Cette semaine,
l'œil de la psychiatrie anthropologique - on l'appelle la
philosophie - se donne un autre globe oculaire du "Connais-toi",
celui de la caméra qui filmera une France oscillante entre la
putréfaction de son Etat et l'invocation de l'autorité dite
tutélaire d'une République à laquelle le mythe sommital de la
Liberté apporte le trésor de sa fausse délivrance. La politique
est donc, elle aussi, l'otage d'une théologie schizoïde.
La semaine prochaine, je m'interrogerai sur le sens de la
formule célèbre d'André Malraux selon lequel "le vingt et
unième siècle sera spirituel ou ne sera pas". Puisque six
mille ans de culte des idoles ont conduit l'humanité au
psittacisme d'une foi ritualiste et formaliste, la sainteté
athée rallumera le flambeau de la vie spirituelle. Mais si,
depuis son évasion de la zoologie, le genre humain est en guerre
contre son propre pourrissement, qu'est-ce que "l'esprit"?
L'Occident de la raison peut-il donner son vrai sens à l'élan
d'une pensée critique qui ne cesse d'enflammer les chefs-d'œuvre
de la littérature mondiale des feux de leurs saintes
profanations? Quelles sont les relations que l'intelligence
philosophique entretient avec le génie littéraire et ce dernier
avec le "spirituel" selon André Malraux?
A
cette question, Umberto Eco commencera de répondre dans son
Cimetière de Prague qui ne paraîtra en traduction
qu'au mois de mars chez Grasset. Dès le 23 janvier, je vendrai
un peu la mèche à mes lecteurs .
1 -
L'affaire Bettencourt en appelle à un Pétrone de la corruption
des démocraties kafkaïennes
Le bruit court que plusieurs grands
cinéastes se proposent de porter à l'écran l'"affaire
Bettencourt", comme la rumeur a d'ores et déjà baptisé ce
chancre pourrissant sur les cinq continents. Il faut espérer
qu'il naîtra un Fellini ou un Renoir des gangrènes planétaires
pour élever ce scénario de la putréfaction non seulement à une
dramaturgie générale de la politique et de l'histoire du
sordide, mais à une spectrographie du cancer qui entraîne les
grandes démocraties kafkaïennes dans une ruine de leur justice
parallèle au naufrage dans lequel leur vénération aveugle pour
l'argent-roi les entraîne.
Mais jamais
encore l'appareil judiciaire d'une civilisation du commerce et
de l'industrie - elle avait gravé les emblèmes de la démocratie
sur l' écusson d'un affairisme mondial - n'avait sombré dans des
gouvernements livrés à une maquerellerie d'Etat, jamais encore
les intrigues de l'office et l'odeur des vieilles dames riches
n'avaient occupé à ce point le devant de la scène, jamais encore
un Président de la République aux attributs régaliens n'avait
donné à une France demeurée éprise des fastes de la royauté le
spectacle de l'immoralité des cours versaillaises jaillies des
entrailles malades du suffrage universel.
Les malversations titanesques des juges romains sous Claude ou
Néron n'étaient connues que des proches de l'empereur de la
sesterce, et au pire, d'un Sénat asservi aux spéculations des
délateurs, tandis que la scène juridico-financière moderne en
appelle au talent d'un Pétrone ou d'un Juvénal de la corruption
de notre astéroïde. Certes, les démocraties apostoliques de
l'ère soviétique ont fait cautionner les évangiles de Karl Marx
par un prolétariat converti à l'utopie politique, ce qui avait
permis de confectionner des procès internationaux en hérésie sur
le modèle d'une mise en scène stellaire des péchés plus
théâtrale que celles du Moyen Age; certes, l'accusé se trouvait
cloué sur un banc d'infamie astral par une instance fulminatoire
messianisée à nouveaux frais; certes, une orthodoxie
intergalactique tombée de la dernière pluie faisait la loi dans
les consciences cosmiques; certes, l'inquisition judiciaire dont
la Terreur de 1793 avait magistralement copié les oracles avait
permis de faire monter sur les planches du Ministère public des
Républiques de la justice force grands prêtres d'une liberté
évangélique régénérée, force missionnaires d'une Thémis censée
forgée sur l'enclume de la raison universelle, force apôtres
d'un nouveau mythe du salut dont l'Etat révolutionnaire, donc
missionnaire se voulait à la fois la voix et le bras séculier.
Mais l'affaire Bettencourt nous fait entrer dans le laboratoire
de l'ultime métamorphose de l'histoire de la démocratie
mondiale, celle où le César Birotteau, marchand parfumeur,
de Balzac a rencontré sa postérité politique.
2 - Les métamorphoses de la poule au pot
Souvenez-vous de
l'affaire de la poule au pot d'Henry IV: on y voit maintenant un
Etat démocratique humer les effluves d'alcôve d'une impératrice
des colorants capillaires, on y voit un Etat de mouches à miel
monter à l'assaut d'une multi milliardaire demeurée ardente du
sexe, on y voit un Etat dont la cécité s' offre le nectar et
l'ambroisie d'un gigolo sur le retour, on y voit un Etat dont
les narines flairent les flancs de la reine moribonde de la
ruche. On connaissait les tyrans prédateurs; mais jamais encore
un grand cinéaste n'avait eu l'occasion de graver sur les
nouveaux parchemins de la mémoire de l'humanité qu'on appelle la
pellicule un document aussi tragique que la chute de la France
de M. Nicolas Sarkozy dans une guerre des cosmétiques aux dépens
d'une princesse des coiffes, des barbes et des oreillers.
On imagine ce que
deviendrait le dialogue entre le Rubempré d'une Europe
grisonnante et l'acteur du trépas d'une nation qu'incarne M.
Nicolas Sarkozy sur la scène internationale si la caméra d'un
grand cinéaste mettait en scène les deux personnages et en
orchestrait les répliques. Depuis près d'un siècle, le septième
art a pris le relais des tournages de Balzac, de Tolstoï, de
Swift, de Shakespeare, depuis près d'un siècle, le grand cinéma
a permis de présenter dans l'ombre des salles obscures l'épopée
et la fresque d'une histoire du sang et des armes, depuis près
d'un siècle, le grand cinéma a livré aux foules plongées dans la
pénombre l'ossature et la musculature de la vie et de la mort
des hommes et des nations.
Hier, un Michael
Moore a donné à Clio la folie de la guerre d'Irak à décoder,
demain un nouveau Godard gravera la cruauté et la démence du
siège de Gaza sur la rétine du ciel des caméras. On dirait que
les grands cinéastes portent le globe oculaire des Cervantès,
des Sophocle et des Eschyle dans leur tête. Ils ont fait
descendre notre espèce dans l'Hadès de la mémoire sanglante du
monde ; ils ont contraint une espèce effarée à plonger dans les
charniers souterrains de son Histoire. Si le génie d'Homère a
émigré du royaume de la navigation à celui de l'image en
mouvement, c'est sans doute que chaque siècle se donne des
moyens océaniques de peindre ses héros. Les planches du théâtre
où Euripide faisait débarquer des cintres les dieux fatigués des
Athéniens ont été remplacées par une salle de spectacle béante
sur l'Erèbe, que nous appelons maintenant le globe terrestre.
Or, ce spectacle-là, on ne le voit en plein jour qu'à le
regarder avec les yeux des ténèbres; et le cinéma pilote le
monde avec les yeux des morts.
3 - Les
plats cuisinés de la justice de la France
L'affaire
Bettencourt attend des grands cinéastes de la mort qu'ils
élèvent le septième art à la capacité d'enfanter dans la douleur
des vivants un personnage tellement inconnu que jamais encore on
ne l'avait vu monter sur la scène et qu'on appelle un Etat.
Tolstoï nous montre du doigt des généraux qui ont fait
l'histoire de la Russie, mais non les affres de l'accouchement
des nations au forceps des Etats. Un dramaturge de la caméra
portera-t-il sur les planches et donnera-t-il à voir en chair et
en os les géniteurs titubants et pourtant de fer qu'on appelle
des Etats?
Pour l'heure, les
capteurs de la mémoire du monde se sont résignés à ne peindre
que des insectes agrippés aux commandes des fauves, alors que
l'Etat réel est un accoucheur abstrait, un cyclope gros d'un
peuple grouillant, un Titan incapturable et respirant. Et
pourtant, il n'est pas de corps plus réel que celui des
phalanges de suçoirs fixés aux rouages et aux ressorts du
monstre mécanique. Quels acteurs visibles que les escadrons de
microbes qui donnent leurs muscles, leurs charpentes et leurs
griffes aux Etats condamnés, eux, à demeurer invisibles et
insaisissables en leur essence cinématographique!
Heureusement
l'Etat que l'affaire Bettencourt a mis en scène est un manchot
tellement bicéphale, heureusement, ce personnage schizoïde se
place tellement à mi chemin entre les valets de chambre et les
ors du palais, heureusement ce gâte-sauce se met tellement en
porte-à-faux entre son apparat branlant et les odeurs de
l'office qu'il sera sans doute possible à l'anthropologie
critique d'en esquisser la silhouette avec suffisamment de
précision pour inciter un Sophocle des bancalités, un
Shakespeare des marmitons, un Fellini du bas-empire français à
enrichir le cinéma mondial d'un chef-d'œuvre impérissable. Mais
quel artiste de la caméra mettra-t-il en scène un Elysée et un
Etat affairés à faire bouillir les plats cuisinés dans les
catacombes de la justice sépulcrale de la France? La pellicule
retrouvera-t-elle le génie du dessin animé afin d'illustrer à la
fois la République des Bridoison et la fée Carabosse? Décidément
seul le récit symbolique rivalisera avec un Méliès du tragique,
un Michael Moore du fantastique, un Fellini du fabuleux, un
Godard de la naissance virginale du cinéma.
4 -
L'affaire Bettencourt et le Ministère de la justice
Prenons l'exemple du parc d'attraction
qu'est devenu le Ministère de la justice des Raminagrobis de la
France, prenons l'exemple du procureur général près la cour de
cassation, M. Nadal, qui visite les stands de l'exposition des
exploits de Thémis et complimente la hiérarchie des officiants
de sa balance. On sait qu'il lui a fallu plusieurs mois pour
prendre la décision imposée par la loi d'ordonner à un certain
procureur Philippe Courroye, qui traînait les pieds dans les
entrelacs du procès, de nommer de toute urgence un juge
d'instruction fouineur dans l'affaire de l'écervelée et presque
nonagénaire parfumeuse qu'un gigolo homosexuel et sexagénaire a
séduite et qui lui a extorqué, tout à la suite, un milliard
d'euros, des toiles de maître, un titre de légataire universel
dûment signé devant un notaire complaisant, des assurances-vie
d'un montant astronomique, une île dans l'Océan Indien, des
rémunérations de nabab au titre de conseiller-parfumeur de
première classe et l'achat de ses clichés de photographe pour la
somme exorbitante de près de trois-quarts de milliard d'euro.
Les démêlés de Mme Bettencourt avec sa
fille, qui tentait vainement de protéger le coffre familial des
effractions d'un séducteur et de faire simplement appliquer la
loi française sur les successions défrayaient la chronique
nationale et mondiale depuis plus de trois ans. A ce compte, le
prédateur était devenu une sorte de scénariste de sa propre
métaphore, tellement l'Etat calamiteux de M. Nicolas Sarkozy se
gavait des sucreries, des gâteries et des plats cuisinés de la
Ve République finissante! Play-boys de haut vol, médecins à la
trousse achetable, psychologues de service,
psychanalystes-augures, avocats à la gibecière grande ouverte,
gestionnaires de fortune maffieux et ministres avides de remplir
les caisses de leur parti autant que leurs poches, tout cela
faisait un long cortège d'effigies de cour et de foire. A leur
tête, un Porfirio Rubirosa de la farce photographique illustrait
l'ultime agonie des Michel Ange et des Raphaël dans les déclics
d'une machine à produire des images dispendieuses de la banalité
du monde; et tout cela faisait danser et tressauter une
civilisation attirée par l'odeur d'or et de confiture d'un roi
Midas de la teinture des crinières; car, pour la première fois
de son histoire, l'humanité avait perdu ses cheveux blancs et sa
silhouette fatiguée, pour la première fois, les descendants du
chimpanzé gardaient jusqu'à la fosse un heaume de couleur vive.
5 - Un
feuilleton haletant
Notre procureur Courroye se pavanait si élégamment sous les
lambris de la cour aux cheveux teints qu'il défiait jour après
jour et de plus en plus ouvertement l'onction embarrassée de M.
Nadal. Mais lorsque l'impudence de ses ronds de jambe était
allée jusqu'à défier encore plus avant les atours de la plus
haute autorité judiciaire du pays, et cela jusqu'à citer en
correctionnelle le juge du siège chargé, si possible, de placer
la vieille dame sous tutelle, le directeur de Marianne
avait fait connaître aux lecteurs de son hebdomadaire les
démarches de chambellan de l'ambitieux procureur de cour auprès
de sa propre autorité, ainsi que de tous les journaux de la
capitale aux fins de se faire nommer, dans la foulée, procureur
général de la République des colorants capillaires. Cette fois,
le procureur général de la République des droits de l'homme se
décide à passer outre aux ordres crépitants du César des
couloirs et à enjoindre d'une plume bien enrubannée au supérieur
hiérarchique dudit procureur Courroye de renoncer à instruire un
dossier aussi difficile à parfumer.
Mais l'odeur des écus de la vieille dame ne cesse d'empuantir le
marais: elle monte maintenant du ministre du budget, qui a fait
salarier sa propre femme par la multimilliardaire afin de
l'aider à frauder le fisc français. Ses effluves trouvent
désormais leur source parmi les valets de chambre, les
majordomes et le personnel de maison, qui ont placé des micros
sous les tables de la salle des délibérations du conseil
d'administration des richesses du Pérou; et les enregistrements
des odeurs du trésor des Incas avaient été confiées par les
domestiques et les maîtres de cérémonie du Palais à un grand
ex-journaliste du Monde, M. Edwy Plenel, qui en
avait publié un florilège panoramique sur son site internet.
Puis la justice, saisie d'une plainte pour viol des secrets du
marécage avait refusé, tant en première instance qu'en appel,
d'accéder à la demande pressante de la place Vendôme d'interdire
la divulgation des odorances de l'Etat et du pourrissement de la
nation. Puis de molles perquisitions courroyeuses dans les
appartements et jusque dans la chambre à coucher de la reine
avaient fait connaître urbi et orbi les recettes du
séducteur sommital de la République. Le cancer galopant de la
prodigalité sénile se révélait de plus en plus le chef d'œuvre
d'un géant des alcôves.
6 - Un
film sur l'odeur de l'humanité
Du coup, le juge des tutelles, qui se refusait obstinément, lui
aussi, de se saisir du dossier aux écus d'or, et cela nonobstant
la livraison à son cabinet de deux coffres bourrés de preuves
patentes de la faiblesse mentale de la malheureuse
multimilliardaire, ce juge entêté, dis-je, a soudain paru saisi
d'un malaise. Impossible de respirer plus longtemps la
pestilence des chancres entassés dans un troisième coffre; et,
le voilà, incredibile auditu, qui accepte d'instruire la
plainte pour abus de faiblesse contre l'escroc en dentelles. Il
est temps, dit-il, de mettre un terme aux difficultés de
galanterie de l'Etat. Le tribunal de Nanterre reçoit l'ordre de
protéger les poumons de la République en éloignant de quelques
centaines de kilomètres la nécrose des organes respiratoires de
la France et le juge Courroye se voit dessaisi de son trésor
sépulcral.
Hélas, il ne s'agit que d'une ultime échappatoire de l'Elysée et
de la chancellerie; car toute la procédure de Circé se trouve
réléguée dans une des juridictions les plus éloignées de la
capitale, et cela "dans l'intérêt de la justice", comme
chantent les Sirènes du code de procédure civile de la
République. Or, non seulement le maire de la ville de Montaigne
et de Montesquieu qui reçoit le colis à dépiéger se trouve promu
au même instant au rang de Ministre d'Etat et de Ministre de la
défense, mais, par une étrange coïncidence, le procureur général
de la capitale girondine vient d'accepter les yeux fermés et sur
ordre de l'Etat d'enrichir de toute urgence le droit pénal de la
France d'un délit tombé avec la dernière grêle: l'Etat demande
maintenant à tous les Parquets de la République d'embastiller
par la force des baïonnettes les citoyens effrontés qui se
rendraient coupables d'une hérésie effrayante, celle de refuser
d'acheter gentiment, de payer rubis sur l'ongle et de consommer
du meilleur appétit les produits alimentaires en provenance des
colonies d'un Etat-tyran du Moyen Orient.
La puanteur d'une démocratie mondiale des
esclaves aux yeux crevés monte désormais d'un globe terrestre
tellement enchaîné dans les latrines du système solaire qu'il
n'ose plus, même du bout des lèvres, accuser Israël de faire
pourrir, aux yeux du monde entier une ville d'un million et demi
d'habitants. Que faire des psaumes et des cantiques qui montent
des pourrissoirs de la Révolution de 1789? On voit que Fellini,
Bergman ou Godard sont au rouet. Un film sur l'odeur des geôles
de l' humanité, un film sur l'odeur de notre astéroïde, un film
sur l'odeur d'une sphère de boue et de rochers évadée du soleil
il y a plusieurs milliards d'années, quel défi universel aux
ressources scéniques du septième art, quel pied de nez des
galaxies aux caméras de demain, quel engloutissement du génie de
la pellicule dans le vide du cosmos?
Certes, dit le cinéaste de la nuit de la
France, la procédure aurait sans doute suivi un cours
théâtralisé par le législateur si le procureur général Nadal
avait eu le temps de publier les mémoires d'une République des
ténèbres; certes, dit le film, les autres acteurs du drame
auraient peut-être suivi l'exemple de ce haut magistrat de la
nation si les victimes n'avaient subitement renoncé à demander
la protection des lois du pays et renvoyé l'Etat et ses parfums
camper tout seuls sur leur territoire naturel, celui de la
jungle judiciaire. Décidément, les instruments traditionnels de
la science des odeurs ne sont plus de taille à raconter et à
expliquer une histoire d'alcôve branchée sur la mort de la
planète de l'éthique.
7 - La
justice jacobine et la justice girondine sous l'œil de la caméra
Quand on entre
d'un seul et même pas dans la vision globale du monde qui
inspire les grands cinéastes et dans la problématique
nécessairement locale qui permettra à leur caméra de déposer le
scénario et les personnages sur un échiquier municipal, on se
demande en tout premier lieu où passera la ligne de démarcation
entre le panoramisme et le singulier. Car, d'un côté, l'affaire
Bettencourt se situe entre deux territoires bien connus des
historiens, celui de la France jacobine et celui de la France
girondine; et si l'art cinématographique entre dans cette
dialectique classique, elle présentera aux spectateurs le
spectacle de la provincialisation accélérée de Thémis à laquelle
la décentralisation administrative a reconduit la France depuis
1981. Car la France de M. Nicolas Sarkozy conduit tout droit à
la résurrection des pouvoirs notabiliaires de l'ancien Régime.
Mais l'échiquier de l'interprétation du
phénomène a entièrement changé de nature : inutile d'évoquer le
renforcement multiséculaire de l'autorité de l'Etat depuis Louis
XIV, la lutte des parlements locaux pour la conservation des
privilèges attachés à l'autonomie relative qu'ils avaient
conquise sous François 1er, Henri IV et Louis XIII, puis la
continuation de la concentration du pouvoir politique au profit
de la capitale sous la Révolution, le Premier Empire, la
Restauration, le Second empire, les IIIe et IVe Républiques; car
le desserrement administratif se situe désormais dans une tout
autre problématique des apanages et des prérogatives de Paris et
des régions, celle de l'intérêt, pour l'empire mondial
américain, de parcelliser le territoire de ses vassaux, afin de
faciliter l'extension et le renforcement sans fin de la seule
puissance militaire mondiale, comme M. Barack Obama l'a encore
souligné à Oslo.
Aussi le cinéaste
qui n'entrerait pas dans l'axiomatique planétaire qui régit
notre temps se tromperait-il de champ filmique et sa pellicule,
à peine sortie sur les écrans, serait à exposer dans un musée
des erreurs de perspective qui ont jalonné l'histoire du VIIe
art. De même que la littérature s'est repliée sur le roman
intimiste au lieu d'élargir l'univers balzacien à la planète, le
petit cinéma a copié la littérature sentimentale.
8 - La
France américanisée
Le cinéaste de la trahison girondine de la
France ne saurait acquérir une intelligence planétaire du sens
et de la portée de l'affaire Bettencourt si sa grille de lecture
demeurait dichotomisée par une philosophie partielle et
schizoïde de l'histoire de la Révolution française. Comment une
dialectique cinématographique enfermée dans l'interprétation
classique du girondinisme et du jcobinisme permettrait-elle de
rendre compte de la place qu'occupe l'Etat de M. Nicolas Sarkozy
dans les relations que Washington entretient avec les villes et
les villages de ses vassaux européens, donc dans la stratégie et
le champ de vision asservissants d'une puissance militaire
fatalement appelée par la vocation propre aux empires à ruiner
l'unité politique des autres peuples et des autres nations de la
terre - vocation qui se trouvera facilitée par la dispersion
d'une Europe progressivement privée de ses noyaux durs, donc de
ses points de résistance centralisés? Car les grands notables
d'aujourd'hui sont redevenus sommitaux et ils s'affairent à
émietter la machine judiciaire de la France pour la défense de
leurs intérêts et profits de hobereaux d'un Etat décentralisé.
Mais si l'affaire
Bettencourt conduit le cinéaste de la géopolitique du XXIe
siècle jusqu'à une pesée réaliste, donc machiavélienne des
relations nouvelles que l'Etat moderne entretient avec un mythe
de la liberté démocratique dont la mondialisation idéologique le
domestique en retour, à quel moment reconnaîtrons-nous que le
scénario a atteint son intensité culminante, celle d'une
exemplarité filmique planétaire? L'art cinématographique moderne
est-il en mesure de spectrographier une tyrannie mondiale
désormais placée sous la bannière d'une démocratie mondiale
elle-même obéissante aux ordres d'un empire de la "Liberté"?
Pour l'apprendre,
observons en tout premier lieu et très brièvement la chute
actuelle de la justice française dans le type de
provincialisation des procédures que l'Ancien Régime avait mise
en place, puis le lien qui rattache le régionalisme judiciaire
d'aujourd'hui à la frénésie du tribunal de Nanterre de conserver
jalousement ses prérogatives et ses apanages. Comment faut-il
interpréter la fuite éperdue et dégoûtée des parties devant une
justice soumise aux dérobades de l'Etat lui-même, puisque la
République déguerpit à son tour, ce qui conduit la France du
droit à la ruine dans le déni de justice pur et simple à l'égard
des citoyens?
L'examen du chemin que parcourt un ex-Etat
des lois devenu chaplinesque nous aidera à poursuivre le voyage
de l'art cinématographique vers le scénario d'un metteur en
images prospectif de l'histoire du monde , donc d'un forgeron de
l'incandescence du temps filmique de demain.
9 - La
République bafouée
Les
Français n'en croiraient pas leurs oreilles si je leur
démontrais pièces en mains, que l'Etat décentralisateur et
localisateur de M. Nicolas Sarkozy et sa chancellerie sont
soucieux, avant tout, de gagner la bienveillance de la puissante
corporation girondine des huissiers sur tout le territoire de la
République et qu' il s'agit maintenant, excusez du peu, de les
autoriser à exercer une autorité judiciaire parallèle à celle
d'un Etat unifié. Ils vous dressent donc de faux constats à
plaisir et en exigent dare-dare le paiement à leurs victimes.
Quant aux dommages et intérêts, ils en établissent sur l'heure
et souverainement le montant.
Voir:
La France et sa justice,
15 décembre 2008
L'anthropologie critique et la
pesée des civilisations, L'Etat et la corruption de
l'appareil de la justice, 9 Lettres ouvertes à Mme
Rachida Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
30 juin 2008
La justice française face à
l'hydre de la corruption interne (suite) Lettre ouverte
à M. François Fillon et à Mme Rachida Dati,
26mai 2008
La justice française face à
l'hydre de la corruption - Lettre ouverte à un Procureur
de la République, 31 mars 2008
Où la justice française en
est-elle ? (suite) M. Lambda se rend devant la Cour
européenne de Justice, 11 février 2008
Où la justice française en
est-elle ? Lettre ouverte à un Président de Tribunal de
grande Instance, 4 février 2008
Comment cela
est-il possible? Je ne galèje pas le moins du monde: car si vous
portez plainte contre ces pratiques, le Parquet de l'endroit
refusera tout net de vous entendre et de seulement porter le
regard sur vos preuves de la supercherie, seraient-elles
filmiques. Quel prétexte va-t-il invoquer? Comment réfuter le
verdict des caméras ? On vous dira, la mine faussement contrite,
que la Constitution française interdit à l'Etat de droit
d'intervenir d'office dans les affaires civiles, lesquelles, à
l'entendre, seraient toutes et par nature soustraites à
l'autorité et à la compétence des Parquets. Naturellement, la
loi a pris soin de placer à titre statutaire les huissiers sous
le contrôle direct et permanent du Ministère public, de sorte
que ce sera le plus officiellement du monde que la République
des droits du citoyen se trouvera ouvertement bafouée sur tout
le territoire national.
Vous remarquerez
qu'il y faut une volonté expresse de l'Etat d'exercer
l'arbitraire selon son bon plaisir, ce que vous vérifierez si
vous vous mettez à l'écoute de la même réponse qui tombera de la
bouche du procureur général de la région, puis de la
chancellerie et, en passant, du service de l'organisation et du
fonctionnement des juridictions.
Mais puisque les huissiers n'interviennent
jamais que dans les affaires civiles - on ne les sollicite pas
pour constater un meurtre, que je sache - il en résulte
nécessairement que tout accès à la justice de leur pays se
trouvera interdit d'office et automatiquement aux citoyens par
la corporation des officiers ministériels pourtant assermentés,
puisque l'Etat sera censé se trouver aussi désarmé par ses
propres agents, qu'il l'a démontré, le pauvre, dans l'affaire
Bettencourt. Vous me direz que Paris présente l'avantage de
regorger d'avocats désespérément en chasse de causes
indéfendables à porter dans les prétoires. Rien de tel en
province, où aucun avocat local ne se risquera à compromettre
devant un tribunal les relations profitables que son cabinet
entretient avec les huissiers véreux de l'endroit.
Quant à recourir
aux talents d'un ténor du barreau de la capitale, nul n'aura la
sottise de croire qu'il pourrait gagner en province un procès
dont la cible réelle serait le parquet du crû, alors que
l'avancement du président du tribunal dépend dudit Parquet,
lequel place la magistrature assise sous sa tutelle effective
depuis les lois de Vichy. De plus, depuis M. Badinter, il vous
faudra rémunérer de surcroît l'avocat local, qui aura habilité
celui de la capitale, de sorte que le tribunal et le parquet se
trouveront informés d'avance de tout; car l'avocat local n'est
jamais que le serviteur dévoué du tribunal devant lequel il
plaide tous les jours.
Quant à faire appel à un second huissier,
qui réfuterait le premier, ignoreriez-vous que chacun de ces
officiers ministériels jouit de la compétence exclusive
d'exercer sa profession sur tels arpents et lopins? Je le redis,
vous ne disposez d'aucun moyen légal de démontrer la fausseté
d'un constat, parce que les grands Cabinets d'huissiers ont
verrouillé de surcroît un vaste territoire afin qu'aucun
collègue ne puisse venir de loin dresser en catimini sur leurs
terres des constats qui seraient, du reste, nuls d'office, mais
dont la production en cachette pourrait jeter le trouble dans
les esprits. Comment le cinéma contemporain va-t-il tenter de
peser cette situation sur les plus vieilles balances du verbe
comprendre, celles que la science juridique des ancêtres avait
si patiemment construites?
10 - Les cours d'assise girondines
Second exemple : on a pu assister récemment
dans le Midi à l'acquittement en cours d'assise, tant en
première instance qu'en appel, d'un professeur de droit à
l'université de la ville. Personne ne doutait qu'il avait
assassiné sa femme adultère; mais le meurtrier appartenait à une
famille de notables locaux, tandis que la victime et son amant
occupaient de toute évidence un rang insuffisamment élevé sur
l'échelle des hiérarchies sociales de province.
Certes, en première instance, un procureur jacobin avait eu
l'audace de faire appel de l'acquittement du meurtrier. Mais, en
appel, un procureur girondin, avait pris les jurés populaires à
témoin de la beauté des enfants de l'accusé afin d'obtenir la
confirmation de l'acquittement de leur père devant les premiers
juges. La République de M. Nicolas Sarkozy court vers le vieux
modèle de la justice romaine, où, dans les grands procès
criminels, l'accusé se présentait la barbe et les cheveux en
désordre, entouré de ses enfants éplorés, de ses père et mère en
larmes, de ses amis en vêtements funèbres aux côtés des
laudatores, ces hauts personnages de l'Etat qui prononçaient
l'éloge vibrant du prévenu, leur ami.
11 -
L'agonie de la France des lois
A la suite du renvoi ci-dessus évoqué de
toute la procédure civile et pénale de l'affaire Bettencourt à
Bordeaux, les plaignants ont enfin compris que jamais leur
industrie de parfums et de colorants des chevelures françaises
ne vaincrait le refus pur et simple de l'Etat de M. Nicolas
Sarkozy d'appliquer la législation du pays à un gigolo
crapuleux, mais appliqué à couver la poule aux œufs d'or. La
ruine de l'entreprise familiale s'annonçait à l'école du vide
judiciaire ouvert comme un gouffre abyssal au cœur de la nation.
Mais quelle République que celle où les plaignants ont dû
laisser filer l'escroc, la hotte lourdement chargée d'une grande
partie des écus volés, quelle République que celle qui contraint
ses citoyens à mener un combat stérile contre le Titan des
alcôves que l'Etat girondin est devenu à son tour!
Mais, disent les
victimes, comment payer à longueur d'année les honoraires
astronomiques des grands avocats? La législation romaine s'y
était essayée en vain sous Tibère. Mais, à l'époque, les ténors
du Barreau ne sortaient pas de Rome - aujourd'hui, ils auraient
été appelés à sillonner à grands frais toute l'étendue du ciel
qui les aurait conduits sans relâche de Paris à la capitale de
la Gironde et retour. L'éloquence des prêtres de la justice
gauloise est devenue la plus dispendieuse du globe terrestre
après celle des grands Cabinets américains. Les "consciences en
louage", comme disait Dostoïevski, ont fait exploser la cote
depuis que l'esprit des lois et la ruineuse prêtrise des
prétoires ont fait alliance en bourse.
Certes, le droit de succession français interdit purement et
simplement aux riches comme aux moins riches de déshériter leurs
descendants directs, que ce soit par le biais d'une dilapidation
démente de la fortune familiale ou d'une claire volonté de
tourner la législation en vigueur. Ici, le séducteur s'envole
avec trois cents millions d'euros dans sa poche et les tableaux
de maître que la vieille dame lui a donnés - tel est l'accord
spoliateur que l'Etat a contraint les plaignants à signer avec
le voleur. S'il les place à quatre pour cent, il jouira d'un
revenu d'un million d'euros par mois. Mais quelle sera sur le
long terme la viabilité politique d'une République qui bénit les
maquereaux hauts de gamme? On racontera aux enfants des écoles
les frasques d'un Etat fondé sur le mépris des lois. Quel film
que celui qui rendra planétaire le spectacle de l'agonie de la
France du code civil dans la galanterie intéressée! Imaginez la
scène dans Fellini et même dans Scorcèse, pour ne pas remonter
au Renoir de La Chienne; car, sous le joug de
l'Etat girondin, il a fallu obtenir de la seule bonne volonté du
petit souverain des oreillers qu'il signe l'engagement de
renoncer à ses assauts et qu'il n'en demande pas davantage à sa
victime. Mais l'avocat de cette dernière a aussitôt contesté une
clause qu'il juge outrageante pour sa cliente, et surtout
désastreuse pour sa propre cassette.
Et puis le gigolo
international a toute sa tête: il a pris soin de se mettre de
mèche avec l'administrateur général du pactole, auquel il a fait
toucher cent millions d'euros. Mais quelle humiliation, pour les
nouveaux César Birotteau, que d'inscrire de surcroît dans le
contrat de capitulation qu'ils remercieront publiquement les
escrocs associés et qu'ils les indemniseront une seconde fois.
La dernière séquence du film les montrera tout paradants sous
les ors de la République aux parfums girondins. Un siècle et
demi après Balzac, quels enfants de chœur que les loups-cerviers
de l'Etat-Vidocq, mais quel cinéma planétaire que celui dont la
France portera le blason sur la scène internationale, quelle
joie pour les cinéphiles de la planète que la fresque mondiale
et sur pellicule de la fraude et de la corruption des grandes
démocraties!
12 - La
caméra de la France de demain
Observons
maintenant les principes et les méthodes d'une spéléologie qui
nous éclairera sur les relations que les démocraties vassalisées
par l'empire américain entretiennent avec le Crésus qui les loge
et les nourrit. Comment faudra-t-il marier le culte les droits
de l'homme avec la maquerellerie judiciaire de la République de
M. Nicolas Sarkozy? Pas de doute, aux yeux de la science
historique du XXIe siècle, qui sera nourrie d'un regard
d'anthropologue, le champ d'interprétation qui rendra
intelligibles à la fois la vassalisation semi zoologique de
l'Europe et les noces de la servitude atlantique avec la
prostitution politique actuelle se trouvera vivement éclairé par
les derniers feux d'une France agonisante dans une domesticité
parfumée, celle d'un Etat qui, faute de se trouver en mesure de
défendre les odeurs d'autrefois de la souveraineté de la nation
sur le théâtre du monde, aura cessé de placer ses propres
citoyens sous la protection des lois civiles et pénales du pays.
Comment cela? Certes, disent les juristes
des taffetas d'hier de la Gaule , une poupée de grand luxe qui,
bon gré, mal gré, aura fait don, comme il est dit et redit plus
haut d'un milliard d'euros et de nombreux tableaux de maître à
un séducteur professionnel de vieilles dames richissimes et qui
sera allée jusqu'à le désigner pour son légataire universel,
certes, disent les juristes des dentelles d'autrefois, voilà une
situation qui impose à tout Etat qui voudrait conserver son
blason de mettre fin aux extravagances crapuleuses de son
gouvernement. Mais un astre fondé sur la sentine de la fraude
financière et bancaire, un astre empuanti par une devise papier
tenue pour réelle à l'aide de mille artifices et maintenue en
suspens dans l'atmosphère par les soins d'un empire militaire
incrusté sur la terre entière, un monde du glaive construit sur
une escroquerie gigantale, dirait Rabelais, un tel monde,
dis-je, se trouve réduit à filmer un voleur autorisé à vivre
longtemps et en toute quiétude dans le paradis de ses
escroqueries, et cela à l'image d'un Etat aussi malodorant que
le gigolo qu'il protège. Comment un tel Etat ne partagerait-il
pas son trésor avec un maquereau qui aura achevé sa carrière sur
un coup de maître? Décidément les odeurs de la France de M.
Nicolas Sarkozy sont à mettre au Panthéon de la nation asservie!
13 -Qu'est-ce que la démocratie ?
Le septième art se trouve à l'école des
odeurs de la parcelle habitée du système solaire: si la caméra
n'inventait pas les nouveaux paramètres du temps des nations qui
lui permettront d'enregistrer et d'illustrer d'un seul et même
élan les évènements internationaux que notre époque place à
mi-chemin entre le réel et le symbolique, alors les senteurs du
mythe de la Liberté chercheraient en vain la pellicule qui
sous-tend les péripéties et la trame de l'affaire Bettencourt.
Comment soustraire un Etat au cadran superficiel du quotidien?
Prenez l'Etat d'Hamlet, de Coriolan, de Macbeth, du roi Lear,
d'Antigone, de Créon, d'Hérode, de Néron ou de Caligula: tous se
laisseront substantifier et emblématiser par le plus fidèle
appareil à décalquer les évènements - le support olfactif qu'on
appelle la bobine.
Mais essayez de placer un instant seulement
les odeurs de l'Etat fugitif de M. Nicolas Sarkozy sous l'œil de
la caméra. Comment allez-vous tenter de placer durablement sous
l'objectif la caricature de l'Etat en transit de M. Courroye,
comment filmerez-vous l'ombre de l'Etat de passage de M. Woerth,
comment confierez-vous à l'œil de l'éternité l' Etat-caissier
d'une civilisation des gibernes et de la basoche devant laquelle
un Rockefeller se verrait contraint de rendre les armes,
tellement l'escarcelle des avocats aboie à vous percer les
oreilles. Sachez que vous ne trouverez plus aucun magnat de la
finance de taille à remplir la gibecière des hommes en noir et à
collerette blanche.
Vous me direz que
l'industrie du livre viendra sans doute retirer son bâillon au
rédempteur de l'information démocratique, à l'artisan de la
dernière mutation cinématographique de l'Histoire, au dernier
diable boiteux de la politique; vous me direz que ce régime
s'était imaginé avoir terrassé la monarchie; vous me direz que
les cinéastes du peuple avaient cru mettre la main sur un Graal
à portée de leur caméra; vous me direz même, dans votre naïveté,
que Voltaire avait mis à genoux les géants de fer et d'acier des
tyrannies religieuses, puis les tyrannies messianisées par le
prolétariat, tellement la plume et l'encrier étaient devenus le
premier cinéma des miasmes du genre humain.
Mais voyez votre erreur: les peuples de la
Liberté découvrent maintenant que les Etats ont plus de cordes à
leur arc qu'on ne croit et qu'ils retrouvent d'instinct le
privilège qu'exercent toutes les classes dirigeantes du monde,
de vous pendre haut et court, tellement leur potence se présente
en apôtre de la liberté, tellement leur gibet se cache sous la
mitre de leurs piétés, tellement leur couperet se pare de
sacralité. Le vrai combat des démocraties du salut ne fait que
commencer dans les coulisses des Machiavel au petit pied et
d'une bureaucratie théologisée par le mythe en or massif de la
Liberté.
14 - Des poupées de cire et de sang
La toile de fond de l'affaire Bettencourt se présente comme un
récit historique de la dernière génération des démocraties
parfumées. A ce titre, la narration échappe tout autant aux
caméras du rêve que le compte-rendu exact, mais seulement
événementiel d'une affaire de famille à inscrire dans l'univers
balzacien. Si vous racontez en greffiers les démêlés d'une
entreprise de ce type avec la fille du fondateur, vous
conserverez quelque temps le décor de l'intrigue dressé de main
de maître par l'auteur de la Comédie humaine. Mais
si vous observez la collision entre deux mondes, celui de la
mode capillaire et celui de l'Etat bureaucratique pourrissant
dans ses officines, puis l'alliance des coffres-forts de la
famille avec les hobereaux administratifs de la France
girondine, le scenario des cosmétiques quittera les planches du
réalisme bourgeois du XIXe siècle pour débarquer sur la scène
des Beckett et des Ionesco, où un fantastique devenu national de
la tête aux pieds prête ses emblèmes vestimentaires au réel.
Comment faire
débarquer dans le septième art les soubresauts du mythe moribond
de la liberté dans un monde déserté par le rêve de 1789? Le
vieux songe du salut a quitté l'enceinte des théologies pour
cabrioler dans une sotériologie républicaine censée avoir
débarqué sur la terre entière. Impossible donc de réduire Mme
Bettencourt à un personnage du théâtre de Feydeau et impossible
de réduire l'Etat moderne à un vieil acteur de boulevard : tous
deux sont nés en 1945 sous la bannière d'un nouveau dieu, qu'on
appelle la Liberté. Et pourtant, il ne s'agit plus que d'un bal
de figurants fanés, celui d'une démocratie desséchée où l'Etat
se caricature à l'école de son propre mythe et se place lui-même
dans un herbier.
15 -
Cinéphiles de tous les pays …
L'une des poupées de cire et de sang de
l'histoire universelle s'appelle la justice. En vérité, ce
personnage hante le théâtre du monde depuis Périclès. Mais
sachez qu'à l'instar des dieux, il n'a jamais existé ailleurs
que dans les têtes de ses fidèles. Les peuples aujourd'hui
qualifiés de démocratiques le sont aussi dévotement qu'on les
proclamait royalistes hier encore; les nations désormais
administrées à l'école de la sagesse dont témoigneraient leurs
propres suffrages sont censés témoigner découvrent subitement,
mais un peu tard, qu'ils se trouvent livrés de naissance à des
clergés sans cesse renouvelés et souverains au sein des Etats,
de sorte que la pieuse tyrannie de leurs maitres les précipite
pieds et poings liés dans des carnages délirants et sans qu'ils
se trouvent seulement consultés. Voyez comme le vote populaire
se trouve de tout temps empaqueté dans les bureaux d'une
"rédemption patriotique" dévotement ficelée par les soins de la
haute finance internationale. Décidément, sa propre geôle
étrangle la Liberté dans les couloirs de ses paradis bancaires.
Voyez, en outre, comment le tyran nouveau
use d'un langage idéalisé par l'idole qu'il est à lui-même.
N'a-t-il pas donné l'ordre à cinquante nations d'enfants de
chœur d'aller s'empêtrer et se vassaliser en Afghanistan et en
Irak? Pis que cela: les citoyens domestiqués à l'école des
apôtres et des catéchètes d'un empire étranger, c'est à leur
corps défendant qu'ils sont placés sous un sceptre lointain!
Mais si le cinéma de demain parvenait à mettre en scène les
démocraties endoctrinées et chargées des chaînes
confessionnelles de leur servitude et les républiques dont on a
enfourné la liberté et la justice dans la giberne des citoyens,
quel décor pour une histoire cinématographique du sang du monde.
Saluez les derniers feux d'une civilisation européenne en carton
pâte ! Cinéphiles de tous les pays, goûtez l'agonie malodorante
du Vieux Monde, goûtez le spectacle d'une nonagénaire éprise du
phallus d'un éphèbe fatigué, goûtez l'odyssée terminale des
cosmétiques d'un continent des odeurs dont la dernière épopée
arrache ses bijoux à une richissime moribonde.
16 - Le droit international et la procédure d'extradition
Le cinéma de demain filmera une démocratie
mondiale dont l'appareil de la justice et les biscuiteries se
trouveront coûteusement coincés entre le Léviathan aux cent yeux
de Hobbes et celui des plumitifs de Courteline. Wikileaks
voudrait enrichir la souveraineté émaciée et truquée des peuples
parfumés aux senteurs de la démocratie. Comment leur donner un
contenu plus substantiel? Il faut, pense M. Assange, leur faire
respirer l'odeur de la correspondance diplomatique - donc
nécessairement secrète - que les ambassades américaines ont
entretenues avec leur gouvernement et avec ceux des Etats
vassalisés du Vieux Monde de 1966 à nos jours. Naturellement un
mandat d'arrêt outragé a été aussitôt lancé contre le
profanateur de l'Eden de la démocratie mondiale. Les Etats-Unis
demandent instamment qu'on leur expédie le colis bien ficelé. La
Suède pourrait servir d'expéditeur complaisant à la chaise
électrique.
Mais l'Angleterre hésite à livrer
l'hérétique aux cachots d'une démocratie de la torture. Sa
tradition d'hospitalité fait figure d'auréole de la civilisation
mondiale et, de surcroît, la tradition de la jurisprudence
européenne est d'ores et déjà plus que séculaire sur ce
chapitre. On sait qu'elle exclut d'office la procédure
d'expédition à la potence. On n'extrade, de surcroît, les
adversaires politiques d'un Etat étranger qu'à la condition
qu'ils n'aient pas de sang sur les mains; mais s'ils s'en
trouvent entachés, les meurtriers seront livrés aux juges de
leur propre nation en application des dispositions d'un droit
pénal civilisé qui exerce, en tous temps et en tous lieux, son
hégémonie sur le droit qui régit les relations entre Etats
souverains sur des cas particulier; et aucune constitution au
monde n'absout l'assassinat pur et simple - la légitime défense
exceptée.
Mais si la fonction tutélaire du "droit des gens" - des
gentes - ne saurait servir d'alibi à des tueurs déguisés en
apôtres d'une cause politique, quel test de la servitude ou de
la souveraineté alternées de l'Europe que l'affaire de Wikileaks!
Puisse un Fellini de la dolce vita des démocraties porter la
vassalisation de l'Europe à l'écran, puisse l'Australien qui a
ouvert la boîte de Pandore des libertés de demain trouver les
deux millions d'euros que les consciences rémunérées qu'on
appelle encore des avocats lui réclament!
17- L'odeur du
monde
L'anthropologie historique ne sera pas une
discipline inodore, comme la géographie ou la botanique; elle
conquerra l'âpre saveur de franchir sans cesse la distance
périlleuse qui, de tous temps, a séparé le champ visuel des
évènements neutralisables à l'école du récit scolaire, d'une
part, de l'éclairage qui les rendra signifiants à l'écoute du
sang de l'histoire, d'autre part. A ce titre, la postérité
cinématographique de Darwin est encore à illuminer à la double
école des parfums de l'affaire Bettencourt et de ceux d'un Etat
élevé à l'odoriférance rare des maquerelleries nationales.
Alors le divorce ou la séparation de corps
entre une histoire de France banalisée par l'accoutumance des
républiques au train de la corruption d'un côté et
l'interprétation anthropologique des énigmes du monde de l'autre
ne conduira plus aux tâtonnements de la science historique
catéchisée des ancêtres, mais à une interprétation prospective
et transonirique du tragique que le IIIe millénaire appelle de
ses vœux.
Les cinéastes de génie qui déposeront les fleurs séchées du
mythe de la liberté au cœur des Etats démocratiques feront de
l'affaire Bettencourt le lit non seulement de l'histoire des
odeurs du monde, mais de celle des narines de la science
politique. Ils demanderont à d'éminents olfactologues de bien
domicilier le scénario dans une histoire généralissime du pif
des Républiques; puis, ils solliciteront l'organe nasal des
anthropologues, afin qu'ils s'appliquent à observer les rouages
nouveaux des décadences que seuls les Etats malodorants ont mis
en service; et ces spécialistes décriront, la loupe à l'œil, les
ressorts des fuyards les plus récents de la nuit animale. Enfin,
les simiologues du singe parfumé nous apprendront pourquoi
Tite-Live ou Tacite ne disposaient encore ni des codes
analytiques, ni des spéléologies du langage en mesure de leur
montrer la galerie des masques du genre simiohumain. Mais quand
nous disposerons des caméras panoptiques capables de filmer les
ivresses verbifiques de l'humanité, nous deviendrons les
spectateurs de l'ascension du droit international des Romains
vers les jardins suspendus de la parole démocratique ; et nous
nous expliquerons pourquoi la sotériologie verbale a changé les
Républiques autrefois censées au service du suffrage universel
et de la souveraineté des peuples en utilisatrices éhontées des
appareils du despotisme dont leurs industries des mauvaises
odeurs saturent l'atmosphère.
18 - La sainteté athée
On voit que, de fil en aiguille le tournage
d'un film polychrome et à vocation internationale sur les odeurs
de la France de M. Nicolas Sarkozy conduira l'art
cinématographique mondial à déshabiller le genre humain de la
tête aux pieds, parce que l'art de raconter les pestilences
planétaires de l'Histoire fera débarquer sur les cinq continents
une science panoramique des cosmétiques du temps humain. Alors,
toute polémique locale se trouvera chassée de la scène, parce
que la vocation de l' anthropologie historique et critique
l'appellera à s'interroger sans relâche sur la validité de ses
radiographies prospectives. A chaque scène, cette discipline
devra tracer les chemins ou les sentiers de la méthode qui
conduiront le récit sourd et muet des premiers cinéastes du
temps de peuples et des nations à des révélations olfactives
perceptibles aux siècles à venir. On attend des caméras capables
de capter des odeurs et de les rendre loquaces afin de mettre en
flacons le passé et le présent des encagés actuels dans la geôle
des Etats qualifiés de démocratiques.
Demandez le programme ! Il est en vente à
l'entrée de toutes les salles obscures Les ouvreuses elles-mêmes
savent que l'art cinématographique de notre temps s'initiera à
une dramaturgie planétaire des senteurs que répand le mythe de
la liberté. Les ouvreuses elles-mêmes, dis-je, porteront à
l'écran les parfums d'une civilisation falsificatrice de la
justice. Voyez les nouveaux acteurs du monde, les
Etats-myriapodes, les Etats-strangulatoires, les Etats
domestiqués par la gibecière de leurs banquiers, de leurs
magistratures et de leurs censeurs, voyez les citoyens enchaînés
aux guichets où seuls des kilos d'or vous donneront accès aux
prétoires des tribunaux.
L'heure a sonné
pour le septième art de porter la démocratie mondiale sur grand
écran, l'heure a sonné de demander à André Malraux ce qu'il en
sera de la spiritualité de la France et du monde au siècle où la
mystique découvrira les voix du silence et où la sainteté athée
sera l'âme du monde.