Opinion
La renaissance
arabe et l'hémiplégie de la science
historique
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 4 septembre 2011
1- L'Amérique face à
la Chine
2
-
L'observation des
fourmis
3 - Le retour des
dieux
4 - Aux sources de
la simianthropologie
politique
5 - L'islam de la
deuxième Renaissance
6 - L'islam
potentiel
7 - Qu'est-ce que
l'étonnement philosophique ?
8 - L'apprentissage
de l'étonnement
9 - L'avenir de
l'islam civilisateur
10 - La géopolitique
d'un sacré
11 - Il est
réconfortant …
12 - Mon itinéraire
1 -
Les animaux et
nous
Pour
illustrer la nature et l'avenir du
débarquement de l'islam sur la planète
du XXIe siècle, l'anthropologie critique
ouvre la trousse des Célestes et
inspecte leur outillage, leur fourniment
et leurs boniments d'hier et
d'aujourd'hui. Elle observe en tout
premier lieu que, depuis 1945,
l'ambition des empires semblait être
devenue plus commerciale et monétaire
que guerrière; et pourtant l'empire
américain est demeuré militaire de la
tête aux pieds. On a pu constater le
poids de cette évidence au cours de
l'été: nous avons entendu le Nouveau
Monde demander sans vergogne à la Chine
"pourquoi elle croit avoir besoin
d'un porte-avions". On sait que,
pour sa part, le demandeur ne cache pas
qu'il possède dix de ces géants des
mers. Le seul George Herbert Walter Bush
senior fait fonction de base aéronavale
océanique. Il transporte quatre-vingt
dix avions de combat et six mille
membres d'équipage. Construit en 1998,
il est équipé de quatorze radars de
détection et de surveillance, d'un
système de brouillage électronique, de
deux batteries de missiles sol-air Sea
Sparow MK 57 Mod3, de deux batteries de
missiles RIM-116 Rollin Air Frame
Missile, de quatre canons anti missiles
de 20mm Phalanx. Sa propulsion est
assurée par deux réacteurs nucléaires,
de sorte que son autonomie est illimitée
sur notre astéroïde.
L'empire
du Milieu entend-il donc dominer le
monde, poursuivait bénignement le
questionneur? L'examinateur est-il
candide, retors, provocateur, léger ou
stupide? Pourquoi ajoute-t-il que la "confiance
entre les nations" doit reposer sur
une "transparence" séraphique,
alors qu'il s'agit d'une réciprocité
dans le translucide qui se moque du
monde et dont l'impertinence devrait
conduire tout droit à l'incident
diplomatique.
Pour
comprendre ce dialogue de sourds, ou ce
gant jeté à la figure d'un interlocuteur
supposé benêt, ou ce soufflet dans une
cour d'école, ou ce défi enfantin de la
fable du matamore et du moucheron que La
Fontaine a oublié de rédiger, croit-on
que l'effigie de la divinité qui se
profile derrière les duellistes n'est
pour rien dans leur échange de coups
fourrés, de feintes calculées et de
parades apprises? La Chine ne raconte
que quelques fantômes stellaires. On y
rencontre un dragon ; mais cette
civilisation est la première à savoir
qu'il n'existe aucun Dieu et qu'il faut
jouer au tric-trac. Du coup, on négocie
poliment, on ne saute pas trop haut, on
garde l'épée au fourreau, parce que
l'histoire de la terre est un jeu de go
où le gain résulte d'un habile et
imperceptible déplacement des pièces. Le
ciel américain, lui, est occupé par un
Dieu sûr de ses prérogatives, fier de
l'exclusivité de ses apanages,
sourcilleux et toujours sur ses gardes,
convaincu de régner seul dans le cosmos
et de dispenser à chacun des grâces
proportionnées à ses mérites. Si nous ne
savons pas pourquoi les verbes
exister, expliquer et
comprendre se conjuguent à l'école
des théologies, des valeurs, des
patries, des orgueils, si nous ignorons
que les ciels les plus divers veillent
tous sur leur cassette de signifiants,
vous n'observerez jamais comment
l'humanité se promène parmi les trésors
qu'elle a entreposés dans sa tête.
2 - L'observation
des fourmis
Comment
sauriez-vous pourquoi la Chine s'est
bien gardée d'envoyer promener l'
effronté jeunet, pourquoi elle n'a pas
ridiculisé le toupet de l'adolescent,
pourquoi la moquerie n'est pas son fort,
pourquoi elle a gentiment répondu que
son unique porte-avions venait tout
droit d'Ukraine, qu'il était fait de
bric et de broc, qu'il ne serait achevé
qu'en 2014 et qu'elle en faisait
seulement l'essai? Non, non et non, a
ajouté l'interrogé bienveillant et
secret, la Chine ne cherche pas à "dominer
le monde". Mais pourquoi un journal
allemand, le Spiegel,
a-t-il repris à son compte et en détail
les questions puériles que le
département d'Etat américain a osé poser
au peuple de Confucius, qui compte un
milliard deux cents millions
d'habitants?
De même que l'observation des fourmis
ressortit à l'entomologie universelle,
la science qu'on appelle l'Histoire
ressortit à une anthropologie
planétaire. On y apprend que l'Allemagne
actuelle se trouve occupée sur la
totalité de son territoire par deux
cents places fortes de son ennemi d'il y
a soixante cinq ans. Comment se fait-il
que cet Etat s'auto-vassalise à plaisir
sur les planches, comment se fait-il que
cette nation s'abaisse au point de
demander à une puissance souveraine et
en docile porte-voix de son maître
d'outre-Atlantique, si Pékin ne
cacherait pas des ambitions politiques
pécheresses dans ses poches?
Voilà un
document anthropologico-religieux par
nature et par définition; et c'est à ce
titre qu'il se présente à la pesée d'une
théopolitique à la recherche de la
distanciation méthodologique nouvelle
qu'exige la connaissance scientifique
d'une espèce tellement spécifique que
nul ne sait encore comment l'appeler.
Figurez-vous que c'est tout
cérébralement que les descendants d'un
quadrumane toisonné se laissent
domestiquer, et cela à l'école de leur
propre voix. Décidément, si nous
n'acquérons pas une connaissance
résolument simianthropologique des
haut-parleurs célestiformes que la
géopolitique colloque dans le vide de
l'immensité, nous ne disposerons jamais
de la connaissance de l'Histoire
qu'exigera une discipline digne de
conquérir le rang d'une science. A ce
titre l'anthropologie critique installe
son télescope dans l'infini; et elle
rejette à la fois le conceptualisme
faussement transparent de Voltaire et la
feinte cécité de Shakespeare le
visionnaire qui prétendait écouter un
idiot.
3 - Le retour des
dieux
Et puis,
"Dieu" est revenu partager son encéphale
avec le nôtre. Impossible de refuser
plus longtemps d'apprendre à connaître
les gigantesques acteurs imaginaires
dont nos ancêtres avaient installé la
stratégie sous l'os frontal de
l'humanité. Le 26 août 2011, le
secrétaire général du Hezbollah, Sayyed
Hassan Nasrallah, le plus intelligent
des chefs arabes, disait que "Jérusalem
et la Palestine font partie de notre
religion, de notre culture ,de notre
jeûne, de notre prière et de notre
jihad. Donc, sans Jérusalem, ces valeurs
perdent beaucoup de leur sens. Nous
allons prier prochainement dans la
mosquée et l'église de Jérusalem."
Croit-on
que cette ville n'est qu'un tas de
cailloux éparpillés sur quelques
arpents, sait-on que la Jérusalem réelle
est une cité de l'âme, une forteresse
intérieure , la Cité de Dieu
de saint Augustin, le Mont Carmel des
juifs et des musulmans, et non un objet
livré aux topographes, aux géomètres et
aux registres cadastraux? Mais alors,
voilà une science de la mémoire en
promenade autour du véritable habitat de
l' espèce onirique dont elle est censée
raconter l'histoire, voilà une
discipline incapable de visiter et de
rendre intelligible le monument
psychique central des habitants d'un
royaume méta-géographique! "Il faut
surveiller de près ce qui se passe à
Jérusalem, surveiller la judaïsation de
ses quartiers, de ses rues, de ses
marchés, de ses parcs, de son patrimoine
culturel, surveiller la persécution
israélienne des habitants de Jérusalem à
laquelle se livre Israël, surveiller le
vol de leur territoire et la menace
réelle de judaïser Jérusalem", dit
encore Sayyed Hassan Nasrallah.
La
simianthropologie politique et critique
constate que, deux cent vingt-trois ans
après la mort de Voltaire, plus d'un
siècle après celle de Nietzsche et
environ deux millénaires après Lucrèce,
la civilisation mondiale ne sait rien de
l'encéphale surréel de l'humanité et que
Clio nous raconte encore la vieille
histoire d'une espèce dont elle n'a pas
visité les rêves qui peuplent sa
cervelle.
4 - Aux sources
de la simianthropologie politique
En janvier 2011, les masses arabes sont
descendues à grand bruit dans les rues.
Depuis 1945, comme il est dit plus haut,
l'histoire était subitement devenue
industrielle, commerciale, et monétaire
sous le fanion d'une puissance navale à
l'échelle planétaire. La légende
démocratique s'était-elle donc
subitement figée sous le sceptre d'un
souverain financièrement intéressé à
toucher les dividendes du mythe de la
Liberté? Voici que, non moins
soudainement, le paysage anthropologique
change de contenu, de texture et de
rythme, parce que Chronos est toujours
demeuré un témoin des songes
cosmologiques de l'humanité, de sorte
que l'épopée eschatologique que la
révolution de 1789 tente d'incarner se
révèle plus religieuse que jamais sans
ses déguisements mêmes.
Chacun
sait que raconter et comprendre font
deux. Mais si comprendre, c'est
expliquer, nombreux sont les discours
soi-disant explicatifs. C'est pourquoi,
depuis plus de dix ans, le lecteur de ce
site observe avec quelqu'intérêt combien
il est prometteur de tenter de conquérir
une distanciation à la fois
anthropologique et critique à l'égard
des exploits et des défaites de Clio. La
meilleures preuve en est que la science
mémorieuse a commencé par s'égarer dans
le fabuleux que les récits primitifs du
sacré avaient forgé pour en venir à la
narration tardive et muette. Quel double
égarement! D'un côté, nous avons été
livrés à la fausse profondeur de
l'histoire sainte, de l'autre, à une
chronologie aussi minutieuse
qu'éborgnée.
Entre la
courte-vue des greffiers du tragique et
la presbytie délirante des
représentations religieuses ou
idéologiques du monde, ne serait-il pas
plus fécond d'observer comment notre
espèce ficèle la narration à la
mythologie et la mythologie à la
narration? Le XVIIIe siècle a soutenu
que seuls les philosophes écrivent
l'histoire sur les hauteurs. Mais la
raison des philosophes jouit-elle d'ores
et déjà du privilège inouï de connaître
son objet à la seule lumière des feux de
l'intelligence? J'ai déjà dit que
Voltaire et Shakespeare racontent une
aventure dont ils avouent
l'incompréhensibilité, mais le grand
Anglais ajoute que tout ce bruit et
cette fureur, c'est un sot qui nous en
fait le récit, tandis que Voltaire
s'installe à trop peu de frais sur
Sirius.
5 - L'islam de la
deuxième Renaissance
Si la
Révolution arabe n'était qu'une brise
printanière, le souffle d'un renouveau
aussi bienvenu que passager ou même un
ébranlement seulement politique, elle
serait vouée à l'éphémère des mutations
sociales et des changements de
gouvernements. Par bonheur, ce réveil
inaugurera un bouleversement de la
méthode historique que l'Occident avait
élaborée depuis Thucydide en ce qu'il
enseignera à Clio la pesée des hommes et
des siècles à l'école de la
contemplation et de la méditation
nouvelles dont notre espèce cherche la
balance. Cessons d'interpréter la
Renaissance arabe comme une secousse,
même tellurique, des paramètres de la
géopolitique classique, alors que toutes
les conditions du plus gigantesque
séisme se trouvent enfin réunies, celles
où l'histoire se révèlera le miroir
énigmatique d'une espèce en évolution et
dont il faudra modifier le globe
oculaire afin de tenter de passer du
récit historique aveugle à
l'apprentissage de la raison
visionnaire.
La
première Renaissance n'était qu'une
descente dans la mine d'or d'un passé
englouti par le tsunami d'une prétendue
révélation unique et définitive de tous
les mystères de l'univers - révélation
qui nous aurait mis en mains et à jamais
les clés d'une "création". Mais la
jeunesse arabe d'aujourd'hui bouillonne
aux portes d'une tout autre
annonciation, celle de la rencontre à
venir entre un humanisme classique tombé
en panne de sa véritable inspiration et
les retrouvailles de l'humanité avec un
"Connais-toi" enseveli sous les rites et
les liturgies. Or, cet avenir se
trouvait en germe dans le premier élan,
certes audacieux, mais trop rapide et
demeuré superficiel de la raison du
siècle des Lumières. A l'heure des
premiers télescopes sidérés par
l'infini, Necker écrivait: "Que
devient donc notre petite terre au
milieu de ces immensités dont l'esprit
humain essaie en vain de s'emparer?
Qu'est-elle déjà relativement à cette
quantité de globes terrestres dont nous
pouvons former le calcul à l'aide de nos
découvertes, ou du moins dirigés par des
présomptions raisonnables? Seraient-ce
donc les habitants de ce grain de sable,
serait-ce un petit nombre d'entre eux
qui auraient le droit de prétendre que
seuls ils connaissent la manière dont on
peut adorer le souverain Maître du monde
? […] Comment donc oseraient-ils
annoncer à tous les âges présents, à
tous les temps à venir, qu'on ne peut
éviter les vengeances célestes si l'on
s'écarte de quelques lignes des usages
et des pratiques de leur culte?" (M.
Necker, De l'importance des
opinions religieuses, cité par
Grimm, Correspondance, t. XV,
473-474, édition de 1821)
6 - L'islam
potentiel
Le réveil
partiel de l'intelligence critique
européenne que fut le siècle de Voltaire
aurait pu donner sa véritable
descendance à la Renaissance si toute
l'aventure n'avait tourné court du seul
fait que les Encyclopédistes sont tombés
dans la contradiction de croire en
l'existence d'une divinité plus
inaccessible, ultra séraphique et plus
vaporeuse que celle du naïf Moyen Age.
Du coup, ils ont qualifié de simples "opinions"
les rudesses des dogmes et l'acier
trempé des orthodoxies primitives. Mais
l'heure n'avait pas sonné de les
radiographier à titre de documents
carnassiers, patelins et abyssaux, donc
comme des effigies permanentes du singe
à décrypter à l'école de son histoire
proprement cérébrale.
C'est une mèche
allumée à la main que l'islam virtuel,
l'islam du courage cérébral le plus
inouï attend son rendez-vous avec la
civilisation occidentale. Quel tonneau
de poudre qu'une humanité contrainte de
se regarder dans sa véritable histoire,
quel explosif qu'un monde arabe tout
subitement armé des instruments de
communication du monde moderne, quel
détonateur qu'une religion de la raison
qui demandera à l' humanité:
"Qu'avez-vous fait de vos microscopes et
de vos télescopes? Leur avez-vous
enseigné à observer l'encéphale d'Adam
et d'Eve? Les avez-vous braqués sur la
boîte osseuse d'une espèce qui se bâtit
des forteresses mentales dans le vide de
l'immensité ? Pourquoi avez-vous peuplé
le néant de personnages fantastiques,
pourquoi leur demandez-vous de vous
apprendre à penser?"
L'islam potentiel
est le nouveau-venu et le tard-venu
providentiel qui portera un regard neuf
sur les étranges héritiers d'un
quadrumane à fourrure et qui leur
demandera: "Qui êtes-vous, que
savez-vous, qu'avez-vous appris depuis
cinq siècles que vous avez découvert
Aristote, Plaute, Epicure et Lucrèce?
7 - Qu'est-ce que
l'étonnement philosophique ?
L'anthropologie critique est moins
imprudente que Voltaire l'extra lucide
et plus disposée que l' "idiot"
qu'évoque Shakespeare à prêter l'oreille
aux criailleries des descendants d'une
espèce aphone, puis vantarde et
babillarde à souhait. L'avantage de
cette discipline est d'émettre de
prudentes hypothèses, puis de les
vérifier avec soin et à l'écoute de la
méthode la plus saine, celle que
préconise l'Introduction à la
médecine expérimentale de Claude
Bernard, parue en 1865, mais dont la
portée philosophique demeure à
décrypter.
Car
figurez-vous que le verbe vérifier
est aussi piégé que le verbe
comprendre. Comment vérifier
des signifiants, donc le sens
réputé immanent aux évènements? Exemple:
racontez- moi la guerre entre les
protestants et les catholiques au XVIe
siècle. Comment la rendrez-vous
intelligible si vous ignorez comment et
pourquoi un animal rendu erratique par
un mécanisme secret de la nature se
donne à tout vat des idoles fort sottes
pour maîtres et pour guides?
Descendants d'un primate toisonné, voyez
comme vous mettez la charrue avant les
bœufs chaque fois que l'acier de vos
plumes vous narre tout courant que vous
comprenez ce que vous vous racontez à
vous-mêmes, à savoir que les catholiques
confessent le dogme de la "présence
réelle", ce qui signifie qu'à leurs yeux
ils mangent effectivement la chair crue
et boivent à pleines gorgées le sang
encore chaud d'un homme qu'ils croient
ressuscité il y a deux mille ans et
qu'ils s'imaginent exposé physiquement
sur l'autel de leurs messes. Votre
science historique est-elle
explicatrice en ce qu'elle
connaîtrait la généalogie des
personnages fabuleux dont un chimpanzé
tardif a peuplé le cosmos? Comment
allez-vous vérifier des symboles,
comment allez-vous expérimenter des
songes?
L'anthropologie critique se garde de
professer le dogme laïc selon lequel
comprendre, reviendrait à projeter
sur les évènements un savoir naïvement
conceptualisé. Elle sait que la raison
est une ignorante perpétuellement en
apprentissage des méthodes qui la
rendront apte à éclairer en profondeur
l'objet de son attention, une effrontée
désireuse de se procurer sans relâche
les outils de la chasse et de la capture
d'un animal inconnu et qui s'appelle la
vérité, une ouvrière méfiante à
l'égard des instruments censés parler
tout seuls dans le cosmos. Mais comment
vos expériences sont-elles censées
démontrer les liens qui ficèleraient les
faits à la hotte des signifiants qu'ils
charrieraient sur leur dos si la vérité
joue un jeu énigmatique avec les oracles
que profère la parole?
Si
Malbrough s'en-va-t'en guerre, son sac à
dos est plein des signes et des signaux
d'une signalétique militaire; s'il
métamorphose du pain et du vin en corps
à dévorer et en sang à boire, de quelles
preuves serez-vous les vérificateurs et
quel sera le territoire de vos
expériences?
L'anthropologie critique est
philosophique en ce qu'elle est étonnée
en diable d'entendre des voix retentir
de tous côtés dans l'univers du silence;
et elle se montre non moins étonnée de
la spécificité vocale du genre
simiohumain que l'entomologiste dont je
ne vous raconte pas l'ahurissement s'il
entendait des fourmis lui expliquer les
signaux qu'émettent leurs fourmilières.
8 -
L'apprentissage de l'étonnement
Néanmoins
l'histoire volubile et qui dévide
aveuglément son chapelet d'évènements
supposés loquaces n'en demeure pas moins
instructive à sa manière, non seulement
parce qu'il est étonnant que Clio ne
s'étonne de rien, mais parce que le
refus même de tout étonnement dont
témoigne sa discipline fait l'objet de
l'étonnement le plus précieux de la
pensée, celui dont les surprises ne
cessent de féconder la simiantropologie
critique. Car enfin, le simianthrope a
vécu pendant des millénaires sous
l'égide de ses dieux; et pourtant, nul
ne s'explique ni pourquoi ces
haut-parleurs sont morts les uns après
les autres, ni pourquoi un ultime
locuteur est censé s'être subitement
présenté dans le cosmos, ni pourquoi ce
dernier est réputé exister pleinement et
en solitaire triomphant pour avoir
terrassé la polyphonie de ses
prédécesseurs. Qui a édicté que tout
l'héritage reviendront au dernier
discoureur?
Décidément, une science historique qui
ne connaît ni ne comprend la boîte
osseuse des contemporains du ciel
d'Homère ne sait pas non plus un traître
mot du simianthrope mis à l'écoute de
son dernier Jupiter. Il y a donc lieu de
s'étonner grandement de ce que la
science historique contemporaine ignore
autant la nature et la provenance de
l'abondante l'assemblée des idoles
trépassées des Anciens que des trois
orchestrateurs du cosmos encore supposés
dans l'exercice de leur haute fonction.
9 - L'avenir de
l'islam civilisateur
Quel est
le lieu précis du rendez-vous de l'islam
vivant avec l'humanisme pensant de
demain et avec la philosophie mondiale à
venir? Pour le découvrir, il suffit de
remarquer que l'hémiplégie de la planète
de l'intelligence a été clairement
remarquée et vigoureusement soulignée
par les philosophes arabes du XIIe
siècle, qui ont dit au christianisme:
"Nous ne comprenons pas votre "Allah".
S'il est aussi puissant et
miséricordieux que le nôtre, pourquoi
a-t-il créé chez vous une humanité
tellement faible d'esprit et tellement
coupable des malfaçons dont elle souffre
de naissance qu'elle se trouve
fatalement condamnée à tomber dans le
péché que vous qualifiez d'originel, et
pourquoi lui a-t-il fallu racheter à un
si grand prix la faute d'avoir croqué la
pomme de l'arbre de la connaissance,
afin de s'informer de son sort?" Saint
Thomas a tenté de réfuter ces apories
dans sa fameuse Somme théologique
contre les musulmans, les "gentiles",
c'est-à-dire les gens des "gentes",
les tribus et des ethnies. On sait que
cet ouvrage lui a valu le titre de
docteur officiel de l'Eglise catholique,
apostolique et romaine, de sorte que le
concile Vatican II de 1962 ne lui a
retiré en rien son auréole et sa qualité
inaliénable de lampion doctrinal des
chrétiens.
Comment
la pensée post-théologique de l'islam
philosophique du XXIe siècle se
trouvera-t-elle mieux armée que la
raison scientifique de l'Occident actuel
pour expliquer et comprendre qu'un débat
hérité du Moyen Age se placera
nécessairement au cœur de
l'anthropologie critique et des sciences
humaines du début du IIIe millénaire?
Comment se fait-il que seul Muhammad le
potentiel, le virtuel, le précurseur de
Nietzsche et de Freud, conduira le génie
arabe à retrouver la trace des sociétés
pré-humaines que le christianisme
originel avait abandonnée? Que dit Grimm
au XVIIIe siècle? "On adopte, par
exemple, le terme sacrifice de la langue
latine et, pour pouvoir s'en servir, on
change le repas de l'eucharistie en un
sacrifice [prétendument] non sanglant.
Ce sacrifice devient la messe, et une
nomenclature latine devient l'origine
d'une religion absolument différente du
christianisme des premiers siècles.
" (Grimm, Correspondances,
t. IV, éd. 1813, p. 268)
10 - La
géopolitique du sacré
On voit
que si le simianthrope est un pécheur-né
et s'il doit se trouver racheté à grands
frais, c'est afin qu'il soit mis en
mesure d'acquitter le tribut sanglant
que son sacrificateur de père dans le
ciel lui réclame à grands cris. Et
pourquoi le lui réclame-t-il? Parce que
les théologies réalistes sont condamnées
à se greffer sur la guerre et sur la
mort. Sinon, comment le rachat de la
victime nourrirait-il la puissance et la
gloire du maître? Le souverain du ciel
présente donc un fidèle décalque d'une
histoire oscillante entre deux
obéissances alternées, celle que réclame
le triomphe des glaives et celle que
commandent les heures d'une paix
profitable aux dirigeants des Etats.
Mais pourquoi seuls les penseurs de
l'islam de la seconde Renaissance
seront-ils armés pour remonter aux
sources du meurtre sacré de l'autel sur
lequel se fonde désormais la religion de
la Croix? Parce que la philosophie arabe
est la première qui ait pesé le Dieu
payant et payeur la première qui ait osé
situer le débat sur le sacrifice humain
au cœur des civilisations. Qui
rivalisera jamais avec les fécondateurs
de l'humanisme mondial capables de
plonger dans les abysses inexplorés du
genre humain?
Mais
encore? Pour réfuter la foi fondée sur
le meurtre pieusement rémunéré des
Isaac, des Iphigénie et du Nazaréen pour
rejeter la foi dont l'histoire nourrit
les offertoires depuis le paléolithique,
il faut une psychanalyse des sources
anthropologiques de l'assassinat
religieux; et cela ne se peut que par le
décodage et le démontage du mythe de
l'incarnation. Or, les philosophes
occidentaux ignorent tout des théologies
et de leur histoire même événementielle.
Comment se collèteraient-ils avec la
légende sacrée de l'incarnation s'ils ne
savent poser sur l'établi le crâne
théologique du genre humain et en
scruter l'ameublement? Or, pour cela, le
philosophe arabe est mieux armé que le
chrétien, parce qu'il n'a pas oublié les
trucidations théologiques des siècles
passés, tandis que le rationaliste
français a été soigneusement décervelé
par une éducation nationale qui, depuis
1905, a jeté les cosmologies
mythologiques au rebut sans avoir
examiné leur contenu anthropologique et
qui, du coup, s'est trouvé privé
d'avance et par le système même dont il
est le produit, de tout moyen d'observer
la moitié fantasmatique de l'encéphale
simiohumain.
Le
théologien arabe éveillé , lui, voit et
comprend tout de suite que le dogme de
l'incarnation a totalement reconduit le
christianisme au paganisme, puisque
Jésus-Christ est un dieu braillant dans
son berceau, un dieu omniscient avant
d'avoir appris à parler, un dieu doté
d'un foie, d'une rate et de poumons
divins, à l'instar de Zeus, de Mars ou
de Neptune, ce que le Catéchisme
romain de 1992 reconnaît en
toutes lettres.
11 - Il est
réconfortant …
Telle est
également la raison anthropologique pour
laquelle la philosophie arabe du XXIe
siècle ne s'attardera pas ridiculement à
réfuter la croyance, même
physico-vaporeuse d'un Dieu présent
quelque part dans l'étendue et sous
quelque forme que ce soit. Les trois
dieux "uniques" ne méritent pas
davantage de se trouver réfutés que
Diane, Athéna ou Junon; en revanche, la
connaissance rationnelle et
spectrographique du genre simiohumain
actuel recèle la virtualité la plus
féconde de l'islam de la pensée, parce
qu'une religion qui, depuis les
origines, rejette le mythe de la
chosification corporelle des dieux et de
l'esprit évite nécessairement et dans le
même élan le piège de la
substantification du sacrifice sanglant
qui permet aux théologies barbares de
tendre à l'histoire son principal appât
animal, le sacrifice de sang, cette âme
et cette machine confondues d'une espèce
demeurée à l'Etat sauvage.
Il est réconfortant que l'avenir de la
convergence intellectuelle entre l'islam
de la seconde Renaissance et l'Occident
encore en attente d'une anthropologie
abyssale s'attaque au scandale le plus
central de la barbarie, celui qui,
depuis des millénaires, réduit les
tractations primitives de l'humanité
avec le sang de ses autels à un trafic
dont l'arbitre s'appelle l'Histoire, il
est réconfortant que l'islam se situera
de nouveau à l'avant-garde de la pensée
et de l'éthique de l'Occident, il est
réconfortant que le progrès des
civilisations passera toujours par la
guerre de la pensée.
12 - Mon
itinéraire
Les trois
textes qui suivront seront consacrés à
l'observation anthropologique de
l'affrontement qui se prépare entre
l'Olympe eschatologique des modernes et
la vie dite "spirituelle" du
simianthrope. J'observerai donc, en
premier lieu les origines
anthropologiques du monothéisme
patriarcal de l'islam, puis l'évolution
parallèle de la politique et du sexe,
puis les questions fécondes que la
notion de "vie spirituelle" pose aux
démocraties pseudo rationnelles
d'aujourd'hui et enfin la future
alliance de la pensée rationnelle avec
une vie de l'âme qui en appelle aux
nouveaux éveilleurs de la liberté.
Certes,
Washington tentera de contraindre
l'Egypte à renforcer l'alliance d'Allah
avec le peuple de Jahvé. Mais la Syrie,
elle aussi, se réveillera au soleil de
la Renaissance arabe. On dit que la
route des armes entre l'Iran et le Liban
va devenir plus difficile et que les
conquêtes territoriales d'Israël en
seront favorisées. Nullement: l'Etat de
Xerxès et celui du Cèdre ont aussitôt et
chaleureusement salué la chute du
Colonel Kadhafi, ce qui signifie que la
nouvelle Renaissance profitera au désir
d'indépendance naturel que le peuple
palestinien nourrit depuis 1947. Ce
n'est pas ma faute si la véritable
science historique se collète avec
l'encéphale schizoïde d'une espèce
déchirée entre la glèbe et le sacré.
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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