Du coup,
l'enjeu le plus profond se révèle philosophique au premier
chef. Du reste, dès le 10 mars dernier, la fondation Kant de
Freiburg apostrophait le Gouvernement allemand sur
l'immoralité d'une session commune du gouvernement allemand
et du gouvernement israélien prévue pour le 18 janvier 2010.
Il y a
longtemps que l'avenir mondial de la réflexion philosophique
passe par une révolution copernicienne du regard et des
méthodes d'une anthropologie prématurément qualifiée de
scientifique, mais qui, un siècle et demi après Darwin et un
siècle après la découverte du continent de l'inconscient n'a
pas osé conquérir un regard de l'extérieur sur le genre
humain en tant que tel, alors même que la science politique
et la philosophie en appellent à une synergie entre la
méditation critique propre à chacune. Certes, le regard de
la pensée spectrographique fait le fond de la philosophie
depuis Platon ; mais un nouvel avenir s'ouvre tout grand
quand la raison des généalogistes de la barbarie dispose
d'images de l'évolution de la gangrène à l'échelle de notre
astéroïde et que le champ de vision des lucarnes de
l'ubiquité peut se focaliser sur une plaie filmée.
Dans son
Guillaume Tell, Schiller a mis en scène la légende selon
laquelle le bailli Gessler avait fait hisser son chapeau au
sommet d'un poteau planté sur la place centrale de la ville
d'Altdorf, capitale du canton d'Uri. Les habitants qui
passaient devant l'emblème de sa tyrannie devaient saluer ce
symbole de leur vassalité. L'anthropologie critique observe
le genre humain dans le miroir des chefs-d'œuvre de la
littérature mondiale. Quel tableau que celui de la
démocratie planétaire conviée par le Président des
Etats-Unis à s'incliner devant le drapeau de Gessler à Gaza
!
Barack Obama : Il arrive rarement que les chefs d'Etat se
parlent sans fard et à visage découvert.
Benjamin Netanyahou
: Je dirais plutôt que cela n'arrive
jamais, puisqu'il nous est interdit d'ouvrir la bouche en notre
propre nom, mais seulement au nom de l'Etat et de la nation dont
nous empruntons un instant le visage et la voix.
Barack Obama : C'est dire également que notre discours sonne
plus ou moins juste selon que nous représentons les peuples que
nous paraissons incarner un instant sur la scène du monde.
Benjamin Netanyahou
: Vous avez raison, notre talent se
mesure à notre capacité de faire corps avec le pays dont nous
sommes les acteurs méritants ou indignes. Que dois-je attendre
de la plus grande puissance militaire que l'histoire ait jamais
connue? Votre flotte de guerre sillonne jour et nuit toutes les
mers du globe et vos garnisons se sont progressivement
implantées sur les cinq continents.
Barack Obama : Mais nous n'avons pas conquis ce rôle et ce
rang par la force des armes. Nous devons notre ubiquité
vigilante aux explorateurs pacifiques qui, il y a un siècle
seulement, ont fini par nous donner notre astre tout entier à
placer sous la surveillante d'une éthique universelle, et cela
exclusivement pour le plus grand bien de l'humanité.
Benjamin Netanyahou
: Mais il se trouve que les continents
placés sous le contrôle ou la domination de l'empire dont vous
dirigez la stratégie sont tellement divers et changeants qu'il
vous faut nécessairement vous adapter à leur caractère et
quelquefois à leur volonté de se donner à leur tour un rôle
estimable sur la terre.
Barack Obama : Vous êtes venu de vous-mêmes à la vraie
question. Parmi les peuples et les nations divers par leurs
langues, leurs dieux, leur histoire, leur géographie et le
fonctionnement de leur tête, il en est quelques-uns dont nous
sommes condamnés non seulement à rechercher l'alliance, mais la
connivence et parfois la complicité, parce que notre Dieu unique
lui-même ne saurait s'offrir le luxe de régner en solitaire sur
la masse immense de ses créatures.
Benjamin Netanyahou
: Je suis heureux de vous l'entendre
dire.
Barack Obama : Le Pentagone estime à juste titre que les
multitudes dont l'empire américain a le plus grand besoin sont
celles des fidèles d'Allah, parce qu'elles se partagent entre
les gouvernements arabes et une population de plus d'un milliard
de musulmans dont le poids politique n'est pas soumis à un
sceptre unifié, mais dont la foi est la seule à demeurer
respirante à l'échelle du globe. J'estime également que nous
avons un besoin vital d'Israël: si vous rendiez hostile à nos
intérêts l'armée des disciples du Coran, nous n'aurions plus
d'avenir; car Allah s'allierait aussitôt avec l'Europe, la
Chine, la Russie, l'Afrique et l'Amérique du Sud, de sorte que
l'équilibre des forces dans le monde basculerait
irrémédiablement en notre défaveur.
Certes, vous êtes parvenus à ruiner le projet d'alliance de la
France avec les Etats riverains de la Méditerranée et à
stériliser le rapprochement de Paris avec Damas. Mais que
puis-je répondre à mes conseillers diplomatiques ,qui sont
unanimes à souligner qu'Israël ne cesse de s'étendre au cœur de
l'empire d'Allah et que, non seulement le peuple hébreu combat
sans relâche notre influence au sein des Etats de Mahomet, mais
qu'il gangrène notre religion aux yeux de la terre entière,
parce qu'il bafoue les deux principes que nous avons proclamés
universels et sur lesquels repose notre pouvoir sur les esprits
et sur les cœurs, ceux de la Liberté et de la Justice. Si vous
nous faites perdre à la fois nos armes et nos dieux, que nous
appelons maintenant nos idéaux, vous nous précipiterez dans la
tombe; et, si petit que vous soyez, vous occupez un carrefour
stratégique qui fait de vous les vrais maîtres de notre vie et
de notre mort. Que répondez-vous à ce constat?
Benjamin Netanyahou
: Si je comprends bien votre
argumentation, vous reprochez à Israël de se trouver placé par
un verdict de la géographie sur le chemin de votre ambition,
vous nous faites grief de contrecarrer votre puissance, vous
nous accusez de faire obstacle à l'expansion de vos armes et de
votre foi, dont la légitimité conjuguée irait de soi parmi les
récifs semés sur votre route. La fatalité n'a pas toujours fait
rendre cet arrêt à la cartographie. Il fut un temps où votre
glaive vous appelait à délivrer les peuples opprimés au
détriment d'Israël; car il vous semblait, comme vous le dites de
nouveau, que votre évangélisme universel garantissait l'éternité
de votre hégémonie politique et militaire, mais au gré des
circonstances. Aussi n'aviez-vous pas de trésor plus inépuisable
à distribuer sur la terre que votre promesse d'assurer sans
cesse à nouveaux frais le salut et la rédemption de l'univers du
moment.
C'est dans cet esprit que vous avez fait la guerre à la France,
au Royaume Uni et à nous-mêmes en 1957, parce qu'en ces temps
reculés, vous jugiez opportune la nationalisation du canal de
Suez par le colonel Nasser. Mais quelles terres Israël peut-il
bien tenter de reconquérir, sinon celles qu'un Dieu tardif, un
certain Allah, s'est annexé plus de six siècles après que, de
votre côté, vous ayez donné un fils à notre créateur du monde?
Ce n'est pas notre faute si le peuple hébreu n'a pas d'autre
territoire sur lequel s'étendre que celui dont la possession
légitime lui a été accordée à jamais par ses saintes écritures .
Nous aussi, nous avons nos livres sacrés ; et il me semble, si
je ne m'abuse, qu'ils sont un peu plus anciens que les vôtres,
puisque les déités verbales que vous avez placées sur le socle
de vos idéalités et dont vous avez fait vos idoles n'ont que
deux ou trois siècles d'âge.
Barack Obama : Revenons à l'examen des devoirs propres aux
hommes d'Etat.
Benjamin Netanyahou
: Puisque ce sont ceux là que vous
appelez au secours du sceptre et des verdicts de l'Amérique,
comment se fait-il que, depuis la nationalisation du canal de
Suez, si j'ai bonne mémoire, vous ayez défendu tout soudainement
et avec quelle ardeur les conquêtes territoriales d'Israël,
comment se fait-il que vous ayez opposé soixante sept fois votre
veto aux décisions des Nations Unies qui nous condamnaient de
conserve et au nom, précisément, des principes universels que
vous ressuscitez maintenant à notre seul détriment, comment se
fait-il, dis-je, que cette assemblée avait tout à coup si
grandement raison, à vous entendre, de nous condamner tous deux
comme des chenapans et au nom du Bien et de la Vérité, comment
se fait-il, dis-je, que vos dieux - vous les appelez la Justice,
la Liberté et le Droit - changent si souvent de bord qu'ils ont
tout subitement cessé de camper aux côtés des nôtres?
Pouvons-nous réconcilier nos bannières, pouvons-nous à nouveau
les faire flotter côte à côte dans le vent de l'histoire? Nos
ciels ne vivaient-ils pas en parfaite harmonie, ne se
partageaient-ils pas un destin commun du temps où nous leur
rendions d'un commun accord un seul et même culte et où nous
étions deux à représenter dans ses œuvres le créateur unique de
l'univers?
Barack Obama : Mais vous êtes devenus des guerriers
perpétuellement sous les armes. Nous n'avons pas conquis notre
puissance à faire en permanence la guerre à nos voisins, mais à
courir à leur secours.
Benjamin Netanyahou : Je vous rappelle que votre victoire de
Suez, vous ne l'avez pas remportée seulement par la force des
armes, mais également par la menace de l'apocalypse nucléaire
dont vous n'avez pas hésité à brandir la foudre aux côtés de la
Russie de Staline. Sachez que Paris et Londres se souviennent de
cela et que les vieux peuples ont la mémoire tenace. C'est
pourquoi je vous demande quelles sont les parures définitives de
la conscience universelle dont vous vous réclamez maintenant.
Comment expliquez-vous le titanesque revirement auquel s'est
livré le ciel du premier empire militaire qui ait jamais enserré
la planète tout entière, comme vous l'avez rappelé à Oslo,
comment légitimez-vous une telle volte-face du royaume mondial
de la paix? Dois-je comprendre que vos dieux changent de cap et
tournent casaque au gré des circonstances ? Dois-je croire que
bien fol est qui s'y fie?
Barack Obama : A mon tour de vous poser une question
sournoise. Vous venez de prononcer un grand discours devant
quatre cents membres du plus puissant groupe de pression dont
dispose votre pays sur notre territoire. Puis vous avez daigné
rendre une visite de courtoisie au vice-Président de cet Etat et
à sa Ministre des Affaires étrangères. Comment dois-je
interpréter la présence massive sur le sol de mon pays des
représentants, des défenseurs et des agents de vos seuls
intérêts? Savez-vous que le Sénateur Edouard Kennedy, décédé il
y a quelques mois, a lutté toute sa vie afin que les légions
assermentées auxquelles vous donnez vos ordres depuis Tel-Aviv
ou Jérusalem soit soumise au même statut que tous les autres
groupes de pression des nations étrangères dont nos lois
légitiment les activités à notre détriment jusque sur nos
arpents? Vous seuls avez obtenu de bénéficier des dispositions
légales qui régissent exclusivement les entreprises placées sous
pavillon américain, vous seuls êtes parvenus à priver l'Amérique
de son drapeau sur sa propre terre, vous seuls êtes autorisés à
défendre souverainement et sans aucun contrôle de nos autorités
les intérêts d'un Etat étranger sur notre sol.
Benjamin Netanyahou : Raison de plus de vous demander
pourquoi, depuis un demi-siècle, vous défendiez les intérêts
d'Israël dans le monde entier et pourquoi le vent a soudainement
tourné.
Barack Obama : Ma réponse, vous la connaissez aussi bien que
moi: à la suite de notre combat d'après guerre pour la
décolonisation définitive des peuples vilainement opprimés par
Londres et Paris et pour la victoire du droit de tous les
peuples à disposer librement d'eux-mêmes, vous avez réussi
l'exploit inouï de conquérir l'Amérique de l'intérieur et vous
avez tiré le plus grand profit du soutien sans faille de nos
armes quand l'Egypte, que nous avions libérée vingt ans
auparavant, entendait expulser le nouveau colonisateur de la
Palestine, c'est-à-dire vous-même. C'est alors que vous avez
conquis sous nos yeux et les armes à la main la moitié de la
ville de Jérusalem ; et depuis lors, vous avez installé deux
cent mille colons dans la partie ouest de cette ville. Comment
voulez-vous que nous approuvions vos conquêtes coloniales au
sein de l'Islam, alors que nous avons combattu celles de la
France et de l'Angleterre dans le monde entier, comment
voulez-vous que votre expansion militaire demeure sans frein sur
la terre?
Benjamin Netanyahou
: Si je vous ai bien compris, nos
conquêtes territoriales sont soudainement devenues incompatibles
avec la défense à long terme des intérêts et des idéaux de
l'Amérique dans le monde.
Barack Obama : Depuis plus d'un an, nos généraux les plus
glorieux, Petraeus et Muellen ne cessent de tirer la sonnette
d'alarme. Je crains qu'ils en viennent à refuser au Président
des Etats-Unis qu'il sacrifie des soldats américains sur l'autel
de notre alliance pour la résurrection du "grand Israël des
temps bibliques", je crains que notre patriotisme nous fasse
déserter ce champ de bataille-là de la démocratie.
Permettez-moi de vous rappeler votre dette à l'égard de notre
nation. Le 8 juin 1967, vous avez assassiné traîtreusement
trente-quatre de nos marins sur l'USS Liberty. Alors que
nous nous trouvions dans les eaux internationales, nous avons
intercepté des messages de vos pilotes de chasse qui nous
démontraient qu'ils nous avaient identifiés. Vous avez aussitôt
envoyé une escadrille de Mirage et deux Super Etendard bombarder
notre bâtiment avec des missiles et des bombes au napalm. A
votre offensive aérienne a succédé votre attaque frontale: trois
de vos vedettes lance-torpille ont envoyé six missiles et arrosé
notre bâtiment du feu de vos mitrailleuses.
Outre les trente-quatre fantassins de marine que vous avez tués
au cours de cette bataille inégale, cent soixante et onze
blessés gisaient sur le pont. Nos amiraux n'ont pas oublié que
vous avez tenté d'envoyer un fleuron de notre flotte de guerre
et tout son équipage par le fond et que seule l'escorte de
destroyers soviétiques, occasionnellement présents sur les
lieux, a permis à la carcasse éventrée de notre bâtiment réduit
à une épave de rejoindre la VIe flotte à petite vitesse - il y a
fallu plus de seize heures. Souvenez-vous que les Russes étaient
alors nos ennemis communs, souvenez-vous de ce que, n'ayant pas
réussi à nous couler, vous avez poussé la perfidie jusqu'à nous
envoyer un hélicoptère nous proposer votre "aide", que nous
avons évidemment rejetée avec tout notre mépris pour votre
hypocrisie.
Pourquoi tout cela en pleine guerre froide? Parce que l'USS
Liberty contrecarrait votre stratégie : vous vouliez écraser
l'armée syrienne dans le Golan et notre navire se trouvait
équipé des oreilles électroniques les plus modernes de l'époque.
Vous craigniez que nous vous imposions un cesser-le-feu qui
aurait sauvé la face aux armées arabes. Savez-vous que nous
avons caché tout cela au peuple américain et que nous sommes
allés jusqu'à permettre que le sang de nos marins ne serve qu'à
interdire à notre patriotisme de se mettre au travers de notre
alliance sacrée avec vous. Après un demi siècle au cours duquel
vous vous êtes largement vengés sur nous de votre défaite à Suez
aux côtés de la France et de l' Angleterre, vous nous mettez le
dos au mur et en état de légitime défense.
Benjamin Netanyahou : Et nous? Que dites-vous de la menace
atomique que l'Iran fait planer sur Israël? Vous n'entrez jamais
en guerre, dites-vous, que pour courir au secours de vos amis et
vous nous refusez l'appui de vos armes. Nous livrerez-vous à un
second holocauste?
Barack Obama : Ah, parlons-en ! Vous essayez d'entraîner le
monde entier dans la manœuvre de diversion la plus cousue de fil
blanc de l'histoire. Que demande tout à coup votre groupe de
pression omnipotent à tous les membres de notre Chambre des
représentants et de notre Sénat? Chacun d'eux vient de recevoir
le mot d'ordre suivant: primo, que la terre entière
dirige dorénavant et pour longtemps son attention du seul côté
de l'Iran, secundo, que la conscience universelle
s'abaisse subitement à feindre que Téhéran menacerait de vous
pulvériser, tertio, que toutes les nations du globe
courent sans perdre un instant et à toutes jambes au secours
d'un peuple hébreu prétendument en grand danger. Quel titanesque
montage diplomatique que de brandir un péril imaginaire à
l'échelle de la terre, quelle audace que de tenter de détourner
l'attention de la mappemonde du spectacle de l'extension
implacable des colonies d'Israël! Etes-vous sûrs que la capacité
cérébrale des citoyens américains et du reste de l'humanité soit
à ce point inférieure à celle du peuple de Jahvé qu'une mise en
scène de ce calibre puisse tromper longtemps tout le monde?
Croyez-vous que nous sacrifierons longtemps encore notre patrie
au profit d'Israël, alors que les vrais intérêts des grands
Etats finissent toujours par l'emporter sur les péripéties qui
leur font obstacle un instant?
Benjamin Netanyahou
: Vous rendez-vous compte de ce que la
question de notre identité nationale se pose dorénavant à la
terre entière, vous rendez-vous compte de ce que la question de
l'âme et de la chair de notre nation contraint désormais tous
les Etats de la planète d'acquérir une connaissance plus
profonde des souffrances d' un peuple dispersé sur toute la
surface du globe depuis le premier siècle de notre ère , vous
rendez-vous compte de ce que nous sommes en mesure de déclencher
à l'échelle mondiale une guerre civile d'un type inédit, une
guerre des esprits dans laquelle la moitié de l'humanité sera
appelée à défendre le droit des peuples à défendre leur terre et
l'autre moitié, la légitimité des valeurs universelles que vous
avez grand intérêt à placer sous le sceptre de votre démocratie
planétaire, puisque vos intérêts politiques et militaires
penchent de nouveau du côté de ce ciel-là?
Barack Obama : Tous les peuples ont un ciel et une terre ;
et vous, quelle est l'étendue du territoire que votre ciel vous
ordonne de conquérir les armes à la main?
Benjamin Netanyahou
: Une nation sans terre n'a pas
d'identité tangible, une nation sans terre flotte dans un vide
où seul un vocabulaire démocratique privé de substance la
rattache tel ou tel pays d'adoption.
Barack Obama : Je vous ai demandé quelle surface vous
entendez occuper.
Benjamin Netanyahou
: Vous autres, Américains, vous affichez
fièrement votre appartenance aux cadastres d'une patrie pourtant
toute récente et vous nous livrez sans honte à des concepts
impalpables. Mais aucune collectivité ne peut se réfugier dans
une identité seulement verbale.
Barack Obama : Je vous parle de kilomètres carrés.
Benjamin Netanyahou : Savez-vous que le gouvernement
français a vainement tenté d'effacer la mention des départements
sur la plaque minéralogique des voitures ? Savez-vous qu'il a
aussitôt dû battre en retraite, parce que des citoyens réduits
depuis deux siècles à réciter les principes philosophiques de
1789 se sont révoltés contre une scolarisation politique aussi
infantile? Comment se fait-il qu'ils veuillent se présenter en
ressortissants de tel lieu, comment se fait-il qu'ils veuillent
arborer un sigle distinctif de leur provenance? Essayez donc de
vous représenter la frustration dont les juifs du monde entier
souffrent dans leur âme et dans leur chair. Ils peuvent bien,
les pauvres, se déclarer Allemands, Polonais ou Américains, mais
non se réclamer d'un domicile atavique.
Barack Obama : Dois-je croire que vous enviez les banderoles
et les rubans du Minnesota, de la Californie ou du
Massachussetts? Quelle est votre topographie?
Benjamin Netanyahou : Quand prendrez-vous conscience de ce
que la victoire de Titus sur Israël en 70 a pris une ampleur
tellement planétaire depuis 1947 que soixante ans seulement plus
tard, il est devenu impossible à tous les Etats de la terre de
refuser de prendre acte des conséquences politiques à long terme
qui en découlent et qui font, de toute l'histoire contemporaine,
un drame juif, et cela pour longtemps encore -le drame de notre
localisation sur la mappemonde? Vous allez maintenant jusqu'à
prétendre qu'il serait plus aisé de redonner au peuple hébreu
les terres qu'il occupait autrefois si nos conquêtes
territoriales ne se heurtaient à un obstacle pourtant bien
secondaire, mais que vous jugez insurmontable, celui de la
présence sur nos terres d'une civilisation arabe née seulement
au VIe siècle. Pourquoi présentez-vous cette difficulté comme
invincible et de principe au siècle du prétendu droit des
peuples les plus récents de disposer d'eux-mêmes au détriment
des droits des peuples les plus anciens?
Barack Obama : Parce que telle est devenue l'exigence
d'universalité de la morale et de la conscience du monde, et
cela, non point depuis le VIe siècle, mais depuis le Golgotha.
Benjamin Netanyahou
: Si c'est sur cette croix-là que vos
arpenteurs entendent nous clouer, prenez-y garde, la science
politique du XXIe siècle ne pourra s'offrir le luxe d'ignorer
longtemps encore à quelles extrémités guerrières un peuple
injustement privé de sa terre depuis vingt siècles pourrait se
livrer afin d'assurer sa survie. Réfléchissez-y à deux fois
avant de nous opposer vos géomètres; Israël dispose du pouvoir
de clouer le globe terrestre sur la potence que vous brandissez
sous nos yeux.
Barack Obama : Mais comment voulez-vous que l'Amérique
explique à tous les peuples de l'islam qu'il leur faut sacrifier
leurs droits à ceux des lopins extensibles de Jahvé?
Benjamin Netanyahou : Je vous en conjure, au nom du réalisme
le plus rationnel, posez sans crainte à l'islam la question de
notre droit de poursuivre notre expansion territoriale sur les
terres de notre Dieu, parce que ce droit est irrésistible, donc
inévitable et qu'il n'est pas sage de défier le cours divin du
monde. Sachez que nous sommes devenus le destin en marche du
genre humain tout entier, sachez que nous sommes devenus les
accoucheurs implacables d'une légitimité internationale que la
nécessité finira bien pas enfanter, sachez que jamais votre
humanisme superficiel et tout décoratif ne répondra à une
question aussi étrangère aux gentillesses apprêtées et aux
conventions de pacotille de votre civilisation que celle des
droits d'un peuple qui n'acceptera plus jamais qu'un verdict de
votre morale de propriétaires au petit pied nous renvoie au
statut d'un peuple de nulle part.
Barack Obama : Un peuple serait-il une plante localisée sur
la mappemonde? Dans ce cas, pourquoi vous vantez-vous de votre
présence sur toute la terre? Pourquoi refusez-vous obstinément
de chiffrer l'étendue des terres que vous entendez conquérir?
Benjamin Netanyahou : Parce que la spiritualité juive repose
tout entière sur le débarquement réel du royaume de Jahvé sur
toute la terre. Mais comment expliquez-vous que l'Ancien
Testament fasse encore la substance du réalisme politique de
l'île d'Utopie de votre Thomas More de 1518? Comment se fait-il
que les chrétiens eux-mêmes aient partagé cette croyance toute
terrestre et qu'ils la partagent encore? Souvenez-vous de ce que
seul l'esprit positif de la Rome des juristes a permis à
l'Eglise catholique de reporter dans l'au-delà l'espérance toute
agricole des peuples chrétiens du 1er siècle; souvenez-vous de
ce que, de 1917 à 1989, c'est l'intelligence juive qui a
alimenté le réalisme planétaire du rêve marxiste, souvenez-vous
enfin de ce que seul un empire de substitution, celui de
l'argent-roi, a permis à Israël de réinstaller son messianisme
universel au cœur de vos concepts intemporels. Qu'en est-il du
ciel de vos abstractions démocratiques? Ne pensez-vous pas que
votre connaissance du genre humain est demeurée tellement
infirme que vous n'expliquez encore en rien pourquoi nous sommes
devenus, au cours des deux derniers millénaires, à la fois
l'armée inconsolable des orphelins du monde et l'armée des
conquérants de votre Liberté?
Barack Obama : Si je vous comprends bien, vous me mettez en
garde. Un peuple sans terre et réduit à honorer les stèles de sa
mémoire, mais armé d'une foudre exterminatrice, serait, me
dites-vous un adversaire fort à craindre. Vous me dites, en
outre, que notre prétendue science historique, notre prétendue
géopolitique et notre prétendue connaissance de la condition
humaine auraient oublié que l'ignorance est la source de tous
les maux et que nous sommes demeurés des ignorants. Quelle sera
votre stratégie de l'épouvante?
Benjamin Netanyhou : Je vous le dis solennellement, si la
science politique actuelle ne sait encore à quelle extrémité un
fauve traqué dans sa tanière peut se trouver contraint de
recourir, il n'est déjà plus temps, pour votre humanisme
scolaire et bien pensant, d'ignorer que ce fauve n'est pas privé
de ses crocs et qu'il échappera à ses poursuivants, il n'est
déjà plus temps de vous demander si l'Assemblée des Nations
Unies de 1947 a eu raison de légitimer un retour du peuple
hébreu qui le rendrait captif derrière des palissades, il n'est
déjà plus temps, pour vous, d'observer à la loupe comment votre
décision de nous entourer d'une clôture afin de nous rendre bien
sages a été obtenue des membres de cette autorité de supposés
connaisseurs des peuples et des nations. On ne saurait changer
le passé, on ne peut qu'apprendre à regarder le destin droit
dans les yeux et à prévoir l'avenir.
Barack Obama : Quels sont, à vos yeux, le présent et
l'avenir des relations d'Israël avec nous?
Benjamin Netanyahou
: Si vous songez à renouer une fois de
plus des pourparlers dont vous ne sauriez ignorer qu'ils sont
illusoires par nature et par définition, pourquoi feignez-vous
de les prendre au sérieux? Qui peut croire que vous ignoreriez
sincèrement qu'il sera à jamais impossible, sinon avec des tanks
- où les prendriez-vous ? - de nous faire rebrousser chemin
jusqu'aux frontières de 1967, qui peut croire que vous
ignoreriez sincèrement l'impossibilité évidente d'affubler un
Etat souverain d'une capitale grotesquement scindée entre deux
nations, qui peut croire que vous ignoreriez sincèrement
l'impossibilité de laisser les réfugiés retrouver le sol de
leurs ascendants, qui peut croire que vous méconnaîtriez
sincèrement l'étendue de notre puissance?
Vous
savez que nous sommes devenus les rois de la finance et du
système bancaire de la planète. Vous savez que les gouvernements
de la terre entière s'inclinent devant la puissance de nos
groupes de pression et de nos agents d'influence. Tous les pays
civilisés ont promulgué des lois sévères et copiées sur celles
de la protection de la foi du Moyen Age ; et c'est au nom d'une
orthodoxie nouvelle, celle de leurs démocraties, qu'ils jettent
en prison ceux de leurs citoyens qui pourraient déclencher une
hostilité sacrilège de leur population à notre égard. Ne
pensez-vous pas que la partie est largement perdue sur le champ
de bataille du blasphème pour les profanateurs du grand Israël
et que nous retrouverons intacte la puissance qui était la nôtre
du temps de David et de Salomon?
Barack Obama : Croyez-vous vraiment que l'histoire s'arrête
? Croyez-vous vraiment qu'une immobilité éternelle fixera le
temps des peuples et des nations au piquet de l'instant présent?
En vérité, il n'y a que deux espèces d'hommes, sur la terre,
ceux qui ont la vue basse et ceux dont le regard porte au loin.
Voyez ce que la guerre des orthodoxies et des hérésies vous a
fait perdre en un an seulement : vous avez attaqué le Liban en
violation du droit international, et maintenant, grâce aux
efforts de la France, un cordon de troupes de toutes les nations
de la terre, y compris de la Chine et de la Russie, veille dans
la région afin d' interdire à vos armes tout éventuel retour sur
les lieux, vous avez attaqué Gaza en violation du droit
international, et maintenant les peuples du monde entier crient
dans les rues: "Israël assassin!" Sans doute serez-vous appelés
à comparaître devant le Tribunal pénal international pour crimes
de guerre et crimes contre l'humanité.
Mais
que vous le soyez ou non, la cause est entendue aux yeux de la
planète. Vous avez perdu la guerre du sacré, vous êtes passés du
côté des hérétiques au sein des démocraties . A quels prophètes
allons-nous en appeler contre les profanateurs que vous êtes
devenus? Eh bien, je vais vous le dire: c'est dans vos rangs que
nous trouvons les héros solitaires de l'intelligence, les rois
de l'hérésie, les maîtres en sacrilèges. Ils s'appellent Isaïe,
Ezéchiel ou Daniel. Qu'allez-vous devenir si vos propres
prophètes vous clouent au pilori de la justice, de la liberté et
du droit, qu'allez-vous devenir si vos souverains des
profanations créatrices vous parlent sur petit écran et si
l'image et le son qui vous enserrent d'un réseau de surveillance
mécanique qu'aucune civilisation n'a connu fait de vous les
otages moderne du génie des contempteurs des idoles?>
Benjamin Netanyahou: Le temps ne s'arrête jamais, le temps
ronge et renverse les empires, le temps a vaincu Gengis Kahn,
Attila, Hannibal, Alexandre, Napoléon, Staline et Hitler, le
temps vaincra vos vaisseaux de guerre sur tous les Océans, le
temps sapera vos mille places fortes répandues sur toute la
terre, le temps terrassera la statue de Bel d'aujourd'hui, le
dieu dollar.
Barack Obama : La science historique de notre siècle
terrassera les roitelets David et de Salomon dont vous avez fait
des personnages mythologiques. Déjà, dans le monde entier, les
études archéologiques poursuivent la tâche interrompue depuis
Ernest Renan, déjà les plus grands d'entre vous ont pris, dans
l'ombre, la relève du génie de votre Spinoza, de votre Einstein
, de votre Freud, tellement vous êtes aussi le sel de la terre.
En
vérité, nous nous trouvons dans une situation historique inouïe,
celle où les progrès foudroyants des sciences humaines nous
diront si peuple hébreu est celui qui nous avait appris que la
vraie Jérusalem n'est pas de ce monde.
Benjamin Netanyahou : Si vous nous conviez de nouveau à nous
rendre dans les nues, je vous rappellerai les paroles de Jahvé :
c'est les armes à la main que nos Saintes Ecritures nous ont
appelés à occuper la Judée et la Samarie. Deux millénaires
depuis la destruction de Jérusalem, non seulement nous sommes
toujours là, mais nous avons réussi à convaincre le monde entier
de notre droit de retrouver notre patrie. Sachez que nous nous y
réinstallerons de force au besoin. Alors les deux divinités
cadettes que Jahvé s'est donné, la vôtre et celle de l'Islam
s'agenouilleront devant le vrai créateur du monde.
Barack Obama : Parlons en hommes d'Etat, puisque vous dites
maintenant que votre Etat parle par la bouche de Jahvé.
Benjamin Netanyahou
: Vous êtes venu à la table des pseudo
négociations et vous l'avez quittée sans façons, vous avez
invoqué le vain prétexte que nous ne saurions continuer
d'occuper Jérusalem Est sous les yeux de votre vice-Président.
Mais il est des nôtres, que nous sachions, ainsi que le
Secrétaire général de votre Maison Blanche. Pourquoi avez-vous
fait semblant d'ignorer que nous occuperons cinquante mille
habitations à Jérusalem Est au cours des quatre ans seulement à
venir? Pourquoi feignez-vous obstinément d'ignorer que, de
toutes façons, le monde entier se verra contraint sous peu
d'ouvrir les yeux sur le fond du dossier et que l'heure est
proche où il vous faudra regarder la réalité et nous-mêmes en
face. C'est cela, parler en homme d'Etat.
Barack Obama : Vous savez que le quartet des Européens s'est
réuni à Moscou, vous savez qu'il y avait Kouchner, Lavrov,
Blair, Ashton, Ben Ki Moon et votre ministre des Affaires
étrangères, Libermann. Tous vous ont demandé de conclure la paix
en deux ans.
Benjamin Netanyahou : Et nous leur avons tranquillement
répondu que la paix ne se construit pas artificiellement et un
calendrier sous les yeux. En vérité, vous êtes d'ores et déjà
entrés en rivalité entre vous. Vous savez bien que vous
arracherez des mains du quartet le dossier que vous avez fait
semblant de lui confier un instant. Aussi attendons-nous vos
vassaux de pied ferme. Deux des nôtres, MM. Sarkozy et Kouchner
ont d'ores et déjà proposé de renforcer nos liens avec l'Union
européenne, d'ores et déjà, le Vieux Continent va prendre à nos
côtés la relève de votre empire déclinant, d'ores et déjà, le
gouvernement français a fait du CRIF l'interlocuteur officiel de
l'Etat et de la République, ce que même l'AIPAC n'a pas réussi
chez vous.
Barack Obama : Et vous pensez que nous sommes vaincus
d'avance?
Benjamin Netanyahou : Je me suis longtemps interrogé sur les
ultimes secrets de votre politique, parce que je m'étais imaginé
que vous cachiez une stratégie dans votre manche et même qu'une
vision prophétique de l'avenir du monde guidait votre sagesse,
de sorte qu'elle n'était improvisée qu'en apparence et seulement
afin de mieux tromper tout le monde sur votre génie. Mais j'ai
cessé de me creuser la tête. Je sais maintenant que les
démocraties n'ont pas de vues abyssales, qu'elles n' accouchent
jamais et fatalement que des élites politiques nécessairement
décérébrées que l'aveuglement et l'infirmité naturels du
suffrage universel leur impose. Ce régime est condamné à faire
mener à tout homme politique, et cela jusqu'à la cinquantaine
passée, une carrière consacrée à affûter jour et nuit les
petites recettes qui lui assureront, le moment venu, les faveurs
passagères d'un corps électoral d'ignorants. Quant un homme
d'Etat tel que vous accède au timon des affaires, il n'est plus
temps pour lui d'apprendre à porter un regard profond ni sur le
monde, ni sur lui-même.
Savez-vous que M. Giscard d'Estaing, élu Président de la
République française en 1974, avoue, dans ses Mémoires
qu'il n'avait jamais entendu parler de la Palestine et qu'il ne
savait que répondre à M. Henry Kissinger ? Pourquoi n'avait-il
rien appris à siéger dans le Gouvernement du Général de Gaulle ?
Vous-même, n'avez-vous pas proclamé, au cours de votre campagne
électorale, que Jérusalem serait la capitale de notre Etat ?
Renseignement pris, ce n'était pas une petite tromperie
électorale de votre part - tout simplement, vous ne saviez pas
que le monde entier ne reconnaît encore que Tel-Aviv pour notre
capitale. Un homme politique qui, à l'âge de quarante-sept ans,
jette pour la première fois un regard sur la planète n'est pas
habité par la vocation impérieuse qui seule fait les chefs
d'Etat.
Nous
n'avons pas encore engagé un centième de nos forces dans la
guerre qui s'annonce entre nous et le reste du monde.
Souvenez-vous de l'assassinat d'Itzak Rabin, dont les rêves de
paix étaient illogiques et déraisonnables, souvenez-vous des
accords d'Oslo que nous avons fait signer quasiment de force au
successeur de M. Bush Père, dont nous vous avons imposé
l'élection au peuple américain, souvenez-vous des clameurs du
monde entier qui nous demandaient de retourner à nos frontières
de 1967 après que M. Ariel Sharon eut commis l'imprudence de
quitter Gaza, souvenez-vous d'Annapolis dont la planète des
fausses promesses retentissait à la fin du second mandat de
votre prédécesseur, souvenez-vous de M. Jimmy Carter, qui nous a
présenté des excuses afin de permettre à son petit-fils d'être
élu sénateur.
Comment se fait-il que vos plans de bataille contre nous ne
soient jamais que des bulles de savon? Comment pouvez-vous
croire un instant que nous laisserons votre Chambre des
Représentants et votre Sénat nous couper les vivres ?
Pouvez-vous croire que si ce miracle se produisait dans les plus
hautes régions de l'atmosphère, la diaspora du monde entier ne
prendrait pas aussitôt un relais financier plus titanesque que
le vôtre? Même s'il ne me suffisait pas de venir tout de suite
haranguer Israël sur votre sol, même si l'Amérique ne m'écoutait
pas aussitôt, même si M. Mitchell ne revenait pas sur l'heure à
Jérusalem, il n'y aurait pas de quoi fouetter un chat. Nous n'en
sommes qu'aux escarmouches et nos réserves en munitions sont
inépuisables.
M.
le Président, vous découvrirez bientôt que le suppliant, ce
n'est pas nous, c'est vous.