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Opinion
Les grands chefs
d'Etat rament à contre-courant
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 4 juillet 2010
1 -
Comment déjouer les ruses de l'Histoire?
2 -
Qu'aurait fait le Général de Gaulle ?
3 - La science des Etats et la
simianthropologie
4 -
Un exemple d'incohérence mentale dans l'ordre politique
5 -
L'homme et son éthique
6 -
Sur quelle balance pèserons-nous la " responsabilité " ?
7 -
La balance des civilisations
8 -
L'immoralité de Dieu
9 -
Le " formidable bon sens " et la vérité politique
1 - Comment déjouer
les ruses de l'Histoire?
Il existe une
convergence entre la vocation des grands chefs d'Etat et celle
des hommes de génie en général et dans tous les ordres du savoir
; car les uns et les autres se livrent à un combat de Titans
contre la courte vue ou la cécité de leurs contemporains.
Comment l'homme d'Etat prend-il la mesure des obstacles que la
médiocrité d'esprit propre à toutes les époques oppose à sa
vision de l'avenir, comment s'engage-t-il dans l'action à long
terme ou y renonce-t-il après une juste pesée des chances de
réussite et des risques d'échec de sa vocation? La balance dont
les plateaux s'appesantissent du poids des présages de la
victoire ou de sa défaite n'est pas toujours si difficile à
construire. Napoléon disait que le génie n'est qu'un formidable
bon sens. Mais il n'était même pas nécessaire d'élever le bon
sens à la simple clarté d'esprit pour savoir que le XIXe siècle
n'était pas mûr pour fédérer les peuples de l'Amérique de Sud.
Si Bolivar avait eu l'envergure de Richelieu ou de Mazarin, il
ne se serait pas lancé dans une équipée tellement prématurée
qu'elle n'empruntait les couleurs de l'espérance que dans les
imaginations.
Il arrive
également que l'homme d'Etat d'envergure lise l'avenir dans un
livre ouvert à toutes les pages, tellement le prophète ne fait
que constater ce qui devrait crever les yeux. Mais il peut juger
nécessaire de laisser la médiocrité d'esprit de son temps non
seulement lui aplanir le chemin, mais écarter d'avance de sa
route les obstacles futurs les plus redoutable . Si le Général
de Gaulle n'avait pas eu la patience de laisser à l'histoire le
temps de rendre inévitable la décision du peuple français
d'accorder l'indépendance à l'Algérie, il passerait dans nos
manuels scolaires pour traître à la nation et sans doute
l'aurait-on traduit en haute cour.
Il est également
probable qu'après l'engagement politique résolu et victorieux de
la France aux côtés de l'Irak en 2003 - on sait que cette
stratégie a conduit les Etats-Unis à se lancer aux yeux de la
planète entière dans une guerre fondée sur le viol des principes
fondateurs du droit international - M. Poutine savait non
seulement que les Etats-Unis refuseraient de sembler partager un
instant avec Moscou un condominium planétaire fondé sur une mise
à l'écart, sinon définitive, du moins durable de l'autorité
morale et juridique de l'organisation des Nations-Unies, mais
que les cinquante provinces rassemblées sous la bannière étoilée
parviendraient en outre et sans peine aucune à étouffer dans
l'œuf toute tentative des démocraties placées sous leur tutelle
de proclamer l'illégitimité de l'invasion guerrière de l'Irak et
de la faire condamner par l'opinion publique mondiale.
Pourquoi M. Poutine s'est-il précipité à Washington avec la
certitude de paraître s'être laissé duper ? Pourquoi a-t-il
rejeté les efforts diplomatiques acharnés en faveur de la morale
et du droit de M. Chirac et de M. de Villepin, qui ont tenté en
vain de rallier le Président russe à leurs vues et qui l'ont
reçu en France à grand renfort de rappels des relations
privilégiées que nos intellectuels du siècle des Lumières
entretenaient avec la Russie de Catherine II? C'est que cet
homme d'Etat d'envergure a estimé qu'il était plus sûr de parier
sur la courte vue des Etats-Unis, qui exploiteraient naïvement
les avantages politiques immédiats que la situation semblait
leur offrir, que d'encourir les reproches véhéments, des
historiens futurs, qui lui auraient nécessairement fait grief
d'avoir passé, à les en croire, au large d'une chance
exceptionnelle de faire accéder d'un seul coup l'ex-empire des
tsars à un statut de co-dirigeant de la planète dont l'Histoire
paraissait n'avoir jamais présenté l'occasion.
Mais tout grand
chef d'Etat sait pertinemment que les empires n'ont pas d'amis,
mais seulement des rivaux, des comparses, des complices ou des
subordonnés complaisants et qu'ils feignent seulement de
partager leur suprématie avec des protégés, qu'ils tirent sans
cesse de nouveaux avantages de l'apparence qu'ils donnent d'une
connivence effective avec des obligés, qu'ils consolident par ce
moyen les positions acquises précédemment et qu'ils sont
condamnés par nature à étendre leur puissance au détriment de
leurs hommes-liges de passage. Sept ans plus tard, M. Medvedev
tombait dans ce piège avec toute la candeur, lui, d'un gentil
professeur de droit de l'Université de Saint-Petersbourg.
Mais M. Poutine
n'était plus en mesure d'empêcher son pâle successeur de signer
une capitulation diplomatique douloureuse - en 2010, il
s'agissait principalement, pour les Etats-Unis, de mobiliser la
planète entière contre l'Iran afin de perpétuer l'hégémonie que
son armement nucléaire valait à Israël au Moyen Orient.
Naturellement, quelques jours seulement plus tard, un second
train de sanctions économiques nullement prévues dans les
accords précédents avaient été votées contre Téhéran avec
l'accord, une fois de plus, de la France et de l'Allemagne.
Cette fois, Moscou et Pékin se couvraient de ridicule à
protester trop tard et inutilement contre la démonstration
qu'ils avaient eux-mêmes apportée de leur faiblesse d'esprit; et
M. Gates, ministre de la défense des Etats-Unis, s'offrait le
luxe de rire de la schizophrénie dont les dirigeants de ces deux
nations inexpérimentées faisaient preuve face aux Machiavel de
la démocratie mondiale.
2 - Qu'aurait fait
le Général de Gaulle ?
A supposer que la
France de M. Nicolas Sarkozy se trouvait d'ores et déjà trop
affaiblie par son retour dans l'OTAN pour opposer un veto
solitaire à la première vague de décisions punitives prises à
l'encontre de l'Iran, le Président de la République pouvait-il
néanmoins refuser de s'associer aux secondes sanctions d'un
Conseil de sécurité maintenant réduit à trois membres par un
coup de force qui, non seulement mettait la Russie et la Chine à
l'écart de la direction du monde de l'époque, mais provoquait la
colère du Brésil et de la Turquie contre Paris et enterrait
l'achat du Rafale par Brasilia? Etait-il possible de proclamer
illégales par nature des décisions minoritaires et de rappeler
fermement, à cette occasion, que le siège de l'Allemagne dans
cet aréopage demeurait artificiel et se rendait illégitime ipso
facto, dès lors qu'il s'agissait d'ébranler les fondements du
Conseil de Sécurité tel qu'il fonctionnait depuis six décennies.
Etait-il admissible qu'on aboutisse sans débat à adjoindre
purement et simplement un vassal de la taille de la Germanie à
la puissance internationale des Etats-Unis? Bref, le Quai
d'Orsay pouvait-il éviter de faire payer à la Russie et à la
Chine un prix par trop exorbitant pour leur renoncement
irréfléchi à l'exercice de leur droit de veto, ou bien est-il
toujours suicidaire d'avoir raison trop tôt? Quelles chances
avait-on de faire d'une pierre deux coups à se réconcilier
définitivement avec la Russie et la Chine et de se placer à la
tête du monde de demain? Car l'Europe avait grand besoin d'un
électrochoc diplomatique de haut voltage pour donner un élan
politique nouveau à une planète en panne de son destin depuis la
chute du mur de Berlin.
Naturellement, la
question n'est pas de savoir si la partie était encore jouable à
la suite du retrait délibéré de l'arène internationale dont la
France s'était rendue coupable - son prestige diplomatique se
trouvait anéanti pour longtemps par son retour dans l'OTAN -
mais de savoir si un Président de la République de 2010 qui
aurait eu la stature du Général de Gaulle aurait pris une telle
initiative avec des chances mûrement réfléchies de gagner la
partie sur le moyen et sur le long terme, puisqu'il n'aurait eu
qu'à consolider un demi siècle d'alliance de la France
visionnaire avec la Russie et la Chine. Ou bien ces deux Etats
confirmaient piteusement le reniement du soutien qu'ils avaient
accordé à l'Iran depuis de longues années - et dans ce cas, d'un
côté, ils perdaient leur influence dans le monde musulman tout
entier, de l'autre, ils renonçaient purement et simplement à
leur vocation naturelle de puissances en ascension - ou bien la
France facilitait la préservation de la dignité de ces deux
géants à favoriser leur retour au bercail du bon sens un instant
déserté. On aurait expliqué que les capitulations diplomatiques
entraînent toujours un abaissement moral durable des nations qui
y ont consenti un seul instant. Qu'avait obtenu la Russie en
échange du piétinement de ses propres prérogatives
institutionnelle au Conseil de Sécurité ? Quelques avantages
mercantiles, dont la construction de deux tours géantes dans le
quartier de la Défense de Paris et l'entrée à genoux dans l'OMC.
Moins d'une
semaine après le premier train de sanctions arbitraires décidées
contre l'Iran, Moscou se croyait à nouveau en mesure
d'apostropher l'Europe vassalisée - mais M. Medvedev se voyait
taper sur l'épaule par son "camarade" de Washington, tandis que
le FBI montait une farce de cour d'école à arrêter dix espions
russes censés travailler en commun et au grand jour à
transmettre à Moscou des renseignements figurant sur le Web.
3 - La science des
Etats et la simianthropologie
Mais la question préalable de savoir sur quelle balance
l'encéphale des Bolivar et des Machiavel se donnera à peser est
loin de se trouver résolue par des exemples trop récents pour
conduire à une analyse simianthropologique de la question. Henri
IV a-t-il vraiment cru qu'il était politiquement possible de
céder une portion considérable du territoire du Royaume aux
calvinistes français, et cela à titre définitif? C'était
permettre à cette théologie de construire des forteresses
qualifiées de royales, mais qui échapperaient progressivement à
l'autorité du pouvoir monarchique; car il était bien évident que
la nouvelle religion ne tarderait pas, et dans la foulée, à
réclamer une souveraineté doctrinale et terrestre incompatibles
par nature avec l'unité théo-politique du pays de l'époque. Un
souverain "de droit divin" et dont le "sang bleu"
était censé celui de Jésus-Christ lui-même pouvait-il autoriser
une proportion massive de ses sujets à conclure des alliances
séparées avec des Etats étrangers, à commencer par l'Angleterre?
Sous Louis XIII déjà, l'échec politique de l'édit de 1598 avait
conduit au siège de La Rochelle. Mais la révocation de l'Edit de
Nantes en 1685 était-elle exigée par la nécessité patente de
sauver l'identité religieuse d'une nation du XVIIè siècle?
La science politique de l'âge classique n'était nullement en
mesure de répondre à cette question. Il lui manquait une balance
à peser la signification anthropologique, donc politique, d'une
scission cérébrale de cette portée entre deux mythologies
résolument rivales l'une de l'autre. Seule l'expérience
ultérieure de l'histoire du sacré nous a appris que ces deux
confessions sont radicalement antinomiques en raison du contenu
cérébral et psychique des options religieuses et des dogmes qui
les opposent: on ne saurait confondre la croyance en une
consommation seulement symbolique de la chair d'une victime
immolée à titre figuratif sur les offertoires, d'une part, avec
le dogme "réaliste", d'autre part de l'engloutissement
effectif de ses cellules dans l'estomac des fidèles. Dévorer le
tissu musculaire d'un homme sacrifié en chair et en os à une
idole est propre aux sociétés d'anthropophages, dont la religion
répondait évidemment à leur mode d'alimentation coutumier.
Mais pourquoi la révocation de l'édit de Nantes de 1685
n'a-t-elle été "digérée" qu'à partir de 1905 ? Pourquoi
a-t-il fallu attendre une séparation vigoureuse de l'Eglise et
de l'Etat pour réunifier et consolider le cerveau de la nation
sur des fondements psychiques anti anthropophagiques, donc
radicalement étrangers aussi bien au protestantisme qu'au
catholicisme ? Pourquoi a-t-il fallu recourir, de surcroît, à la
suppression pure et simple, à partir de 1958, du cerveau
religieux de la Gaule d'autrefois? Car il n'y a plus d'identité
théologique nationale dès lors que les écoles dites
confessionnelles - c'est-à-dire catholiques - se plient, elles
aussi, à un enseignement laïc allogène à la sauvagerie des
peuples anté-abrahamiques, donc qu'elles se soumettent à
l'obligation de faire usage de manuels scolaires rédigés dans un
esprit rationnel issu du siècle des Lumières. C'est dès
l'enfance que les mythes religieux conduisent l'entendement
simiohumain à un enracinement dans la barbarie habillée en piété
tel que l'échec de toute tentative ultérieure de l'extirper
conduit nécessairement à son remplacement pur et simple, donc à
la substitution d'une autre organisation cérébrale à la
précédente.
C'est dire
également que la croyance primitive selon laquelle un avantage
religieux éternel résulterait de la manducation d'une victime
offerte en sacrifice à une divinité payante, cette croyance,
dis-je, survit nécessairement jusque dans le protestantisme et
qu'elle se révèle innée au point qu'elle se trouve seulement
réduite à une dévoration symbolique. La révocation de l'Edit de
Nantes n'apportait donc pas de solution anthropologique au
problème politique posé au plus secret de l'inconscient onirique
de l'humanité par l'existence même des religions fondées sur des
immolations- celles que leurs théologiens fondent sur des
sacrifices dits " satisfactoires ", donc de nature à combler les
vœux d'une divinité animale.
4 - Un exemple
d'incohérence mentale dans l'ordre politique
Du coup, la
question de la pesée des capacités cérébrales des grands chefs
d'Etat d'aujourd'hui prend une portée simianthropologique
tellement nouvelle qu'elle soulève des problèmes
psychogénétiques qu'il faut bien tenter de résoudre. Prenez
l'Espagne du XVIe et du XVIIe siècle, qui avait fort bien
compris les difficultés politiques insolubles que pose la perte
de l'unité cérébrale des royaumes catholiques, donc l'éclatement
du cerveau de la population chrétienne entre des dieux armés
jusqu'aux dents les uns contre les autres sous des dehors
patelins - donc bien décidés, sous leurs atours faussement
iréniques, à ne pas céder d'un pouce au chapitre de leur
organisation cérébrale meurtrière. Mais il est non moins évident
que le rappel d'une nation monothéiste à la discipline
théologique requise par l'alliance, alors indissoluble, de
l'Etat avec une religion dite révélée ne saurait recourir à la
crémation pure et simple des hérétiques sur des bûchers allumés
en plein air. C'était témoigner de la profonde ignorance des
chefs d'Etat de l'époque, mais également, hélas, de l'ignorance
des démocraties d'aujourd'hui, qui ne disposent encore d'aucune
théopolitologie scientifique, donc d'aucune connaissance réelle
des meurtres sacrés. Il y faudra une psychologie expérimentale
dont les travaux porteront sur les fondements psychogénétiques
des autels et des cultes.
Prenez le cas de
M. Bayrou: il s'affirme à la fois superficiellement croyant et
superficiellement laïc. Sans doute un homme politique peut-il se
permettre d'obéir à des motivations électorales, donc à des
ambitions politiques dont il aura jugé l'habillage cérébral
utile à sa réussite; mais peut-il ignorer la nature de sa
"raison" et l'incohérence de ses convictions si son accession
éventuelle à la tête d'une nation livrera cette dernière à un
désordre cérébral incompatible avec l'efficacité de la logique
interne que sa politique requerra à l'échelle internationale?
On ne saurait se
proclamer laïc sans préciser au nom de quelle autorité propre à
la pensée rationnelle on légitimera la limitation des pouvoirs
du ciel sur cette terre et quels principes permettront d'en
préciser clairement les proportions; et l'on ne saurait se
proclamer croyant sans prétendre justifier dans l'ordre propre à
l'argumentation théologique le statut politique et moral qu'on
concèdera ou refusera à l'idole. Un siècle après Freud et un
siècle et demi après Darwin, il est temps d'entrer dans l'ère
post-copernicienne de la connaissance de la boîte osseuse du
genre simiohumain.
La question du
mode de pesée qui présidera à la fabrication méthodique de la
balance cérébrale qui permettra aux chefs d'Etat de notre temps
de savoir ce qu'ils peuvent entreprendre pour tenter de remédier
quelque peu aux carences dont souffre l'intelligence de notre
espèce et à quelles ambitions intellectuelles ils doivent
renoncer, cette question, dis-je, se place désormais au cœur de
la politique et de l'histoire. Un chef d'Etat du XXIe siècle qui
ne surveillera pas davantage sa propre tête qu'un souverain du
Moyen Age se rendra cérébralement infirme.
5 - L'homme et son
éthique
Pour l'instant,
la politologie d'Israël surpasse à tel point l'étiage des
capacités cérébrales moyennes de toutes les autres nations de la
planète que cet Etat ne cesse d'accomplir des exploits
simianthropologiques les plus étonnants, dont le principal est
de forger ses conquêtes territoriales sur l'enclume de l'opinion
internationale au titre d'une suite d'épreuves religieuses, donc
dévotement calquées sur les souffrances d'un Christ nouveau. Les
nations modernes sont appelées à rallier la cause de la
sanctification d'un peuple à l'agonie, d'une victime clouée sur
la croix du monde d'aujourd'hui.
voir
Le naufrage de la civilisation
européenne, 27 juin 2010
JJe demande à mes
lecteurs informés de mes analyses de ne pas tomber dans le piège
d'une polémique théologique: la question posée ressortit
exclusivement à l'interprétation scientifique, donc
théopolitologique des mythes sacrés. Oui ou non la pestifération
parareligieuse de l'Iran a-t-elle des chances de leurrer
durablement l'entendement en panne des chefs d'Etat actuels ou
bien un Henri IV ou un Louis XIV d'aujourd'hui peuvent-ils
élever leur modeste quotient intellectuel à une science
politique en mesure de construire la balance que réclame la
pesée de la question suivante: faut-il valider les convictions
morales qui pilotent désormais l'humanité laïque mondiale ou
bien le stade actuel auquel l'évolution cérébrale de l'espèce
simiohumaine semble avoir accédé est-il illusoire?
Certes,
l'entreprise d'affamer une ville de quinze cent mille âmes sous
les yeux de tous les habitants de la planète soulève la
réprobation morale de l'opinion publique moyenne au sein des
démocraties minimales du XXIe siècle. Mais faut-il, par
conséquent, que les grands hommes d'Etat d'aujourd'hui partagent
un optimisme généralisé ou bien, au contraire, doivent-ils se
méfier de cette euphorie, parce qu'ils sauraient, eux, que la
bonne conscience morale affichée par les démocraties serait
fondée sur une méconnaissance radicale, tragique et sans remède
de la véritable nature d'une espèce auto-sacralisée à titre
psychogénétique par ses masques langagiers? /p>
Dans ce cas,
l'homme moderne serait demeuré candidement à l'état sauvage et
il s'applaudirait unanimement de s'incliner devant une nation à
son image, donc viscéralement fondée sur une séparation féroce
des races, sur une pestifération frénétique de ses ennemis et
sur leur extermination par la famine. Toute anthropologie qui se
voudra scientifique, donc résolument expérimentale devra-t-elle
se convertir, les yeux fermés, à un reniement sans retour des
principes qualifiés d'universels de l'éthique du monde? Si ces
principes étaient voués à demeurer désespérément platoniques, il
faudrait, au nom de l'objectivité de la science, concéder qu'il
s'agirait seulement d'afficher un masque séraphique et que
celui-ci serait devenu héréditaire, donc immuable d'une
génération officiellement angélisée à l'autre. Dans ce cas, la
crémation tout vifs des hérétiques pour le salut de l'unité
psychique de la masse des sujets d'une monarchie catholique
serait-il donc légitime?
Et pourtant,
l'homme d'Etat d'aujourd'hui ne se demande plus si l'Edit de
Nantes était politiquement viable ou s'il fallait se résigner à
brûler saintement les impies. Faut-il en conclure que la réponse
anthropologique à cette question n'aurait pas été définitivement
apportée au cours du XIXe siècle par la nécessité, qui s'est
progressivement imposée aux Etats modernes, de changer tout le
contenu de la boîte osseuse des peuples laïcs afin tenter de les
délivrer de la logique des bûchers que réclame fatalement un
culte fondé sur la possession de la vérité absolue? Mais il se
trouve que les nations se font maintenant une raison, comme on
dit, non seulement de clouer la bouche aux divinités, mais de
leur couper à jamais à la parole.
6 - Sur quelle balance pèserons-nous la "responsabilité"
Et pourtant, en sous-main la vraie question à débattre demeure,
comme devant, celle du statut moral et politique de Jupiter,
parce qu'il s'agit plus que jamais, mais à coup plus sûr
qu'autrefois, de décrypter l'encéphale moyen de l'humanité
d'aujourd'hui et de son éthique. Or cette question reste "théologique"
à son corps défendant et quels que soient nos efforts pour en
changer les paramètres, puisque M. Barack Obama, par exemple, en
appelle au "sentiment de responsabilité" des femmes
libanaises, c'est-à-dire à leur morale, afin qu'elles ne
prennent pas le risque, qu'il juge inconsidéré, d' offenser la
piété naturelle d'Israël par une tentative hautement punissable,
donc coupable, d'apporter des vivres par la voie maritime aux
habitants de Gaza.
Qui décide de la culpabilité et de l'innocence, sinon une
humanité qui assume désormais cahin-caha les responsabilités
morales de feu son "créateur"? Car s'il est décidément immoral
de permettre la survie des peuples qu'Israël aura proclamés
coupables d'hérésie, l'enjeu demeurera aussi "théologique"
qu'autrefois sous les vêtements d'une anthropologie vraiment
scientifique - et précisément scientifique d'oser se poser ces
questions-là. Il s'agira donc, comme au Moyen Age, de rien de
moins que de prélégitimer le "Bien" et le "Mal",
mais à cette différence près que le "péché" basculera
tantôt dans le camp d'une irresponsabilité prédéfinie
pour répréhensible par un ciel devenu proprement humain sans
s'en douter, tantôt la Justice se rendra dans le camp d'une
responsabilité proclamée vertueuse, elle aussi, donc
auto-laudative par définition, celle dont le dieu s'appellera le
cogito ergo sum.
Si vous ne vous demandez pas ce que veut dire "penser",
il vous sera donc impossible de peser la notion de
responsabilité politique et morale sur la balance de la
simianthropologie; car cette balance vous invite à descendre
dans les souterrains théologiques de l'espèce vocalisée par ses
idoles. Comment déciderez-vous qu'il était irresponsable,
donc condamnable, d'offenser la sainteté des autels des dieux
antiques, irresponsable, donc coupable, de situer le
soleil et non la terre au centre du système solaire,
irresponsable, donc répréhensible, d'accuser et de châtier
le bourreau et non la victime, irresponsable, donc
hérétique, d'irriter les gardes actuels de Buchenwald ou
d'Auschwitz et responsable, en revanche, de flatter leur
susceptibilité, si vous n'avez pas de balance à peser le verbe "penser"?
Il faut constater que l'homme a pris la place de son Dieu de
sauvages dans le maniement de son vocabulaire de champion de la
politique du "Bien" et du "Mal". Il nous faut donc
comparer la balance de l'idole avec la nôtre, afin de départager
les deux fabricants et de désigner le vainqueur.
7 - La balance des civilisations
Décidément, la
balance à peser sur les mêmes plateaux l'éthique de l'humanité,
d'un côté et celle des grands chefs d'Etat, de l'autre, exigera
de la politique qu'elle s'arme d'une science expérimentale des
encéphales dont les coordonnées seront parallèles à celles des
théologies et qui permettra de tester sur le vif et de vérifier
coup par coup le degré de moralité et d'immoralité non seulement
de notre espèce et de ses dirigeants, mais de leur Dieu.
Prenez le cas de Mme Madeleine Albright, ex-ministre des
affaires étrangères du Président Clinton et fort pieuse. A un
quidam qui lui demandait s'il était politiquement légitime de
condamner à mort par inanition des dizaines de milliers
d'enfants irakiens au cours du blocus imposé par l'Amérique à ce
pays à la suite de la première guerre du Golfe, elle répondait :
"Oui, cela en valait la peine." Tel est demeuré le
raisonnement tacite de la grande majorité des classes
dirigeantes de l'Europe démocratique, comme il est démontré par
le spectacle du blocus de Gaza aujourd'hui, de Cuba hier, de
l'Iran demain.
Mais les sciences
humaines n'ont pas encore mesuré les conséquences politiques de
l'invention d'une balance fort exacte et qui permet d'ores et
déjà de fonder une science rigoureusement expérimentale de la
pesée de l'éthique du genre humain. Il aura suffi à quelques
esprits éminents de se dire, avec un grand bon sens, que les
foules ne sont pas encore appelées à juger ni de la moralité du
monde, ni de celle de leurs dirigeants, ni de celle de Dieu et
cela pour la bonne raison que les Etats laïcs se gardent autant
que les Etats religieux du passé d'appeler jour après jour leur
attention sur les chancres et les abcès de l'histoire de la
planète.
Ces cerveaux
audacieux ont donc imaginé un instrument d'observation fort
simple de l'éthique des peuples : ils ont chargé à ras bords une
flottille de victuailles et de médicaments et ils l'ont envoyée
vérifier sur place le degré de sauvagerie actuelle de
l'humanité. Or, Israël s'est aussitôt rué sur les secouristes ;
et à titre de représailles sanglantes pour leur forfait, cet
Etat a tué neuf apôtres en haute mer sous les yeux de toutes les
Madeleine Albright de la planète.
On n'imagine pas
un appareil plus perfectionné que celui-là pour armer la
théopolitologie mondiale d'un moyen d'expérimenter l'éthique
apostolique des Etats démocratiques actuels. Malheureusement,
toute science véritable exige des validations répétées de ses
expériences, malheureusement, une vérité ne devient universelle
que de se trouver réitérée maintes fois, malheureusement, cette
machine est fort coûteuse. Pour l'instant, elle a constaté pour
la première fois et à grands frais que la moralité innée du
genre humain ne change pas si facilement le sens des mots et
qu'elle s'obstine, tant à haut prix qu'à bas prix, à appeler un
chat un chat, de sorte qu'il suffit d'attirer son attention sur
un ulcère, une gangrène ou un cancer avérés pour que les
médecins naturels qu'on appelle des peuples, diagnostiquent à
coup sûr un ulcère, une gangrène ou un cancer.
Mais comment
attirer l'attention de l'humanité sur la maladie si les malades
ne se font pas si aisément connaître et s'ils se trouvent
dispersés en tous lieux du globe terrestre? Une tragique course
de vitesse se trouve donc engagée entre les richissimes
fabricants des appareils de vérification les plus dispendieux de
l'éthique de l'humanité, d'une part, et la capacité, encore
inconnue, des nations, d'autre part, d'achever leur
apprentissage avec suffisamment de célérité pour leur permettre
de prendre la relève des donateurs dans des délais raisonnables
- donc pour imposer aux Etats la mutation de l'éthique
universelle que la civilisation mondiale attend du XXIe siècle.
Par bonheur, si
je puis dire, les flottilles dispendieuses sont des offertoires
tellement chargés de victimes du sacrifice qu'il faut inventer
un culte moins coûteux en cadavres et des prêtres habiles à
jeter dans la sébile de Dieu et des hommes des morts moins
nombreux. Quoi qu'il en soit, pour la première fois de leur
histoire, les peuples du monde entier disposent maintenant d'une
balance sanglante à peser le degré de moralité du genre humain.
8 - L'immoralité de Dieu
Que dit le fléau de la balance à peser l'éthique de la planète?
La démocratie la plus pieuse du monde déclare officiellement,
donc fort dévotement et par sa voix la plus autorisée, celle de
son département d'Etat, qu'il est "irresponsable", donc
coupable, de contester la légalité du siège de Gaza et qu'il est
légitime, en droit international, de soumettre cette ville à un
blocus alimentaire mortel. Par conséquent, ce sont les valeureux
secouristes d'une population affamée qu'il faut citer à
comparaître devant le tribunal des principes universels de la
démocratie. Et pourtant, la légalité mondiale était censée, hier
encore, édictée par des magistrats compétents, qui vous
séparaient à bon escient la justice de l'injustice, pertinemment
le "Bien" du "Mal" et infailliblement le vrai du
faux!
Du coup, la question de la pesée des capacités cérébrales des
grands chefs d'Etat d'aujourd'hui n'est pas près de se trouver
résolue. Combien faudra-t-il de flottilles pour démontrer que le
simianthrope moyen ne se laissera pas convaincre de ce que le
blanc est noir, alors que les boîtes osseuses de M. Barack Obama,
de M. Nicolas Sarkozy, de Mme Merkel et de M. Medvedev
persévèreront à se trouver stipendiés à l'école des gardiens de
Büchenwald? Ecoutez les arguments des savants anthropologues de
Washington, de Paris, de Berlin, de Moscou et de Pékin: ces
guerriers prétendent mordicus que l'encéphale politique de la
majorité des descendants du chimpanzé mérite un tel traitement.
Car enfin, disent-ils, tel père, tel fils, telle idole, telle
créature, tel châtiment, telle humanité; or, le dieu éternel qui
rôtissait saintement ses créatures dans ses marmites infernales
était juste à souhait, répètent-ils, le génocidaire du Déluge,
disent-ils, était sage comme personne! Comment, avec un dieu
comme celui-là, pouvez-vous ne pas donner entièrement raison à
la stratégie cérébrale d'Israël?
9 - Le " formidable bon sens " de la
vérité politique
Pour tenter
d'apprendre si les chefs d'Etat doivent ramer à contre-courant,
nous ne sommes décidément pas au bout de nos peines. Serait-il
demeuré aussi difficile qu'au Moyen Age de savoir sur quelle
balance le génie politique pèse la boîte osseuse de l'humanité?
Et pourtant,
disent les flottilles, quel privilège que le nôtre ! Pour la
première fois, l'histoire de notre politique et celle de nos
sacrifices occupent le même degré de longitude et de latitude
sur la planisphère des victimes, pour la première fois, nos
offrandes mettent entre nos mains la balance à peser le degré de
raison requis des chefs d'Etat et des peuples. Autrefois, il
était parfois difficile de les séparer. Et maintenant, tout les
distingue avec un tel éclat que le monde entier nous tend la
balance à séparer les nains les géants de l'éthique du monde.
A
partir d'aujourd'hui il faudrait se montrer sourd, aveugle et
muet pour s'imaginer que, demain matin, à la première heure, le
temps de l'histoire aura fatigué la meule du monde, que quelques
années suffiront à Israël pour planter le drapeau de sa justice
sur le camp de concentration de Gaza, que, de guerre lasse, tous
les peuples de la terre jetteront avant dix ans leur liberté aux
orties et que l'éthique mondiale épuisée dira avec le "dernier
homme" de Nietzsche: "Amour, création, désir, étoile?
Que voulaient dire ces mots-là?"
Que des facilités offertes au "formidable bon sens" qui
fonde le génie politique !
Publié le 4 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
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