboratoires secrets ,
nous savons tous qu'Israël n'évacuera
jamais la Cisjordanie, nous savons tous
que jamais Israël ne laissera des
millions de descendants des réfugiés de
1947 se réinstaller sur la terre de
leurs ancêtres, nous savons tous
qu'Israël demeurera à lui-même une
hostie à laquelle la Bible servira de
temple, nous savons tous que l'Islam ne
sera pas en mesure avant longtemps de
porter les armes contre les élus de
Jahvé, nous savons tous que le monde
arabe est en marche et que son réveil
conduira la planète entière à un
gigantesque affrontement entre les
idéaux de la démocratie et les droits
d'un peuple mythologique, nous savons
tous qu'à la dernière extrémité, le
peuple élu brandira la menace d'une
apocalypse dont il tient les clés en
mains depuis longtemps, nous savons tous
que la perspective d'une
auto-pulvérisation nucléaire fait d'ores
et déjà courir notre astéroïde vers un
Massada planétaire, nous savons tous que
le chancre de la mort qui nous guette
s'envenime et grossit de jour en jour et
que le genre humain vit dans l'attente
que la gangrène envahisse notre espèce
tout entière.
Convier
l'intelligence des Etats à observer sur
la cécité et la surdité du monde actuel,
c'est les convier à peser les formes
ultimes de l'expérience de la mort; car
si les imbéciles de Voltaire invoquent
la déesse Expérience, ils seront appelés
à méditer sur la forme suprême de la
politique, celle du suicide messianique.
Quand l'Israël eschatologique et
rédempteur apostrophera l'humanité, ses
prophètes emprunteront la voix de Jahvé:
"Qui êtes-vous, diront-ils? De quel
droit prétendez-vous contester les
prérogatives de l'Etat juif? De quel
droit nous serait-il interdit de chasser
de notre territoire l'intrus qui a
profité de notre longue absence pour s'y
incruster? Jahvé nous a donné cette
terre à jamais et c'est à jamais que
nous sommes devenus les élus de Jahvé."
La démocratie
mondiale, rétorquera-t-elle qu'elle est
l'élue des droits de l'homme, l'élue de
la justice et de la liberté du monde,
l'élue de la vérité politique et que
quatre cent millions d'Arabes se
dressent autour de la Méditerranée pour
nous demander: "Etes-vous les élus de
Jahvé ou les élus de vos idéaux?"
Voilà la dramaturgie qui attend l'homme
d'Etat contemporain, celui qui demandera
à Voltaire: "Qu'est devenue l'expérience
et qu'est-ce qui attend l'intelligence
?"
Publié le 8 juillet
2011 avec l'aimable autorisation de
Manuel de Diéguez